[Lieu] Une cité perdue

[Hubert de Maleval]

" Ah. Je comprends."
Il demeura silencieux une seconde.
" J'avais aussi... l'intention de partir un moment, moi aussi... Plus qu'une veille. Mais ce ne sera sans doute pas possible dans l'immédiat non plus."
Peut-être jamais, même, s'il fallait sécuriser puis protéger cette ville.
" Le printemps viendra bientôt"

[Taliesin]

-Oui. Mais espérons quand même qu'il ne soit pas trop précoce. Sinon, nos compagnons vont s'en voir, à traverser le marais à bord de cette file interminable de chariots... Eniisements et autres joyeusetés seront au rendez-vous. Sans parler des nuées d'insectes...
Elle sourit.
-Mais ils ont encore le temps avant le dégel. Enfin, je pense.

[Hubert de Maleval]

" C'est le genre de sujet sur lequel je me garderais bien de me prononcer. Tu es la spécialiste des humeurs de la nature."
Il jeta un regard autour d'eux, sur les gens qui se levaient, venaient petit déjeuner, se préparaient à remplir leurs tâches quotidiennes, lesquelles deviendraient rapidement limitées. Il faillit poser une question sérieuse à Frida, sur la suite des opérations, s'en abstint.
" Penses-tu que nous conserverons le nom ? Clairétoile ?"

[Taliesin]

-Alors là, je n'en sais fichtre rien. Avant le grand départ, il y a déjà eu de longs débats à ce sujet et le moins que l'on puisse dire, c'est que les avis étaient partagés : certains voulaient conserver le nom original, d'autres voulaient en inventer un tout nouveau, d'autre encore songeaient à une solution médiane, une altération du premier nom pour traduire l'idée d'une refondation ne rompant pas totalement avec le passé... On verra bien qui l'emportera.

[Hubert de Maleval]

" Quelque chose comme Clairsoleil ou Aubeclaire sonnerait très bien, dit le paladin d'un air mutin. Enfin, pour satisfaire les Sunites ça donnerait Belle-Aube-Claire des Champs... pour faire plaisir à..."
Il se tut et songea à Barthélémy. La perte du vieux clerc de Chauntéa était une atrocité à verser au compte des Ithiliens. Comme la mort de Matthias ou d'Ariel. Il sentit la rage lui étreindre le ventre, une seconde. Dire que ces ordures traînaient encore dans les rues de leur ville, occupaient encore leur forteresse. Rien n'était terminé.
" Bref. Nous verrons bien ce que les gens décident, oui."

[Taliesin]

-Mais comme tout le monde aura son mot à dire, toi et moi participerons aussi aux débats. Nous avons donc intérêt à commencer à y réfléchir...
Elle fronça les sourcils.
-Pourquoi pas "La Cité sans Nom" ? Cela ne vexerait personne... et cela éviterait que trop de monde ne vienne, vu le petit côté effrayant... Ou bien "La porte des Enfers", si on veut vraiment rester entre nous. Enfin, sauf que les adeptes des diables se presseraient vers nous. Ceci dit, ça faciliterait leur élimination et ça en débarrasserait Helonna.

[Hubert de Maleval]

" Mouais." dit Hubert, peu convaincu.
Il haussa les épaules.
" Je ne suis pas un créatif. Je donnerai mon avis mais je ne pense pas que j'aurai la moindre once d'inspiration ! Nommer une ville. C'est bien trop... effrayant pour moi."

[Taliesin]

-Et pour moi. Souviens-toi que je n'ai rien trouvé pour mon algie. Alors pour une cité...
Elle haussa les épaules.
-Mais des créatifs, il y en a, parmi nous. Je me méfie cependant de certaines propositions qui pourraient voir le jour... Par exemple, tu es tellement adulé qu'il y en aura bien pour proposer Huberville... Auquel cas, je m'y opposerai !

[Hubert de Maleval]

" Huberville, quelle horreur. Je préfère Maleval-la-Neuve."
Il sourit, puis grimaça.
" J'espère que j'aurai un droit de veto, en réalité."

