[Lieu] Une cité perdue

[Galathée]

" A bientôt, dit Albérich. Soyez prudents. Je te contacte bientôt."
Hubert était resté près des portes, manifestement peu désireux d'assister au départ de trop près.
" Que Lathandre vous guide." ajouta-t-il ensuite.
Tu vas me manquer, songea-t-il, mais il n'en dit rien.

[Taliesin]

-Merci.
Thibault sourit.
-Bon, et même si vous êtes désormais en écrasante majorité... Essayez quand même de ne pas trop lathandriser la Communauté : souvenez-vous qu'elle se veut pluraliste !
Puis, sur un signe de la main, il talonna sa monture et franchit les portes du fort, disparaissant à la vue.

[Galathée]

Albérich lui rendit son signe et le regarda partir vers les Landes sur sa monture surnaturelle. Le pluralisme de la communauté viendrait des gens eux-mêmes : s'ils se tournaient tous vers Lathandre, ainsi soit-il. En bon serviteur de son dieu, il estimait que certaines vérités valaient mieux que d'autres, et il ne voyait pas pourquoi il aurait dû détourner les colons de la lumière. Mais il ne serait pas prosélyte en dehors de ses offices, dans son temple : il n'avait pas l'intention de s'attirer des ennuis d'emblée.
" Je vais demander à Hubert de nous ramener." proposa-t-il à Roxane, avant d'aller jusqu'au paladin.
Celui-ci avait l'expression dure, les yeux secs, mais ne se fit pas prier : il ne leur restait qu'à regagner le téléporteur et le palais.

[Taliesin]

Ce qui ne posa aucune difficulté.
Après avoir réintégré la salle du téléporteur, Roxane leur souhaita bonne suite de journée et s'éclipsa, les laissant en tête à tête.
A présent qu'il n'y avait plus de recherches à faire concernant Giovanni, Albérich devrait se trouver une autre occupation. Mais sans doute avait-il plus urgent en tête.

[Galathée]

Ce ne fut pas aisé. Albérich avait horreur de ne rien faire et il ne parvenait pas à s'astreindre à de la lecture pour le plaisir d'emmagasiner des informations. Il n'était pas oghman et, contrairement à ce que pensaient ses compagnons, il n'avait jamais été un rat de bibliothèque. Pour ne pas tourner en rond, il épaula Marcus. Il était sensible aux difficultés qui se posaient au quotidien, mais de manière générale, il n'y avait aucun heurt et aucun problème, donc pas de défis. Les gens ne se confiaient pas à lui — il avait compris et accepté que ce serait désormais sa malédiction personnelle, et il prit donc le temps de prier et d'arpenter le temple de Lathandre, auquel Hubert l'accompagnait chaque jour, pendant quelques heures.
Tant que les Ithiliens étaient encore en ville, la dissolution du conseil était impossible, même si ce dossier n'avançait pas pour l'heure. Albérich avait pourtant l'impression qu'il allait falloir prendre le problème à bras le corps assez rapidement, pour empêcher leurs ennemis de se renforcer ou de se retrancher quelque part d'où ils seraient difficiles à déloger. Bon, ce n'était pas son registre et il imaginait que les militaires y songeaient activement.
Il s'entraîna : Hubert passait toutes ses journées dans cette salle, de l'aube à la nuit, pour tromper son propre trouble.
Deux jours s'écoulèrent ainsi, le palais paraissait étriqué, leur horizon réduit à une sorte d'attente qui n'avait pas vraiment de résolution...

[Taliesin]

Au cours de ces deux-jours, c'est une vingtaine de leurs compagnons que les expéditions parvinrent à secourir : ils s'étaient enfuis de la forteresse au moment où les dissensions et l'intervention diabolique avaient achevé d'y semer le chaos. Au total, sur les deux cent colons environ capturés lors de l'assaut ithilien, seuls une grosse cinquantaine manquaient à l'appel et, pour une bonne moitié de ceux-ci, on connaissait leur destin funeste - destin funeste qui ne faisait guère de doutes pour les autres. Un bilan sévère dans l'absolu mais... bien moins terrible que ce qu'ils auraient pu imaginer au début.
Quant à l'homme qu'ils avaient envoyé comme émissaire... il ne reparut jamais.

[Galathée]

Hubert libéra le dernier. Il les encombrait plus qu'autre chose, de toute façon. Cependant, avant de le laisser partir, Albérich vint lui rendre visite, prétextant vouloir contrôler qu'il était en bonne santé — les Lathandrites étaient la bienveillance incarnée, aussi stupide cela soit-il, après tout — et il en profita pour lui subtiliser une rognure d'ongle (il était dans un état de propreté scandaleux). Muni de cette précieuse relique, il était paré pour effectuer une scrutation sur l'individu.
Mais ce n'était pas le plus urgent. Le plus urgent était de contacter Thibault.

