[Lieu] Une cité perdue

[Galathée]

Les deux hommes réfléchirent un moment, puis décidèrent de retourner au premier livre, celui qu'ils avaient trouvé dans l'université de la magie. Ils n'en avaient pas trouvé à la caserne, aussi c'était leur ultime source d'information. Si ce dernier ouvrage ne leur apprenait rien, sans doute seraient-ils contraints... de retourner au clerc oghman. Enfin... de demander à Marthe de retourner au clerc oghman... Mais comme elle avait l'air de bien s'entendre avec lui, ce ne serait sans doute pas très difficile...

[Taliesin]

Il lui fallut un petit moment pour que la transe revienne. Sans doute était-il nécessaire de se familiariser, de s'accorder non seulement avec les symboles mais également avec l'esprit du volume concerné...
Il finit par voir le vieux mage assis au coin du feu et compulsant un livre - son grimoire, peut-être.
Puis il eut une vision du quatuor apparaissant au beau milieu d'un étrange paysage.
Quoi que s'étendant sous un ciel de pure obscurité, il était possible d'en discerner clairement les contours aussi accidentés que chaotiques.
Des plateaux désolés, des falaises cyclopéennes de granit noir, des pics déchiquetés, des crevasses semblant dépourvues de fond quoi que certaines rougeoient, par moment...
Plus près, un voyait une éminence et, au sommet, ce qui ressemblait à un cercle de pierres levées.
C'est cette direction que prit l'escouade avant que la vision ne se dissipe.
Hors de la pièce, Albérich entendit du remue-ménage : on devait être sur le point de servir le repas.

[Galathée]

" Ils passent dans le plan d'origine des créatures." murmura Hubert à mi-voix.
Il était plus pâle que d'ordinaire et Albérich songea que l'exercice devait être particulièrement éprouvant.
" Allons manger. Tu as besoin de te requinquer. Si tu es d'attaque après le souper, nous continuerons." proposa le Luménien.
Le paladin acquiesça.
" Je me sens vidé mais dans le même temps... J'ai envie de connaître la fin."
Le clerc sourit tout en le précédant vers la porte.
" Ah, je connais ça ! Dans d'autres contextes, mais tout de même !"
Et ils regagnèrent le couloir.

[Taliesin]

Lorsqu'ils gagnèrent la salle à manger, la plupart des colons étaient en train de s'installer, mais les places libres étaient encore nombreuses, si bien que les deux compagnons avait une large latitude en matière de choix.
Les seuls absents notables étaient Guillermo, probablement au deuxième étage, et Étienne. Si certains devaient commencer à le croiser de temps à autre dans les couloirs, il n'avait toujours pas refait de véritable apparition publique.

[Galathée]

Hubert et Albérich se regardèrent.
" Tu prends Thibault, je m'occupe de Giovanni." dit le paladin.
Le clerc sourit.
" Ça marche."
Et ils cherchèrent les deux intéressés du regard. Peut-être mangeaient-ils entre Sunites, d'ailleurs.

[Taliesin]

De fait, les deux hommes étaient installés ensemble. Giovanni avait déposé un livre ouvert à côté de lui et, tout en mangeant, y jetait de fréquents regards. Thibault, presque scandalisé, essayait plutôt d'attirer son attention vers une coupe qu'il avait généreusement remplie de vin.
-Ah, des renforts ! s'exclama-t-il en apercevant les nouveaux venus. Messieurs, j'ai une mission pour vous : m'aider à dérider ce fichu barde !
Il grimaça.
-Hum, sauf qu'à voir vos têtes, c'est de boulot que vous êtes venus nous parler...

[Galathée]

Albérich et Hubert s'entreregardèrent à nouveau. Le paladin eut un petit haussement d'épaules, le clerc acquiesça. Il s'était douté qu'il serait leur porte-parole, ce n'était pas une surprise.
" Effectivement. Il est sans doute des éléments qu'Hubert et moi avons à notre disposition qu'il serait bon que nous partagions avec vous deux."
Ils s'assirent.
" Il est plus que probable que nous devrons aller au devant des démons, et de la faille... juste à nous quatre. C'est ce qu'indiquent les visions d'Hubert..."

