[Lieu] Une cité perdue

[Galathée]

" Oui, je comprends. Bon, et bien... J'espère que tu trouveras à t'occuper d'ici là... Désolé de t'avoir dérangée."
Il la salua puis s'éloigna dans le couloir. Dire qu'autrefois ils avaient été proches... Il réprima ces pensées. Cet endroit était en train de devenir une coquille vide : Marthe était changée, Etienne un fantôme, Giovanni et Thibault étaient partis... Il aurait pu aller n'importe où, Hubert resterait dans son sillage. S'il n'y avait pas eu ce sceau, bien sûr, et un irrépressible sens du devoir. Les instigateurs de la communauté disparaissaient parce qu'elle n'avait pas le visage espéré. Qui les mènerait, à présent, si plus personne ne s'y reconnaissait ?
Il soupira.
Il faudrait bien que les gens prennent leurs responsabilités, immanquablement.

[Taliesin]

Le plus dur serait sans doute de trouver des candidats pour les remplacer au conseil : Albérich et Hubert n'étaient pas n'importe qui, c'était peu de le dire, et quiconque leur succéderait pâtirait cruellement de la comparaison...
La question, cependant, ne se posait pas encore. Et tandis que le paladin et ses officiers préparaient l'assaut sur la forteresse, deux jours s'écoulèrent sans que leur parvienne aucune nouvelle d'ampleur.

[Galathée]

L'assaut avait été prévu à l'aube, pour fêter leur anniversaire d'un mois au palais, curieusement. C'était le mois d'Alturiak, premier jour de la troisième veille, le coeur de l'hiver. Albérich se demandait, tout en procédant à ses derniers préparatifs, si les gens se choisiraient jamais un jour, un nom, un objectif. Malgré la victoire remportée sur les diables, il avait l'impression qu'ils continuaient à se comporter en survivants. Frida se retranchait derrière l'absence de la colonne pour justifier leur inertie mais le Luménien se demandait combien de temps encore ils agiraient comme des poulets sans tête. Les gens n'avaient pas l'air de s'en inquiéter. Sans doute estimaient-ils avoir droit à cet espace de flottement...
L'assaut sur la forteresse était un pas dans la bonne direction, cependant. Redonner du sens, un esprit de corps, une finalité. C'était crucial sans quoi venu le printemps, chacun s'en retournerait chez soi, il commençait à en être convaincu.
Peut-être n'était-ce pas si grave, mais cela lui donnait une vague impression d'un gigantesque gâchis. Sans doute s'était-il découvert une ténacité imprévue.
Une fois équipé, il rejoignit ceux qui attendaient dans le couloir voisin du téléporteur. Son rôle était à l'arrière, avec les blessés, comme les autres clercs, à l'exception de Gabriel qui avait obtenu le droit d'aller croiser le fer. Hubert avait aussi l'intention de rester en arrière, de jouer "les généraux en fauteuil", selon son expression, histoire de laisser tout le monde sauf lui-même se distinguer dans la bataille.

[Taliesin]

Laquelle dura en tout et pour tout une demi-heure.
Les Ithiliens n'avaient pas quitté la forteresse et sitôt qu'ils comprirent ce qui se passait, ils tentèrent de s'organiser et de repousser l'assaillant.
En vain.
Ils étaient à peine une cinquantaine d'hommes fatigués et mal nourris : comment auraient-ils pu faire le poids face à une troupe au moins trois fois plus nombreuse et comportant dans ses rangs des mages et des paladins ?
Pour autant, ils se battirent vaillamment, refusèrent de se rendre et tombèrent tous au champ d'honneur.

[Galathée]

Comme avec les Ecorcheurs, Hubert termina la journée avec dégout et incrédulité. A la nuit, dans ce qui était devenu leur cocon, il parla longtemps de son désir de ne plus jamais avoir à combattre d'autres êtres humains. Albérich souhaita ardemment qu'il obtienne ce qu'il espérait, mais il savait que le futur était impossible à deviner. Il leur restait des défis à relever, cependant, même s'ils avaient prévu, comme attendu, de démissionner dès le lendemain. Ni l'un ni l'autre n'avait l'intention de se représenter au conseil : ils étaient las, quelque part, un peu échaudés, et plus prosaïquement, ils n'étaient pas très sûrs de ce qu'il convenait de faire, désormais. D'autant que leur intention de partir au printemps était désormais bien dessinée.

