[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

Hubert n'eut aucun mal à localiser ses écuyers : ils se trouvaient dans la grande salle. En fait, il les y avait vus à chaque fois qu'il s'y était rendu. Il n'était pas impossible qu'ils n'osent plus en sortir... Pour l'heure, en tout cas, ils jouaient aux dés en compagnie des jumeaux - des dés trouvés sans doute par hasard, dans quelques tiroir... Avisant le paladin, l'un des petits demi-elfes donna un discret coup de coude à Ruth qui leva les yeux.
Un instant plus tard, elle et Alban se levaient pour rejoindre leur maître, l'air penaud.

[Hubert de Maleval]

Le paladin les entraîna à l'écart et les fit asseoir.
" Je sais que vous regrettez, mais nous devons revenir sur ce qui s'est passé ce matin."
Il poussa un bref soupir.
" Compte tenu des événements des derniers jours..."
Il regarda Ruth en particulier.
" J'aurais espéré que vous vous montriez un peu plus circonspects. Vous savez que ces lieux recèlent des mystères, et tous ne sont pas inoffensifs. Vous ruer de la sorte, les uns derrière les autres, dans ce qui aurait pu constituer un piège mortel... me donne la sensation que malgré tout, vous ne mesurez pas encore l'ampleur du danger. Si c'était la première fois, passe encore, mais ce n'est pas la première fois."
Il pinça les lèvres, écarta les mains en signe d'impuissance.
" Il y a une témérité en vous que je suis incapable de museler. C'est sans doute dû au fait que je ne suis pas tout le temps dans votre ombre, à surveiller vos moindres faits et gestes, à occuper votre temps pour vous empêcher de prendre des initiatives mal avisées. Mais même comme ça, j'ai la sensation que vous continueriez à vous comporter comme des guerriers d'expérience plutôt que comme des enfants qui ont encore tout à apprendre."
Il les dévisagea.
" Ce n'est pas votre faute, vous êtes comme vous êtes, et vous n'avez rien à faire dans cette entreprise. Votre place est dans un village ou une ville tranquilles, quelque part sur Hélonna, là où vos envies de bravoure pourraient s'exprimer de manière inoffensive. Comme tous les autres enfants de la communauté. Mais voilà, nous sommes ici, et nous devons faire avec. Dans ce cadre, je suis curieux de savoir quelles sont vos propositions."

[Taliesin]

Ils semblèrent vouloir répondre aussitôt, s'abstinrent, demeurèrent pensifs un moment, s'entreregardant à l'occasion...
-Vous n'avez qu'à nous exiler au fort, dit finalement Ruth. Là bas, aucun mystère : pas de porte dérobée, pas de passages secrets, pas de salles avec des symboles... Enfin si, une, avec un seul symbole, mais vous êtes le seul à pouvoir l'activer. Bref, comme ça, vous aurez plus à vous inquiéter, vous aurez plus à redouter quoi que ce soit de notre part, de moi en particulier. Comme y a rien à découvrir, j'pense pas que je me mettrai à faire des trucs que j'ai pas envie de faire mais que j'peux pas m'empêcher de faire comme si quelqu'un d'autre décidait à ma place.

[Hubert de Maleval]

Il sourit et secoua la tête.
" Malheureusement, je n'en crois rien, dit Hubert. Même au fort, il y a des souterrains. Et nous ne les avons pas explorés de fond en comble : avec ta chance, tu serais fichue de découvrir des passages secrets et des mystères. Mais tu vois, Ruth, le problème, c'est que j'ai l'impression que même avec un caillou et un morceau de ficelle, tu serais fichue de..."
Déclencher une catastrophe.
" ... trouver quelque chose de spectaculaire à faire... Si je vous envoyais au fort, ça voudrait dire refiler à quelqu'un d'autre la responsabilité de vos actions... ça voudrait dire passer mes journées à me demander quelle est la dernière bonne idée que vous avez eue..."

[Taliesin]

Ils s'entreregardèrent à nouveau et acquiescèrent. Manifestement, ils avaient discuté entre eux au préalable, envisagé cette conversation...
-Vous pouvez également accepter notre démission, dit Alban, grave. Ainsi, nos actes ne seront plus de votre ressort, vous n'aurez plus à vous en soucier et pourrez vous concentrer entièrement sur les tâches importantes qui nous incombent. Pour le reste, si nous ne sommes plus vos écuyers, on ne nous confiera plus la moindre tâche sortant de l'ordinaire, et il n'y aura plus de risque que nous provoquions quoi que ce soit : c'est quand nous allons... hors des sentiers battus qu'il se passe des choses.

