[Lieu] Entre Helonna et Dorrandin

[Taliesin]

Il s'empourpra aussitôt.
Non, la nuit n'avait pas été calme, contrairement à ce qu'il avait pu imaginer. Elle avait, au contraire, dû être terrible et, tout entier à ses songes extraordinaires, il n'avait rien perçu.
-Je suis désolé... répondit-il en s'asseyant, très embarrassé. Honnêtement, il fallait venir me secouer, j'étais tout prêt à filer un coup de main...
D'autant plus prêt que réconforter autrui était l'un des buts principaux, sinon le principal, de la profession de barde.

[Galathée]

Guéric sourit.
" Mais nous t'avons secoué. Tristan t'a hurlé dans les oreilles, aussi. Galathée t'a embrassé, comme dans les contes... Finalement, Aegir est venu t'examiner, parce que... c'était quand même un peu inquiétant. Je n'ai connu qu'une seule personne qui dormait aussi profondément que toi et, excuse-moi du parallèle mais... c'était un troll apprivoisé. Bref, notre bon clerc a décrété que tu allais bien mais que tu étais dans une sorte de... torpeur. Ainsi soit-il. Nous avions des choses plus urgentes à gérer, sur le moment. Mais ne t'en fais pas... Tout le monde va bien et finalement... tu as joué diversion, ce n'était pas plus mal."

[Taliesin]

Il songea à Baptiste, sujet à de violents cauchemars, à Galathée, qui avait peut-être fait de mauvais rêves, elle aussi, sans compter qu'elle avait dû s'inquiéter et s'occuper seule des jumeaux...
Pas glorieux, décidément.
Assez lamentable, même.
Certes, ses songes, qui n'en étaient pas vraiment, expliquaient sans doute ce que le clerc avait qualifié de torpeur.
Pas très réconfortant...
-Hum, désolé, à nouveau, lâcha-t-il, désormais cramoisi. Je ferai en sorte de me rattraper, aujourd'hui, histoire que vous puissiez vous reposer...

[Galathée]

" Ne t'en fais donc pas. C'est sans doute le contrecoup des émotions des dernières veilles... pour ne pas dire des derniers mois... Tout a été tellement incertain jusqu'à aujourd'hui... Personne ne t'en veut. Bon, les gamins vont sûrement te chambrer, mais ça leur permettra d'éviter de mentionner leur propre nuit. Et je pense que tu auras largement de quoi te rattraper dans les jours qui viennent... Enfin, sauf si tu nous fais le coup chaque nuit, auquel cas Kerun a promis de retravailler avec toi la transe elfique."
Il sourit.
" Bon... Un thé ? Du gruau ? Il y a du pain aussi... et la confiture n'est pas dégueulasse."

[Taliesin]

Bon : il avait fait office de diversion durant la nuit et, au cours de la journée à venir - et des suivantes, probablement - il serait la cible de toutes les plaisanteries... En fait, à bien y réfléchir, il avait joué et jouerait encore son rôle de barde, même si c'était à son insu. Alors mieux valait ne pas trop culpabiliser à cause de cette embarrassante mésaventure, prendre la situation avec le sourire et faire son possible pour continuer à détendre l'atmosphère.
C'est donc en essayant de reprendre contenance qu'il entreprit de se servir, bien décidé à ne pas trop s'attarder : il devait aller retrouver Galathée et lui prêter main forte avec leurs enfants.

[Galathée]

Comme l'avait prévu Guéric, Galathée se montra davantage soulagée qu'irritée. Elle lui avoua qu'elle avait craint un moment qu'il n'ait été victime d'une malédiction ramassée à Mélandis, une sombre punition en guise de récompense pour son coup d'éclat chez les Bainites, par exemple. Elle espérait qu'il dormirait moins profondément la nuit suivante mais comprenait un besoin de décompresser après leurs aventures. Les garçons, de leur côté, le charrièrent, mais surtout pour connaître son secret. Ils décrétèrent qu'il serait tenu de leur raconter des histoires riantes avant le coucher pour protéger leurs rêves. Aucun ne s'attarda cependant sur leurs mésaventures nocturnes. Taliesin se retrouva rapidement à marcher de long en large sur le pont, un bébé sur l'épaule, tandis que les marins vaquaient à leurs occupations. Il se récolta de nombreux sourires attendris tandis qu'il circulait. Les trois gamins et leurs trois homologues féminines semblaient un peu désoeuvrés, de leur côté : sans doute leur faudrait-il quelques jours avant qu'ils soient parfaitement acclimatés à ce nouvel environnement.

