[Lieu] Une cité perdue

[Galathée]

" Tu me rassures, dit le Luménien avec un soupir. Parfois, j'ai l'impression que tout le monde m'en veut, comme si j'étais responsable de ce qui se passe, ou comme si je l'avais voulu... Je n'ai jamais affronté de démons, et crois-moi, j'espérais mourir sans l'avoir jamais fait."
Il nicha une seconde le visage entre ses mains.
" Je n'ai jamais demandé à devenir conseiller de cette communauté... mais c'est comme si les gens étaient persuadés que j'aspire au pouvoir... Je ne me suis présenté aux élections luméniennes que parce que le Temple voulait que Lathandre reprenne un ascendant dans la politique de la ville dont il était le patron. Et je n'ai pas décidé d'être aubemestre, j'ai été nommé par les anciens sans avoir jamais rien fait pour attirer leur attention... sinon survivre à la dictature."
Il soupira, se releva.
" Mais je parle, je parle, et les rescapés qui viennent d'arriver ont besoin de soins. Viens avec moi, nous avons du travail."

[Taliesin]

-A vos ordres, chef !
Il se dirigea vers la porte puis s'immobilisa subitement.
-Juste une chose, Albérich : je suis prêt à rester, à endurer la seule compagnie des hommes d'armes et même à me montrer aussi discipliné qu'il m'est possible de l'être. En revanche, il y a un point sur lequel je ne transigerai pas : je boirai du vin à TOUS les repas !

[Galathée]

" Et tu donneras donc le mauvais exemple à tout le monde..."
Albérich sourit.
" Je suis prêt à cette concession en échange de ta présence. Te connaissant, j'aurais pu m'attendre à pire. Et je ne veux pas être ton chef, Thibault, jamais. Je veux rester ton ami."
Il regagna le couloir et l'endroit où les malheureux rescapés devaient avoir été pris en charge par l'intendance. Il n'avait même pas eu le temps de les compter...

[Taliesin]

-Mes exigences sont adaptées à la situation qui se profile. Or, quand ce lieu sera devenu une sinistre caserne, mon seul et unique réconfort sera l'alcool ! fit le Sunite d'un ton joyeux.
Les rescapés avaient effectivement été pris en charge par l'intendance et installés dans une petite pièce à l'écart, pour les préserver - quoique leurs proches aient été prévenus et admis sur les lieux, évidemment. Il y avait là seize anciens captifs : des enfants, des adolescents, des anciens, un ou deux colons d'âge mûr seulement. Tous semblaient amaigris. Certains avaient probablement été victimes de mauvais traitements. Mais ce qui frappa surtout Albérich, ce fut leur état d'épuisement : nul doute que les Ithiliens avaient été à deux doigts de les tuer à la tâche.

[Galathée]

" Il va falloir y aller doucement sur l'énergie magique, dit Albérich à Thibault. Ces gens ont besoin de se remettre naturellement... Ils ne seront en tout cas jamais en état de prendre la route demain..."
Il s'approcha d'une première personne, une vieille femme qui paraissait au bout de sa corde. Seuls le temps, la chaleur, la nourriture, le sommeil et l'amour de ses proches feraient disparaître les stigmates des mauvais traitements qu'elle avait subis. Mais si elle souffrait de blessures ou si la maladie avait pris pied dans son corps, il pouvait intervenir pour lever ces aspects de son calvaire.
En l'examinant, il sentit des émotions extrêmes bourgeonner en lui, à nouveau : fureur envers les Ithiliens, stupéfaction que l'on puisse traiter si mal des frères humains, détresse à côtoyer celle des autres de si près. Il se sentait de retour dans les taudis luméniens, avec plus de colère à l'âme qu'à l'époque. Oui, les Sharites l'avaient transformé, irrémédiablement. Mais il fallait qu'il lutte pour que sa rage se fasse lumière plutôt que destruction.

[Taliesin]

De ses examens, des quelques mots échangés avec les rescapés, Albérich déduisit que la situation des captifs avait empiré au fil du temps, en particulier les derniers jours : auparavant, il semblait que les Ithiliens n'aient pas mis au travail les plus faible et qu'ils n'aient usé du fouet - ou d'autres sévices - qu'avec les fortes têtes ; mais, comme pris de frénésie, ils avaient fini par envoyer absolument tout le monde aux mines et par multiplier les mauvais traitements...
-Hum, je crois que je vais aller... prendre un apéritif, souffla Thibault, défait, quand ils en eurent terminé. Après tout, c'est... heu... presque l'heure du repas.