[Taliesin]

Ils réunirent donc l'Assemblée dès le lendemain, annoncèrent leur démission - Frida fit évidemment de même -, démission dont la Communauté prit acte, puis durent se rendre à l'évidence : aucun candidat ne se présenta pour les remplacer, fut-ce pour former un conseil de transition jusqu'au retour de la colonne.
Il allait donc falloir trouver une solution.

[Galathée]

Albérich continua à mener les débats, il fallait bien quelqu'un pour le faire. Puisque personne ne se sentait d'être conseiller, il fallait réfléchir à d'autres modes de décision. Soit ils élisaient un conseil de transition jusqu'au retour de la colonne, composé de personnes non volontaires mais peut-être plus nombreuses que dans le conseil actuel, histoire d'alléger cette charge dont personne ne voulait, soit ils réunissaient l'assemblée chaque jour pour débattre d'éventuels défis. Il n'aimait pas vraiment l'idée qu'il n'y ait plus aucun responsable dans le groupe, il le fit savoir, mais s'ils étaient suffisamment nombreux à croire en cette possibilité, alors ils pouvaient tenter le coup.
Mais il y avait peut-être d'autres propositions ?

[Taliesin]

S'il avait craint que la Communauté demeure sans responsables, peut-être Albérich aurait-il dû repousser la démission du Conseil jusqu'à l'arrivée de la moitié manquante... Quoi qu'il en soit, c'est la seconde option qui fut choisie : manifestement, ce n'était pas la bonne volonté qui faisait défaut mais... il semblait que succéder à des personnes ayant acquis le statut de véritables héros était par trop intimidant.
Il fallut quelques jours pour que les choses se remettent vraiment en marche, y compris au sein des forces armées qui, subitement décapitées par le retrait de leur chef, étaient pour le moins désorientées. Mais bon gré, mal gré, on repartit de l'avant en expérimentant la démocratie dans son expression la plus absolue, ce qui n'aurait sans doute pas manqué de ravir les plus idéalistes - s'ils avaient été là.
En fonctionnant par groupes d'opérations de tailles variables dont, chaque jour, l'Assemblée élisait les chefs - que cela leur plaise ou non -, on entreprit d'abord de renforcer les portes des quatre forts (pour qu'ils soient plus difficiles à prendre) et de bloquer leurs passages secrets : ainsi, plus de risque que la cité soit prise d'assaut depuis le sous-sol et l'extérieur. On procéda de même avec les passages se trouvant près des portes de la cité et ceux permettant d'accéder à la forteresse. Cette première étape franchis, les éclaireurs et les militaires reprirent la chasse au morts-vivants et la cartographie des rues et des édifices, tandis que les civils travaillaient à la réhabilitation de quelques bâtiments en vue de leur prochaine occupation.
On apprit bientôt que Giovanni était revenu à lui mais qu'il avait totalement perdu la raison : il faudrait du temps et le patient travail des clercs pour qu'il la retrouve. On apprit également que la colonne était sur le chemin du retour : la grande majorité des colons partis pour les Dents Grises avaient décidé de poursuivre l'aventure.

[Galathée]

Hubert et Albérich prirent part à ces tâches comme n'importe quels colons, en fonction des besoins et des priorités dessinées par l'assemblée, demeurant actifs mais aussi en retrait, ne prenant part qu'aux débats les concernant directement. Bien évidemment, ils participèrent à la chasse aux morts-vivants, là aussi sans trop en faire, ce n'était pas nécessaire. Le paladin souffrait de cette situation, son ami le savait, mais il s'y pliait néanmoins. C'était moins difficile pour Albérich, qui mesurait mieux les enjeux sans doute, et n'avait surtout jamais rien promis d'aussi extrême que ce que jurent les paladins.
Les jours passaient, les choses évoluaient à leur rythme, cahin-caha, et la communauté ne s'en sortait pas si mal, tout bien considéré...

