[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

Ils avaient été absents plus longtemps qu'ils ne l'auraient cru. Dans la salle à manger, en effet, on n'en était plus à servir le repas : nombre de leurs compagnons étaient proches de le terminer... Et il n'y avait qu'à voir la mine anxieuse d'Alban, assis en compagnie des jumeaux, pour comprendre que l'expédition n'avait toujours pas reparu.
-Ils ont dû pouvoir libérer du monde... fit Marthe quand Ruth les eut abandonnés pour rejoindre ses amis.

[Galathée]

Ou ils y sont tous restés.
" Sans doute."
Il chercha un endroit où s'asseoir.
" J'espère qu'ils ne sont pas bloqués dans le couloir... Il faudrait peut-être aller voir... S'ils ont dû se séparer, il n'est pas impossible qu'ils n'aient pas les moyens de rentrer... Je ne sais pas si Giovanni ou Ambrosius savent invoquer des créatures. Je devrais aller voir. Je reviens dans un instant."
Lui aussi arriverait bientôt au bout de ses sortilèges appelant des êtres de sang céleste... mais il avait besoin de tromper son inquiétude.

[Taliesin]

-D'accord. Je vais en profiter pour aller nous chercher à manger.
Elle hésita, parut se raviser.
-A tout de suite.
Albérich constata bientôt, mais trop tard, qu'il avait gaspillé un sortilège en vain : on ne pouvait faire plus désert que le souterrain.

[Galathée]

Il resta un moment immobile, à contempler ces ténèbres autour de lui, l'absence de toute vie, et tenta de contrôler les battements désordonnés de son coeur. Il aurait dû y aller. Il avait commis une erreur. Quelque chose s'était produit, il le sentait, jamais ils n'auraient dû lancer pareille opération, sur un coup de sang, parce qu'ils avaient peur de cette inertie qui les habitait depuis des jours et des jours, et qui promettait de les affliger encore, et pire si le groupe qui était parti ne revenait pas, avec Giovanni, Thibault, Varamyr, Ezéchiel... et Hubert.
Hubert.
Pourquoi avait-il laissé partir Hubert ? Marthe avait raison, il n'était pas fiable, il l'avait su, et pourtant...
Il ne pouvait pas le contraindre, personne ne le pouvait.
Il frissonna, resta immobile dans le vide, puis retourna à l'intérieur.
Manger. Explorer. Continuer.
Tout ça lui apparaissait comme une comédie élaborée, qu'il fallait jouer et jouer encore, devant un public exigeant, pour ne pas sombrer.

[Taliesin]

Marthe l'attendait et, comme promis, elle était allé lui chercher un plateau. Elle le dévisagea quelques instants et dut apprendre à son expression ce qu'elle voulait savoir car elle ne posa pas la moindre question et s'attaqua à son repas plus par automatisme, sembla-t-il, que par appétit. Ils mangèrent en silence, rapidement, probablement sans trouver beaucoup de saveur aux aliments.
-L’observatoire, alors ? demanda la magistrate quand ils en eurent terminé.

[Galathée]

Il rangea leur vaisselle.
" Oui. Attrapons Ruth et allons-y." dit-il, sans chercher à dissimuler son inquiétude.
Au moins la gamine les empêcherait-elle de sombrer complètement dans le marasme, en emplissant le vide de son énergie fiévreuse.

[Taliesin]

D'énergie, Ruth en débordait toujours, c'était certain. Cependant, et quoiqu'elle s'efforçât de n'en rien montrer, Albérich la sentit tendue. Elle devait aussi s'inquiéter pour Hubert : même si elle ne connaissait pas la nature de sa mission, sans doute se rendait-elle compte qu'il aurait déjà dû être de retour, d'autant qu'aucun vivre n'avait été emporté par l'expédition...
-Si c'est pas top à l'observatoire, on pourrait chercher la cloche, non ? fit-elle.
Pour l'heure, aucun des couloirs qu'ils n'avaient remontés, aucune des salles qu'ils avaient entraperçues n'avait changé. Mais il y en avait tant et tant dans cet immense palais...

[Galathée]

" Chaque chose en son temps, proposa Albérich en entraînant la petite troupe vers le sommet du palais. D'abord l'observatoire, ensuite, on verra bien."
Il n'avait vraiment aucune idée de ce que Marthe espérait dénicher dans un endroit dévolu à l'étude du ciel, mais elle avait parlé de pistes qu'ils n'exploraient pas jusqu'au bout... Autant lui donner satisfaction.