[Galathée]

" Merci pour ton aide, Thibault." murmura Albérich en lui pressant chaleureusement l'épaule.
Le Sunite n'avait manifestement pas l'habitude de ce genre de situations. Le Luménien ne pouvait le blâmer, ce n'était pas son créneau. Lui-même, de part son travail avec les plus défavorisés des Luméniens, puis pendant la guerre civile qui avait mené au renversement de Morféa, avait une certaine expérience de l'horreur. Mais il ne l'avait plus approchée depuis son séjour dans la Tour des Sharites, et il était agréablement surpris de sa résilience retrouvée. Même si la vision des marques laissées par le fouet lui avait mené plus d'une fois l'estomac au bord des lèvres. Il ferait certainement des cauchemars pendant la nuit... d'autant qu'il n'était pas certain de pouvoir trouver du réconfort auprès d'Hubert après leur accrochage antérieur.
Avant de sortir, il s'approcha de l'écuyer d'Etienne, dont il ne connaissait même pas le nom.
" Sais-tu si on a prévenu Etienne de ton arrivée ?"

[Taliesin]

L'adolescent secoua la tête.
-Je n'en ai aucune idée, messire.
Il désigna un sac assez volumineux posé au pied d'un mur.
-S'il n'est pas... en état de recevoir des visites, pensez-vous qu'il serait malgré tout possible de lui apporter ceci ? Il y a là son épée et une partie de ses effets personnels.

[Galathée]

" J'aimerais autant que tu lui apportes toi-même... Je vais aller voir s'il est en état de te recevoir."
Avec un sourire, il lui serra l'épaule, puis se redressa et se rendit jusqu'à la chambre du chevalier. Il n'était pas impossible qu'on l'ait déjà prévenu, mais Hubert avait d'autres chats à fouetter, et ce n'était pas le genre de Varamyr. Il frappa dès qu'il fut devant l'huis.

[Taliesin]

Soupir spectaculaire.
-Ah, tiens, ça faisait longtemps.
Même sans l'avoir sous les yeux, il pouvait parfaitement imaginer l'expression du chevalier.
-Entre donc et dis-moi ce qui t'amène.

[Galathée]

Albérich entra et lui sourit doucement.
" Je vais faire vite. Ton écuyer et une quinzaine d'autres prisonniers ont été secourus. Je voulais t'en avertir... et savoir si je pouvais t'envoyer le garçon. Il a manifestement... pu récupérer une partie de tes affaires."
C'était Louis, en réalité, qui avait dû s'en charger. Peut-être même y aurait-il glissé un courrier... Il allait falloir être vigilant.

[Taliesin]

Le jeune chevalier en resta d'abord bouche-bée. Puis il parut pris de panique.
-Mais je ne suis pas en état de... Et je ne suis plus digne...
Il secoua la tête, ferma les yeux, poussa un long soupir tremblant.
-Pauvre garçon, s'il s'était attendu à devoir traverser tant d'horreurs, il n'aurait jamais... Mais je ne peux pas ne pas au moins lui dire un mot.
Il se leva, passa ses mains sur son visage.
-Dis-lui... de venir.

[Galathée]

Albérich hésita.
" Etienne, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas... et je ne connais pas grand chose à ce qui lie un écuyer à son maître, mais... Ne fais rien d'inconsidéré. Ce gosse a besoin de toi, tu es sa seule famille... et après ce qu'il a traversé, un discours sur qui est digne de quoi... Ce n'est franchement pas ce dont il a besoin. D'autant que tu n'as pas démérité, jamais... Souviens t'en."
Il se dirigea ensuite vers la sortie, pour aller chercher l'adolescent. Il avait furieusement envie de regarder dans le sac pour en soustraire tout pli venant de l'ennemi... mais ça aurait été indiscret, et Etienne avait le droit d'aller au bout de son histoire.

[Taliesin]

L'écuyer fut ravi - et ému- que son maître ait accepté de le voir. Dès lors, malgré son épuisement, il ne fut pas long à récupérer son paquetage et à filer dans les couloirs, dans la direction que le Luménien lui avait indiqué.
Dans la salle, certains rescapés s'étaient endormis, d'autres devisaient encore avec leurs proches. Deux personnes de l'intendance se tenaient à quelque distance de la porte, prêts à apporter rapidement ce dont on pouvait avoir besoin.

