[Ville] Togoria

[Taliesin]

Le barde lui-même s'impliqua avec sérieux : il le méritait bien !
Il prononça le mot à plusieurs reprises, de la manière la plus claire possible, et conseilla le garçon jusqu'à ce qu'il parvienne à le dire relativement correctement. Il fit de même avec d'autres mots. Il veilla aussi à ce que Baptiste écrive chacun d'entre eux et, sur cette base, lui expliqua les grands principes de la prononciations des voyelles et des consonnes, selon la place de ces lettres, celles qui les précédaient ou les suivaient... Bien sûr, il s'en tint aux aspects généraux, afin que cela ne soit pas trop complexe.

[Galathée]

Ils avaient réussi à travailler toutes les manières de dire bonjour et au revoir quand Victor reparut, propre et d'excellente humeur. Il annonça au barde que la place était libre. Baptiste ayant eu une journée très sage, il passerait le dernier. Sur le chemin des étages, le barde put demander à l'aubergiste de les réveiller le lendemain matin. Son fils se levait très tôt, aussi cela ne poserait-il pas de problèmes. Il put ensuite procéder à ses ablutions : Victor avait eu la présence d'esprit de remettre de l'eau à chauffer aussi cela se régla-t-il assez rapidement et il put prendre un moment de repos tranquille dans son baquet fumant...

[Taliesin]

Une fois propre et délassé, il récupéra de quoi écrire, gagna la salle commune pour dire à Baptiste que la place était libre et, installé à table, il entreprit d'écrire une lettre à sa compagne. Pas une longue lettre : juste une missive pour lui indiquer que tout allait bien, qu'ils avaient atteint Togoria, que les garçons étaient contents et qu'ils avaient tous hâte de la revoir. Il proposa ensute à Victor, s'il le souhaitait, d'y ajouter quelques mots ; il ferait de même avec Baptiste, à son retour. Puis il se renseignerait auprès de l'aubergiste pour savoir où la poster.

[Galathée]

Victor ajouta finalement trois feuillets à la lettre du barde, qu'il remplit de son écriture maladroite, sans se soucier des fautes d'orthographe. Il lui expliqua qu'ils avaient dormi dans un trou de halfelin, que Taliesin avait fait taire une fille folle, qu'il avait galopé sur un cheval des steppes, qu'ils avaient recueilli puis perdu un petit orphelin, qu'ils allaient naviguer sur un bateau commandé par un capitaine elfe affreux et au sale caractère, bref, il ne tut absolument rien, n'entra dans aucun détail, et passa allègrement du coq à l'âne. Satisfait, il signa d'un grand VICTOR qui occupait à lui seul un tiers de parchemin.
Quand Baptiste descendit et lut les oeuvres de son frère, il manqua rire. Mais il écrivit à son tour une petite page, qui était surtout tournée sur la ferme, et où il souhaitait que tout s'y passât bien, espérant que les jumeaux étaient en forme et grandissaient bien, que les Merlus n'étaient pas trop fâchés de leur absence, et que de manière générale, tout allait bien pour tout le monde, bestioles y compris.
Chargé de ce courrier plus volumineux que prévu, Taliesin alla donc trouver l'aubergiste qui lui indiqua que le bureau de messagerie le plus proche se trouvait juste en face du Temple de Lathandre sur la Place de la Paix. Ce serait donc l'affaire de dix minutes, s'il n'était pas happé par les couleurs du marché permanent qui s'y déroulait...

[Taliesin]

A titre personnel, il doutait d'être happé mais peut-être serait-ce le cas des garçons, s'ils l'accompagnaient : il ne manqua pas, en effet, de le leur proposer.
Cette démarche effectuée, ne resterait plus qu'à attendre le repas, puis celle d'aller se coucher. La journée était passée incroyabelment vite et, dès demain, Togoria s'éloignerait derrière eux...

[Galathée]

Mais Baptiste avait l'air content de rester à l'intérieur, aussi Victor fut le seul à l'accompagner. Ils firent un rapide aller-retour, avant de s'installer pour souper. Comme ils allaient voyager sur l'eau et risquaient de manger surtout du poisson et du gibier aquatique, l'aubergiste leur servit des saucisses aux fines herbes sur un lit de blé concassé. C'était délicieux et ils se régalèrent. Ensuite, ce fut effectivement l'heure d'aller dormir. Les garçons réclamèrent, bien évidemment, l'histoire de Gérard de Berge en passe de devenir traditionnelle...