[Hubert de Maleval]

Hubert soupira. Il avait songé à cette éventualité, bien sûr. Moins parce que les enfants étaient imprudents que parce qu'il ne se sentait pas capable de tenir ses engagements vis à vis d'eux.
" Je ne suis pas un bon maître, je le reconnais. Je pensais demander à Etienne de reprendre votre formation, mais il est trop fatigué pour l'instant, et je n'ai pas eu l'opportunité de lui en parler. Le problème, Alban, c'est que... tu crois vraiment que ça va changer quelque chose ? Après tout ce que nous avons traversé ensemble ? Que parce que tu n'es plus mon écuyer, je vais subitement me désintéresser de ton sort, estimer que c'est à quelqu'un d'autre de veiller sur toi ? Crois-tu que notre lien soit purement... professionnel ? Penses-tu que je vais hausser les épaules et me dire "ce n'est pas mon problème" ? Comment peux-tu... même penser une chose pareille ? Je sais que tu vois notre relation par le prisme de ta formation. Mais je n'en suis pas capable. Je ne suis pas pragmatique comme toi. Je n'étais pas ton maître quand tu as été enlevé par le Seigneur des Tombes. Même si nous décidions aujourd'hui que vous n'êtes plus mes écuyers... Je viendrais quand même vous chercher en cas de pépin. Et je continuerais à m'inquiéter de vous."

[Taliesin]

-Et nous de vous, dit-il, spontané.
Il soupira.
-Je sais bien que notre démission ne changera pas grand chose au fond. Mais à la forme... si. Les écuyers ne sont pas... des enfants ordinaires, messire. La littérature chevaleresque abonde en récits mettant en scène... leurs exploits ou leur mort tragique. Ce ne sont pas... des civils. Si nous n'avons plus ce statut, des civils, nous en redeviendrons. Tenus aux même règles que les autres. Plus de mission d'exploration ou autres. Par conséquent, les risques qu'il nous arrive quelque chose seront limités et vous aurez l'esprit plus tranquille.
Il pinça les lèvres.
-Et, à titre personnel, ce sera plus simple... de ne plus faire semblant d'avoir une position que je n'occupe pas vraiment. Ne vous méprenez pas : je ne vous reproche rien, je ne me le permettrais jamais, je vous suis énormément reconnaissant de tout ce que vous avez fait pour moi. Mais les paladins... n'ont pas d'écuyers. Je ne le suis donc pas, même si... nous faisons comme si. Je crois que la situation gagnerait à être clarifiée.

[Hubert de Maleval]

La littérature, songea Hubert, misère ! Qui a farci le crâne de ce gosse avec de telles absurdités ?
Cette seule remarque lui fit mesurer combien il était impuissant à gérer cet enfant, combien ils étaient mal assortis, aujourd'hui, et combien ils le seraient, même en temps de paix. Ruth, par contre, était son ombre. Il aurait pu en faire quelque chose, en d'autres circonstances. Mais il ne pouvait pas s'occuper d'elle pour l'instant, il avait trop à faire, et il se refusait, quoi qu'en dise Alban, à l'exposer sous prétexte qu'elle était "un écuyer."
" Tu as raison. Pour moi, vous êtes des enfants, des civils, vous avez à être protégés, pas à être exposés en première ligne. Les paladins n'ont pas d'écuyers, mais ils ont des novices. Sans doute que toute la différence entre ces deux mondes est contenue dans ce simple mot : novice. Je me suis fourvoyé en imaginant que je pouvais faire semblant. Mais je voudrais quand même que tu puisses profiter de la formation que tu désirais. Je parlerai à Etienne dès que possible. Je sais qu'il te prendra sous son aile, et qu'il fera de toi ce que tu veux qu'il fasse de toi, et ce dont je suis incapable."
Un personnage de fantasme, un héros de livre, à quoi bon ?
Il se tourna vers Ruth.
" Je ne sais pas bien si Etienne voudra s'occuper de toi. Tu es une fille et les chevaliers ont généralement des idées un peu... conservatrices à cet égard. Mais sache que quand tout ceci sera terminé, je mettrai un point d'honneur à te mener où tu le désires. Je ne sais pas si tu as en toi de devenir paladine, mais tu serais admise dans n'importe quelle commanderie. Pour le reste, il y a ici des gens qui pourront te former au métier des armes, même sans entrer dans une relation de chevalier à écuyer."