[Taliesin]

Une veille et demi plus tard, la colonne fut de retour. Et cette fois, elle n'eut nul besoin de faire un détour ou de passer par les souterrains : c'est la grande rue débutant aux portes nord qu'elle remonta. Cette partie de la ville déjà sécurisée avant l'assaut Ithilien avait été de nouveau vidée des quelques rares morts-vivants qui s'y étaient aventurés depuis. La chasse au monstre durerait encore bien des jours, ailleurs, mais elle avait déjà bien avancé.
Entretemps, Albérich avait informé Alaric de l'élimination des dernières troupes du duc. Les passes d'armes diplomatiques entre son cousin et Antelucas se poursuivaient mais de nouveaux ennuis semblaient peu probables. Dans l'immédiat du moins.

[Galathée]

Albérich se demanda si le retour de la colonne allait être célébré d'une manière ou d'une autre. C'était rassurant pour Clairétoile, de voir que la plupart des gens avaient décidé de revenir, en dépit de tout ce qui s'était passé, malgré ce qui demeurait tapi sous la cité. Il regarda les gens passer, remonter la rue malgré la neige et le froid piquant, s'émerveilla de leur courage. Il sentit un mouvement près de lui, Hubert lui sourit, ils s'appuyèrent légèrement l'un contre l'autre.
" Voyons s'ils nomment un conseil, à présent, murmura le Luménien.
— Il leur faut un chef militaire, en tout cas, grommela le paladin. Cette situation est intenable et dangereuse. Si j'avais su que les choses s'organiseraient de manière aussi... bohème, je n'aurais pas démissionné."
Le clerc sourit.
" Tout s'est bien passé.
— En l'absence de crise. S'il s'était passé quoi que ce soit, ça aurait été le désastre.
— Nous ne le saurons jamais."
Le paladin soupira.
" J'imagine qu'il y aura une assemblée... demain, ou quelque chose comme ça...
— Sans doute, oui. Les gens doivent poser leurs affaires, maintenant..."
Il demeura songeur.
" Il me semble qu'il manque toujours quelque chose.. que cette ville n'est toujours pas... fondée... Mais peut-être est-ce impossible, peut-être ne peut-elle que croître petit à petit..."
Hubert lorgnait la colonne, revint à lui.
" Allons les accueillir, tu veux ?"

[Taliesin]

Si les nouveaux venus - ou plutôt les revenants - étaient éprouvés par leur voyage, ils s'avéraient surtout ravis d'être enfin de retour. Sans doute avaient-ils craint que tout soit terminé, un temps au moins, mais ils pouvaient à présent constater qu'au contraire, tout débutait.
Une fois tout le monde au chaud, Marcus fit servir un banquet comme on n'en avait sans doute pas connu depuis Grand-Estuaire. Et, pour l'occasion, on puisa abondamment dans les fûts ancestraux conservés dans les caves du palais.
L'ambiance était joyeuse, presque extatique, et l'on s'échangeait les nouvelles dans un indescriptible brouhaha, les civils étant avides de connaître les exploits des militaires demeurés sur le front.

[Galathée]

Hubert et Albérich se mêlèrent bien sûr aux réjouissances. Curieusement, les instituteurs avaient refait leur apparition, malgré leurs grands discours de rêves brisés, mais le Luménien ne se sentait pas particulièrement enclin à les aborder, vu la manière dont s'étaient déroulés leurs adieux. Par contre, ni Alban, ni Ruth, ni Ingrid n'avaient reparu. Cette prise de conscience avait sapé toute la bonne humeur d'Hubert qui, Albérich le savait, se sentait personnellement responsable de leur défection. La soirée du paladin en serait immanquablement écourtée, et le Luménien irait se coucher en même temps que lui, pour recueillir ses états d'âme et l'aider à glisser dans la nuit.
Mais d'ici là, il n'avait pas l'intention de faire l'ermite.

[Taliesin]

Il ne l'aurait de toute façon pas pu, quand bien même l'aurait-il voulu.
Bien des gens vinrent le saluer, le féliciter pour ses exploits : ses collègues clercs, des gens qu'il avait côtoyés ou soignés durant la première partie de l'expédition et même les instituteurs, apparemment pas très rancuniers. Bien sûr, ils ne purent s'empêcher de dire qu'avec eux revenait le temps de la démocratie, de l'utopie et des civils mais c'était une boutade : indéniablement, ils étaient ravis de cette conclusion et savaient parfaitement que si elle était advenue, c'était en grande partie grâce à lui - et à Hubert, qu'ils virnent trouver également.

