[Lieu] Une cité perdue

[Hubert de Maleval]

Mais ils avaient prévu cette éventualité et ils rebroussèrent donc chemin. Giovanni était sans doute le plus observateur d'entre eux, aussi le paladin le laissa-t-il les guider. De son côté, il se fit la réflexion qu'il n'était certainement pas béni de Tymora : à une chance sur deux, il avait réussi à se tromper...

[Taliesin]

Revenir à l'embranchement où ils s'étaient fourvoyés fut d'autant moins difficile que Giovanni, sans rien dire, avait tracé une marque à chaque embranchement.
Une fois la vraie piste retrouvée, ils recommencèrent à la suivre à travers les mines, s'enfonçant toujours plus profondément sous la terre.
Depuis combien de temps marchaient-ils ? Impossible à dire.
Ils finirent par gagner une galerie particulièrement pentue. Le long de ses parois et plus encore dans les renfoncements naturels qui les creusaient, on avait entassé des gravats : l'endroit avait été récemment dégagé.
Par la Communauté, probablement, qui avait commencé ce labeur avant de devoir céder la place aux Ithiliens.

[Hubert de Maleval]

Descendre, encore et toujours, vers le centre du monde, puis le passage et la nuit. Hubert n'était pas fatigué : il lui aurait fallu bien des heures à ce rythme pour ressentir une baisse de régime. Il espérait juste que ses compagnons le lui signaleraient s'ils venaient à flancher. Ils avaient pris de quoi manger, de quoi boire, suffisamment pour deux jours au moins, et ensuite, Albérich et Thibault pourraient les nourrir à l'aide de sortilèges.

[Taliesin]

Alors qu'ils traversaient une petite grotte, ce fut Thibault qui proposa une halte. Il n'avait pourtant pas l'air fatigué : peut-être songeait-il plutôt à Giovanni ? Quoi qu'il en soit, ils en profitèrent pour boire un coup - de l'eau, même si l'un ou l'autre des Sunites n'aurait sans doute pas dit non à une goutte d'alcool - et manger un morceau.
-Je suis certain qu'on va avoir droit à un comité d'accueil très fourni, en bas, fit le clerc d'un ton dégagé. Je mettrais même ma main à couper qu'il y aura une impressionnante mise en scène, du genre de celles dont les êtres diaboliques ont le secret.

[Hubert de Maleval]

Hubert acquiesça dans un soupir, tandis qu'Albérich en profitait pour s'asseoir un moment sur un rocher bienvenu.
" Oui, je pense aussi. Ils vont immanquablement s'en prendre aux colons qui sont encore prisonniers, et vu ce qu'ils nous ont réservé dans la chapelle l'autre jour, ce ne sera pas beau à voir... et à entendre, probablement. Mais nous devons nous rappeler que les dieux bons accueilleront ceux qui perdront la vie dans leurs royaumes de lumière, et que si nous ne réussissons pas à passer, à persévérer, bien d'autres innocents connaîtront leur destin."
Il pinça les lèvres, son regard se fit plus dur.
" Il faut se préparer au pire, car c'est probablement le pire qui nous attend."

[Taliesin]

-C'est vrai. En même temps, n'y sommes nous pas déjà préparés ? Y a-t-il pire perspective qu'une descente aux enfers ?
-Y passer l'éternité ? fit Giovanni d'une voix sourde.
-Pas faux... Mais ça n'arrivera pas ! Au pire du pire, il suffira de ne pas se laisser prendre vivants !

[Galathée]

Albérich acquiesça, espérant que les deux hommes mesuraient réellement à quoi ils risquaient d'être exposés. Hubert le savait, lui, cela se devinait à son teint plus blafard que d'ordinaire. Le danger viendrait du paladin dans un premier temps, du barde dans un second. Il fallait espérer que Thibault tiendrait le coup, mais c'était un homme plus solide qu'il ne le laissait entrevoir.
Ils terminèrent de manger puis Hubert donna le signal du départ, à nouveau. Rien ne servait de retarder l'échéance.