[Taliesin]

-Un droit de véto ?
Elle rit.
-Tu rêves ! Ici, c'est la démocratie : la ville prendra le nom pour lequel la majorité aura opté, même si c'est Amourbourg, Paqueretteville ou... Maleval-la-Neuve. Nous ne pouvons donc que prier pour que nos compagnons fassent preuve de bon goût.

[Hubert de Maleval]

" On devrait garder Clairétoile. C'est très bien, Clairétoile. Bon, ça fait un petit peu elfico-sélunite, mais j'ai rien contre l'elfico-sélunite. Ça donne un cachet romantique, tout ça. Clairétoile au clair de lune. Quelque chose comme ça. Enfin, c'est pas moi le barde."
Et le barde était sans doute toujours dans les limbes. Cette seule pensée menaça le plonger dans la mélancolie. Mais il était encore sous l'effet de l'énergie divine et la certitude que Giovanni guérirait bientôt s'imposa dans son esprit.
" Une autre tasse de thé ?"

[Taliesin]

-J'en ai déjà pris deux mais... Allez, va pour une troisième, j'en ai besoin.
Elle étouffa un bâillement.
-C'est exactement dans ce genre de circonstances que j'aimerais avoir de ce fameux café tant prisé des Sunites. Il paraît que ça donne un sacré coup de fouet...

[Galathée]

" Oui, c'est vrai. Mais ça travaille les boyaux, aussi."
Il sourit.
" Nous en avions souvent à Solarcis. Bon, c'est pas bon marché, mais avant une opération complexe... C'est toujours bien d'avoir quelque chose pour réveiller les gars. Et c'est quand même le port le plus ouvert sur les autres régions de Toril... On peut tout trouver. Encore davantage qu'à Luménis, si tu veux mon avis, même s'il ne faut pas trop le répéter si on ne veut pas vexer les gens de la capitale."

[Taliesin]

-Voilà qui est bon à savoir. Et si au cours d'un conseil je me retrouve à nouveau en minorité, peut-être lâcherai-je involontairement cette déclaration, histoire qu'Albérich et toi ne formiez plus un front commun...
Elle reposa sa tasse, s'étira copieusement.
-Vu son emplacement, en particulier sa position au beau milieu des Landes, Clairétoile ne sera jamais une grande place commerciale. De ce pont de vue là, aucune autre cité n'a à s'inquiéter.

[Hubert de Maleval]

Hubert se demanda s'il lui faudrait être cent fois en désaccord public avec Albérich avant que les gens n'estiment plus qu'ils formaient un tandem indivisible. Frida ne les avait pourtant presque jamais vus ensemble... Mais dans le fond, ça lui était égal : il n'avait pas honte de sa loyauté envers le Luménien, d'autant qu'il l'estimait bien plus versé dans la gestion d'une communauté que lui. Et de toute façon, ce serait bientôt révolu : dès que le problème des Ithiliens serait résolu, ils démissionneraient l'un et l'autre, et le paladin était certain de ne plus jamais briguer pareil poste.
" La question va se poser de savoir de quoi nous pourrons vivre, puisqu'une bonne partie des mines nous sont désormais interdites."

[Taliesin]

-C'est amusant comme la discussion, mine de rien, glisse petit à petit vers des sujets de plus en plus sérieux... Mais pour te répondre, je ne m'inquiète guère quant aux moyens de subsistance de la cité. Il y a des filons d'or et des indices de diamants dans les mines bien avant l'endroit où se situe le sceau ; les édifices regorgent d'objets, à tel point qu'on pourrait en vendre une partie sans trop dépouiller les lieux ; par ailleurs, les environs semblent cultivables... Si on ajoute à ça que les bâtiments sont déjà construits, je pense que bien des villes ont commencé avec moins d'atouts en main.

