[Lieu] Une cité perdue

[Taliesin]

Tous les autres étaient déjà installés.
En arrivant au fort, Hubert avait découvert Frida qui l'attendait. Passées les salutations d'usages, elle l'avait suivi au palais. Marthe n'avait pas tardé à les rejoindre dans la salle des cartes.
La magistrate, contrairement à ce qui lui arrivait fréquemment, ne lança pas les discussions, laissant le soin à qui voulait de s'en charger.

[Galathée]

Albérich sentit que, comme la veille, il allait devoir mener les débats. Mais il avait bon espoir que Frida s'exprime rapidement. Il n'avait aucune idée de comment elle se comportait en conseil, ils n'avaient jamais siégé en même temps, mais il l'imaginait comme Ezéchiel : assertive, pas toujours très diplomate, préférant les décisions aux débats.
" Bon. Tout d'abord, bienvenue à nouveau, Frida. C'est un réel... bonheur de te voir en chair et en os, parmi nous, après tous les échanges brefs de ces derniers jours."
Il sourit.
" Nous devrions sans doute commencer par parler de l'installation de toutes ces nouvelles recrues... Nous avions imaginé transférer tout le monde ici, dans le palais, et ne laisser qu'une petite garnison, des palefreniers notamment, au fort. Mais je ne sais pas ce que tu en penses... ni ce qu'en pensent tous ces gens qui t'accompagnent..."

[Taliesin]

-Eux ont envie de mettre un pied dans la cité : c'est pour cela qu'ils sont venus. Pour s'y établir, je veux dire. Néanmoins, les nuages sombres qui commencent à s'étendre au-dessus de celle-ci en ont fait réfléchir certains... Honnêtement, si nous étions sûrs qu'au moins dans un premier temps, tout cela restera cantonner entre les remparts, je serais d'avis d'envoyer absolument tous les civils au fort, où ils seront à l'abri, où ils pourront rapidement se replier en cas de pépin. Et pour que nous ne les ayons pas dans les pattes au cas où les choses viendraient à se corser. Mais voilà, comme nous n'avons aucune certitude...

[Galathée]

" Lathandre nous a dit que le palais était protégé contre la catastrophe. C'est une arche... un rempart inviolable contre l'ombre... Je serais d'avis de ramener un maximum de personnes ici, intervint Hubert. Cependant, le transfert d'un endroit à l'autre est extrêmement rapide. Si les créatures célestes sont capables d'actionner le mécanisme, nous pouvons prendre le risque de laisser certaines personnes à l'extérieur et les rapatrier à la dernière minute.
— Nous devons quand même prendre garde à ne pas nous retrouver piégés à l'intérieur. Si la ville connait un bouleversement terrible... Nous ne pourrons pas nourrir cinq cent personnes pendant des mois. Conserver une porte de sortie est nécessaire. Et donc il faut que les chevaux et les chariots soient... entretenus et protégés."

[Taliesin]

-Il faut donc une équipe de palefreniers. Ainsi qu'une garnison et un contingent de guetteurs, ne serait-ce que pour observer la manière dont se comportent ces nuages, ce que nous ne pouvons pas faire ici. Je serais également d'avis d'y laisser une partie des vivres et du matériel : cela faciliterait les choses si un prompt repli s'avèrait nécessaire. Enfin, je propose que nous organisions, dans les jours à venir, des exercices d'évacuation : si quoi que ce soit se passe, mieux vaut que les gens soient prêts, qu'il n'y ait pas de mouvement de panique.

[Galathée]

Albérich se tourna vers Marthe, puis revint à Frida.
" Je ne sais pas si nous devons... aller jusque là... Peut-être quelques consignes suffiraient-elles... Je sais que tu arrives avec un grand groupe encore plein d'énergie, mais nous craignons que le moral des anciens membres de la communauté s'en ressente si nous commençons à évoquer la fuite comme une solution probable à la situation. La plupart des gens ont encore des proches aux mains des Ithiliens... Les abandonner derrière... Cela ne parait pas envisageable."