[Taliesin]

Peu à peu, l'elfe finit par se sentir mieux, par chasser sa gêne et ses interrogations quant à ce qui avait peuplé sa nuit. Bien sûr, il n'oublierait rien, et le sujet continuerait à lui poser sérieusement question ; peut-être même finirait-il par en toucherait un mot à sa compagne. Mais, dans l'immédiat, il avait de quoi s'occuper les mains et la tête, et il ne demandait pas mieux. D'abord, faire son devoir de père, ce qui durerait jusqu'à la prochaine sieste des jumeaux. Ensuite, il verrait où il pourrait se rendre utile, ne serait-ce qu'en trouvant un moyen d'occuper les plus jeunes passagers.

[Galathée]

La sieste des jumeaux vint environ une heure après son lever. Galathée lui proposa de les accompagner sous le pont car elle avait des heures de repos à récupérer. Elle lui signala que Judicaël voulait lui parler et qu'il se trouvait sur le château arrière avant de s'esquiver. En réalité, le clerc de Mystra voulait prendre congé. Ses pouvoirs de téléportation lui auraient permis de les accompagner pendant plusieurs jours mais il réalisait que ce faux retour au pays lui faisait peu de bien, et il espérait qu'on lui pardonnerait de les abandonner avec tant d'enfants à bord. Il avait hésité à reprendre Prudence avec lui, mais avait finalement décidé de ne rien en faire : Mélandis n'était pas un endroit pour grandir, et le Temple de Moandre était un endroit trop incertain, dont la sécurité pouvait s'effondrer trop aisément. Il souhaita bon voyage à Taliesin et l'enjoignit de ne pas craindre le futur : Lathandre était le dieu du pardon, les Luméniens s'en souviendraient immanquablement.

[Taliesin]

Le barde promit qu'il s'en souviendrait, lui aussi, et qu'il serait optimiste. Ce n'était pas un mensonge : c'était juste une déclaration un peu trop affirmative, car il savait que le doute et l'inquiétude le tenailleraient malgré tout, mais il ne voyait pas la nécessité de le souligner. Ensuite, il lui fit de chaleureux adieux et l'engagea, quand il retournerait sur Helonna, à venir leur rendre visite à la ferme où, l'assura-t-il, on lui réserverait l'accueil qu'il méritait.
Même si je ne m'y trouve pas... songea-t-il sans pouvoir s'en empêcher.

[Galathée]

Le clerc prit acte puis s'éloigna. Il n'incanta cependant pas immédiatement mais se rendit dans la cabine du capitaine. Sans doute devait-il s'entretenir avec Kerun avant de partir définitivement. Taliesin put alors se mettre en quête des enfants mais la plupart d'entre eux s'étaient trouvé une activité : Gurvan avait été embauché en cuisine, Hippolyte tenait la barre, Baptiste lisant à ses pieds, et les deux petites filles les plus âgées s'essayaient à la pêche à l'arrière du bateau. Seule Prudence errait encore, comme un chat sauvage, lorgnant les marins de ses yeux soupçonneux.

[Taliesin]

Il avait pensé retourner dans sa cabine pour y lire tranquillement et, surtout, pour se tenir prêt à prendre en charge les jumeaux sitôt qu'ils se réveilleraient - et juste avant qu'ils n'arrachent la malheureuse Galathée à son repos mille fois mérité. Cependant, voir la petite fille errer ainsi le chagrina et, changeant ses plans, il se dirigea vers elle. Il ne savait pas vraiment s'il trouverait une manière de l'occuper mais, au moins, il allait essayer...

