[Lieu] Une cité perdue

[Galathée]

" Non, effectivement. Mais nous savons... Enfin, je pense que nous savons... qu'ils ne peuvent en aucun cas constituer notre priorité."
Albérich s'était arrêté. C'était bien beau de s'être entraînés tous ensemble, mais s'ils ne pouvaient se mettre d'accord sur la marche à suivre, alors Hubert avait peut-être raison : ils étaient descendus trop tôt.

[Taliesin]

-Non, effectivement. Mais nous ne pouvons pas non plus faire comme s'ils étaient déjà morts et ne même pas songer à la manière dont nous pourrions les empêcher de mourir.. En tout cas, moi, je ne le peux pas, sous peine de ne plus jamais pouvoir me regarder dans une glace, sous peine d'être immédiatement renié par ma déesse, de perdre tout pouvoir et donc de ne plus vous être d'aucune utilité.
Il soupira.
-Je suis désolé, mais je sers l'amour. Si ces gens meurent, l'amour qu'ils portent aux autres, l'amour que les autres leur portent sera brisé. Je me dois, au moins, d'essayer de le préserver.

[Galathée]

Albérich secoua la tête mais ne dit rien. Se perdre en discussions stériles sur des choses qu'ils ne pouvaient prévoir à l'avance ne ferait que les affaiblir. Il devait espérer que, dans une situation critique, Thibault ferait le bon choix. Hubert les dévisagea une seconde, tous les deux, puis se remit en marche, le Luménien sur les talons.

[Taliesin]

Ils se rapprochaient.
La lumière se faisait plus nette, les sons plus précis.
Bientôt, Hubert vit clairement l'entrée de la grotte. Et, tout droit, éclairé par la lueur de nombreuses bougies, une silhouette qui lui parut familière.
D'ailleurs, il n'eut plus le moindre doute lorsqu'elle s'exprima - et ce alors qu'ils se trouvaient encore à une distance appréciable.
-Enfin, vous voilà. Approchez et surtout, ne tentez rien d'irréfléchi. Dans le cas contraire, il y aura des morts. Des morts dont vous porterez l'entière responsabilité.
Le comte d'Argencourt n'était certainement pas seul. Simplement, le paladin ne pouvait voir que ce qui se trouvait dans l'axe de l'étroite ouverture...

[Galathée]

Hubert s'arrêta.
" Ça suffit, grommela-t-il. La seule responsabilité, c'est la tienne entière, Louis. Tu es responsable de tout, depuis le premier jour, et s'il y a le moindre mort, il sera sur ta conscience. Mais au point où tu en es, un de plus, un de moins, quelle importance ?"
Albérich ne put s'empêcher de sourire.

[Taliesin]

L'autre haussa les épaules.
-Je vous ai demandé d'avancer. Dois-je vraiment me répéter ?
Thibault et Giovanni s'entreregardèrent. Le premier avait la mine toujors aussi dure, le second, toujours aussi défaite.

[Galathée]

Mais Hubert ne bougea pas d'un pouce. Albérich finit par monter à sa hauteur.
" Allons-y. Nous devons passer de toute façon.
— Je vais le décapiter avec un plaisir somptueux.
— Ce n'est probablement même pas lui, Hubert.
— Ça m'est complètement égal. Le plaisir sera le même."
Il fit un pas en avant. Albérich se glissa dans son sillage, prêt à incanter dès que nécessaire. Avancer ne signifiait pas tomber dans la gueule du loup. La seule chose qui comptait était la faille. Le reste... le reste n'avait malheureusement pas d'importance, quoi qu'en dise Thibault.

[Taliesin]

-Une incantation, même une esquisse d'incantation serait un acte irréfléchi, Megrall, fit leur interlocuteur une fraction de seconde après que cette pensée ait traversé l'esprit d'Albérich.
Hubert commençait à voir davantage de la caverne : Louis était environné de candélabres chargés de bougies noires. Et si une manière d'allée menait vers lui, elle était bordée de deux lignes de démons en armures noires comme la nuit.

[Galathée]

Le Luménien eut toutes les peines à ne pas répondre par un défi, même mental, à son adversaire. Il était surpris d'avoir l'esprit aussi aisément pénétré, cependant, lui qui avait généralement une volonté solide. Hubert avait peut-être raison, peut-être n'étaient-ils pas de taille. Il se surprit à nouveau à sourire : tout ce qu'il pensait était apparemment lisible pour leur interlocuteur. Mais comment faisait-il pour gérer en même temps les flux de pensées de quatre personnes ? Plus les siens ? Cela devait être drôlement compliqué.
Il se mit alors à songer à des choses ridicules, des chansons d'enfance, des romans stupides lus sur un coin de table un jour de désoeuvrement, il compta les moutons, les saumons remontant le courant, pensa à la pêche aux moules sur les jetées près de Luménis, au goût d'un bon vin, à des blagues ridicules de novices, bref, bourra son esprit d'absurdités sans importances. Histoire que le démon profite de pensées très intéressantes, puisqu'il avait envie de se divertir.