[Taliesin]

-Bien sûr que ce n'est pas envisageable. Mais...
Elle chercha ses mots.
-Si j'ai bien compris, il est possible d'ouvrir les portes de ce palais par l'entremise d'invocations célestes. Or, les Ithiliens peuvent le faire, non ? Par conséquent, s'ils se mettent à nous assaillir... Ne vaut-il pas mieux que les civils sachent comment réagir ? Qu'ils profitent du délai que nous offriront vos mesures de sécurité pour se replier en bon ordre ? D'autant qu'il y a une énorme différence entre une fuite et un repli stratégique.

[Galathée]

" Le souci, c'est que les Ithiliens pourraient tout autant utiliser les téléporteurs, dit Albérich. Ils disposent manifestement d'un savoir sur les lieux qui dépasse largement le nôtre. Enfin... sauf sur ce fameux sceau.
— Mais Giovanni avait l'intention de rechercher les moyens de bloquer ces issues de l'intérieur, pour que personne, céleste ou pas, ne puisse les emprunter, non ?
— Non, c'est le souterrain du fort, qu'il voulait bloquer. Je ne suis pas certain que les Anciens aient pensé à une solution encore plus efficace que le sang céleste... C'est déjà très restrictif... même si c'est incroyablement facile pour n'importe quel lanceur de sorts."
Il secoua la tête.
" De toute façon, le temps que nous trouvions la réponse à ces questions, les Ithiliens auront le temps de nous attaquer cinq fois. Frida a raison."
Il releva les yeux.
" Je suis d'accord avec le plan de retraite."

[Taliesin]

Marte acquiesça sans mot dire.
-En ce qui concerne le transfert de mes compagnons ici, je pensais proposer à Marcus de le superviser, reprit Frida. En fonctionnant par groupe de chariot, en utilisant les listes qu'il a soigneusement établies, ça devrait bien se passer. De surcroit, si chaque personne transférée transporte des vivres ou du matériel, on fera d'une pierre deux coups.

[Galathée]

Albérich acquiesça.
" Je m'en chargerai avec lui et Clovis. Nous avons prévu un certain nombre de pièces pour accueillir les gens dans un premier temps... Après, cela dépend sans doute de la manière dont nous entendons pérenniser l'installation. Ici, les gens ont préféré chercher la sécurité dans le nombre, après l'attaque ithilienne... mais il y a en réalité assez de place pour limiter la promiscuité...
— Si nous envisageons une retraite, il est quand même préférable que les gens restent groupés, intervint Hubert. La manière dont nous étions disséminés dans la forteresse a joué contre nous."

[Taliesin]

La rôdeuse acquiesça.
-Des dortoirs me paraissent effectivement être la meilleur solution. L'intimité et les autres considérations du même genre attendront que nous ayons triomphé de ce qui nous menace et que nous puissions donc vraiment envisager de rester. Hum, je crois que j'ai à peu prêt tout dit de ce que j'avais à l'esprit... Ah, sauf que nous avons évidemment une liste dédiée aux combattants, Hubert, je te la remttrai pour que tu puisses réorganiser nos forces armées.

[Galathée]

" Merci. Mais je vais commencer par aller sonder les clercs et les paladins, avant le début du transfert."
Il jeta un coup d'oeil inquiet vers Marthe.
" Une formalité, mais... dès que ce sera fait, tout le monde pourra circuler librement...
— Juste une chose, intervint Albérich. Je pense qu'il sera préférable que... la manière dont fonctionnent les téléporteurs demeure relativement confidentielle. Un certain nombre de personnes sont déjà au courant, et tout le monde va les emprunter mais... même en ayant une parfaite confiance en chacun... nous devons minimiser les risques que nos secrets critiques tombent entre les mains ithiliennes."

[Taliesin]

Nouvel acquiescement de la rôdeuse.
-Je suis d'accord.
Elle les observa tour à tour.
-A moins qu'il n'y ait d'autres points à aborder, je propose d'accompagner immédiatement Hubert au fort. J'ai demandé aux clercs et aux paladins de rester groupés, histoire de faciliter l'opération.

