[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Titus parut particulièrement fier de lui et il caracola un moment dans la clairière pendant que les autres rassemblaient le matériel et l'empaquetaient pour la suite du voyage. Ils reprirent ainsi la piste qu'ils avaient suivie la veille. Il y avait vraiment peu de traces, et les insectes qu'ils croisaient n'avaient que peu d'informations à leur fournir, malheureusement. Ils marchèrent ainsi une bonne heure, puis une seconde, avant qu'une odeur s'élève entre les troncs. Phelan, qui était en tête depuis un court moment, s'immobilisa.
" J'ai pas le nez très fin, mais ça flaire drôlement, non ?"
Ça sentait la charogne, indubitablement.

[Taliesin]

-Oui, acquiesça-t-il. Ne bougez pas, je vais voir ce que c'est.
Il s'agirait sans doute de la dépouille d'un animal : c'était, de loin, le plus probable. Toutefois, avec son imagination débordante, il ne put s'empêcher de songer à bien pire et, dans le même temps, d'émettre des vœux pour que cela ne se confirme pas.

[Galathée]

Victor protesta, mais in fine, il se tint coi. Taliesin put donc avancer seul, la main sur le manche de son épée, pas à pas. L'odeur gagna en intensité, puis il entendit un étrange bruit, comme une vibration sonore. Bourdonnement. Des mouches. Beaucoup de mouches. Quelques pas encore, il dut se boucher le nez pour ne pas défaillir. Il atteignit une clairière et aperçut un ours énorme. Vivant. Qui se repaissait des entrailles d'une autre bête, en compagnie de mouches, donc, mais aussi d'autres créatures, corneilles et pies, renards inquiets et rats dodus. Ce que la créature avait été, difficile à dire vu la foule amassée sur son cadavre. Mais elle était gigantesque.

[Taliesin]

A la fois rassuré et perplexe, Taliesin rebroussa silencieusement chemin puis, une fois qu'il les eut rejoints, décrivit la scène à ses compagnons.
-Titus, est-ce que tu penses que tu pourrais identifier ce qu'était cette créature en communiquant avec certains animaux ? Ceci dit, je ne veux ni que tu prennes de risques, ni que tu t'infliges un spectacle trop rude...

[Galathée]

Titus parut un peu effrayé.
" Tu sais, c'est pas parce que je peux parler avec les animaux... enfin certains... que l'ours ne va pas essayer de me manger..." murmura le petit garçon.
Il grimaça.
" Et j'aime pas les mouches. Elles sont vraiment répugnantes. Encore plus que les moustiques."

[Taliesin]

-Oh, je ne voulais pas que tu t'adresses à elles ou à l'ours... fit-il, embarrassé. Je ne vais certainement pas te pousser à t'exposer... Mais je me disais que, peut-être, en devisant avec certaines créatures des environs, tu aurais moyen de savoir ce qui s'est passé, dans cette clairière... Mais sinon, ce n'est pas grave, je peux aussi observer de loin et attendre que les convives se dispersent pour identifier en quoi consiste leur repas.

[Galathée]

" Je vais voir, dit le faune. Sans m'approcher trop. Parce que si la bête est vraiment grosse... Ça peut prendre des jours et des jours avant qu'ils n'en aient terminé."
Sur un dernier sourire, il s'éloigna entre les troncs, sabot après sabot, silencieux comme une ombre.
" Tu crois que c'est la bête que devait tuer Cordélia ?" demanda Victor.

[Taliesin]

-Je n'en sais rien...
Si c'était bien la créature chassée par Cordélia, pourquoi cette dernière n'était-elle pas revenue ? Avait-elle péri au cours de l'opération ? S'était-elle enfuie plus profondément dans les bois ?
Et si ce n'était pas la créature en question... fallait-il en déduire que les bois grouillaient de pareils êtres ?
Aucune des deux perspectives n'était vraiment rassurante.

[Galathée]

Titus revint peu de temps après, saisissant le groupe en bondissant au travers d'un buisson.
" C'est un sanglier géant. Il est mort depuis quelques jours. Je n'ai pas trouvé quelqu'un qui a vu le moment où il est mort. Mais il est très gros, c'est sûr, et tout le monde en avait très peur. Ils sont plutôt contents qu'il soit mort, même s'ils disent que maintenant, les humains vont pouvoir revenir dans la forêt."

[Taliesin]

-Ce pourrait être la bête dont il était question dans l'annonce, surtout si elle tenait les humains à l'écart des bois, dit-il après avoir remercié le jeune faune. Mais ça n'explique pas pourquoi ni Cordélia, ni le garde-chasse ne sont revenus. Il faudrait examiner les abords de la clairière pour relever des traces... Mais comme il y a un ours dans les parages, je peux m'en charger pendant que vous restez-ici.