[Taliesin]

Quoiqu'il ait pensé de cette manœuvre, Louis - ou l'être qui avait pris possession de lui - se contenta de les observer tandis qu'ils s'approchaient.
Le jeune chevalier semblait à la fois pareil à lui-même et... indiciblement différent. Ses traits agréables étaient comme imperceptiblement boursoufflés, comme s'il peinaient à contenir ce qui se cachait derrière eux.
Ce qui était peut-être la cause du profond malaise qu'éprouvèrent tant le clerc que le paladin.
Un malaise si vif qu'il en donnait presque le tournis.
Comme s'ils se trouvaient face à une menace incommensurable devant laquelle ils n'étaient que fétus de paille.

[Galathée]

Albérich se mit à prier à l'intérieur de sa tête. Il connaissait plus d'une centaine de prières par coeur, pour toutes les occasions, toutes les situations, et il pouvait les évoquer sans le moindre effort. Toutes parlaient d'espoir et de lumière, de triomphe du soleil, d'aube éternelle. Et ils avaient beau être en mauvaise posture, il avait la certitude absolue, inébranlable, que les ténèbres seraient vaincues. Peut-être pas par eux, mais ça n'avait aucune sorte d'importance. Ils n'étaient que des humains, faibles, insignifiants à l'échelle de l'Histoire et de Toril. Ils devaient tenter de fermer cette faille, mais leur échec ne serait que la fin d'une bataille. Et l'issue de la guerre serait heureuse, irrémédiablement heureuse, car même au coeur de l'hiver ou de l'orage, le soleil brille au-dessus des nuages.
Il n'y avait pas de place pour le doute et il ne doutait pas.
Malgré le malaise qu'il ressentait, il était aussi baigné de lumière, en lui, autour de lui. Il n'avait pas peur, ce n'était pas possible, car Lathandre marchait à ses côtés, hier, aujourd'hui, pour toujours, ici ou ailleurs, dans la vie ou la mort.
Derrière ses prières triomphantes, qu'il déroulait comme un chant extatique, il ne perdait pas de vue ce qu'il ferait en cas de mouvement chez l'adversaire. Et il prit la queue du groupe, juste derrière Thibault. Devant, Hubert était porté par sa fureur. Ce démon, aussi formidable soit-il, ne ferait pas le poids.

[Taliesin]

Ils avaient à présent pénétré dans la caverne.
Sur leur droite, sur leur gauche, s'alignaient les démons, parfaitement immobiles.
-Arrêtez-vous, à présent, fit Louis qui, lui non plus, n'avait pas esquissé le moindre mouvement.
Il sourit.
-Je vais être beau joueur et donc vous prévenir, Maleval : si vous détruisez mon actuel vaisseau, j'en prendrai un autre. Chacun de vos compagnons fera l'affaire.

[Galathée]

" Possédé par un démon, ça ne doit pas le changer beaucoup, ce brave Louis." fit Hubert avec un flegme étrange.
A nouveau, Albérich ne put s'empêcher de sourire. Il laissa son regard courir sur les rangées de démons pour les compter. Ils étaient nombreux, mais pas assez nombreux pour réellement l'inquiéter. Il était presque curieux de savoir ce que le démon avait envie de leur raconter, quelles menaces et provocations méprisantes il allait bien pouvoir déblatérer. C'était dans leur nature, somme toute, il ne pouvait pas lui en vouloir.

[Taliesin]

Il dénombra plus d'une soixantaine de démons. Leur double bordure délimitait une allée qui traversait toute la grotte jusqu'au passage opposé et qui s'incurvait uniquement au centre de la caverne, ménageant un vaste espace dégagé, là où se trouvaient Louis, les candélabre, des symboles étranges et blasphématoires dessinés sur le sol et que recouvraient en partie des tâches - des flaques - sombres.
Impossible de voir ceux qui se trouvaient derrière les démons.
Impossible de savoir combien de colons étaient retenus ici, en sursis.
-Oh, le sieur d'Argencourt a sa part d'ombre. De grisaille, plutôt. Mais il a aussi sa part de lumière. C'est ce qui rend son âme si... délectable.
Le chevalier eut un sourire torve.
-Mais comme ni vous ni moi ne sommes ici pour bavarder, autant en venir aux choses sérieuses. Voilà comment cela va se passer. Maleval, si vous vous rendez, vos trois compagnons et vos amis captifs auront la vie sauve ; ils pourront même la conserver un bon moment, si tant est qu'ils aient la présence d'esprit de s'éloigner au plus vite de cette cité. En revanche, si vous refusez de vous rendre, ils mourront tous. De très désagréable manière, croyez-m'en. Et jamais leurs âmes ne rejoindront le séjour des dieux qu'ils vénèrent : non, c'est aux enfers qu'elles seront reléguées. Pour l'éternité.