[Galathée]

" D'accord. Je pense que Marthe et moi pouvons accueillir les gens lors de leur passage... avant de les remettre entre les mains de Clovis et de ses assistants. Je crois aussi que nous devons envisager d'organiser une assemblée dès que les gens seront installés... idéalement en fin de matinée, avant le repas. Il me semble crucial que les deux groupes se mélangent au plus vite... et que les nouveaux venus puissent rencontrer le conseil..."
Il se tourna vers Frida.
" A ce sujet... Peut-être devrions-nous envisager d'ouvrir celui-ci aux nouveaux venus... Ils ne nous connaissent pas... Peut-être manquerons-nous de légitimité... Le moment me semble malvenu pour organiser des élections mais en temps de crise, la confiance est cruciale. Nous aurons peut-être à prendre des décisions radicales sans pouvoir consulter la base."

[Taliesin]

Marthe se leva.
-Je suis vraiment désolée. Je ne condamne pas vos positions, elles sont sans doute nécessaires mais... elles sont trop en désaccord avec mes principes pour que j'aie encore ma place parmi vous. Ma voix isolée parmi les trois autres d'une part ne sera pas entendue, d'autre part ne servira qu'à ralentir la prise de décision, ce que nous ne pouvons pas nous permettre. Je remets donc ma démission : si vous le souhaitez, elle peut rester officieuse, afin que cela ne nuise pas à la stabilité de la Communauté. Néanmoins, et très égoïstement, si je veux tenir bon dans cette situation, je ne peux rester à vous écouter débattre paisiblement de mesures telles que l'abrogation de la démocratie, le sondage systématique de tous nos membres et autres, en parfait désaccord avec les principes de base de ce projet. Là encore, je reconnais que c'est probablement indispensable mais... Enfin voilà.
Et elle sortit d'un pas digne.

[Galathée]

L'intervention de Marthe laissa le Luménien stupéfait. Il ne la laissa pas sortir comme elle l'espérait et la suivit immédiatement.
" Marthe, je ne comprends pas... lui dit-il en la rattrapant dans le couloir. Qu'est-ce qui se passe ? Ne peut-on pas... débattre, justement ? Si tu penses que des élections doivent être organisées, faisons-le... Je ne suis pas sûr... de te suivre. Depuis le début... le conseil a pris des décisions sans en référer avec le groupe entier..."

[Taliesin]

-Pas des décisions radicales, pour reprendre ton expression, répondit-elle posément. De surcroit, il a longtemps existé une diversité de points de vue au sein du Conseil : des pragmatiques d'un côté, des idéalistes de l'autre, ce qui forçait à trouver des compromis. Aujourd'hui, cela n'est plus de mise : Hubert et Frida sont d'un pragmatisme sans limite et toi, tu penches de leur côté. Non que tu n'aies pas de limites mais... On sent bien que la démocratie, ça n'est pas exactement, de ton point de vue, la meilleure solution.
Elle soupira.
-Des élections ne changeront rien. Les gens sont des moutons, Albérich. Des moutons qui sont en quête de chefs : c'est beaucoup plus sécurisant que de prendre ses responsabilité au sein d'une véritable démocratie. Les nouveaux venus ont accepté sans broncher de confier les pleins pouvoirs à Frida. Hubert et toi avez une telle aura que même les anciens feront de même avec vous : il suffit de leur ménager une ouverture pour qu'ils s'expriment en ce sens; Sans doute une forme d'autoritarisme est elle nécessaire, au vu des circonstances. Sans doute même cela n'empêchera-t-il pas, une fois la crise passée, un retour à davantage de liberté. Néanmoins, et sans que personne n'en soit responsable... le fait même que nous en soyons arrivé à une telle situation montre bien combien notre projet original est mort et enterré. La cité idéale telle que pensée à l'origine ne verra jamais le jour. C'est impossible, à cause de la loi des précédents, de la jurisprudence : ce qui a été fait une fois a de grandes chances d'être refait et ce, dans des circonstances moins graves. Bref, l'état d'urgence, l'autoritarisme, le sondage systématique des arrivants, tout cela sera... dans les gênes de ce que vous bâtirez ici. Peut-être que c'est incontournable dans toute société, au fond. Et assurément, il n'y a pas vraiment d'autre choix au regard de ce qui nous fait face. Mais voilà : personnellement, cela ne correspond pas à ce que je souhaitais et je n'ai absolument aucune envie d'accepter moins que ce à quoi j'aspirais. Bref, vous pouvez compter sur mon soutien, je ne vous causerai aucun ennui, je ne m'opposerai pas à vos décisions mais je ne puis y prendre part.