[Taliesin]

Il eut un pincement au cœur en songeant à Marius, ce gosse qu'il avait été incapable de détourner de ses illusions et qui avait préféré retourner à la rue, à la misère, à un funeste destin sans doute. Il s'efforça de s'ôter cette pensée de la tête, de se concentrer exclusivement sur le récit qu'il narra. Il finit par y parvenir en partie et... cela dut se ressentir. En tout cas, il offrit aux enfants une aventure mouvementée et non dépourvue d'humour, avant de leur souhaiter bonne nuit et de se mettre au lit.

[Galathée]

La nuit fut très courte et il faisait encore complètement noir quand Taliesin entendit qu'on frappait à la porte. Le fils de l'aubergiste lui souffla, à travers l'huis, que le soleil se lèverait d'ici deux heures, s'ils voulaient se mettre en mouvement... Il les attendrait en bas pour leur servir le petit déjeuner et encaisser le coût de leur séjour. Ensuite, l'elfe l'entendit descendre les escaliers à pas de loup.
Si Baptiste s'éveilla sans trop de heurts et commença aussitôt à s'habiller, arracher Victor du lit s'avéra plus complexe et Taliesin crut plusieurs fois avoir remporté la victoire pour découvrir le gosse rendormit quelques secondes plus tard. Le plus âgé des garçons finit par quitter la pièce, son sac sur le dos, tandis que Victor en était seulement à bâiller en s'étirant, assis sur le bord de son lit.
Quand Taliesin et Victor descendirent enfin, ils trouvèrent un petit déjeuner constitué de pain et de confiture sur la table, ainsi que le lait chaud et le thé traditionnels. Une fois la note réglée, ils purent ensuite récupérer Minuit, le charger de leurs affaires et traverser Togoria dans la grisaille. Il faisait encore très sombre, mais on devinait la silhouette des bâtiments, et quelques lampes permirent aux garçons de ne pas avancer à l'aveuglette.
Enfin, ils atteignirent le quartier elfe et l'auberge où ils avaient rendez-vous. S'il n'y avait aucune lumière émanant du bâtiment, la dépendance voisine était ouverte et éclairée. Un elfe surveillait la nuit d'un air nonchalant et il rentra à l'intérieur en les apercevant. Quelques secondes plus tard, le capitaine Voronwë venait à leur rencontre. Son visage était impassible, sans traces d'une courte nuit. En bon elfe, Voronwë entrait en transe, bien sûr.
" Vous êtes à l'heure, c'est bien, remarqua-t-il. Nous partirons d'ici une dizaine de minutes."

[Taliesin]

Il songea à la mine de Victor et à la sienne : évidemment, la transe, il n'y avait pas songé un seul instant.
-Très bien, répondit-il, souriant, après l'avoir salué.
Il faillit demander s'ils pouvaient faire quelque chose, s'ils devaient ranger leurs affaires quelque part... Mais si tel était le cas, le capitaine ne manquerait pas de le leur dire.

[Galathée]

Mais le capitaine ne leur demanda rien et retourna dans le bâtiment. Quelques minutes plus tard, le chariot en sortit. C'était un simple véhicule de bois, bâché, tiré par deux chevaux de trait. Deux elfes de la lune étaient installés sur le siège du cocher, tous deux vêtus fonctionnellement, armés d'épées courtes dont la garde aux allures végétales trahissait une confection elfique. Voronwë parut ensuite, tenant un cheval gris par la bride.
" Les enfants montent à l'arrière. Mettez-y vos affaires. Restez en selle, vous prenez l'arrière-garde."

[Taliesin]

Mettre en place une véritable escorte, pour un trajet qu'énormément de monde devait effectuer chaque jour et, de surcroit, dans une région si peu sauvage ? Le capitaine était-il du genre paranoïaque ? Quoi qu'il en soit, il se voyait mal protester : il expliqua donc ce qu'il fallait faire aux garçons, puis adressa un sourire rassurant à Baptiste que la manœuvre risquait d'inquiéter...
Et puisqu'on lui confiait l'arrière-garde, il s'équiperait de ses armes : autant être coopératif jusqu'au bout.