[Galathée]

Mais Prudence se satisfaisait parfaitement de ses rondes et elle parut surprise qu'il veuille l'en détourner. Aussi put-il s'en tenir à son programme et gagner l'étage inférieur. Dans sa cabine, tout le monde dormait paisiblement. La mer était tranquille, la Polissonne glissait sur les vagues sans secouer ses passagers. Les jumeaux, qui avaient sans doute eux aussi souffert de la nuit agitée, ne s'éveillèrent pas quand Guéric vint prévenir le barde que le repas de midi était servi. Galathée émergea, de son côté, mais sembla ne pas craindre d'abandonner les bébés un moment. Ils mangèrent du poisson et le cuistot les prévint qu'ils avaient intérêt à s'y faire car ils en auraient désormais tous les jours. Personne n'osa protester.
Après le repas, Guéric l'informa que les marins de la Polissonne avaient l'espoir qu'il leur conte, tôt ou tard, les aventures de Mersant et surtout la fin de l'histoire, à partir du moment où il avait affronté le Kraken et le Squale. Il lui suggéra de ne pas hésiter à en informer Galathée, histoire que la rôdeuse n'apprenne pas leurs mésaventures de manière détournée, sauf s'il espérait qu'une jolie complainte adoucirait la vérité.

[Taliesin]

Il assura le halfelin qu'il ne manquerait pas de narrer cette histoire et de fait, le jour même, sitôt qu'il en eut l'opportunité, il se mit à rassembler ses souvenirs et à coucher des notes sur le papier, le faisant d'autant plus sérieusement qu'il s'était engagé auprès de Victor à mener cette tâche à bien : c'était une manière, comme il en avait alors convenu, de rendre hommage à ceux qui n'avaient pas survécu. De surcroit, comme il l'avait annoncé à l'époque, il se gomma soigneusement du récit : raconter ses propres actions n'était pas, à son avis du moins, très professionnel... Évidemment, il guetta aussi une occasion de discuter avec Galathée car il valait mieux qu'elle apprenne, avant tous les autres, que son fils avait été un temps prisonnier de matrones drows puis capturé par Squale en personne...

[Galathée]

Petit à petit, l’équipage et les passagers de la Polissonne prirent leurs marques. Bien sûr, les premières nuits furent agitées. La traversée de Luménis à Mélandis avait été traumatique pour tous les enfants, à des degrés divers. Au fil de leurs cauchemars, ils en racontèrent des bribes aux adultes venus à leur chevet, Galathée, Guéric, Aegir, Taliesin désormais, parfois Kerun, souvent Polyanna. Leurs récits étaient décousus, parfois terribles, certains éléments manifestement fantasmés, du moins fallait-il l’espérer. Diverses stratégies s’avérèrent payantes pour tempérer leurs émotions chaotiques. Hippolye reprenait généralement du poil de la bête en sortant un moment sur le pont pour s’aérer. Baptiste avait besoin de parler, parler, parler puis se rendormait généralement au milieu d’une phrase. Prudence voulait une histoire, Marine qu’on lui tienne la main, Inès s’assoupissait entre les bras d’un adulte compatissant. Parfois, Aegir devait user d’un sortilège pour couper court à une crise trop spectaculaire. Contre toute attente, le faucon fantôme de Baptiste, qui se manifesta au cœur du tumulte, se révéla un acolyte précieux : il devint le totem protecteur des dortoirs et sa silhouette laiteuse, d’abord vagabonde, finit par être appréciée de tous. Au bout de quelques nuits, la situation s’était régulée et les nuits devinrent plus calmes. Le seul qui ne s’y habitua pas fut Gurvan, dont le sommeil demeura agité, avec plusieurs réveils angoissés par nuit. La seule solution fut de lui permettre de dormir le jour et de veiller quand il faisait noir. Protégé par le soleil, il parvenait sans peine à se reposer. Au retour de la lune, il se levait et participait aux activités des marins dont c’était le quart, et dont il devint rapidement la mascotte. Comme l’été se profilait, les nuits étaient courtes, et il parvint à conserver quelques heures d’éveil en commun avec ses camarades.