[Taliesin]

Le contact ne fut pas long à se nouer.
Arrivé à bon port. Giovanni entre bonnes mains. Âme pas aux Enfers. Reste... Mystère.

[Galathée]

Mystère, effectivement, et excellente nouvelle dans le même temps. Retourner aux Enfers aurait été pratiquement impossible. Pour le reste, Albérich n'avait pas douté qu'ils atteindraient Eredhun.
Vas-tu suivre son évolution ?

[Taliesin]

Evidemment !
Courte pause.
Arrive chez ma mère : te laisse. A bientôt !

[Galathée]

Bonjour à ta mère.
La manière dont le Sunite avait coupé court à la discussion voulait tout dire. Albérich se fit une note mentale de demander à Gabriel de le contacter les jours prochains. Il ne voulait pas s'imposer à un endroit où il n'était manifestement pas le bienvenu.
Comme ils avaient rallié le temple de Lathandre pour pouvoir communiquer avec l'extérieur, le Luménien en profita pour prier un instant. Hubert était sorti faire quelques pas dans la cour et il le rejoignit ensuite.
" Alors ? demanda le paladin.
— Ils sont à Eredhun. Giovanni est toujours inconscient. Mais il est désormais entre les mains de spécialistes... et apparemment son âme est toujours en lui."
Hubert secoua la tête.
" Mais alors pourquoi n'as-tu pas pu le ramener ?
— J'imagine que le choc est moral davantage que physique.
— Mais je pensais que les guérisons suprêmes agissaient aussi sur les troubles de l'esprit.
— C'est sans doute un choc particulier... ou alors Giovanni ne veut pas revenir. C'est aussi une possibilité."
Le paladin secoua la tête, peu convaincu, mais finit par soupirer.
Ils rentrèrent peu après. Albérich avait décidé de laisser passer deux jours avant de tenter une scrutation sur le prisonnier ithilien qu'ils avaient libéré. D'ici là, il continuerait à vaquer aux occupations pratiques que voulait bien lui confier Marcus.

[Taliesin]

Deux jours de plus s'écoulèrent donc, et la seule nouvelle marquante fut celle de l'arrivée de la colonne aux Dents Grises - dont elle ne repartirait pas avant plusieurs jours, tout le monde, chevaux compris, étant épuisé par l'épreuve que constituait indéniablement la traversée des Landes.
Si les expéditions se poursuivirent, elles n'aboutirent à la découverte d'aucun nouveau survivant.
Et quand Albérich tenta sa scrutation, elle échoua purement et simplement.

[Galathée]

HRP : quelle triche !

Après cet échec, Albérich convoqua un conseil, malgré les habituelles récriminations de Frida.
" Nous ne pouvons plus attendre. Nous devons agir contre les Ithiliens, dit le Luménien.
— Je suis d'accord, renchérit Hubert, nous sommes en position de force.
— Récupérer la forteresse me semblerait une première bonne étape. Avec le téléporteur, nous pouvons nous y matérialiser sans devoir nous y rendre. Bon, sans Giovanni, nous n'avons plus ni guide, ni invisibilité, mais nous devrions pouvoir nous en sortir tout de même."

[Taliesin]

La rôdeuse, que cette perspective d'action semblait réjouir au plus haut point, acquiesça sans réserve.
-Si on veut éviter le risque d'engorgement, on peut imaginer attaquer par deux fronts : par le téléporteur d'une part, par le passage secret d'autre part. Autre avantage : ils devraient se défendre sur deux fronts. Alors certes, il est posssible qu'ils opposent une forte résistance mais objectivement, si on met toute notre force de frappe, ils ne feront pas le poids.

[Galathée]

" Bon, nous sommes convaincus mais nous devrions soumettre ce projet à l'assemblée, dit le Luménien. Les choses ne sont plus assez graves pour ne pas revenir à nos modes de fonctionnement antérieurs. Les gens apprécieront.
— Nous devons aussi réfléchir aux suites, intervint Hubert. Rallier les huit forts, sceller les souterrains qui permettent l'accès à Clairétoile par en-dessous, déjà. Puis sécuriser les portes d'accès. Je ne sais pas si nous sommes vraiment assez nombreux. Ce sont des choix... d'ampleur. Je suis aussi d'avis d'en parler en assemblée. Cette période d'accalmie pourrait céder le pas à... une période de travail à flux tendu. Pour l'heure, je dois avouer que j'ai l'impression que protéger la cité entière est quasiment impossible, vu notre nombre et sa vastitude."