[Galathée]

Albérich était recru, à la fois moralement et physiquement, aussi gagna-t-il la salle à manger, espérant y glaner quelque chose pour se requinquer. Il pourrait peut-être se joindre à Thibault, même s'il n'avait pas l'intention de toucher la moindre goutte d'alcool. Dans son état de fatigue, il ne la supporterait pas. D'autant que la journée n'était pas terminée : Frida devait encore rentrer... Elle était partie depuis le matin et il ne put s'empêcher de se demander si son absence était bien normale...
Tout va bien, comporte-toi en Lathandrite, se morigéna-t-il tout en cherchant le Sunite du regard.

[Taliesin]

La pièce était presque vide et le Sunite était installé dans un coin, seul à sa table, le regard rivé sur une coupe à laquelle il n'avait pas touchée et qu'il paraissait ne pas même voir. A l'approche du Lathandrite, il releva les yeux et eut un sourire embarrassé.
-Ah, je dois te faire l'effet d'être une petite nature... murmura-t-il. Mais j'en suis une, en réalité : les souffrances que les hommes peuvent s'inflilger entre eux... Peuvent infliger aux plus faibles, à ceux qui ne devraient recevoir que de l'affection... Cela me rend malade.

[Galathée]

Albérich posa une main sur son bras et le serra doucement.
" Je comprends. Personne ne devrait jamais s'y habituer, Thibault."
Il soupira.
" Je bouillonne de rage, en ce qui me concerne. Je le garde à l'intérieur et ça va me pourrir les entrailles... C'est évidemment difficile de ne pas penser à tous ceux qui restent entre leurs mains. Quinze rescapés sur plus de deux cents prisonniers... "

[Taliesin]

-Peut-être un peu moins, avec ceux qu'on a ramenés l'autre jour...
Il secoua la tête.
-Mais ça ne change rien : n'y aurait-il qu'un seul prisonnier que ça ferait encore trop. J'espère vraiment que les Ithiliens ont des circonstances atténuantes du genre... possession. Sinon...

[Galathée]

" A ce stade, c'est probable. Cela n'excuse pas leurs premières actions, mais... en imaginant que quelque chose de démoniaque était tapi sous la ville, à l'affût de la liberté... Louis avait l'air de dire que les Ithiliens étaient devenus fous, ce que confirme Guillermo... Quand ceux-ci seront en état, ils pourront nous raconter. Et Frida est partie essayer de capturer des déserteurs... Je pense que tous les indices convergent en ce sens. Sans doute le Duc, peut-être ses conseillers... Ils n'étaient déjà pas très fréquentables, mais cela n'a pas dû arranger les choses. Le seul point positif pour nous, c'est que les soldats ithiliens eux-mêmes sont en train de se débander... Peut-être devient-il envisageable d'organiser une opération dans ces fameuses mines... Les soldats pourraient nous laisser passer... et de toute façon, il faudra combattre l'ombre. J'ai juste l'impression qu'à ce stade, même avec des objets magiques, nous sommes mal armés... En fait... Peut-être devrions-nous tenter une scrutation... Cela nous permettrait de savoir ce qui se trame exactement en bas, et ce à quoi nous serions confrontés..."

[Taliesin]

Le Sunite grimaça.
-Ben, ce à quoi nous sommes confrontés, nous le savons déjà, non ? Il s'agit de forces infernales prêtes à fondre sur le monde...
Soupir.
-Mais bon, si tu penses que c'est utile... Il faudra juste ne pas trop attendre parce que sinon, je crains qu'il n'y ait plus personne de notre connaissance, au fond des mines.

[Galathée]

" Ne penses-tu pas que si nous voulons savoir exactement comment intervenir, nous avons besoin d'une véritable vision de ces mines ? De la disposition des lieux ? Du dispositif de sécurité qui persiste ?"
Il fronça les sourcils.
" Je devrais y envoyer Louis, en fait. Lui seul pourrait jouir de la liberté de circuler qui me permettrait de bien évaluer la situation..."

[Taliesin]

-C'est sans doute une bonne idée. Mais il faut tout autant se hâter : il pourrait finir par être possédé, lui aussi. D'ailleurs, c'est curieux qu'il ne l'ait pas encore été, pas davantage que nos compagnons...
Il haussa les épaules.
-Peut-être que dans l'immédiat, les démons choisissent leurs cibles, celles qui sont les plus susceptibles de succomber ou de les aider... Donc les chefs en premier lieu.