Pour Polyanna et Galathée, les choses n’étaient pas simples non plus, mais elle parurent gérer leurs réminiscences avec dignité. De temps en temps, elles s’écartaient pour parler en tête à tête, peut-être de leur expérience de la servitude, peut-être de tout autre chose. Quand Taliesin s’inquiétait de sa compagne, elle le rassurait en quelques mots, tranquille. Globalement, elle semblait apaisée. Les jumeaux, quant à eux, se firent rapidement au remue-ménage des petites heures et leurs réveils finirent par ne plus dépendre que de leur bon vouloir. Mais le mouvement du bateau semblait les bercer plus efficacement que n’importe quel être vivant et ils devinrent de plus en plus faciles à gérer, dormant les trois quarts du temps. Galathée redoutait le retour sur la terre ferme.

Une certaine routine s’installa de jour également. Les enfants jouaient et se rendaient utiles tour à tour. L’équipage était tolérant et les enfants usèrent du navire comme terrain de cache-cache ou théâtre de grandes aventures de pirates. Le second du capitaine Ventepont plaça des limites très claires pour éviter les accidents et les gosses les respectèrent scrupuleusement (même Hippolyte). Comme ils ne manquaient pas d’imagination, ils parvenaient à rester des heures entières dans leur monde parallèle, n’en émergeant que pour manger ou donner un coup de main ça et là. Ils tenaient la barre un moment, aidaient en cuisine ou à la lessive, nettoyaient les dortoirs, donnaient un coup de main à la pêche ou dans la réparation des voiles.

De son côté, Guéric avait repris du service dans les cordages, malgré sa jambe de bois. Galathée passait la majeure partie de son temps avec les bébés, Polyanna aidait en cuisine, Kerun était devenu invisible. Taliesin, quant à lui, était très populaire auprès des marins, sans doute parce que malgré sa tentative de se gommer de l’histoire de Mersant, tout le monde savait très bien qu’il avait été le héros de l’aventure. Galathée avait écouté le récit de leur périple avec un mélange de philosophie et d’effroi, mais avait exigé que le barde lui raconte l’intégralité de leur voyage, depuis leur enlèvement jusqu’à leurs retrouvailles. Et il ne fit plus de rêves étranges.

Le voyage fut rythmé par quelques menus événements : l’apparition d’un troupeau de Douces, un soir tranquille, qui suivirent un moment le navire ; une rencontre avec un navire militaire luménien, qui les aborda, et avec lequel ils échangèrent quelques nouvelles ; la visite d’un îlot perdu n’abritant ni sirènes, ni drows, ni pirates mais une colonie de mouettes mécontentes du débarquement ; une petite tempête pour secouer les esprits. Le vent était avec eux, le soleil aussi, et ils filèrent bon train jusqu’à ce que les nouvelles d’un naufrage les force à se dérouter pendant quelques jours. Ils récupérèrent un marchand et son équipage dont la frégate avait été frappée par l’orage et envoyée par le fond, puis repartirent vers Luménis.

Ainsi vogua la Polissonne, et au bout de vingt-six jours de mer, les côtes hélonniennes surgirent soudain à l’horizon.

[Taliesin]

Ce moment, Taliesin l'avait guetté avec un mélange d'impatience et d'angoisse qui, à chaque nouveau jour écoulé, s'était fait plus prégnant.

Durant une bonne partie du trajet, il était parvenu à nier ces sentiments contraires en recourant à sa technique favorite : s'occuper la tête et les mains. Heureusement, les activités n'avaient pas manqué. En premier lieu, il s'était occupé des jumeaux et s'était efforcé d'aider ses compagnons, Galathée et Baptiste en particulier mais également tous les autres. Évidemment, pouvoir s'adonner ainsi à l'une des facettes majeures de son métier, à savoir réconforter autrui, n'avait pas manqué de lui faire du bien. Il n'avait pas non plus négligé les autres aspects de la profession de barde, narrant des histoires et jouant de la musique, ce qui, là encore, avait contribué à son équilibre intérieur. Enfin, comme il s'y était engagé, il avait donné quelques conseils au petit garçon qui viendrait s'installer avec eux à la ferme et qui, pour l'heure, travaillait sur le texte dont il lui avait donné un aperçu juste avant d'embarquer sur la Polissonne.