[Galathée]

Albérich prit la boutade avec flegme. Compte tenu de tout ce qui s'était produit ces derniers temps, affronter un trio d'esprits moqueurs paraissait des plus anodins. Hubert, lui, ne put résister et les interrogea sur l'absence d'Alban, de Ruth et d'Ingrid.

[Taliesin]

Ils ne purent malheureusement le renseigner car ils n'avaient pas du tout discuté avec eux. Il faut dire qu'ils avaient manqué de temps et d'occasions : sur leur gros mois d'absence, près de trois veilles avaient été passées sur les routes et, même au Dents Grises, ils avaient été très accaparés par les protégés de Gabriel, dont la charge leur avait incombé. Ils avaient appris qu'Ingrid et les enfants ne reviendraient pas à Clairétoile au moment du départ et pas davantage que pour les quelques autres personnes manquantes, ils n'en connaissaient la raison.

[Galathée]

Albérich se tint prêt à récupérer Hubert après cette déconvenue, mais celui-ci retourna dans la mêlée joyeuse, cherchant sans doute à se changer les idées. Le Luménien n'en conçut nulle vexation et en fit de même.
Ils allèrent se coucher plus tard, un peu éméchés l'un et l'autre, ce qui limita leurs échanges. Le paladin ne mentionna pas les enfants et le clerc ne chercha pas à le faire parler. Ces choses viendraient un jour, peut-être, mais pas aujourd'hui...

[Taliesin]

Quand, après leurs prières, ils gagnèrent la salle à manger pour petit-déjeuner, ils apprirent qu'il n'y aurait pas d'Assemblée ce jour-là. Beaucoup de gens s'étaient couchés très tard, des familles désormais réunies préféraient passer du temps ensemble pour célébrer leurs retrouvailles, d'autres devaient porter le deuil de leurs membres tombés durant les combats... L'humeur n'était donc guère propice aux grands débats.
Mais la Communauté n'en était pas à un jour près.

[Galathée]

Les deux Lathandrites n'étaient pas pressés. C'était toujours l'hiver au dehors et voyager dans ces conditions ne serait pas des plus agréables. Hubert était d'avis de partir rapidement pour revenir au plus vite ; Albérich craignait les frimas et était moins emballé par la perspective d'une chevauchée dans les landes glacées. Il fallait attendre la nomination d'un nouveau conseil, cependant, car le Luménien tenait à ce qu'ils quittent les lieux dans les règles, en exposant leurs intentions aux nouveaux leaders de la communauté. Il était prêt à s'expliquer en assemblée, aussi, s'il était interpelé sur la question. Il avait accepté que malgré la discrétion dont ils avaient fait preuve au cours du mois écoulé, ils n'étaient pas des citoyens ordinaires, dont les mouvements ne concernaient personne. Bref, eux non plus, n'en étaient pas à quelques jours.

[Taliesin]

Alors qu'au hasard d'une conversation, ils en étaient venus à évoquer avec Frida leur prochain départ, celle-ci leur conseilla de ne pas attendre le printemps : certes, il ferait froid et ils devraient compter avec la neige mais... ils s'épargneraient ainsi les bourbiers et surtout les nuées d'insectes voraces qui pulluleraient dans les marais sitôt que le temps se serait réchauffé.
Les Assemblées des jours suivants n'aboutirent pas à l'élection d'un nouveau conseil. Albérich et Hubert durent annoncer leur intention de partir quelques mois, ce que beaucoup de leurs compagnons n'avaient pas anticipé : or, s'ils avaient décidé de rester, ils auraient été élus à une écrasante majorité. Vu leurs références, vu leurs compétences, vu leurs exploits - n'avaient-ils pas refermé la faille ? -, ils apparaissaient pour beaucoup comme les chefs naturels dont la Communauté avait besoin pour entamer sur de bonnes bases sa vie nouvelle. Quand il apparut qu'essayer de les faire changer d'avis serait vain, quand l'on comprit qu'ils avaient vraiment besoin d'effectuer ce long voyage, l'on se résolut à chercher d'autres candidats. Ce ne fut pas vraiment un succès : Frida ne souhaitait pas rempiler - sans doute avait-elle eu son content de réunions -, Étienne refusait toute responsabilité, aucune figure susceptible de faire l'unanimité n'était disponible. On s'orienta donc, peu à peu, vers une sorte de gouvernement d'"experts" dont la fonction serait de gérer les affaires courantes jusqu'à ce que le groupe soit prêt pour des élections en bonne et due forme. Et pour lesdits gouvernement, les noms de Marthe, de Guillermo et de Marcus étaient ceux qui revenaient le plus souvent : restait à savoir si les intéressés accepteraient.