[Taliesin]

La descente reprit.
Les signes de déblaiement se firent sans cesse plus nombreux.
Ils avaient probablement atteint les zones où les prospecteurs de la Communauté avaient repéré d'importants filons d'or et des indices quant à la présence de diamants.
Peu à peu, cependant, une odeur monta jusqu'au quatuor.
Celle, caractéristique, de corps en décomposition.

[Galathée]

Albérich se souvenait parfaitement de cette odeur. C'était celle qui régnait dans les charniers de Morféa. Pour la première fois de sa vie, il se félicita d'avoir eu à effectuer ce travail atroce : il était préparé, sans doute mieux que ses compagnons, pour ce qui allait suivre. Il essaya de se souvenir des méthodes qu'ils appliquaient alors pour se défier de ces miasmes : relaxation, respiration... Il finit par s'immobiliser et chercher quelque chose pour se protéger le nez et la bouche, une bande de tissu, découpée dans sa chemise ou une couverture, peu importe. Cela ne ferait qu'atténuer la puanteur, mais ce serait déjà ça.

[Taliesin]

Ils bifurquèrent dans des galeries plus étroites, plus tortueuses, avant de s'engager dans un boyau assez pentu. Albérich et Hubert se souvinrent qu'alors qu'ils pensaient avoir atteint le fond de la mine, les colons avaient découvert un passage obstrué semblant mener plus bas encore : il devait s'agir de celui-ci, bien qu'il soit désormais totalement dégagé.
Il finit par s'élargir sans cesser de descendre.
Bientôt, ils découvrirent plusieurs corps repoussés sur le côté : des Ithiliens manifestement morts au combat.

[Galathée]

Ils ne s'attardèrent pas. Ces hommes leur étaient inconnus et ils avaient probablement voulu repousser les hordes qu'ils avaient stupidement libérées. Rien de bien surprenant, rien de bien spectaculaire. Albérich jeta néanmoins un coup d'oeil en direction de Giovanni, par acquis de conscience. Mais le barde avait combattu les cannibales : il n'était pas complètement novice en matière de massacre.

[Taliesin]

Le barde ne semblait guère éprouvé par ce qu'il voyait. Pour peu qu'il le voie : il avait l'air un peu... ailleurs.
Au fil de leur progression, les corps se firent plus nombreux. Et à ceux des Ithiliens s'en mêlèrent d'autres : les dépouilles de membres de la communautés.
Avaient-ils été tués à la tâche ? Abattus par leurs geôliers ? Élimines par les démons ? Impossible à savoir sans les examiner...

[Galathée]

Albérich aurait aimé avoir le temps de les identifier, mais ce n'était pas le moment. S'ils survivaient, ils pourraient toujours revenir en arrière pour en prendre le temps et organiser des funérailles décentes à tous ces malheureux. Mais pour l'heure, il fallait descendre. Le trépas de nombre des leurs n'était en rien une surprise. Ils ne pouvaient plus s'appesantir sur le passé, seulement songer à l'instant présent et espérer pour le futur.

[Taliesin]

Combien des leurs étaient tombés ici ? Une vingtaine, au moins, sans compter ceux qui devaient se trouver dans les passages latéraux qui s'ouvraient de temps à autre...
Mais ils ne s'arrêtèrent pas davantage pour les compter que pour les examiner, poursuivant leur marche qui commençait à se faire fatigante.
Le silence était toujours aussi profond, l'obscurité toujours aussi totale.
Enfin, devant eux, parut la porte qu'Hubert avait vue dans ses visions. Ses deux battants étaient grands ouverts et l'on voyait alentours des symboles tracés au sol, des bougies éteintes... On avait célébré un rituel ici, aucun doute là-dessus.
Peut-être avait-il été nécessaire pour briser le sceau.