Tout cela, allié aux autres tâches auxquelles il s'attela, comme prêter main forte à l'équipage ou lire l'ouvrage offert par Tim, détourna efficacement ses pensées des ombres à venir. En ce domaine, la rencontre avec les naufragés lui offrit même un sursis bienvenu.

Toutefois, ses inquiétudes n'avaient pas disparu. Elles ne rôdaient jamais bien loin, attendant qu'il baisse sa garde pour émerger de son inconscient. Et plus l'île s'approcha, plus il eut du mal à les ignorer.

Jusqu'à ce que les côtes apparaissent enfin et, d'une certaine manière, concrétisent ses craintes.

Accoudé au bastingage, il essaya de n'en rien montrer. Il refusait de gâcher, ne fut-ce que par une sombre mine, ce moment merveilleux pour tous les anciens captifs. Pour eux, cette terre à l'horizon signifiait la fin du cauchemar, le début d'une nouvelle vie pleine de promesses.

Pour lui...

Il y avait de la lumière, bien sûr. Beaucoup, même, à commencer par les retrouvailles avec Victor, les Merlus, Valaellyn...

Mais il y avait également la face sombre : sitôt quitté le navire, il deviendrait un prisonnier en attente de procès dont les barreaux et les geôliers, certes invisibles, deviendraient terriblements tangibles à certains moments, par exemple lorsqu'il faudrait quitter le domaine, ne serait-ce que pour effectuer quelques courses ou, simplement, se promener, et que lui-même ne pourrait être de la partie. Et puis, il y aurait cette menace planant sans cesse au-dessus de sa tête, ternissant insidieusement chaque instant...

Il s'efforcerait d'être optimiste, ainsi qu'il s'y était engagé auprès de Judicaël. Pour autant, il ne serait pas en mesure de faire totalement abstraction de la part d'incertitude qui, quoi qu'on en dise, marquerait son avenir. Le conseiller Longuehune, pour bienveillant qu'il soit, ne s'était-il pas empressé de communiquer sa confession à ses collègues sitôt après en avoir pris connaissance ? Le gouvernement luménien, quant à lui et nonobstant ses influences lathandrites, n'avait-il pas immédiatement mis sa tête à prix ? Et il était naturellement impossible de leur en vouloir : après tout, il était non seulement le Monstre, mais également celui qui avait eu la bêtise de faire entrer le loup dans la bergerie, de mener Nwalk dans la cité de l'aube, puis qui s'était avéré incapable de s'opposer à ses noirs desseins...

Taliesin réprima un soupir, se fit violence pour afficher un visage ouvert, souriant.

Penser aux autres, ne pas être l'ombre au milieu du lumineux tableau.

Ils avaient mérité ce moment.

Le reste...

Le reste attendrait.

[Galathée]

Le reste n'attendit pas très longtemps. Les côtes étaient apparues depuis moins d'une dizaine de minutes quand Kerun se porta à ses côtés.
" Je dois te parler." dit simplement le Luménien, avant de lui faire signe de le suivre.
Les enfants lorgnaient l'île en bavardant avec animation, mais Polyanna était silencieuse. Galathée suivit Taliesin du regard et lui jeta un sourire confiant quand elle le vit grimper sur le château arrière en compagnie de l'elfe des bois.
Une fois qu'ils furent face à l'océan, Kerun reprit.
" Nous allons aborder avant la nuit. Tous les rescapés resteront cependant à bord dans un premier temps. Nous mouillerons dans la rade militaire. Les enfants seront pris en charge assez rapidement. Gurvan ira au Temple, les quatre autres chez Artwin. Le frère de Polyanna viendra également l'accueillir. Guéric partira aussi. Vous attendrez la nuit. Nous vous convoierons en chariot, directement jusqu'à la ferme. Je ne pourrai pas vous accompagner. Les conditions de ta résidence surveillée te seront exposées par l'officier en charge de l'opération, une fois là-bas. Je suis obligé de me désengager complètement, sans quoi je ne pourrai pas te venir en aide durant le procès."
Il reporta son regard au loin.
" Je sais que tu seras prudent, mais je t'enjoins de respecter les conditions posées scrupuleusement, même si elles te scandalisent. Je ne voudrais pas que tu voles en prison alors que ce n'est pas nécessaire. J'ai aussi besoin de savoir si tu désires voir ton avocat rapidement, ou si tu préfères profiter d'abord d'un mois ou deux de calme."