[Galathée]

" Marthe, je n'ai nul désir d'être le fossoyeur de ton rêve, dit le Luménien, atterré. Je n'avais pas envie de rentrer au conseil, c'est toi qui me l'as imposé. Et je suis prêt à m'en dégager pour te laisser la place. Je suis convaincu que vous autres, les idéalistes, avez plus que jamais votre place, cruciale, au conseil. Mais vous devez la prendre... et ne pas craindre de bousculer les pragmatiques."
Il soupira.
" Je ne sais pas ce qui est pire... La disparition ou le compromis. A ce niveau... J'ai perdu beaucoup d'illusions, je suppose. Mais j'admire les gens qui, comme toi, restent fidèles à leurs convictions en dépit des écueils."

[Taliesin]

Elle eut un sourire amer.
-Pas difficile de rester fidèle à ses convictions quand c'est la seule chose à laquelle on peut encore se raccrocher.
Elle secoua la tête.
-Mais tu n'es fossoyeur de rien du tout. Ni toi, ni Hubert, ni Frida, ni personne d'autre au sein de la Communauté. Les Ithiliens, la menace cachée dans les mines, voilà qui a assassiné notre projet. Et sans doute d'autres circonstances l'auraient-elles assassiné même si nous étions allés ailleurs. Sans doute le projet n'était-il pas viable, en réalité. Mais voilà, c'est le propre des idéalistes de viser... l'inaccessible idéal. Enfin, peu importe. Pour l'heure, nous sommes en guerre, nous sommes confrontés aux hommes et, pire encore, aux démons. Tout ce qui compte, c'est à la fois de préserver la vie de nos compagnons et d'éviter une catastrophe pour Helonna toute entière. Dans un tel cadre, seuls les pragmatiques ont leur mot à dire : ils sont les mieux à même de sauver tout le monde. La Communauté a de la chance, en ce domaine : vous êtes des pragmatiques fondamentalement bien intentionnés. Cela préserve les chances de bâtir quelque chose de beau une fois tout ceci réglé. Et quand ce sera le cas... Alors les idéalistes pourront à nouveau entrer en scène. Les idéalistes réalistes, va-t-on dire, ceux qui sont prêts au compromis. Malheureusement, ce n'est pas mon cas : la meilleure solution est donc que je me retire afin de ne pas nuire à l'intérêt commun.

[Galathée]

Albérich comprenait la juge, tout en ne comprenant pas comment elle pouvait être aussi rigide, aussi extrême, elle qui avait dû présider mille fois à des procès révélant toute la grisaille de la réalité. On devait transiger, compromettre, c'était une nécessité de la vie en communauté, de la vie tout court. Ou alors on se brûlait jusqu'à disparaître.
Il soupira.
" Je peux concevoir que dans les circonstances présentes, il soit difficile d'imaginer de beaux lendemains. Mais j'espère que... quand les choses se seront arrangées... Tu reviendras sur ta décision. Et que tu reprendras confiance en tout ce que tu peux apporter à la communauté. Les pragmatiques s'effaceront. Nous trouverons des solutions pour que la démocratie que vous avez voulue retrouve son élan."
Il pinça les lèvres.
" Je regrette ta décision, mais je ne peux pas te contraindre... Mais je pense qu'il sera nécessaire de dire la vérité aux gens, même si cela devait... créer de l'incertitude."

[Taliesin]