[Galathée]

Hubert s'arrêta. Sans doute voulait-il s'assurer qu'ils suivaient. Il ne paraissait absolument pas fatigué, bien sûr, mais le reste de son équipage était moins vaillant. Albérich lui-même n'était pas le plus solide des hommes et il ne cracha pas sur la pause.
" Si nous fermions simplement ce sceau-ci ? proposa le Luménien. C'est celui qui a été ouvert, non ? Ça nous éviterait de descendre plus bas... et ils seraient tous coincés à nous attendre pour l'éternité..."
Il plaisantait à moitié... mais à moitié seulement.

[Taliesin]

-J'aimerais beaucoup que ça marche comme ça, fit Thibault. Vraiment beaucoup. Malheureusement, je doute que les anciens aient parlé dans leurs manuscrits d'une descente aux enfers si celle-ci n'était pas absolument nécessaire...
Il sourit.
-Ou alors c'était une parabole, une allégorie de la descente au fond des mines. Mais bizarrement, je n'y crois guère.

[Galathée]

" C'est dommage, dit Albérich. Et un peu étrange. Je ne comprends toujours pas bien comment on est censés sceller quelque chose en allant tracer des symboles en son coeur...
— Il est trop tard pour se poser des questions, trancha Hubert. On repart."
Le clerc ne protesta pas et lui emboîta le pas, franchissant ce fameux sceau. Le refermer aurait paru si logique, pourtant... Peut-être serait-ce une étape ultérieure... mais les livres n'avaient pas livré grand chose le concernant, sinon une cérémonie imprécise ou un ange s'en chargeant personnellement.

[Taliesin]

-Attendez !
Giovanni se racla la gorge, subitement embarrassé d'avoir attiré l'attention sur lui.
-Est-ce qu'on ne devrait pas... examiner la porte et les vestiges du sceau ? Peut-être y repérera-t-on le symbole qui nous manque...

[Galathée]

" Bien pensé." dit Albérich avec un sourire chaleureux.
Hubert en convint bien sûr.
" J'imagine que tu as pris de quoi dessiner..." murmura le paladin, sans doute embarrassé de ne pas y avoir songé de son côté.
Ils laissèrent ensuite le barde procéder à son examen, Albérich le suivant pour lui procurer la lumière nécessaire à son investigation.

[Taliesin]

Grévas sur les deux battants, il subsistait bien les vestiges d'un symbole complexe. Mais que ce soit volontaire, dû aux ravages du temps ou à la dissipation de la magie qui l'habitait jusque là, il était presque effacé. Il fallut donc au barde consulter le dessin tracé par Hubert et même recourir aux conseils de celui-ci pour identifier d'abord les six signes qu'ils connaissaient entièrement, ensuite le septième dont ils ne disposaient que d'un tracé partiel. Malheureusement, celui-ci avait été séparé par l'ouverture de la porte : la refermer le rendrait plus discernable mais risquait de faire du bruit...

[Galathée]

Mais comme les démons savaient parfaitement qu'ils arrivaient, faire du bruit était leur dernier souci. Identifier le sceau était mille fois plus crucial à leur entreprise. Hubert les fit donc reculer et scruter les environs tandis qu'il s'arc-boutait sur les battants de pierre pour refermer la porte et reconstituer le symbole qui leur manquait.

[Taliesin]

Il lui fallut procéder battant par battant, tant chacun d'entre eux était difficile à mouvoir.
Ainsi parvint-il à ses fins, non sans provoquer des grondements qui semblèrent se répercuter par toutes les mines.
Mais la porte était close, désormais. Et les deux parties du symbole réunies.
Un instant, un bref instant, il sembla au paladin que celui-ci était parcouru d'une vague lueur bleutée.
Peut-être avait-il s'agit d'une illusion, cependant...