[Galathée]

" Moi j'ai pas peur des ours, dit Victor. Je viens avec toi !
— Moi je viens aussi, ajouta Phelan. Je vous couvrirai."
Titus s'accrocha au bras de Baptiste.
" Heu... Nous on peut surveiller les affaires."

[Taliesin]

Taliesin soupira. Les laisser tous les deux en arrière ne le rassurait guère mais les forcer à venir serait rude, tandis que convaincre les autres de demeurer ici tenait de l'impossible.
-Très bien. Vous êtes assez loin de la clairière, il me semble. Mais je garderai un œil sur celle-ci et si je vois quoi que ce soit d'inquiétant, on rebroussera chemin.
Il fallait juste espérer que le plantigrade poursuive son festin encore longtemps.

[Galathée]

Les deux enfants demeurèrent donc en arrière tandis que Taliesin, Phelan et Victor s'approchaient de la clairière.
" Diantre, ça pue, grommela Phelan.
— Hum. Petite nature." murmura Victor.
Ils s'immobilisèrent à quelques mètres de la clairière.
" Est-ce qu'on entre ? Ou bien on contourne et on cherche en périphérie ?"

[Taliesin]

Il n'hésita pas un instant.
-Deuxième option. J'aime autant éviter d'attirer l'attention de l'ours.
Il croisait les doigts non seulement pour trouver des traces mais également pour qu'une partie de celles-ci s'éloignent de la clairière. Sinon, ce serait de très mauvais augure...

[Galathée]

" Bon, je pars sur la gauche, vous partez sur la droite ?" proposa Phelan, avant de joindre le geste à la parole.
Victor grommela quelque chose sur le fait qu'il n'avait pas besoin d'un adulte pour le surveiller, mais s'en tint néanmoins à la proposition du jeune aventurier. La clairière n'était pas très grande mais de forme irrégulière aussi durent-ils s'écarter de la piste, nez au sol, veillant à ne pas marcher sur des branchages qui trahiraient leur présence. L'odeur de charogne du sanglier dissimulait la leur, bien heureusement. Mais le sol avait été piétiné par bien des créatures et la tâche se révéla particulièrement ardue. Ils trouvèrent des traces du passage du monstre, une travée large comme celle d'un chariot, maculée de taches sombres de sang séché, qui avait aussi attiré les insectes. Plus loin, Victor crut déceler des empreintes de botte, qu'il suivit un moment, jusqu'à un tronc où se dessinait une paume sanglante. Bien trop grande pour appartenir à Cordélia, cependant. La piste se poursuivait au-delà.

[Taliesin]

-Il semble que le sanglier soit venu mourir dans la clairière après avoir été blessé par celui qui le traquait... commenta-t-il. Quant à savoir si celui-ci, qui qu'il soit, a été également blessé dans l'opération où si ce sang appartient à la bête... C'est encore un mystère. Enfin, cela fait toujours des pistes à suivre, à moins que Phelan n'en ait trouvé de meilleures. On va l'attendre.
Ensuite, il faudrait retourner chercher leurs compagnons.

[Galathée]

Phelan n'avait pas trouvé mieux.
" C'est le bordel dans ce sous-bois... Y'a des traces dans tous les sens ! Mais j'ai pas l'impression d'avoir vu des traces humaines. Je peux me tromper, mais ce que vous avez me semble nettement plus prometteur... Je veux dire... C'est mieux que rien ! Puis s'il y a un blessé, c'est quand même bien de le trouver, non ?"

[Taliesin]

-Oui... Et peut-être sera-t-il en mesure de nous renseigner. Mais même sans ça, s'il a besoin d'aide, nous ne pouvons pas vraiment passer notre chemin...
Ah, s'il n'y avait eu les informations de Titus, il aurait vraiment douté d'être sur la bonne route.
-Bon, restez ici, je vais chercher les autres.
Ensuite, ils pourraient s'éloigner de cette clairière et de ce fameux ours...

[Galathée]

Sans doute le festin qui encombrait la clairière expliquait-il la distraction de l'ours, mais ils purent sans difficultés se rassembler puis reprendre leur route. La main sanglante, bien appliquée sur le tronc, n'échappa cependant à personne, et Baptiste se rapprocha de Taliesin tandis que Victor semblait plus belliqueux que jamais. Ils continuèrent à avancer, découvrirent une nouvelle tache, sur des racines, cette fois, puis plus loin dans une zone rocailleuse.
" Ce type perd son sang." finit par dire Phelan.
Et le sang était déjà coagulé mais pas encore sec : son propriétaire avait dû passer par là la veille, et continuait à s'enfoncer dans les bois...

[Taliesin]

-Les sangliers ordinaires peuvent déjà se montrer coriaces, alors je n'ose même pas imaginer quel danger représentait celui-là...
Et il n'était pas certain qu'ils arriveraient à temps pour aider celui qui l'avait terrassé. Mais pour le savoir, ils devaient persévérer.
Tout en demeurant extrêmement prudents, évidemment : il scrutait donc les alentours avec attention, tous les sens en alerte.