-Cela fera un nouveau sujet pour l'ordre du jour de l'Assemblée, répondit-elle du même ton posé. Je suis prête à faire une déclaration apaisante, au besoin, et à vous témoigner officiellement toute ma confiance. Mais comme nous en sommes à parler de vérité... Je pense que la Communauté mérite que vous soyez francs avec elle. Si vous jugez qu'un gouvernement autoritaire est indispensable, dites-le leur, mettez la mesure au vote : vous obtiendrez ce que vous souhaitez et, au moins, les principes de la Communauté auront été respectés.
Elle eut une légère grimace.
-Pour le reste, je sais que les Lathandrites sont optimistes par nature mais... Ne te fais pas trop d'illusions me concernant, Albérich. Je suis magistrate, je sais ce qu'il en est de la jurisprudence : ce à quoi j'aspirais ne peut être bâti sur du sang, des larmes et... des mesures d'exception déjà inscrites dans l'histoire de la Communauté naissante. J'ai conscience que ce à quoi j'aspire n'existe probablement pas et n'existera probablement jamais. Mais, moi qui n'ait plus rien, je réclame le droit de continuer à rêver et de me mettre en quête de ce rêve. Ce sont des considértions totalement égoïstes qui n'ont pas à entrer en ligne de compte dans cette situation d'urgence. Néanmoins, du moment que je nuis à personne, je ne vois aucune raison d'y renoncer.

[Galathée]

A la manière dont la juge disait les choses, Albérich se sentit sale, comme criminel, d'imposer un pouvoir par la force, de trahir les principes de la communauté, ce qui n'avait jamais été son intention. Dans le même temps, il avait le sentiment que c'était nécessaire, vu les circonstances, et certains devaient se salir les mains pour préserver les autres.
" Je ne pense pas que nous ayons l'intention d'instaurer un système autoritaire... Simplement, en cas d'urgence, il est impossible de réunir le groupe. Si nous l'avions fait au moment de l'attaque ithilienne, nous serions tous prisonniers. Nous devons pouvoir nous en remettre à certains..."
Il secoua la tête. Il parlait dans le vide : Marthe avait pris sa décision et la rigidité de son point de vue la rendait imperméable à toute justification.
" Mais rêve, Marthe. Tu le mérites, murmura-t-il finalement. Et songe à ce que tu diras tout à l'heure."
Ils avaient perdu Etienne, ils avaient perdu Marthe. A présent, il fallait sauver la communauté. Ensuite, ils se replieraient et laisseraient les instigateurs du projet reprendre les rênes... C'était injuste, quelque part, qu'ils abandonnent le navire en temps de crise, comme s'ils n'avaient jamais réfléchi aux risques et aux nécessités qui en découleraient...
Il adressa un sourire contraint à la juge, et regagna la salle des cartes, à la fois déterminé et défait, conscient de devoir gérer les retombées critiques d'une situation qu'il n'avait pas voulue.

[Taliesin]

Hubert et Frida, évidemment, n'avaient pas bougé.
Durant sa brève absence - son échange avec Marthe n'avait pas duré plus d'une poignée de minutes -, ils n'avaient pas prononcé un mot. La rôdeuse semblait désolée mais... déterminée, elle aussi.
A présent, restait à Albérich à annoncer le résultat de sa démarche.
Résultat dont tous deux devaient se douter.

[Galathée]

Il se rassit.
" Marthe annoncera sa démission lors de l'assemblée. Je pense plus transparent d'agir ainsi. Nous devrions cependant procéder à un vote afin que l'assemblée nous accorde à nouveau sa confiance : le conseil n'a plus grand chose en commun avec ce qu'il était au départ. Nous devrions aussi envisager d'être clairs sur la latitude que nous entendons qu'ils nous laissent dans la prise de décision. Et peut-être offrir à nouveau la possibilité à des volontaires de se déclarer et d'être élus. Peut-être est-ce même nécessaire, vu les circonstances."

[Taliesin]

Frida fit la moue.
-Je ne sais pas. Plus il y aura de monde au Conseil, plus il y aura de discussions et de débats, plus les décisions seront longues à prendre, ce qui n'est pas exactement indiqué, dans notre situation. Par ailleurs, je doute que les anciens votent pour des nouveaux qu'ils ne connaissent pas et que les nouveaux votent pour des anciens qu'ils ne connaissent pas, ce qui ôtera une large part de légitimité même à ceux qui parviendraient à obtenir une majorité. Bref, j'aurais tendance à dire : les anciens nous connaissent tous les trois, les nouveaux me connaissent, nous sommes globalement sur la même longueur d'ondes, continuons comme ça afin d'assurer la survie du groupe et l'évitement de la catastrophe. Néanmoins, si vous tenez à lancer cet appel, je ne m'y oppose pas fondamentalement.