[Taliesin]

-Nous parerons au plus urgent en bloquant les accès que nous ne sommes pas en mesure de garder et en nous contentant de sécuriser humainement certaines zones. Nous en revenons au final au plan initial : procéder par petites touches. Pour le reste...
Elle haussa les épaules.
-L'Assemblée que vous envisagez n'aura guère de réelle validité puisque la moitié des nôtres sont absents et puisque parmi ceux qui restent, il y a principalement des soldats et des baroudeurs qui voteront les projets comme un seul homme. Mais sans doute vaut-il mieux commencer à reprendre nos anciennes habitudes, oui, même si ce sera dans l'immédiat un faux-semblant.

[Galathée]

" Ce n'est pas un faux-semblant, dit Albérich. C'est bien aux soldats et aux baroudeurs que je pense, et dont je veux l'avis et l'assentiment, le cas échéant. Ils vont risquer leur vie à nouveau."
Hubert grimaça.
" Tu sais qu'une armée ne peut pas fonctionner comme ça, n'est-ce pas ?
— Ce n'est pas une armée. Et la manière dont les forces militaires de la communauté fonctionneront sera décidé par l'assemblée... plus tard."
Il fallait qu'il relance Marthe sur la constitution, il ne l'avait pas oublié.

[Taliesin]

Frida haussa à nouveau les épaules.
-Bon, comme aucune expédition n'est encore sortie, tout le monde est présent à la forteresse : réunissons donc cette Assemblée.
Elle était déjà prête à se lever mais semblait cependant vouloir s'assurer qu'il ne restait aucun point à aborder.

[Galathée]

Mais Albérich et Hubert lui emboîtèrent le pas. Il n'y avait plus de survivants à trouver, de toute façon. Hormis traquer du mort-vivant — ce qui redeviendrait sans doute rapidement une activité de routine — bouter les Ithiliens hors de Clairétoile était fatalement l'étape suivante. Ensuite, il faudrait que es militaires sécurisent au mieux la ville tandis que les civils reprendraient le travail de cartographie et de découverte. Mine de rien, la nécessité les avait fait progresser ces dernières veilles...

[Taliesin]

L'Assemblée fut promptement réunie et se déroula comme Frida l'avait imaginé : après quelques demandes de précisions, les projets furent adoptés à l'unanimité. Bien sûr, les civils s'estimaient sans doute trop peu compétents pour avoir leur propre avis tandis que les militaires n'étaient pas exactement habitués à discuter les idées de leurs supérieurs. Néanmoins, il était probable, aussi, qu'il s'agissait de mesures de bon sens appropriées à la situation.

[Galathée]

Ils convinrent de mener les opérations le surlendemain. D'ici là, Hubert se pencherait avec ses officiers sur les plans de la forteresse qu'ils avaient emportés au moment de leur débandade, afin d'organiser la stratégie la plus appropriée à la situation. Il fut décidé que les clercs passeraient par le téléporteur afin d'installer un semblant d'hôpital de campagne au sein même de la forteresse pendant les opérations. Une question épineuse demeurait, pourtant : allaient-ils abandonner le palais pour réétablir leurs quartiers à la forteresse ou diviseraient-ils leurs forces pour occuper les deux lieux en même temps ? Cette question, elle aussi, fut soumise à l'assemblée...

[Taliesin]

Laquelle laissa le choix à ses dirigeants.
Bien sûr, comparé au palais, la forteresse risquait de paraître à la fois inconfortable, spartiate et moins impénétrable. Toutefois, ce retour avait aussi des allures de symboles qui n'échappait à personne. Et de manière générale, les gens, plutôt que leur confort immédiat, semblaient vouloir privilégier l'avenir...

[Galathée]

Albérich et Hubert n'avaient pas d'idée précise sur la question, aussi ne tranchèrent-ils pas dans l'immédiat. C'était encore le plein hiver et le confort du palais était plus que bienvenu, ne fut-ce que pour des raisons sanitaires. En même temps, reprendre la forteresse pour l'abandonner aussitôt n'avait pas grand sens. Ils aviseraient, sans doute en plaçant une garnison en rotation à la forteresse. Ils continuaient à espérer que tôt ou tard ils pourraient se déplacer dans les rues sans rien craindre. Le Luménien savait que le paladin avait l'intention de reprendre le nettoyage systématique des rues dès que les Ithiliens seraient partis. Et vu l'énergie de ses collègues sunites et lathandrites, il n'était pas le seul...
Une fois l'assemblée terminée, le clerc chercha Gabriel, cependant, histoire de savoir s'il avait eu des nouvelles de Giovanni.