[Taliesin]

L'observatoire, lui non plus, n'avait pas changé. Et comme nul endroit ne semblait plus propice qu'un autre pour installer un panneau de contrôle, en cette vaste salle circulaire, Ruth dût se lancer dans des fouilles qui risquaient de s'avérer fort longues... Marthe, pour sa part, examinait les décorations, les lunettes d'observation : malgré leur indéniable intérêt scientifique et technique, elle semblait ne rien en voir. Ou presque.
Une cavalcade, dans le couloir.
-Monseigneur...
Alban déboucha dans la pièce, pila net et manqua perdre l'équilibre.
Même sa course effrénée n'était pas parvenue à compenser sa pâleur de craie.
-Monseigneur, madame, l'expédition est de retour, lâcha-t-il après avoir partiellement retrouvé son souffle. Enfin... Une partie...

[Galathée]

Albérich avait le nez au plafond, circulant lentement dans la vaste salle ronde, lorsque le petit garçon avait déboulé avec son message, hors d'haleine.
" Une partie ? s'exclama Albérich, et sans vraiment le vouloir, il attrapa Alban par l'épaule. Pourquoi ? Quelle partie ?"

[Taliesin]

-Une... une grosse partie... Ils ont même libéré messire Étienne et d'autres gens mais...
Il déglutit péniblement.
-Je... Je suis désolé, je n'ai pas regardé tout le monde, je n'ai discuté avec personne... j'ai juste écouté et un peu regardé parce que... parce que je voulais vous prévenir tout de suite mais... Mais messire Hubert n'est pas avec eux. Ni messire Thibault. Je crois... Si j'ai bien compris, ils sont restés... pour une diversion...
Il paraissait au bord des larmes.

[Galathée]

Les quelques mots d'Alban s'entrechoquèrent dans l'esprit du clerc, comme l'adrénaline se saisissait de lui en un battement de coeur.
Hubert et Thibault n'étaient pas rentrés.
" Etienne... C'est formidable..."
Il attrapa la main d'Alban, la serra dans la sienne et l'entraîna vers le rez de chaussée, sans regarder ni Ruth, ni Marthe, qui suivraient immanquablement.
Une diversion. C'était normal. Il ne fallait pas imaginer le pire. Au moins, Hubert était resté, c'était déjà une victoire en soi, un petit miracle, il ferait diversion puis il reviendrait, avec Thibault, il n'y avait pas lieu de s'inquiéter.
Alors pourquoi était-il à ce point fébrile, incapable de contrôler les battements de son coeur emballé ?
Je dois me contrôler. Je suis conseiller. Les gens me regardent. Je dois être digne, solide, irréprochable, inhumain.
Une diversion. Ils sont grands, forts, ils reviendront ensuite.
Ils savent qu'ils me sont indispensables. Nous sont indispensables.
Ils reviendront.
Et il dévala tous les escaliers jusqu'à la source, repoussant ceux qui étaient absents dans un recoin de son crâne, afin de pouvoir accueillir dignement ceux qui étaient restés.

[Taliesin]

Il n'eut pas à chercher longtemps les nouveaux arrivants : il y avait un sacré brouhaha aux abords de la salle commune.
Tenant toujours Alban par la main, il se dirigea dans cette direction et... il les vit.
Sous le regard d'une Roxane attendrie se déroulaient de touchantes retrouvailles entre des colons réfugiés au palais et d'autres fraîchement arrachés aux griffes des Ithiliens, principalement des anciens et des enfants - peut-être vingt-cinq en tout. Plus loin, Giovanni discutait avec Roland et Renaud : pour le barde comme pour ses religionnaires fraichement libérés, la tension et l'inquiétude étaient de mise.
Ni Étienne, ni Ézéchiel n'étaient en vue.

[Galathée]

Albérich n'alla pas tout de suite vers eux, bien que la tentation fut grande. Il était en particulier stupéfait de voir les deux paladins sunites : il les avait crus morts. Les voir bien vivants avait dû surprendre Hubert, dont l'envie de sacrifice bafouée par le pragmatisme avait dû s'en trouver bouleversée.
Il s'arrêta près de Roxane et lui sourit, sincèrement.
" C'est un bonheur de te revoir vivante, Roxane. Nous avions espéré... à raison, c'est une joie."

[Taliesin]

-Profite de l'état de grâce, répondit-elle, mutine. Quand il sera passé, je suis sûr que nous nous remettrons à nous voler joyeusement dans les plumes.
Elle sourit.
-Blague à part... Merci. Et pour être franche, je n'en reviens pas d'être ici. Tout est allé très vite, tout était tellement inattendu... Enfin, je ne vais pas m'en plaindre. Certainement pas.