[Taliesin]

Thibault leva les yeux au ciel.
-Albérich, toi qui est si fin politique... N'as-tu jamais compris qu'il vaut mieux annoncer ce genre de chose après le repas, sans quoi les convives lui trouvent un goût de cendres ?
-Hum, n'y a-t-il pas erreur sur la personne ? fit pour sa part Giovanni. Bien sûr, je n'ai rien contre filer un coup de main mais... Comment dire... Je vais un poil dépareiller dans l'équipe. Niveau puissance et efficacité, notamment.

[Galathée]

" Je suis partisan d'arracher le pansement d'un coup, dit le Luménien avec un sourire d'excuse à l'intention du Sunite.
— Mais tu devrais trépigner de joie, Thibault. Songe à la gloire qui nous attend." ajouta Hubert.
Albérich s'était tourné vers Giovanni.
" Tu t'es déjà familiarisé avec les objets magiques que nous avons trouvés dans l'école de magie... Nous pourrions demander à quelqu'un d'autre de les revêtir mais si tu es prêt à nous accompagner... Pourquoi ne pas le faire ?"

[Taliesin]

-Hum, et depuis quand suis-je assoiffé de gloire ? souffla le clerc. Ce que je veux, moi, c'est être utile et répendre l'amour...
-Mais... souffla Giovanni. Tu aurais une équipe constituée d'Albérich Megrall, le plus grand clerc de Lathandre de tout Helonna, de Thibault des Rosières, parmi les plus importants prêtres de Sunie de l'île, d'Hubert de Maleval, paladin demi-céleste aux pouvoirs incommensurables et... de Giovanni, simple peintre qui en est à sa première excursion hors de la bonne société. Tu n'as pas l'impression que le dernier ferait tâche ?
Ni l'un ni l'autre ne se préoccupaient plus de leur repas.

[Galathée]

" Je pense qu'au-delà de ces titres ronflants... Nous allons au devant d'un danger qui nous dépasse de toute façon. A part Hubert, peut-être, nous sommes tributaires des artefacts que nous avons trouvés. Thibault et moi sommes avant tout des experts du soutien et de la défense, et nos pouvoirs seront au service du groupe. Pour le reste... Je crois que nous nous connaissons suffisamment pour former une bonne équipe... et vu ce qui nous attend, notre connivence risque d'être primordiale..."
Il pinça les lèvres.
" Cependant, pour l'instant... Nous n'avons pas d'assurance que nous nous en sortirons vivants."
Il jeta un coup d'oeil vers le paladin.
" Hubert et moi en sommes conscients, même si notre foi en Lathandre nous aide à penser que nous y survivrons. Cela signifie cependant que nous ne vous imposerons pas de nous suivre..."

[Taliesin]

De leurs deux interlocuteurs, c'est Thibault qui paraissait le plus tranquille.
-Bon, mais si tu nous disais ce que tu as vu exactement, Hubert ?
-Dis-nous aussi si tu as l'impression qu'on pourrait appeler des renforts, murmura le barde. Des renforts du genre... célestes, par exemple.

[Galathée]

" Je n'ai rien vu allant dans ce sens, dit le paladin. Mais pour l'instant... Je ne suis pas encore arrivé au bout du parcours... J'ai vu les nuages noirs s'amonceler sur la ville, et le clerc de Lathandre et la prêtresse de Sunie se préparer... Ensuite, ils descendent avec le guerrier et le mage dans les couloirs... ils franchissent une porte... se retrouvent dans la mine de gemmes... marchent encore jusqu'à une faille... dans laquelle ils descendent... et ils se retrouvent dans un univers sombre et accidenté, rougeoyant par endroits, avec des crevasses, des falaises, un ciel noir... et ils marchent jusqu'à un cercle de pierres levées..."
Il haussa les épaules.
" Ça s'arrête là pour l'instant. Si j'ai encore de l'énergie après le repas, j'irai voir si le livre contient la suite..."