[Taliesin]

Elle acquiesça.
-D'accord. Mais de toute façon, ce genre de considérations, ça attendra que la situation actuelle soit réglée. Là, y a plus important à penser que mon avenir : suis pas à quelques mois près !
Elle se leva, imitée par Alban.
-Bonne soirée, messire, fit celui-ci.
Ruth le salua à son tour et tous deux s'en furent récupérer leurs couvertures pour les déménager.

[Hubert de Maleval]

Leur détachement prit le paladin complètement au dépourvu. Il avait pensé qu'ils manifesteraient... un peu de déception, un peu d'émotion, quelque chose qui démontrerait qu'ils accordaient quelque valeur à cette débâcle. Mais non, rien, ils l'avaient salué, étaient partis chercher leurs affaires, comme si c'était la chose la plus anodine du monde.
Lui-même se sentait complètement ravagé de l'intérieur. Mais les enfants avaient été dignes, et il ne pouvait que les imiter. Il se releva et quitta la pièce, les tempes broyées par ce qu'il gardait pour lui. Un échec terrible, mais inévitable. Sans doute Ruth et Alban avaient-ils été moins aveugles que lui, sans doute s'étaient-ils préparés de longue date, ou bien la déception constante qu'ils ressentaient à son égard avait-elle sapé toute affection entre eux.
Qu'Alban se comporte comme un bloc de marbre, ce n'était pas complètement surprenant, tout bien considéré, ce garçon était un concentré de renoncement. Mais Ruth... Il avait imaginé un peu de révolte. C'était le cheval fou ruant dans les brancards, la flamme vive qu'aucun torrent n'éteint... Et pourtant... Elle n'avait même pas eu un geste dans sa direction. Un sourire. Ou une courte étreinte. Rien que le vide.
Il frissonna et prit la direction des jardins.
Albérich lui aurait dit de relativiser. Il ne s'en sentait pas capable, à la seconde présente.
Il avait failli, complètement, avait promis de veiller sur le garçon, et s'en était montré incapable. Robert l'avait pressenti, pourtant. Albérich aussi. Mais il n'y avait pas d'autre solution honorable à cette situation. Et à présent, tout s'était écroulé. C'était sans doute bien d'avoir essayé. Inutile et douloureux, mais bien. Si ça voulait dire quelque chose.
Une fois dans les jardins, il songea à invoquer Grand Vent, qui l'avait toujours apaisé au travers des tempêtes, mais il n'en fit rien. Le cheval lui rappellerait les dernières fois qu'il l'avait appelé, avec Alban, pour apprendre au petit garçon à ne pas craindre le contact du destrier. Il faudrait du temps pour que ce lien s'estompe.
Il réalisa que s'il avait envisagé de se séparer d'eux, il n'avait jamais vraiment mesuré ce que cela signifierait pour lui. Il avait l'impression qu'on lui avait pris quelque chose. Même s'il ne leur avait pas trouvé des occupations à longueur de journée, il avait pris l'habitude qu'ils soient disponibles et volontaires. Il repensa au tournoi, autrefois, près de Grand Estuaire. A sa première rencontre avec Ruth. Il eut honte de porter des vêtements faits avec leurs nippes, se promit de les rapporter à Ingrid pour qu'elle leur restitue d'une manière ou d'une autre.
Il s'était montré indigne et il les avait perdus.
Bien sûr, il était un peu plus libre, à présent.
Mais à la seconde, cela semblait complètement secondaire devant le désastre.
Il s'assit au pied d'un arbre, nicha le visage entre ses mains, et se prépara à une longue nuit de réminiscences.

***

De son côté, Albérich avait terminé de tracer son glyphe. Comme il devinait qu'Hubert en aurait pour un certain temps avec ses écuyers, il décida d'aller voir comment se portait Thibault. Après tout, il ne lui avait plus parlé depuis sa résurrection miraculeuse, et comme un bon guérisseur, il se sentait le devoir d'aller prendre des nouvelles de son patient... et ami, de surcroît.