[Galathée]

Albérich sourit et se permit de l'étreindre une seconde, à la fois parce que cela paraissait naturel, mais aussi pour y puiser du courage, mine de rien.
" Je vais aller voir les autres... On m'a dit qu'Etienne était là, mais je ne le vois pas... Prends ton temps pour... reprendre pied, je dirais. Il y a de quoi boire et manger, en suffisance... mais par contre, nous avons un problème de lits... et pour une barde, même passionnée par le récit de vie des petites gens... je pense que le palais devrait te plaire."
Il n'osa pas poser de questions sur Ariel, le troisième barde, dont l'absence semblait soudain plus palpable... Peut-être était-il à la mine, peut-être était-il mort et n'avait-il pas mérité d'être relevé. Mais peut-être Roland et Renaud n'avaient-ils pas trépassé, en réalité, ce qui expliquerait leur présence...

[Taliesin]

Roxane hocha la tête.
-Merci. A plus tard. Oh, et... Je crois que quelqu'un veut te parler.
De fait, ayant avisé sa présence, Giovanni lui faisait signe d'approcher, de même qu'à Marthe qui venait d'arriver, Ruth sur les talons.
-Est-ce que vous voulez que je... vous laisse discuter tranquilles ? fit Alban d'une toute petite voix.

[Galathée]

Albérich se tourna vers les enfants avec une grimace.
" Je crois que c'est mieux. Mais sachez que si j'ai la moindre nouvelle sur Hubert, je vous la communiquerai tout de suite. A priori, s'il devait faire diversion, il est parfaitement normal qu'il n'arrive pas en même temps que les autres. Il faut juste être patient."
Il posa une main réconfortante sur l'épaule de chacun, la serra, puis alla vers Giovanni, de moins en moins capable de contrôler son anxiété.

[Taliesin]

Quand les conseillers s'avancèrent, les paladins, eux, s'éloignèrent pour laisser le barde leur faire tranquillement son rapport.
-On va commencer par les bonnes nouvelles, fit un Giovanni mainfestement fatigué, éprouvé et anxieux. Comme vous avez pu le voir, nous avons réussi, suite à un... enchaînement imprévu d'événements, à libérer davantage de monde qu'initialement envisagé. Vingt-six de nos compagnons, en fait, qui étaient trop épuisés pour être utiles aux mines. Étienne a également été secouru mais... nous l'avons étendu dans une petite salle, le plus confortablement possible. Hubert a dû l'assommer car il refusait d'abandonner les autres captifs.

[Galathée]

" Oh dieux..." souffla Albérich.
Cette information ne le surprenait en rien. Lui-même avait eu toutes les peines du monde à quitter la forteresse et ne l'avait fait que parce que... Giovanni l'y avait plus ou moins contraint. Ou convaincu. Les bardes étaient doués pour ce genre de choses.
" Il doit être dans un état épouvantable..."
Et il serait furieux en reprenant connaissance. Ou désespéré. Ou les deux, sans doute.

[Taliesin]

-Physiquement, il a l'air indemne mais j'imagine que oui, moralement, ce doit être assez... difficile.
Il marqua une pause.
-Hum, sinon... Pour nous permettre de filer de la forteresse avec nos compagnons, Hubert et Thibault ont lancé une diversion. Il n'y avait vraiment apas le choix mais... comme notre clerc disposait encore de sortilèges et comme j'ai confié le phylactère à notre paladin... Il y a de fortes chances qu'ils ne tardent pas à nous rejoindre.

[Galathée]

Albérich eut un sourire nerveux mais il ne serait rassuré que quand il les verrait franchir la porte. Le phylactère était puissant mais il ne permettait pas l'impossible, e Thibault n'avait qu'un nombre de sortilèges restreints. De surcroît, face à des êtres humains à l'âme grise, Hubert n'était qu'un combattant d'expérience, rien de plus.
" Où est Ezéchiel ?"
Car c'est lui qui aurait dû faire ce rapport, pas le barde.

[Taliesin]

Le barde baissa les yeux.
-Les... Les choses n'ont vraiment pas tourné comme prévu. Varamyr et moi avions effectué notre repérage : tout était calme. Nous avions donc fait jonction avec le groupe d'intervention mais tout à coup... L'alarme a été donnée sans que nous arrivions vraiment à comprendre pourquoi. Les Ithiliens ont aussitot donné des ordres, en particulier celui de rassembler les prisonniers : ils entendaient les menacer ou... pire encore pour obliger les intrus à se rendre. Alors nous avons décidé de les devancer, de libérer nos compagnons...
Il poussa un profond soupir.
-Trois des nôtres n'en ont pas réchappé, dont Ézéchiel.