[Galathée]

" Oui, sans doute. Regarde Ignace, dans la colonne... Il n'a perverti qu'Agnès, pour le reste, il avait une position de pouvoir qui lui permettait de guider les choses sans se mouiller. Mais si les démons forcent les chefs ithiliens à faire creuser les prisonniers... c'est qu'ils doivent encore déterrer quelque chose... élargir le passage... Je ne sais pas. Mais je ne comprends pas pourquoi ils ne forcent pas plutôt leurs soldats à creuser. Ils seraient beaucoup plus efficaces que des gens épuisés..."
Il soupira.
" Mais cela signifie aussi que si nous allons au devant de ces monstres... Nous risquons nous aussi d'être possédés..."

[Taliesin]

-En fait, nous n'en savons pas assez pour tirer de conclusions. Il est tout à fait possible qu'il n'y ait aucune possession, au final, que les chefs soient manipulés d'une autre manière et qu'une partie de leurs hommes continuent à leur obéir... parce que ce sont les soldats et qu'on n'apprend pas exactement aux soldats à remettre en cause les ordres de leurs supérieurs.
Il haussa les épaules.
--Enfin bref, ce sont des suppositions. Qui ne valent pas grand chose. Mon rayon, ça n'est pas exactement la lutte contre les démons, encore moins la guerre.

[Galathée]

" Oh, moi non plus..." dit Albérich en secouant la tête.
Il posa les coudes sur la table et posa le menton entre ses paumes.
" Bon... J'imagine que je devrais... Je ne sais pas. Sûrement faire quelque chose. Il va sans doute falloir remettre le départ de la colonne à après-demain au plus tôt... Les rescapés ne sont pas en état de voyager. Ça me fait toute une kyrielle de personnes à aller prévenir. Bon..."
Il se leva, posa la main sur l'épaule de son ami.
" Courage. La beauté et l'amour reviendront."
Puis il se mit en quête des intendants.

[Taliesin]

Mais Thibault le rattrapa.
-Albérich, un instant...
Il grimaça, gêné.
-Ne joue pas avec les nerfs de nos compagnons. Le départ est déjà suffisamment douloureux comme ça pour ne pas... le repousser.

[Galathée]

" Tu as sans doute raison, dit le Luménien. Mais que faire des derniers arrivés ? Nous pouvons les garder ici, bien sûr, mais certaines familles auront sans doute à coeur de rester réunies... Bah. Je ferai au cas par cas, c'est sans doute mieux. Nous verrons bien ce que les gens décident. Et avec les chariots, les clercs... Le périple ne sera pas si dur que ça, je suppose."
Il soupira.
" Je dois parler à Hubert. Nous nous reverrons plus tard."
En réalité, il n'avait aucune idée de quoi dire au paladin... et n'était pas certain d'avoir l'énergie pour une altercation. Il décida d'aller plutôt se détendre aux thermes. Avec un peu de chance, Frida finirait par rentrer.

[Taliesin]

Contrairement à d'habitude, les thermes étaient déserts. Qu'ils soient sur le point d'en être privés ou qu'ils aient encore la perspective d'en profiter, les membres de la Communauté ne semblaient pas d'humeur à se délasser : non, il avait pu le percevoir dans les couloirs qu'il avait longés, dans les salles devant lesquelles il était passé, l'ambiance générale était pour le moins... morose.
Quand il en eut terminé et qu'il eut quitté les lieux, il ne tarda pas à apprendre que la rôdeuse et son équipe étaient rentrés... avec deux prisonniers. Du genre peu coopératifs, apparemment.

[Hubert de Maleval]

Un peu plus tôt, après avoir discuté avec ses officiers, Hubert était allé jeter un oeil sur les rescapés. Il y avait trouvé Albérich et Thibault, avait préféré battre en retraite, et s'était finalement rendu à l'intendance. Pendant un moment, il avait songé à y chaparder ce dont il avait besoin, mais finalement, le paladin avait pris le dessus, et il était allé trouver Marcus pour lui demander des vêtements de rechange, des couvertures et de la nourriture pour Guillermo et ses trois compagnons.

[Taliesin]

Le temps pour le clerc de mobiliser deux personnes de son organisation... et le paladin eut tout ce qu'il avait demandé - et Marcus, déjà, reportait l'opération dans ses registres.
Lorsque le paladin gagna la salle où s'étaient installés leurs invités, tout le monde dormait. Cependant, à peine eut-il dépassé le seuil que Guillermo se redressait vivement, prêt à tirer son arme. Ce qu'il ne fit évidemment pas en comprenant qui était le visiteur et, sans doute, en se remémorant l'endroit où il se trouvait.
-Désolé, réflexe professionnel, expliqua-t-il.