[Taliesin]

Il finit par trouver le Sunite dans une petite salle jouxtant les cuisines où, aux côtés de Clovis et de quelques autres, il participait à l'inventaire des vivres. Il ne leur restait vraiment plus grand chose : l'arrivée de la colonne serait donc plus que bienvenue.
-Ayant bien compris que vous me tiendriez à l'écart de toute opération, je me suis trouvé autre chose à faire, se justifia Thibault, souriant. Tu me connais, je n'ai jamais été du genre très contemplatif et l'ennui m'est délétère.

[Galathée]

" Le jour-même de ton réveil, tu aurais pu prendre congé, dit le Luménien avec un sourire un peu interdit. Moi qui croyais les Sunites tournés vers l'hédonisme, j'en suis pour mes frais. A moins que secrètement, tu n'aies un certain bonheur dans la comptabilité. J'ai du mal à le croire, mais c'est possible."
Il haussa les épaules.
" Tu partages un verre avec moi ? Ou bien tu dois travailler jusqu'à t'écrouler de fatigue ?"

[Taliesin]

-Un verre ? Volontiers.
Son sourire s'élargit.
-Les Sunites sont hédonistes, oui. Et je suis un Sunite. Donc je suis hédoniste. Mais l'hédonisme, ça n'est pas rester à ne rien faire : c'est... profiter. Or, rester adossé à un mur dans la salle commune à me tourner les pouces, ce n'est pas profiter. Contrairement à boire un verre... Bref, on y va ?

[Galathée]

" Volontiers."
Albérich l'accompagna dans la grande salle et le laissa choisir ce qu'ils boiraient. Il était amateur de bons vins, mais Thibault avait le goût bien plus sûr, encore.
" Comment tu te sens ?" lui demanda-t-il une fois qu'ils furent installés.

[Taliesin]

-Complètement à côté de la plaque, fit-il en remplissant leurs coupes.
Il les avait choisi particulièrement belles. Quant au liquide dont elles étaient désormais pleines à ras-bord... C'était un vin à la robe d'un rouge profond.
-À côté de la plaque et bouillonnant d'émotions contradictoires, reprit-il. Je suis à la fois soulagé d'être de retour et furieux de m'être laissé abattre, plein d'optimisme et d'allant pour l'avenir et de découragement face au terrain perdu qu'il me faudra regagner... Oh, et je me sens en même temps vidé et débordant d'énergie.
Il sourit.
-Ne cherche pas de cohérence là-dedans. La cohérence, ça n'a jamais été mon fort.

[Galathée]

" Disons que, te connaissant, je ne trouve pas ça complètement incohérent, dit Albérich en humant sa coupe. Et disons aussi que vu ce qu'il s'est produit, je trouverais étrange que tu aies retrouvé une parfaite sérénité en quelques heures. Même si la sérénité, ce n'est pas non plus ton état normal. Dans le même temps, je ne peux pas m'imaginer... Je n'ai jamais vécu ce que tu as vécu."
En disant cela, il réalisa qu'il n'en était pas du tout certain. Il était même persuadé du contraire. Mais certaines des choses qui s'étaient produites dans la Tour des Sharites se refusaient à sa mémoire — pas qu'il ait le désir de s'en souvenir, pas du tout — et il lui semblait qu'il y était mort. Peut-être même plus d'une fois. Il n'en saurait jamais rien, cela ne faisait pas partie de son histoire.
" Mais ne fut-ce que... purement corporellement... je pense que lever le pied un moment est une bonne attitude. Je parie que tu tiens moins bien ton vin qu'avant, déjà !"

[Taliesin]

-Alors là, tu rêves, répondit-il, hilare. Aurais-je été tué et relevé un millier de fois que je tiendrais toujours bien l'alcool. Toujours mieux que toi, en tout cas. Il en faudrait plus que quelques trépas pour réduire à néant mon long, patient et méticuleux entraînement...
Il se fit plus sérieux.
-Pour le reste, tu sais que l'aspect psychologique compte, dans une rémission. Or, lever le pied n'est pas forcément une bonne solution pour moi : je suis un fonceur. Bon, après, je sais que je n'ai pas mon mot à dire et que vous m'écarterez de toute mission pour les six mois à venir mais... Je trouverai bien à tromper mon ennui.