[Galathée]

Ils s'ébranlèrent sous le ciel gris sombre et se dirigèrent vers le nord. Ils ne prirent cependant pas la voie principale qui menait aux portes mais bien des chemins de traverse. Plusieurs fois, Voronwë fit arrêter le convoi pour aller reconnaître le trajet avant de revenir en arrière. Une fois, ils rebroussèrent chemin. Enfin, alors que le jour se levait doucement et que les oiseaux commençaient à chanter, ils atteignirent la sortie nord de Togoria. Les gardes contrôlèrent un document puis les laissèrent passer et ils quittèrent la ville pour s'élancer sur une route dégagée, encore déserte, en bon état. Ils prirent rapidement le petit galop et le capitaine parut se détendre. Autour d'eux, la campagne était luxuriante, de grandes herbes, de fleurs, de buissons épars. Il y avait encore une certaine densité de maisons, cependant, des habitations et des fermes, un moulin qui tournait dans le vent piquant de l'aube, des champs et des prés. A l'arrière du chariot, Victor avait disparu, et Baptiste expliqua à Taliesin — par gestes — qu'il s'était rendormi.
Minuit paraissait ravi de l'escapade après quelques jours à l'écurie, et le barde le sentit se dépenser sous la selle. Ils commencèrent à croiser d'autres voyageurs, quelques fermiers mais aussi des cavaliers. Il y avait cependant bien moins de monde que sur les routes de la Trouée.

[Taliesin]

L'attitude du capitaine l'avait vivement interpelé. Soit il était maladivement paranoïaque, soit il transportait quelque chose de précieux et craignait qu'on ne le lui vole, soit il s'était fait beaucoup d'ennemis. Taliesin croisait les doigts pour que seule la première des trois hypothèses soit juste et espérait que dans le cas contraire, l'elfe les aurait prévenus, n'aurait pas sciemment mis des enfants en danger en taisant ce qui était loin d'être de simples détails.
Quoi qu'il en soit, il s'était détendu en même temps que lui et, même s'il observait les alentours, histoire de jouer son rôle, il profitait surtout de la cavalcade matinale.

[Galathée]

Il leur fallut deux heures pour rallier Crue. Le trajet se passa sans accrocs : les chevaux reprirent le trot à la moitié du voyage et ils conservèrent cette belle allure jusqu'à bon port. Crue s'étendait de part et d'autre de la route, le long de la rivière, et Voronwë s'engagea dans une allée de terre, vers l'est, avant qu'ils n'aient atteint les premiers bâtiments. Taliesin comprit rapidement que de nombreux chemins quittaient la voie principale pour rejoindre directement les différents quais. Il vit l'Ecureuil avant qu'ils ne soient rendus : le bâtiment, peint en vert sombre, était absolument magnifique. C'était un navire léger, évidemment, à une seule voile, et la cale devait être peu profonde. Il y avait une petite cabine à la poupe, et le pont paraissait particulièrement dépouillé. Une maison trônait sur la berge, à l'endroit où ils s'arrêtèrent, et deux elfes en sortirent pour les accueillir, un couple manifestement. Voronwë s'entretint quelques secondes avec eux, avant de désigner Taliesin du doigt. La femme acquiesça et vint dans sa direction.
" Bienvenue à Crue, Seigneur, dit-elle en elfique. Le capitaine m'a demandé de vous mener sur l'Ecureuil et de vous donner les consignes de bord."

[Taliesin]

-Merci pour votre accueil, répondit-il dans la même langue. Le temps de dire à mes enfants de sortir du chariot et de récupérer nos affaires et je vous suis.
Il se demandait bien où ils dormiraient : peut-être dans la cale, peut-être sur le pont... Mais cela ne l'effrayait pas. Il était juste un peu désolé pour Baptiste qui proclamait aimer son petit confort - quoiqu'il ait probablement sagi d'une excuse pour tenter d'échapper au voyage.