[Galathée]

Albérich passa une main sur son visage, subitement accablé. Il faillit dire quelque chose, se détourna une seconde pour regarder les nombreuses personnes qui avaient eu la vie sauve grâce à leur intervention, puis ferma les yeux et frissonna.
" Il va falloir prévenir leurs proches." dit-il d'une voix sourde.
Ils avaient pourtant convenu de ne pas prendre de risques... Mais comment s'était déclenchée cette alarme, si les passages secrets n'avaient pas été découverts ? Il poussa un bref soupir.
" Savez-vous si... les paladins ont été relevés ?"

[Taliesin]

-Non.
Nouveau soupir.
-Je suis vraiment désolé mais... nous n'avons pas vraiment pu bavarder quand nous étions à la forteresse. Et pendant le trajet de retourn... Nous avons préféré nous concentrer sur le futur ou... sur des choses plus positives.

[Galathée]

" Je comprends. Je leur poserai la question." dit Albérich.
Il s'en voulut d'avoir des pensées aussi pragmatiques, mais si les Ithiliens relevaient Ezéchiel ou l'un des autres hommes qui étaient tombés, ils risquaient de se retrouver complètement assiégés, et dans l'impossibilité d'accueillir Frida et ses renforts.
" Est-ce que Thibault ou Hubert ont pu s'assurer de la bonne santé d'Etienne ? Un coup sur la tête... C'est parfois très dangereux."
Il était conscient du silence de Marthe, mais il avait peur de laisser le moindre espace dans la conversation : l'angoisse s'y engouffrerait à nouveau.

[Taliesin]

-D'après Thibault, Hubert lui a insufflé un peu d'énergie après l'avoir assommé. Pour s'assurer que le coup, justement, n'aurait pas de fâcheuses conséquences. Et là, honnêtement, il semble juste endormi.
Il grimaça.
-Et vaut peut-être mieux qu'il ne se réveille pas tout de suite. Parce qu'il va être... furieux à cause du procédé employé.

[Galathée]

" Je me doute." dit Albérich, songeur.
Il ferma une seconde les yeux, à nouveau assailli par mille doutes. Les morts laissés derrière à la forteresse, mines de renseignements pour n'importe quel clerc un peu entraîné, ranimés ou sous forme de fantômes. Hubert et Thibault en vadrouille, absents, cette fameuse diversion. Mais même une hydre n'était pas invulnérable. Etienne de retour, un miracle et un risque, tout à la fois. L'observatoire, tous ces livres, tous ces gens, Frida dans la lande glaciale. Les Ithiliens, le sceau rompu, l'angoisse d'Alban et de Ruth, le poids sur leurs épaules, à lui, à Marthe, désormais. L'assemblée à organiser, avec ces nouveaux éléments.
Il regarda à nouveau vers les gens qui retrouvaient leurs proches. Près d'eux, il y avait ceux qui avaient espéré et qui devaient constater que leurs fils et leurs frères ne faisaient pas partie des personnes libérées.
Reprends-toi.
Tout cela paraissait insurmontable, soudain, alors que si peu de choses avaient changé...
" Je vais parler aux paladins."

[Taliesin]

Lesquels, malgré toute leur bonne volonté, ne purent lui apporter de certitudes.
Ils estimaient avoir été ressuscité car l'un comme l'autre avaient fini par perdre connaissance sur le champ de bataille, vaincus par d'inombrables blessures et par la douleur qu'elles leur avaient causée. Cependant, comme on ne gardait aucun souvenir d'une résurrection, ils ne pouvaient l'affirmer sans l'ombre d'un doute : ils avaient pu simplement s'évanouir, après tout..;
Ce qui était certain, c'est qu'ils n'avaient rien perdu de leurs capacités, du moins l'estimaient-ils. Ce qui signifiait que si on les avait ramenés d'entre les morts, c'était d'un très puissant sortilège dont on avait usé.

[Galathée]

Un sortilège qui nécessitait un diamant extrêmement précieux et un clerc extrêmement puissant. Comme il devait y en avoir des dizaines à Ithilion.
" Avez-vous la moindre idée de ce qu'ils attendaient de vous ? Je veux dire... Je suis heureux pour vous... mais surpris qu'ils ne vous aient pas envoyés aux mines... Sans doute ne l'auriez-vous pas accepté mais... Je ne sais pas, je m'interroge."