[Galathée]

" Je ne crois pas que nous nous passerons de tes services aussi longtemps. Tu n'es pas au meilleur de ta forme, mais tu restes un excellent clerc, et nous n'allons certainement pas faire l'économie de tes talents."
Il croisa les bras, but une gorgée de vin, et sourit. Il était magnifique.
" Mais tu vas effectivement rester en rade quelques jours. En tant que ton médecin personnel, je déciderai du moment où je t'estime prêt à reprendre du service. De toute façon, pour l'instant, il faut quelqu'un pour cadrer Hubert lors des sorties, et j'ai l'impression... que ce n'est pas ta spécialité."

[Taliesin]

-Formidable : vous allez tous deux courir l'aventure pendant que je resterai là à... éplucher des légumes, compter des lanières de viande séchée et récurer des marmites. C'est passionnant, dis-moi !
Il secoua la tête.
-Mais ça va, ça va, je sais que c'est nécessaire, comme je sais qu'il est nécessaire de canaliser Hubert. Bigre, je me demande parfois si sa formation a été menée correctement, si ses maîtres ont pensé à lui dire que la vocation de paladin impliquait certes de courir sus au mal, mais qu'il ne fallait pas le faire sans réfléchir, qu'il fallait que ça ait sinon une chance de réussite, au moins une utilité...

[Galathée]

" Je crois surtout qu'il a été formé en temps de paix, quand la mission des paladins se limitait à aller tuer quelques blêmes dans les villages frontaliers de la Forêt Maudite. Le reste... Il a dû le découvrir via des récits héroïques lors de veillées au coin du feu, et nous savons bien ce qui se transmet : le grandiose, l'épique, l'invraisemblable. La routine d'une vocation, c'est autre chose. Après, il n'a plus fréquenté de paladin depuis dix ans, et certainement pas de pairs d'expérience capables de lui remettre les idées en place. Robert aurait pu le garder sous contrôle, je suppose, même si le Loup Blanc lui-même ne m'a pas paru être l'homme le plus raisonnable du monde... Mais voilà, Hubert est le chef, maintenant, et il n'y a personne pour lui apprendre à maîtriser ses élans."
Il sourit doucement.
" Je sais que tu l'as suivi, quand il a déserté. Il n'en a rien dit à personne, mais je l'ai déduit de ce que les autres ont raconté."

[Taliesin]

-Bah, je ne comptais pas te le cacher, de toute façon.
Il soupira.
-Je ne pouvais pas le laisser aller se sacrifier inutilement. J'ai pensé à la Communauté qui avait besoin de lui, aux écuyers qui seraient dévastés s'il lui arrivait quelque chose... J'ai pensé à toi, surtout, et j'ai réalisé que je n'oserais jamais reparaître ici si je ne tentais pas quelque chose. Alors je l'ai suivi. J'avais renoncé d'emblée à l'idée de le sermonner : il n'a guère de respect pour les Sunites, sans compter... notre relation particulière, et il ne m'aurait donc jamais écouté. Non, je pensais plutôt l'assommer à l'improviste. Puis j'ai décidé d'être encore plus suicidaire que lui, parce que parfois, caricaturer quelque chose est plus efficace pour ouvrir les yeux de quelqu'un que de longs discours. Mais ça n'a pas fonctionné, d'autant que j'ai fini par me laisser prendre au jeu...
Il grimaça.
-Désolé, Albérich : je suis décidément lamentable dans tout ce que je tente.

[Galathée]

" Ne dis pas ça. Je te suis reconnaissant d'avoir tenté quelque chose, quelles qu'aient été tes raisons. Et je suis heureux, aussi, que tu m'expliques ce qui s'est passé... J'aimerais autant ne pas avoir à vous surveiller tous les deux. Même si je le ferais, au besoin."
Il sourit.
" Nous aurons sûrement besoin de témérité, tôt ou tard. Il faut juste veiller à ce que cela ne vienne pas trop tôt, comme tu l'as dit. Et je pense que ce qui s'est produit hier, la mort d'Ezéchiel, la tienne... C'était extrême, mais cela va lui servir, à terme."
Il but à nouveau une gorgée de vin.
" Mais ce n'est pas vrai qu'il n'a pas de respect pour les Sunites. Je pense que dans l'état dans lequel il était hier, personne n'aurait pu le ramener à la raison. Ni toi, ni moi, ni Lathandre en personne."