[Galathée]

Le terrain commença à s'incurver vers le bas et ils entendirent bientôt le murmure d'un cours d'eau. C'était un frissonnement ténu, une petite musique, signe qu'ils avaient affaire à un ruisseau plutôt qu'à une rivière. Ils le trouvèrent au bas de la pente, tout comme celui dont ils suivaient la piste depuis un bon moment. L'homme était face contre terre, à côté de l'onde, et une flaque sombre s'étendait en dessous de lui. Titus se figea, Baptiste aussi, Victor attrapa un bois sur le sol. Phelan continua à avancer. Difficile de savoir, à pareille distance, si le garde-chasse — si c'était bien lui, mais il en avait l'allure — était encore vivant.

[Taliesin]

-Restez-là, dit-il aux garçons. On va voir ce qu'on peut faire pour lui.
S'il était encore possible de faire quoi que ce soit...
Mais il l'espérait. Sinon, il risquait de songer à tout ce temps qu'il avait perdu, les jours précédents...

[Galathée]

Phelan et Taliesin s'approchèrent donc de l'homme terrassé. Sa peau était terriblement pâle, presque bleue, et le jeune homme ne put s'empêcher de grimacer. Le barde le toucha le premier, le trouva glacé, mais pas encore rigide. En cherchant bien, dans le creux de sa gorge, il trouva un pouls presqu'éteint. On ne distinguait ni mouvement de poitrine, ni souffle sur ses lèvres craquelées, mais il était encore vivant — tout juste.

[Taliesin]

Taliesin le gratifia immédiatement de deux sorts de soins légers : non que cela soit susceptible de le sauver, non, mais cela permettrait sans doute de gagner du temps.
Du temps pour réfléchir.
Lui-même n'avait pas les moyens d'empêcher un trépas qui semblait si proche.
Mais il avait le pipeau.
Et Baptiste disposait de grands pouvoirs curatifs ayant déjà fait leurs preuves...
Il décida d'aller en toucher deux mots au garçon, en toute discrétion.
-Ne le déplace surtout pas : dans son état, ça pourrait le tuer, conseilla-t-il à Phelan avant de rebrousser chemin.

[Galathée]

Baptiste le regarda approcher avec crainte, puis l'écouta.
" Mais Taliesin... Je sais pas du tout comment j'ai fait ça, dit-il d'une petite voix fêlée. Si j'y arrive pas ? Je ne sais même pas comment... quoi... essayer... Avec Guéric... C'était différent..."
Il regarda par dessus son épaule, vers l'homme foudroyé.
" Il va mourir à cause de moi..."

[Taliesin]

Il secoua aussitôt la tête.
-Mais non, voyons : tu ne peux lui faire aucun mal. Et si ça ne marche pas, j'utiliserai le pipeau.
Il sourit, apaisant.
-Et ce n'était qu'une proposition, Baptiste : si cela t'angoisse trop, ce que je peux très bien comprendre, je recours au pipeau tout de suite. Ce n'est pas du tout un souci.

[Galathée]

" Le pipeau soigne les gens ? demanda-t-il. Je pensais qu'il rendait service. C'est pas certain qu'il va rendre service en le sauvant, si ?"
Il hésitait, se mordillant la lèvre. Victor commença à descendre vers l'homme blessé. Phelan s'était accroupi et semblait hésiter sur la chose à faire.
" Hé ! Il a ouvert les yeux !" cria-t-il en faisant des gestes pour attirer leur attention.

[Taliesin]

-On arrive.
Il prit Baptiste par la main.
-Viens : si ça se trouve, tu agiras instinctivement, juste en le voyant de près... Et si rien ne se passe, pipeau. Ce n'est pas sûr qu'il nous procure de quoi le soigner, tu as raison, mais ça vaut la peine d'essayer.

[Galathée]

L'homme était en train d'essayer de se redresser. Phelan finit par lui prêter main forte et il parvint à s'asseoir. Sa veste était déchirée en plusieurs endroits, laissant apparaître des blessures assez laides, qui firent frissonner Baptiste. Quand le gosse s'approcha, le garde-chasse et Phelan l'observèrent, un peu interdits, ce qui termina de le mettre mal à l'aise. Il leva les mains, tremblant, croisa le regard embrumé du blessé, puis ferma les yeux et recula.
" Je n'y arrive pas, murmura-t-il.
— Qu'est-ce qu'il veut faire ? demanda aussitôt Phelan.
— Eau... de l'eau..." croassa alors le garde-chasse.

[Taliesin]

Il fit glisser son sac de son épaule, y chercha la gourde et s'approcha de l'homme.
-Ne bougez pas trop : vous êtes grièvement blessé, lui dit-il en s'apprêtant à l'aider à boire. Mais nous allons essayer de vous soigner.
Si le pipeau ne donnait rien, il ne lui resterait que deux misérables sorts de soins.
Pas grand chose mais... mieux que rien.