[Galathée]

Avant qu’Albérich ait eu le temps de bouger, Hubert avait baissé son arme.
« Quelle garantie ai-je que que vous dites la vérité ? » demanda le paladin.
Le clerc savait qu’il n’y en aurait aucune. Il savait aussi qu’il ne fallait pas obtempérer quel qu’en soit le prix.
« Ne fais pas ça, Hubert. Il te ment. Et nos vies n’ont pas d’importance. Nous devons fermer cette faille, c’est la seule chose qui compte. »

[Taliesin]

-Et croyez-vous vraiment en avoir les moyens ? Croyez-vous vraiment qu'une fois en enfer, la route du sanctuaire sera dégagée ? Ou pensez-vous êtres assez puissants pour défaire à vous quatre une armée diabolique sur ses propres terres, là où même les anges et les dieux ne se risquent pas ?
Il secoua la tête.
-Maleval, le choix vous revient : provoquer la mort de tous vos compagnons ou les sauver tous. Si vous vous rendez, je vous donne ma parole qu'ils pourront repartir, regagner votre refuge puis quitter la cité sans être inquiétés. Or, si vous vous souvenez de vos cours de démonologie... Vous savez que les diables tiennent parole.

[Galathée]

Albérich n'avait aucune intention de retourner jusqu'au palais pour annoncer à Frida et Marthe que finalement, ils avaient décidé de laisser Clairétoile aux démons. Pardon, aux diables. En fait, il craignait leur ire bien davantage que la créature qui leur faisait face, en y réfléchissant bien. Par ailleurs, il était prêt à parier qu'Hubert avait tout oublié de ses cours de démonologie. Lui-même avait potassé son cortège infernal la veille. Les diables étaient retors et manipulateurs.
" Il y a quelque chose que je ne comprends pas, dit alors Hubert. Vous êtes conscient que si vous les laissez partir... Ils vont simplement aller chercher des renforts et revenir... Vous n'aurez à ce moment plus d'otages, et ils auront toujours les mêmes connaissances — davantage en fait, vu les personnes qui viendront renforcer nos rangs... les mêmes artefacts... Je dois avouer que ça me laisse perplexe. Vous êtes un diable, d'accord, mais vous n'êtes pas complètement stupide, si ?"

[Taliesin]

L'autre haussa les épaules.
-Que vous importe de ne pas comprendre ? Que vous importe que je sois ou non stupide ? L'essentiel n'est-il pas de savoir si vous allez provoquer une trentaine de morts ou sauver une trentaine de vies ?
Il parut réfléchir.
-Mais s'il vous faut vraiment une justification... Disons que vous êtes spécial. Pas eux. Alors du moment que je vous ai, ils peuvent bien aller aux diables, si vous me permettez l'expression.

[Galathée]

" Je ne vous pardonne pas l'expression, dit le paladin. Les diables sont retors, je le sais. Cette simple expression est peut-être un moyen de me signaler vos véritables intentions."
Il demeura silencieux une seconde.
" Mais si vous voulez que je me rende, au point même que vous seriez prêts à laisser partir trente personnes, dont des clercs qui peuvent invoquer de puissants célestes en quelques mots, dès qu'ils auront quitté cette grotte... C'est qu'en réalité, vous n'êtes pas capable de m'attraper à la loyale. Enfin... Je pensais les diables loyaux. Mais je ne me souviens pas bien de ma démonologie. Et si vous n'êtes pas capable de m'attraper à la loyale, ça veut dire que je suis en réalité en mesure de vous vaincre."

[Taliesin]

-En mesure de me vaincre ?
Il se tourna vers Albérich.
-Megrall, vous qui avez des meilleurs souvenirs de vos cours de démonologie, notamment parce que vous êtiez plus studieux... Pensez-vous le sieur de Maleval capable de battre un diable qui, aux enfers, porte le titre envé de duc ?