[Taliesin]

Il en avait, oui.
Si l'était de Giovanni n'avait pas changé, ceux qui s'occupaient de lui ne perdaient pas espoir et avaient encore des pistes à explorer. Par ailleurs, ils arrivaient à le faire boire et en profitaient pour lui faire ingérer des boissons particulièrement nutritives, histoire qu'il ne dépérisse pas trop.

[Galathée]

Albérich le remercia et s'en fut trouver Marthe. Il voulait qu'ils relancent les travaux sur la constitution. Il se doutait que la juge rechignerait, mais il avait besoin de son expertise, et il n'oubliait pas qu'elle était restée avec eux, en dépit des écueils. Cela devait vouloir dire quelque chose pour le futur...

[Taliesin]

Ou pas.
Lorsqu'il lui eut fait part de sa demande, elle poussa en effet un profond soupir.
-Je ne sais pas si ça a du sens que je continue à travailler là-dessus, sachant que je ne suis pas certaine de rester, dit-elle. Par ailleurs... Tout notre travail est resté à la forteresse : tes notes, les miennes, les comptes-rendus des premiers débats;.. Tout ça a sans doute été détruit, ce qui forcera à recommencer de zéro.
Elle secoua la tête.
-En même temps, ça n'est pas forcément un mal. Ces réflexions, ces pistes, elles datent d'avant que l'idéalisme ne soit rattrapé et annihilé par la sinistre réalité. Elles datent d'avant que nous soyons rejoints par beaucoup de gens qui ont plus que largement mérité le droit de rejoindre la Communauté mais qui n'ont pas connu ce temps où tout semblait encore possible, ou on pensait encore pouvoir bâtir du neuf... Ils n'ont pas les mêmes attentes. Cela aboutira à la mise au point d'une constitution plus traditionnelle et plus pérenne, probablement.

[Galathée]

" Pourquoi renonces-tu, Marthe ? demanda alors Albérich. Oui, il y a eu des écueils, mais nous en avons triomphé. Tout reste possible, malgré ce que tu penses. Après demain, les Ithiliens seront vaincus, Hubert, Frida et moi démissionnerons du conseil, comme annoncé, et tout restera à faire. Nous avons des murs... et des possibles... Beaucoup. Le visage de Clairétoile n'existe pas encore."

[Taliesin]

-Je sais que les Lathandrites ont pour habitude de regarder bien plus vers l'avant que vers l'arrière. Mais les magistrats font l'inverse, avec des notions telles que la jurisprudence... Et il en va de même pour beaucoup d'autres gens : à moins de partir pour une terre vierge en acceptant de tout oublier de son propre vécu, on ne peut pas se défaire de l'histoire, du passé, on ne peut pas bâtir du totalement neuf. Ici... Il faudra faire avec le souvenir des morts, des combats, du sang répandu et des souffrances endurées ; il faudra faire avec le précédent de la suspension de la démocratie en cas d'urgence... Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose dans l'absolu ; je ne dis pas, non plus, que ce n'était pas une nécessité et que ça ne le sera plus jamais. Je dis simplement que tous les membres de la Communauté ont vécu et donc intégré ce principe, qu'il sera probablement, et à juste titre, reconnu dans la constitution... Là où, sans doute stupidement, je rêvais d'en endroit où il ne serait jamais nécessaire d'en arriver là. Utopie ? Assurément. Mais vient parfois des moments dans l'existence où après avoir tout perdu à plusieurs reprises, on n'a plus envie de faire de compromis.

[Galathée]

" Effectivement, le Lathandrite en moi ne te comprend pas, dit le Luménien. Mais je ne vais pas essayer de te convaincre. Ecrire cette constitution est un travail de longue haleine... Le conseil trouvera quelqu'un d'autre, j'en suis sûr."
Il sourit doucement.
" Tu penses partir au printemps, alors ?"

[Taliesin]

-Honnêtement, je n'en sais rien. D'un côté, j'ai très envie de partir, et pas seulement de Clairétoile mais bien d'Helonna, histoire de mettre un océan entre moi et tous ces drames. Dd l'autre, je suis bien consciente que la nature humaine étant ce qu'elle est, ce à quoi j'aspire n'existe pas ici-bas et qu'il vaudrait mieux que je reste là où, au moins, les gens sont bienveillants et de bonne volonté.
Soupir.
-Bref, on verra bien. J'imagine que ça dépendra aussi de qui revient et qui ne revient pas.