[Taliesin]

Ils le fixaient, yeux écarquillés.
-Hubert, est-ce que tu te rends compte que c'est...
-...une descente aux enfers que vous envisagez ? Au sens propre ?
-Bon, il y a quand même un côté positif : ce quatuor portait les artefacts, n'est-ce pas ? Et bien, puisque lesdits artefacts sont revenus dans la cités, puisqu'ils n'ont pas pu le faire sans leurs porteurs... Cela signifie qu'il y a de vraies chances pour que nous nous en tirions !

[Galathée]

" Je pense que nous sommes parfaitement conscients de ce que nous envisageons, oui. J'aurais préféré penser que tout ceci était allégorique, mais dans le fond, j'imagine que ce serait se voiler la face." dit Albérich.
Hubert avait souri.
" Mais je n'avais pas songé à cette histoire d'artefacts revenus : c'est effectivement un bon signe de nos chances de réussite. Et puis notez aussi qu'il n'y a aucun combat, dans ma vision. C'est une promenade... dans un lieu sinistre, d'accord, mais plutôt tranquille..."

[Taliesin]

-Mais peut-être que c'est... non le récit de choses s'étant déjà produites mais la marche à suivre en cas de catastrophe. Et même si cela décrit des faits s'étant produits... Il s'agit peut-être d'une version édulcorée dont le but des de donner des consignes sans pour autant refroidir les ardeurs des volontaires...

[Galathée]

" Dans ce cas, nous revenons à mon idée qu'il n'est peut-être pas nécessaire que nous y allions seuls." dit Albérich en fronçant les sourcils.
Comment débrouiller le vrai du faux, le réel de l'imaginaire, le pragmatique de l'allégorique ?
Hubert haussa les épaules.
" Il faudra bien que nous tentions quelque chose, tôt ou tard. Et je crains que nous ne trouvions pas de réponses plus claires que ces visions."

[Taliesin]

Giovanni soupira, Thibault parut pensif.
-Mais sans doute vaut-il mieux quand même, avant de partir, avoir vu ce que ces gens ont fait... ou ce que nous devons faire dans le cercle de pierres. Parce que oui, je suis bien d'accord qu'il va falloir tenter quelque chose, mais si nous foirons notre coup, si nous mourrons et que les artefacts restent en enfer... C'est juste la cata pour tout Helonna.

[Galathée]

" Bien sûr, dit Hubert. J'en suis bien conscient. Et j'ai bien l'intention de persévérer dans ces lectures d'un genre particulier... Mais je voulais juste dire que des incertitudes, il en resterait probablement jusqu'au bout... et qu'il faudra quand même que nous décidions d'agir."
Albérich acquiesça.
" Mais bref, nous ne sommes pas venus vous dire que nous partions dans l'heure... Simplement, cela vous concerne... et il nous a semblé normal que vous en soyez au même point que nous... Maintenant, Giovanni, je suis sensible au fait que... ce n'est pas du tout le destin que tu t'es choisi... et donc, vraiment, tu peux refuser. Thibault, malheureusement, vu que Suzie est partie... Tu vas devoir descendre avec nous."

[Taliesin]

L'intéressé haussa les épaules.
-Bah, une mort héroïque dans les tréfonds des enfers, voilà qui rattraperait assurément ma lamentable carrière !
Il sourit.
-Mais je suis sûr que même ça, je vais le rater et... m'en tirer, comme vous tous. On ne peut pas se fier aux Sunites, c'est bien connu.
Giovanni, lui, ne pipa mot.

[Galathée]

Albérich ne chercha pas à le faire parler.
" Enfin... Ce n'est pas pour tout de suite. Vous avez le temps d'y réfléchir..." dit-il.
Dans le même temps, il avait l'impression que dès qu'Hubert aurait eu la vision nécessaire, il ne servirait plus à rien de tergiverser.
" Je vais nous chercher à manger." proposa le paladin en se levant, les laissant à trois un moment.

[Taliesin]

-Hum, il y avait déjà une portion ici... fit Giovanni en repoussant son assiette.
Il avait à peine eu le temps d'y toucher et il semblait que, désormais, il n'avait plus du tout faim.
-Allez, bois un coup, ça ira mieux... dit tranquillement Thibault.
Et le barde de vider sa coupe d'une traite.