[Galathée]

" Je crois que nous devons le faire, même s'il ne débouche sur rien, dit le Luménien. La situation exige que nous soyons soutenus et les gens doivent pouvoir s'exprimer... Nous combattons pour un projet commun. Il est crucial que nous soyons tous d'accord sur son cadre. Je crois aussi que nous devrions nous exprimer sur nos choix : le rapatriement dans les murs du palais, les circonstances présentes... La rupture du sceau... Tout cela a été gardé secret, pour l'instant. Si les gens désiraient fuir... Nous devrions aussi pouvoir le respecter, quitte à opérer une scission dans le groupe. Les circonstances ont drastiquement changé."

[Taliesin]

-Mais je suis bien d'accord avec tout cela. Simplement, concernant le Conseil, je pense qu'un vote de confiance aurait pu suffire. Néanmoins, comme je le disais, je ne m'oppose pas à un appel à volontaires.
Elle se tourna vers Hubert.
-Quel est ton avis sur toutes ces questions ?

[Galathée]

" Je regrette la démission de Marthe, dit le paladin. Je n'avais pas réalisé que nous nous étions écartés des idéaux de la communauté à un tel point. Cela me laisse dubitatif."
Il soupira.
" Je dois dire que... vu la situation dans laquelle nous sommes... Je me sens tout à fait incapable... de réfléchir à ce genre de choses. Je serai déjà heureux si nous parvenons à refermer le sceau et empêcher des hordes de démons de déferler dans la ville et les Landes... Alors... je suis partisan de faire ce qu'il faut pour que nous y parvenions, c'est tout. Si je pouvais renvoyer tous les civils à Solarcis ou Antelucas le temps d'y parvenir, je le ferais."
Il grimaça, les épaules basses.
" Soyons honnêtes avec eux. Laissons-leur le choix... mais en leur faisant comprendre qu'il n'y en a pas, de choix, en réalité. Que nous devons réussir. Pour eux, pour tout le monde. Que cela n'a rien à voir avec la ville qu'ils créeront peut-être demain. Que nous sommes en guerre, et qu'une guerre nécessite des généraux."

[Taliesin]

-Nous sommes bien d'accord.
Elle hésita.
-Dans une guerre, il y a deux choses dont on a besoin. D'une part, de disposer de bons généraux. D'autre part, de mettre les civils à l'abri. Comme toi, je les renverrais tous si j'en avais la possibilité. A l'origine, il n'était déjà pas très prudent de les embarquer dans les Landes, mais... Les choses se sont faites ainsi, nous n'avons pas vraiment eu le choix et cela paraissait malgré tout jouable. Cela ne l'est plus aujourd'hui : nous sommes confrontés à une armée ithilienne, nous devons empêcher des cohortes de démons d'envahir le monde et il nous faut, de surcroit, sauver deux cent prisonniers. Nous aurions l'esprit beaucoup plus tranquille si nous ne devions pas, en plus, nous préoccuper de protéger quatre cent personnes... Après, bien sûr, je comprends qu'il soit difficile de les évacuer. De leur faire accepter l'évacuation, aussi.

[Galathée]

Hubert et Frida s'emballaient, il fallait intervenir.
" Frida, tu as dit toi-même qu'il vous était impossible de rebrousser chemin, lorsque je t'ai posé la question, il y a quelques jours, dit-il. Les gens vont rester jusqu'au printemps, a minima, et d'ailleurs, si nous espérons sauver Clairétoile, il est préférable qu'ils restent. Mais ce palais est grand et protégé, il n'y aucune raison que, une fois les règles établies, les civils nous gênent.
— Ce n'est pas une question de nous gêner, Albérich, c'est une question de responsabilité. Ils dépendent de nous. Si nous devions envisager une opération suicide pour reboucher le sceau, ils seraient ensuite livrés à eux-mêmes. Ce qui m'inquiète, ce sont les extrémités auxquelles nous devrons peut-être nous résoudre. Tant qu'ils sont ici, ils sont affectés par nos choix. S'ils étaient en sécurité, ils ne le seraient pas."
Il songea aux mages de Luménis, grimaça, se tut.
" Nous n'avons pas le choix, Hubert, alors autant les avoir de notre côté."