[Galathée]

Albérich n'était pas convaincu par le choix de Marcus, mais il se garda bien de le dire à quiconque. Il était conscient que ce souci était égoïste : il voulait conserver l'intendant pour le temple et craignait de le perdre à la gestion de la ville. Dans le même temps, Marcus avait détesté jouer les aubemestres en son absence, peut-être serait-il tout aussi échaudé par les responsabilités de conseiller. L'un dans l'autre, comme il se retirait, Albérich n'avait rien à dire et il aurait été malvenu de sa part d'intervenir dans un sens ou dans l'autre. Il était cependant curieux de voir ce qui se dégagerait... En effet, il n'imaginait pas que le Temple resterait vide pendant son voyage, et il ne savait pas si Gabriel ou Marcus en deviendrait le responsable.
De son côté, Hubert était enchanté par le plébiscite de Guillermo. Il savait que le mercenaire se la jouait grand seigneur blessé, mais il était prêt à trouver n'importe quel moyen, même dévoyé, pour qu'il accepte de jouer ce rôle de conseiller militaire, dans lequel, il le savait, il excellerait.

[Taliesin]

Guillermo n'était pas ravi, c'était le moins que l'on puisse dire : à prsent que sa présence n'était plus vraiment nécessaire à la protection de la Communauté, il avait semblait-il prévu de se rendre à Antelucas pour répondre de la mutinerie de sa compagnie devant les responsables de la banque Lestival. Cependant, il ne se sentait pas en position de refuser cette nomination, d'autant qu'elle ne serait valable que pour quelques veilles, pour quelques mois tout au plus.
Marcus, de son côté, était philosophe : il n'avait aucune envie de devenir conseiller mais, en l'occurrence, il s'agirait simplement - et temporairement - de gérer les affaires courantes; Et de continuer, globalement, à faire ce qu'il faisait déjà, à savoir... s'occuper de l'intendance globale de la Communauté.
Pour le reste, l'heure n'était pas encore à l'occupation de nouveaux édifices aussi éloignés du palais et de la forteresse que l'étaient les temples : il restait des morts-vivants dans la cité et, en l'absence d'Hubert, on ne pourrait recourir au système de téléporteurs. Nul doute cependant que la situation aurait changé quand surviendrait le printemps.

[Galathée]

Avant de partir, Hubert tint à discuter du sceau, et des mesures mises en place pour le protéger, avec Guillermo. Ils ne savaient pas encore quelle structure serait créée pour le défendre, s'ils prendraient l'optique de cacher les choses ou au contraire d'en faire une mission officielle de Clairétoile. Comme il serait absent, ces choses se décideraient probablement sans lui, mais il avait besoin, pour sa tranquillité d'esprit, de s'assurer que le mercenaire avait la chose bien en tête, et quelques idées pour y faire face. De son côté, Albérich passa beaucoup de temps dans le Temple, justement, pour s'imprégner de chacune de ses pièces et, par là, s'ancrer dans les lieux...

[Taliesin]

Comme il y avait des dossiers plus urgents à traiter, Guillermo pensait opter pour la solution la plus simple et la plus pragmatique : fermer et surveiller l'accès aux mines dont l'exploitation n'était de toute façon pas nécessaire dans l'immédiat. Quant à garder le secret, cela semblait illusoire, puisque tous les membres de la Communauté savaient de quoi il retournait. La suite à donner à tout cela serait probablement débattue en Assemblée.
Le gouvernement provisoire fut bientôt mis en place : personne ne se défila, pas même Marthe, aussi fortes aient été ses envies de départ.
Petit à petit, les choses progressaient : on avait reconstruit de solides battants pour les portes est, ouest et sud, qui demeureraient closes en permanence ; on s'attelait à réparer les brèches des remparts sur lesquels on enverrait quotidiennement des patrouilles ; la chasse aux morts-vivants, elle, se poursuivait.