[Galathée]

" Vous pouvez laisser le cheval là, dit l'elfe. Nous nous occuperons de le faire monter plus tard."
Baptiste sauta du véhicule et salua leur hôtesse avec concentration. Elle lui répondit en écho. Victor émergea quelques minutes plus tard, tout chiffonné, et ne tenta rien, de son côté. Ils suivirent ensuite l'elfe jusqu'au bateau. Les deux garçons marchaient aux côtés du barde, manifestement intimidés.
" Il est magnifique, murmura Baptiste, tandis qu'ils longeaient la coque satinée de l'Ecureuil. Je n'en ai jamais vu de pareil..."
Ils franchirent la passerelle pour monter à bord. Autour d'eux, la Sylvestre était grosse et agitée, renforcée par les crues du printemps, son courant glissant le long du bois en charriant des branchages. Mais le bateau était bien amarré, ils ne sentirent rien une fois sur son pont.
" L'Ecureuil comprend quatre hommes d'équipage en plus du capitaine, expliqua l'elfe, toujours dans sa langue. Les marchandises sont entreposées au centre, votre cheval sera chargé dans la cale arrière, et vous pourrez vous reposer dans la cale avant. Nous avons des hamacs, ce sera plus facile pour les humains. Il n'y a pas vraiment moyen de rester sous le pont, cependant. Nos barges ne sont pas profondes."
Elle se tourna vers l'arrière.
" La zone marchandises et la cabine du capitaine vous sont interdites, sauf si vous y êtes invités expressément. Vous pouvez entreposer vos affaires dans le coffre qui est attaché-là. Voici sa clé."
Elle la tendit à Taliesin.
" Est-ce que vous avez des questions ?"

[Taliesin]

Taliesin secoua la tête.
-Pas pour l'instant, je vous remercie, répondit-il, courtois.
Et il entreprit de traduire les informations aux garçons. Par devers lui, il espérait qu'un troisième hamac serait disponible : comme il était incapable de rester en transe, comme il basculait à chaque fois vers le sommeil humain, il risquait de très mal dormir si ça n'était pas le cas.

[Galathée]

" Dans ce cas, je vous souhaite bon voyage."
Puis, sur un salut, elle les planta là et redescendit sur la terre ferme. Baptiste avait repris la main du barde, tandis que Victor, curieux, musardait déjà sur le pont. Il y avait des bancs le long des bastingages, et il alla s'installer sur l'un d'entre eux, côté rivière.
" Ça va être trop génial, remarqua-t-il en observant le mouvement de l'eau autour d'eux. J'espère qu'on va voir des krakens.
— C'est dans la mer, les krakens, murmura Baptiste sans lâcher la main de Taliesin.
— Y'a des krakens d'eau douce, tu savais pas ?"

[Taliesin]

Il mena Baptiste s'installer sur le banc, près de son frère. Là, ils ne gêneraient pas les marins quand débuteraient les grands préparatifs du départ.
-Pour ma part, j'espère un voyage paisible. Ainsi, nous arriverons plus vite à bon port.
Il les observa un instant.
-Le capitaine me faisant l'impression d'être du genre sévère... Je compte sur vous pour être sages, d'accord ? Pas d'escalade du mât, pas de course dans les pattes des marins, pas d'entrée dans les zones interdites... Autant s'éviter les ennuis.
Évidemment, cela s'adressait surtout à Victor. Mais en parlant aux deux, il le stigmatisait moins.

[Galathée]

Victor soupira.
" En temps normal, je t'aurais dit que tu étais l'homme le plus rabat-joie de Toril ! Mais pour cette fois, je crois que je vais faire une exception et... me tenir à carreaux.
— En espérant que tu y arrives.
— Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?
— Exactement ça : en espérant que tu y arrives."
Ils semblaient sur le point de se chamailler, mais l'arrivée de l'équipage de l'Ecureuil les en empêcha. Trois elfes montèrent à bord. Tous trois étaient minces et musclés, des elfes de la lune, l'un d'entre eux plus âgé que les deux autres. Ils saluèrent les voyageurs sans effusion et sans surprise : le capitaine les avait manifestement prévenus qu'ils avaient de la compagnie, dont deux enfants humains. Le premier des trois ouvrit une trappe dans le pont, et les deux autres y descendirent un coffre, avant de retourner à terre. Pendant ce temps-là, le premier elfe, le plus âgé, vint en direction de Taliesin et le salua.
" Bienvenue à bord de l'Ecureuil. Je suis Gaelin, le quartier-maître. Si vous avez des demandes, des soucis mineurs en cours de voyage, c'est à moi qu'il faut en référer en priorité."