[Taliesin]

-Oh, je ne lui faisais aucun reproche, vraiment. Mais sois honnête : aucune autre religion ne respecte vraiment les Sunites. Et même en dehors des clercs et des paladins... Beaucoup nous considèrent comme des gens aussi vains qu'inutiles, obnubilés par leur narcissisme, leur atrait du beau, leur hédonisme... Bien sûr, cela a un fond de vérité, dire le contraire serait un mensonge. Cependant, c'est malgré tout un tantinet caricatural.... Enfin bref, tout ça pour dire que si un Sunite s'exprime sur autre chose que l'amour, on ne le prend généralement pas très au sérieux.

[Galathée]

Albérich faillit lui dire que rien n'avait plus d'importance que l'amour, mais ça aurait été inutilement cruel.
" Allons, je suis d'accord, de manière générale, que vous peinez à ce qu'on vous prenne au sérieux. Mais ce n'est plus ton cas, Thibault, tu le sais, quand même. Depuis le premier jour, c'est toi le clerc de première ligne dans toutes les expéditions. Personne n'a jamais émis de doutes quant à tes compétences. Bien sûr, il y a ton tempérament fantasque, mais même lui... il est en sourdine, pour l'instant."
Et à cause de moi, songea le Luménien.
" Tu as tout l'espace d'être respecté, admiré, reconnu à ta juste valeur, ici. Et regarde la manière dont Hubert s'est lié avec Giovanni, qui colle beaucoup plus à l'image du Sunite que toi... La seule raison pour laquelle il est distant avec toi, tu la connais. Si je n'étais pas là, vous pourriez être les meilleurs amis du monde."

[Taliesin]

-Ou les pires ennemis du monde. Honnêtement, c'est quelqu'un de bien et je l'apprécie plutôt mais si nous étions amenés à nous fréquenter intensément... cela pourrait être explosif, vu nos deux caractères !
Il sourit.
-Et je sais bien qu'on ne remet pas en cause mes compétences. Je parlais plutôt... de mes avis, de mes idées. Mais j'admets qu'ils ne sont pas forcément très pertinents au regard de cette situation pour laquelle je n'ai absolument aucune expérience. Par exemple, tiens, si vous aviez suivi mon idée de rechercher intensément les artefacts disséminés dans la cité et de les concentrer à la forteresse... Et bien tout cela serait désormais entre les mains des Ithiliens !

[Galathée]

" Thibault, j'aurais aimé que tu te proposes pour le conseil, quand nous avons cherché des volontaires. Contrairement à ce que tu crois, j'ai grande confiance en ton avis et grand intérêt pour tes idées. Nous sommes tous perdus, tous novices, dans la situation présente. Je ne peux pas dire que je suis toujours d'accord avec toi, mais... ce n'est pas ça qui importe. En même temps, je comprends que tu n'aies pas envie de te retrouver au conseil... Je sais que ton passage à la tête du Temple à Eredhun t'a échaudé, tu me l'as raconté, mais... ne minimise pas ce que tu peux nous apporter, à tous égards. Et n'hésite pas à me faire part de tes opinions, même si tu n'es pas membre du conseil. La communauté se veut ouverte à tous... à l'écoute... et riche de la diversité de ses membres."

[Taliesin]

-Je sais bien.
Il hésita, finit par secouer la tête.
-Je sais bien, répéta-t-il. Et je n'y manquerai pas.
Son sourire revint.
-Bon, mais tu ne m'as pas dit ce que tu pensais de ce vin...

[Galathée]

Il n'allait pas s'en tirer comme ça.
" Seulement si tu me dis ce que tu avais à l'esprit à l'instant et que tu as préféré taire." répondit le Luménien en buvant à nouveau.

[Taliesin]

Le clerc secoua la tête.
-Non, il ne vaut mieux pas. De toute façon, ça n'était qu'indirectement lié au sujet. Et puis, c'était tout sauf utile, tout sauf constructif.
Soupir.
-Tant pis, je ne saurais donc pas ce que tu penses de ce vin et je commencerai à douter même de mes capacités de sommelier. Enfin...

[Galathée]

Albérich le dévisagea une seconde, mal à l'aise. Qu'est-ce que Thibault avait bien pu vouloir dire ? Et pourquoi s'était-il ravisé ?
" Hum. Le vin est délicieux. Mais venant de ta part, le contraire eut été surprenant. C'est incroyable qu'il ait pu se conserver aussi bien après des millénaires... Même avec un coup de pouce magique pour le raviver... C'est superbe. Un vrai régal et de quoi réchauffer l'âme et le coeur en ces temps difficiles."