[Hubert de Maleval]

Hubert n'en tira aucune conclusion. Il restait sans doute un peu de magie dans cette porte profanée, mais pas suffisamment pour retenir les hordes infernales. Il recula de quelques pas pour que Giovanni puisse avoir une bonne vue du symbole. Il espérait que le barde procéderait rapidement. Chaque seconde qu'il passait à ne rien faire le rendait nerveux. La vue des colons morts lui avait retourné l'estomac, il avait senti des émotions noires naître en lui, des envies de violence, de vengeance, le besoin de massacrer ceux qui s'étaient rendus coupables de ces crimes. Ce n'était pas surprenant, ni même honteux : il était paladin et il se devait d'exécrer l'ombre. Mais il n'était pas nécessaire d'en venir à la haine. Son geste devait être guidé par le bon droit, pas par une perte du contrôle de soi.

[Taliesin]

Malheureusement, l'opération prit du temps. Outre être quasiment effacé, le septième signe s'avérait particulièrement complexe, particulièrement difficile à reproduire. Il fallut donc à Giovanni l'observer avec attention, le comparer aux quelques courbes que la vision d'Hubert avait permis de percevoir avec clarté. Enfin, il leur présentera le résultat de son travail.
-Je crains que ce soit loin d'être parfait mais je vous jure que c'est le mieux que je puisse faire, soupira-t-il.

[Galathée]

" Et c'est très bien." dit Albérich en souriant.
Il prit le dessin du barde et l'examina un moment avant de le tendre à Thibault. Ce modèle ne serait pas de trop pour le reproduire, il fallait qu'ils le gardent soigneusement, avec les autres croquis des symboles. Pendant qu'ils regardaient ce qu'ils auraient à tracer dans le cercle de pierres, Hubert tentait de rouvrir les portes pour qu'ils puissent progresser.

[Taliesin]

Il y parvint, quoique l'opération lui demandât un effort plus que conséquent.
Lorsque les clercs furent au point sur ce qu'ils devraient tracer, ils se remirent en marche, longeant le tunnel que le paladin avait vu dans ses visions, marchant dans les pas des quatre Anciens qui, des siècles plus tôt, avaient accompli le sinistre voyage qu'ils s'apprêtaient à faire.
Nul lueur n'émanant des parois de roche, cependant : il emblaît que les gemmes aient depuis été extraites.

[Galathée]

Et ils persévérèrent, encore et toujours... Albérich demeurait aux aguets, mais il sentait que sa concentration s'étiolait, au fil de leur route trop tranquille. L'odeur était toujours aussi détestable, Hubert paraissait plus à cran que jamais, mais pour le reste... ténèbres et roche constituaient leur seul horizon.

[Taliesin]

Le couloir se poursuivit. Il était long, Hubert le savait.
Mais après un temps indéterminé - ils étaient bien incapables de le mesurer - , ils approchèrent de l'entrée de la caverne qu'ils devraient traverser, le paladin en eut la certitude.
Et c'est lui, le premier, qui discerna de la lumière dans le lointain.
Encore quelques mètres et tous quatre purent entendre les échos atténués de plaintes sourdes, de sanglots...

[Galathée]

Albérich regretta de ne pas avoir mémorisé de sortilège de silence. Il aurait été si simple de garder toute cette misère à distance... Hubert, de son côté, s'était immobilisé, et le clerc posa une main consolatrice sur son épaule gaînée de fer.
" Nous le savions. Nous devons avancer. Nous ne pouvons rien faire pour eux. Et si nous nous écroulons, nous les aurons trahis.
— Comment fais-tu ?" demanda Hubert, la voix légèrement voilée.
Il grimaça intérieurement. Le paladin ne pouvait pas déjà flancher.
" Je ne joue pas le jeu de l'ombre. Bandez-vous les yeux et bouchez-vous les oreilles, si c'est ce dont vous avez besoin. Je vous guiderai."

[Taliesin]

-Sauf qu'il va y avoir un comité d'accueil. Si tout le monde hormis toi est sourd et aveugle, nous serons morts en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
L'expression du Sunite s'était durcie.
-Et nous ne savons pas encore si nous ne pourrons vraiment rien faire pour eux.