[Taliesin]

Il s'était levé pour le saluer.
-Merci, nous n'y manquerons pas. Mais pour l'heure, nous allons essayer de nous faire les plus petits possibles pour ne pas gêner les manœuvres.
Le dénommé Gaelin semblait, de tous, le plus abordable et le plus sociable - en tout cas, le contraste était frappant avec le capitaine. Et il s'en réjouissait : les choses seraient plus agréables, comme cela.

[Galathée]

Pendant la demi-heure suivante, les elfes de l'Ecureuil le préparèrent au départ. On apporta encore trois coffres que l'on chargea dans la zone centrale du bateau, puis ce fut le moment pour Minuit de monter à bord. Taliesin nota qu'on lui avait bandé les yeux et un quatrième elfe, aux cheveux blancs, sembla lui parler au creux de l'oreille pendant tout le temps de l'embarquement, qui se fit sans heurts. Le capitaine arriva le dernier, pour donner le signal du départ. Il prit le gouvernail, une roue comme on en trouvait sur les caraques, la voile, d'un blanc pur, presque lumineux, fut déployée, et deux hommes se chargèrent de larguer les amarres. Aussitôt, la Sylvestre lutta contre la coque et le navire fit une embardée. A la proue, l'elfe aux cheveux blancs incantait, désormais, psalmodiant quelque chose d'inaudible, mains levées. Il y eut comme une brume argentée, qui envahit un instant le pont, puis se dissipa, et, en silence, l'Ecureuil commença à remonter le cours de la rivière...

HRP : attention du double post !

[Voyageuse]

Depuis les hauts plateaux en bordure des Pics des Orcs, Astrée contemplait la muraille enserrant la ville de Togoria. Après des veilles entières loin de toute civilisation, se retrouver ici avait quelque chose d'un peu déroutant : elle allait croiser en quelques minutes plus de personnes qu'elle n'en avait rencontrées au cours des deux derniers mois. Il y aurait du bruit, des cris, des odeurs auxquels elle n'était plus habituée. Mais elle devait tout de même s'avouer que la perspective de dormir dans un vrai lit, et de déguster un repas un peu plus gastronomique qu'à l'ordinaire, était séduisante.
Prince, quand à lui, n'avait pas vraiment envie de rejoindre la ville : depuis qu'ils avaient quitté les paysages rocailleux du nord du massif pour rejoindre les plateaux herbeux, il savourait le plaisir de galoper à travers d'immenses prairies parsemées de fleurs délicieuses, et se considérait probablement comme le plus heureux des étalons. Même la promesse d'une ration d'avoine ne suffisait pas à rendre attirantes les stalles obscures d'une auberge. Astrée se doutait qu'il n'y resterait guère.

Ils s'offrirent un dernier galop sur les plateaux surplombant la ville, avant de s'engager sur le chemin un peu escarpé qui descendait vers la route joignant Togoria à la Lorien. Il devait rester deux ou trois heures encore avant que le soleil d'été ne se couche. Largement le temps de trouver une auberge, si possible petite, familiale et calme. Elle n'était pas certaine de se souvenir de celle où elle avait séjourné deux mois plus tôt, mais ça n'avait aucune importance.
Elle mit sa monture au pas et s'inséra dans le flot de circulation, plutôt fluide malgré l'horaire, qui se dirigeait vers la ville.

[Galathée]

Effectivement, il ne lui fallut pas très longtemps pour arriver à la porte. Et pour cause : comme lors de son premier passage, les gardes se contentèrent de la saluer avant de la laisser entrer dans la ville. Il régnait une certaine effervescence dans les rues mais rien d'anormal pour un bourg commerçant de cette taille, et si Astrée n'avait plus l'habitue des grands rassemblements, on était loin de la foule luménienne. Le soleil déclinait doucement, déjà, et les couleurs étaient plus chaudes sur les façades et le pavé des rues. Des enfants sortaient en flots de ce qui devait être une école. On remballait des échoppes le long d'une large rue. Togoria se préparait petit à petit pour la nuit.