[Hubert de Maleval]

" Je te fais confiance, je n'y connais rien ni en urbanisme, ni en agriculture, ni en travaux des mines, ni même en commerce !" dit le paladin joyeusement.
Il haussa les épaules.
" Mais je vais te laisser petit-déjeuner tranquille. J'ai fait des efforts de conversation mais dans le fond, tu aimes sans doute autant le silence."

[Taliesin]

-Dis plutôt que tu t'ennuies dès qu'on ne parle pas boulot...
Elle sourit.
-Mais allez, va, tu as fait preuve de patience, et tout effort mérite récompense : nous avons retrouvé trois des nôtres vivants et vingt-sept cadavres d'Ithiliens. A présent, tu sais quel est le bilan de nos expéditions. Je pense même que, du coup, il n'y a pas besoin de tenir conseil.

[Galathée]

" Les Ithiliens étaient déjà morts ? Où avez-vous retrouvé les nôtres ? Comment s'en étaient-ils tirés ?"
Il leva des mains défensives.
" C'est toi qui as commencé ! Moi j'ai parlé de l'aigle et du nom de Clairétoile !"

[Taliesin]

-Et de patrouilles, et des moyens par lesquels la ville pourrait vivre, Mais donc... Nous avons décidé de mener des recherches aux abords de la forteresse, à la fois en sous-sol et en surface : comme ça a sans doute été une sacrée zizanie là-bas, il ne paraissait pas impossible que des gens aient réussi à s'enfuir. De fait, nous avons trouvé des pistes, nous avons réussi à en suivre une et nous avons découvert trois des nôtres dans un bâtiment. Quant aux Ithiliens, ils étaient déjà morts, oui. Mais impossible de dire s'ils ont été tués par des démons, par leurs compatriotes possédés ou s'ils étaient eux-mêmes possédés...

[Hubert de Maleval]

" D'accord. Il faudra que tu nous communiques ces pistes pour que nous puissions préparer nos sorties de ce matin. Etienne va venir avec moi... et je ne sais pas qui tu avais embarqué, finalement. Autant fonctionner par roulement, c'est le plus juste. Enfin, si tu es d'accord, bien sûr..."
Il ne savait jamais exactement quand il empiétait sur les prérogatives de la jeune femme et comme elle semblait aimer le tancer au premier écart, il était sur ses gardes. Même si les railleries étaient toujours prononcées sur un ton amical...

[Taliesin]

-J'aurais espéré que tu nous laisserais gérer ça, histoire... que nous ayons aussi l'opportunité de jouer un rôle dans la résolution de notre situation. Mais c'est un raisonnement égoïste qui n'a pas lieu d'être, vu que le temps presse. Enfin bref, tout a été mis par écrit, je te donnerai ça. Hum, et si tu en es d'accord, je recourrai à tes services pour me permettre de rallier le fort : en ce qui me concerne, je suis restée trop longtemps à ne rien faire et maintenant que j'ai pu à nouveau goûter à la liberté... Je me vois mal passer une matinée enfermée ici, bras croisés.

[Hubert de Maleval]

" Non, écoute, si tu veux y aller... Je ne voudrais pas te griller la priorité... et nous pouvons sortir tous les deux, Albérich saura tenir la boutique en notre absence."
Il sourit.
" Enfin... Nous irons dès que tu seras d'attaque... En ce qui me concerne, je pourrais être parti depuis presque une heure !"

[Taliesin]

Frida pinça les lèvres.
-Je ne parlais pas vraiment de moi, tu sais. Je parlais plutôt... de nos compagnons. Il me paraît important qu'ils puissent eux aussi se rendre utiles, mettre quelques exploits à leur actif. Toi, tu as déjà tellement fait, ton aura est si grande que... Si tu t'illustres encore, je crains qu'on ne te laisse plus partir. Ou que ton départ soit... extraordinairement difficile à vivre pour ceux qui resteront.

[Hubert de Maleval]

Le paladin grimaça.
" Mais je ne vais pas pouvoir rester deux mois à l'intérieur à ne rien faire, Frida, murmura-t-il. A ce prix-là, je ferais mieux de partir demain !"