[Galathée]

" Comme ça, non, dit Albérich avec flegme. Mais il marque un point : après tout, pourquoi lui demander de se rendre, si vous pouvez l'écraser si aisément ?"
En réalité, le Luménien avait l'impression que Duc aux Enfers équivalait à Prince chez les elfes ou à Seigneur chez les humains. Il y en avait treize à la douzaine.
" C'est quand même suspect."

[Taliesin]

Le diable leva les yeux au ciel.
-Que les mortels sont pinailleurs... Mais soit : disons que j'ai envie de le prendre vivant et que si un combat éclate, il a toutes les chances de mourir. Par ailleurs, je trouve cela terriblement délicieux, de voir un paladin faire son devoir, se sacrifier pour sauver les autres... Délicieux et exotique à souhait.
Il croisa les bras.
-Puis-je avoir votre réponse, à présent ?

[Galathée]

Hubert se retourna vers Albérich et ce dernier lui sourit doucement.
" Je dois le faire, murmura-t-il.
— Je sais." répondit simplement le Luménien.
Le paladin refit face à Louis.
" Je me rendrai quand ils seront tous partis, pas avant."

[Taliesin]

L'autre fit non de la tête.
-Ne le prenez pas mal mais je ne vous fais aucune confiance : lorsqu'ils seront tous partis, vous avez de fortes chances de tenter d'attaquer. Et ne me parlez pas de l'honneur des paladins : vous ne vous sentirez nullement tenu à honorer votre parole face à un diable. Déposez votre épée, rejoignez-moi et les autres pourront tous partir, sans qu'aucun mal leur soit fait.

[Galathée]

L'ancien capitaine secoua la tête.
" Je ne vous fais pas confiance non plus, dit Hubert. Je sais que les paladins ont la réputation d'être stupides, mais pas à ce point-là. Si vous voulez vraiment profiter de ma carcasse vive, il va falloir faire mieux."

[Taliesin]

Pour la première fois, le diable eut un geste d'humeur.
-Et depuis quand un simple mortel croit-il pouvoir dicter sa conduite à un duc des enfers ? Faut-il, pour vous ramener à la raison, que je fasse torturer sous vos yeux l'un des otages ? Jusqu'à ce qu'il implore grâce ? Jusqu'à ce qu'il vous maudisse pour votre orgueil et votre indifférence ? Ici, les malédictions restent rarement lettre morte...

[Galathée]

Hubert hésitait et Albérich devinait qu'il s'interrogeait sur les raisons qui poussaient le diable à le vouloir vivant. Il avait sûrement peur de souffrir, et le clerc ne pouvait le blâmer. Mais il doutait aussi de la parole du diable, ce qui était éminemment compréhensible. A quoi bon se sacrifier, si en réalité, tout le monde était massacré ?
Il se tourna vers Albérich et lui tendit sa lame.
" Tiens. Ramène-la en haut. Quelqu'un d'autre pourra s'en servir."
Le clerc la prit cérémonieusement, sans chercher à le faire changer d'avis. Il n'y parviendrait pas, il le savait.

[Taliesin]

-Bien. Très bien. Approchez, à présent. Une fois que vous aurez parcouru la distance qui nous sépare, vos compagnons serons libre de s'en aller.
Mais Hubert n'avait pas fait quelques pas en direction du diable que le sol se mettait à trembler.
-Que signifie... ?!
Il y eut une explosion de lumière qui, un instant, les aveugla tous.
-Nous nous occupons des vôtres, fit une voix profonde. Vous, franchissez la faille : cela nous est impossible.
Avait-elle réellement retenti ? Avait-elle seulement raisonné dans la tête d'Albérich et d'Hubert ?
Impossible à dire.
Autour d'eux, c'était la cohue : les créatures en armure tiraient leurs lames sombres, Louis - ou plutôt celui qui l'habitait - commençait à incanter...

[Galathée]

Hubert reprit la lame, attrapa la main d'Albérich, celui-ci se retourna pour vérifier que Thibault suivait, et derrière lui Giovanni, et il se mit à courir droit devant, sans plus se soucier de rien. Le Luménien n'avait aucune idée de ce qui venait de se produire, mais ça n'avait pas d'importance, il fallait foncer jusqu'à la faille et compter sur les célestes — ce devaient être des célestes — pour gérer les diables.

[Taliesin]

Ils foncèrent droit devant. Le diable tenta bien de les esquiver mais, lancé dans son incantation, il réagit un fraction de seconde trop tard et fut violemment bousculé.
En chutant, il attrapa la jambe d'Hubert, la serra d'une poigne ferme.
-Messire, aidez-moi...
Sa voix était à la fois identique et différente.
Plus humaine, peut-être.
Et ses traient étaient crispés en une effroyable grimace.
-S'il vous plait... Aidez-moi.