[Voyageuse]

Après deux mois dans le calme de la nature, la moindre parole un peu forte lui semblait agressive, et Astrée sursauta plus d'une fois en longeant les étals. Elle avait perdu l'habitude de l'effervescence des fins de journée, de ce bruit et ce mouvements incessants des cités. Comme à son habitude, elle restait discrète et anonyme, simple passante parmi les autres. Elle savait que ses vêtements étaient plus élimés et moins bien coupés que beaucoup d'autres, que ses cheveux étaient emmêlés, ses bottes crottées et sa tunique poussiéreuse. Elle n'avait définitivement pas l'apparence d'une jeune femme de bonne société. Mais après tout, elle était en voyage, et puis, qui s'en soucierait ?
Elle avança un peu au hasard des rues. Une auberge se situait généralement non loin des artères principales, et dans cette ville carrefour, il y en avait sûrement plusieurs. Elle aperçut, de loin, une enseigne, dans une rue transversale minuscule, et elle mit pied à terre pour s'en approcher.

[Galathée]

L'établissement qu'elle avait repéré s'appelait L'Appel du Chemin, et paraissait, vu de l'extérieur, relativement modeste. Il ne faisait que deux étages et il n'était pas clair qu'il y ait une écurie. Les fenêtres étaient ouvertes, cependant, et les balcons fleuris. Une odeur un peu exotique, épicée, s'échappait d'une de fenêtres et Astrée entendit distinctement quelqu'un fredonner à l'intérieur. La salle était, de ce qu'elle pouvait apercevoir par la fenêtre, tout à fait vide, mais les tables étaient mises. Sans doute était-il un peu tôt, simplement...

[Voyageuse]

Une petite auberge, c'était exactement ce qu'il lui fallait. Si toutefois il y avait de la place pour Prince, bien sûr. Elle aurait pu lui demander de se faire écureuil pour leur court séjour, mais c'était trop tard, et il serait étonnant qu'elle ne trouve pas une place pour lui, ici ou ailleurs : ils n'étaient pas si loin de l'influence de la Trouée.
Elle demanda à Prince de l'attendre quelques minutes au-dehors -sans grignoter les fleurs- et poussa la porte en lançant un "bonjour" trop timide, d'une voix un peu rauque, mal assurée. Elle se reprit pour demander d'une voix un peu plus forte :
" Hum... Il y a quelqu'un ?"

[Galathée]

Il y eut un bruit métallique venant de la cuisine puis un jeune homme surgit. Il paraissait très jeune, la peau mate et les cheveux noirs, un tablier autour de la taille, et il tenait une poêle pleine à la main.
" Oui, je suis là ! Oh ! Bienvenue ! Heu ! Vous... vous pouvez vous asseoir une seconde ? Je reviens ! Juste le temps de déposer ça et je suis là. Une minute !"
Il s'esquiva à reculons et Astrée entendit à nouveau un fracas de pots qui s'entrechoquent en provenance de la pièce voisine. L'odeur était vraiment très particulière.

[Voyageuse]

Astrée le regarda s'éloigner, un peu interdite. Elle n'avait même pas eu le temps de lui demander s'il y aurait de la place pour elle et pour sa monture. Mais apparemment, la cuisine n'attendait pas.
Elle n'était pas sûre d'aimer l'odeur qui se dégageait des fourneaux. Elle se demanda même un instant si elle ne devrait pas, l'air de rien, s'esquiver pour chercher une autre auberge avec une odeur plus appétissante. Mais ça ne serait pas très poli...
Un peu embarrassée, elle se rappela finalement qu'il lui avait dit de s'asseoir, et obtempéra.

[Galathée]

Il reparut quelques secondes plus tard, un peu hors d'haleine, et une nouvelle tache sur le devant de son tablier.
" Ah ! Vous êtes toujours là !"
Il s'assit en face d'elle et s'essuya les mains dans un torchon, qu'il posa ensuite sur un coin de table.
" C'est généralement le moment où les gens en profitent pour s'enfuir."
Il sourit.
" Alors... Si c'est pour une chambre, il n'y a pas de soucis, il m'en reste trois, une au premier, deux au second. Si c'est pour manger... C'est possible aussi mais... disons que si vous êtes adepte de la cuisine du terroir, c'est mieux d'aller manger ailleurs. Vous pouvez dormir ici, et aller chez mes voisins, de la Table pour Sept, si vous avez très faim, ou de la Biche Noire, si vous aimez les choses plus fines. Nous avons des arrangements. Si vous êtes une aventurière de la saveur, en revanche, vous pouvez manger ici. Je n'empoisonne jamais personne, mais c'est de la cuisine de Kara-Tur. Ça surprend souvent, quand on n'y a jamais goûté."