[Galathée]

Albérich hésita à nouveau.
" Honnêtement, Giovanni, tu n'es pas obligé de venir. Nous pouvons demander à un des mages de nous accompagner."
Le barde n'avait ni voulu s'établir à Clairétoile, ni s'engager dans des entreprises périlleuses : il était venu pour peindre une fresque, rien d'autre.
" Personne ne t'en tiendrait rigueur."

[Taliesin]

Giovanni soupira.
-Et tu crois vraiment que si tu vas voir un mage, sa réaction sera différente de la mienne ? Albérich, c'est d'aller dans un plan infernal ou démoniaque qu'il est question ! A moins d'être complètement inconscient ou totalement fou, c'est normal d'hésiter, de ne pas d'emblée sauter de joie... Enfin, je crois.

[Galathée]

" Je ne m'attends pas à ce que quiconque saute de joie. Mais simplement, c'est quelque chose qui doit être fait."
Il pinça les lèvres.
" Je suis conscient que certains d'entre nous sont peut-être davantage préparés à ce que ce type d'obstacle se place sur notre route."
Même si jamais il n'aurait imaginé chose pareille un mois plus tôt. Mais le glissement avait été graduel... des squelettes à Ignace, du sang céleste au sceau maudit... Aujourd'hui, il avait l'impression que c'était l'étape suivante, presque obligatoire, de la catastrophe qui s'était déroulée sous leurs pas.

[Taliesin]

Giovanni semblait perplexe.
-Peut-ôn vraiment être préparé à ce genre d'obstacle ? Enfin... Quand on est pas paladin ?
-Et pas clerc. Car dans une moindre mesure, eux aussi sont préparés... à combattre le mal quoi qu'il en coûte.
-Et bien les bardes sont uniquement préparés... à immortaliser ce genre d'événements.
-Quelle meilleure manière de les immortaliser que d'en être témoin direct ? Que d'en être acteur, même ?

[Galathée]

" C'est sûr que je ne pense pas que tu auras beaucoup de concurrence en matière de décors infernaux parmi tes contemporains..."
Mais il ne voulait pas s'en mêler. Les risques de l'expédition étaient énormes et il ne serait pas celui qui mènerait Giovanni à l'abattoir contre son gré. Il avait foi dans les compétences du barde, mais il comprenait que la perspective de se jeter dans un gouffre, de traverser les plans, d'affronter l'ombre, ne soit pas sa tasse de thé.

[Taliesin]

-C'est sûr. Mais avec une telle spécialité, je crois que ma seule solution pour gagner ma croûte sera de m'expatrier à Melandis.
-Il paraît qu'architecturalement parlant, la ville vaut le détour. Et puis, y apporter un peu de lumière ne serait sans doute pas de trop...
Thibault semblait avoir pris le parti de la dédramatisation.

[Galathée]

Albérich n'avait pas le don de Thibault en la matière et se contenta de sourire. Il plaignait Giovanni, cependant. Il se doutait qu'il finirait par accepter de les accompagner, mais que la décision serait douloureuse et responsable de bien des cauchemars. De son côté, il se sentait légèrement mal à l'aise, parce qu'il rechignait à exposer le barde. Thibault aussi, en réalité, mais il n'aurait jamais osé le lui dire sous peine de se faire démonter à coup de sarcasmes. Quant à lui-même... Il n'y réfléchissait pas vraiment en termes définitifs... mais il était clair qu'il ne laisserait jamais Hubert aller seul au devant de pareil danger. Et puisque Hubert devait y aller, il irait également, jusqu'au bout, quoi qu'il leur en coûte.

[Taliesin]

Le paladin revint sur ces entrefaites et tous se mirent - ou se remirent à manger.
Tous sauf Giovanni qui, après être resté un moment immobile, le regard plongé dans le vague, finit par s'excuser, par se lever et par prendre congé, arguant avoir du travail à terminer et emportant d'ailleurs son livre sous son bras.