[Galathée]

Ils fixèrent leur départ au premier jour de la troisième veille de Chès, un mois jour pour jour après la défaite ithilienne. Plus la date se rapprochait, plus Albérich s'habituait à l'idée de voyager dans les landes, plus Hubert hésitait. Il se sentait terriblement coupable d'abandonner la cité, même s'il était convaincu qu'ils parviendraient à s'en sortir parfaitement sans lui. C'était le paradoxe du paladin lathandrite : désir de protéger, certitude que tout irait bien. Albérich l'écoutait sans broncher, tranquille. Ils avaient défini leur parcours : Grand-Estuaire, un bateau jusqu'à Evendum, puis à cheval jusqu'à Maleval, remontée vers le vallon noir, puis Luménis où le clerc irait sans le paladin, un passage par Eredhun, sans doute, ensuite Combeloup, enfin la Trouée, Lunaros, et un nouveau bateau jusque Grand Estuaire. C'était une longue route en perspective, mais ils comptaient la boucler pour l'automne, au pire, pour le milieu de l'été, au mieux.

La veille du départ, Hubert alla vérifier à la forteresse que les chevaux qu'ils emmenaient — Douce et Placide avaient, contre toute attente, survécu — étaient en bonne santé, puis il se mit en quête de Guillermo. Il avait besoin de s'entendre dire, une fois encore, qu'ils s'en sortiraient sans lui, et malgré son amitié pour Edgar et Gaspard, pour les jeunes paladins, c'était la parole du mercenaire qui avait le plus de poids.

[Taliesin]

L'ambiance au sein de la Communauté avait imperceptiblement changé au cours des jours précédents. Elle restait bonne, pleine d'allant mais... non, le départ d'Albérich et d'Hubert ne laissait personne indifférent. Ils avaient, et de loin, été les deux personnalités les plus marquantes de la Communauté depuis que celle-ci avait pris la route : ils avaient présidé à ses destinées, s'étaient illustrés en maintes occasions et avaient accompli l'exploit ultime, une descente aux enfers pour refermer la faille et, ce faisant, empêcher l'invasion diabolique. Bref, même si ce n'était que temporaires, même s'ils s'étaient efforcés d'être plus discrets... la cité naissante allait perdre beaucoup, avec eux.
Guillermo s'efforça de rassurer au mieu le paladin, lui rappelant toutes les mesures prises, évoquant celles envisagées en cas de problème. Il n'était pas du genre à se livrer à de grandes effusions mais Hubert sentit bien qu'il regrettait son départ.

[Hubert de Maleval]

Cette atmosphère rendait Hubert dingue. Il n'était pas du tout persuadé qu'il parviendrait à partir le lendemain, hésitait à changer brusquement d'avis et rester. C'était à moitié irrationnel, à moitié très réfléchi. Il était conscient du malaise que causait leur départ, et il se sentait cruel de l'infliger à cette cité naissante. Dans le même temps, il savait que ce pèlerinage était critique pour qu'ils puissent, tous les deux, s'impliquer ensuite sans retenue dans le projet de Clairétoile.
" Est-ce que tu seras encore là quand je reviendrai ?" demanda-t-il au mercenaire, verbalisant sa seconde inquiétude.

[Taliesin]

-Je crains fort d'être bloqué ici pour de longs mois, oui, soupira le mercenaire. Même si la Communauté parvient à élire un nouveau Conseil, même si l'un de tes officiers accepte de prendre la défense en charge, je suis prêt à parier qu'il me demandera de rester pour lui servir... de consultant, disons. D'un côté, ça m'ennuie, parce qu'il y a certaines démarches à l'extérieur que je me dois d'accomplir. De l'autre, j'imagine que cela fait partie du remboursement de ma dette à votre égard.

[Hubert de Maleval]

La réponse du mercenaire, même si elle était amère, soulagea grandement le paladin. Pas vraiment parce qu'il craignait de voir la communauté déforcée en l'absence de Guillermo... Surtout parce qu'il s'inquiétait de ne plus le revoir.
" Quand je serai de retour, tu pourras faire un rapide raid sur Antelucas. Ensuite, la banque Lestival acceptera bien que nous t'embauchions."
Il sourit.
" Choisis-toi une jolie maison."

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Et depuis quand ai-je dit que j'allais renoncer à mon indépendance, à ma vie itinérante et à l'espoir de recréer une compagnie pour entrer définitivement au service de la Communauté ? Je crains que tu ne prennes tes désirs pour des réalités, Hubert : ce combat-là, tu ne l'as pas encore gagné, loin s'en faut.