[Taliesin]

-Je pourais te répondre que pendant que vous sauviez le monde, nous étions enfermés ici à faire les cent pas, impuissants et inutiles, et que si ça n'a duré que deux jours, ça nous a paru s'éterniser des siècles. Mais je comprends aussi ton point de vue et, de toute façon, il faut agir vite si nous voulons encore sauver du monde. Je pense simplement que tu devras essayer... de laisser un peu l'initiative aux autres, pendant ces expéditions, de ne pas toujours être en première ligne, à tout faire. C'est le meilleur moyen pour que tes hommes prennent conscience qu'ils peuvent également agir, faire des choses, pour qu'ils ne soient pas totalement dépendants de toi et... orphelins quand tu les quitteras.

[Hubert de Maleval]

" Orphelins ? Dépendants ? Mais qu'est-ce qui s'est passé ? A quel moment me suis-je transformé en une figure paternelle ? s'insurgea-t-il, stupéfait. Le grand frère bravache, ça passerait encore, mais d'où sort cette subite... inquiétude ? Albérich, Thibault et Giovanni ont aussi tué des diables. Je suis prêt à prêter l'épée magique à qui la veut ! C'est complètement absurde. Il n'y a plus de diables, mon sang céleste me permet juste de jouer les portiers !"

[Taliesin]

-Le terme orphelins était peut-être mal choisi. Mais je pense que tu ne mesures pas... ta popularité et ton aura. Hubert, tout le monde, ici, parle de tes exploits. Tu t'es maintes fois illustré sur le champ de bataille, tu as éliminé Ignace, tu as réduit en poussière des dizaines de diables, que ce soit par le fer ou... par magie, tu es l'un de ceux qui ont refermé la faille... sans parler, oui, de ta capacité à faire fonctionner des choses et à accéder à des lieux particuliers interdits aux autres. Et tout cela est très bien, ne te méprends pas ! Grands dieux, jamais je ne voudrais qu'il en ait été autrement ! Simplement, tes hommes qui, pour la plupart, n'ont triomphé que d'un ou deux adversaires depuis leur départ de Grand-Estuaire, ont désormais tendance à penser que tu es capable de tout résoudre à toi tout seul, que tu es en mesure de nous protéger de tout. Sachant cela, comment penses-tu qu'ils vont réagir quand tu les quitteras subitement ? Alors que Clairétoile demeurera sous la menace des morts-vivants et des Ithiliens ? Ils se sentiront totalement démunis. D'où, à mon sens, la nécessité de leur montrer qu'eux aussi sont capables de faire des choses.

[Hubert de Maleval]

" Je ne quitterai pas Clairétoile avant que la cité soit sécurisée. Si cela n'arrive jamais, je ne partirai jamais. Mais si tu penses que... mes actes ont eu un impact aussi négatif sur leur confiance en eux-mêmes... Je ne sortirai pas chercher des survivants..."
Il se tut.
" M'autoriseras-tu à sortir seul, cependant ? Ou avec Albérich ? Juste chasser le mort-vivant ? Les gens n'ont pas besoin de le savoir, et ce sera toujours utile."

[Taliesin]

Elle soupira.
-Hubert, rien ne me permet de t'autoriser quoi que ce soit ou de t'interdire quoi que ce soit. Et je ne te reprochais rien non plus. J'essayais juste de te faire prendre conscience que... tu es tellement puissant et efficace que si tu n'y prêtes pas attention, tous ceux qui t'entourent en sont réduits à devenir non pas des seconds couteaux mais... des dixièmes. Et je dis ça à la fois pour eux, parce que c'est important pour tout le monde d'avoir des occasions de se rendre vraiment utile, et pour toi, pour que tu puisses conserver ta liberté, rester ici non par obligation mais par choix. Et je suis certaine que tout ça pourrait se rééquilibrer très facilement si tu fais juste un petit peu gaffe. Sachant évidemment que ce genre de question ne se pose... que quand on a une marge de manœuvre. Te forcer à rester en retrait alors que nous courrons un immense danger serait totalement stupide.