[Taliesin]

Demeurer impassible et s'exprimer d'une voix égale ne fut en rien difficile : d'abord parce que cela faisait déjà plusieurs minutes qu'il avait entrepris de refouler ses noires ancitipations, ensuite parce que, depuis le temps, il était habitué à la franchise et au pragmatisme de l'agent secret.
-Plus tôt nous commencerons à préparer mon procès, mieux ce sera. De toute façon, vu tout ce qu'il y a en jeu, et même il existe de bonnes raisons de se montrer optimiste... je ne connaîtrai ni calme ni paix tant que tout ne sera pas réglé. Pour le reste, tu n'as aucun souci à te faire : je suis parfaitement conscient d'être un prisonnier jouissant d'une grande faveur, laquelle sera révoquée au moindre écart de conduite. Tu peux donc compter sur moi pour respecter absolument toutes les consignes, quelles qu'elles soient, quoi qu'elles impliquent.

[Galathée]

Kerun s'autorisa un léger sourire.
" Je ne pense pas qu'on t'aura affecté quelqu'un qui a une dent personnelle contre toi... mais on trouve des gens plus ou moins coulants dans la profession. Bref, l'un dans l'autre, nous n'y pouvons pas grand chose."
Il soupira.
" Dans un an, tout cela sera derrière nous. A l'échelle de nos vies d'elfes, ce n'est finalement pas grand chose. Enfin. Je t'enverrai l'avocat dès que possible, dans ce cas. Je le connais, il aura déjà potassé le dossier. Pour le reste, la patience est ta meilleure alliée. Je te souhaite un bon retour parmi les tiens."

[Taliesin]

Un an, ça n'était peut-être rien pour eux, mais pour les siens, justement, c'était énorme, et il espérait que cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, que les conditions encore inconnues de sa détention ne seraient pas trop insupportables pour eux...
-Merci, Kerun.
Il marqua une hésitation.
-Juste un dernier mot, à propos de Baptiste... J'ai songé qu'il aurait peut-être envie de revoir les autres enfants... Et ceux-ci pourraient souhaiter le revoir, aussi... Bien sûr, les faire venir à la ferme sera sans doute impossible. Cependant, s'ils souhaitent parfois se retrouver... Pense-tu envisageable que des rencontres soient organisées pour eux ?

[Galathée]

Kerun pinça les lèvres.
" Taliesin, hormis toi... Tout le monde peut aller et venir. Si Galathée se rend à Luménis avec Baptiste, elle pourra l'emmener voir Gurvan ou Hippolyte... Bon, si les enfants sont adoptés, après, ce sera le choix de leurs nouveaux parents de les laisser en contact ou pas, mais... au delà de ça... Il est même possible que vous les invitiez à la ferme, si vous le désirez. Mais je pense que vous devez songer à leur laisser un peu de temps pour se stabiliser dans leur nouvel environnement. Peut-être surtout pour ceux qui n'auront pas de foyer..."
Il soupira.
" Je n'aurai pas le temps de m'occuper de tout ça, Taliesin. Je viens déjà de... me promener pendant plusieurs mois. Je ne te dis pas la hauteur de la pile de dossiers en retard qui va m'attendre dans mon bureau. Mais en cas de crise, je serai là."

[Taliesin]

Le barde se fendit d'un sourire embarrassé.
-Je sais bien cela, comme je sais que tu vas être extrêmement occupé. Simplement... tu es mon seul contact parmi les autorités luméniennes, le seul du moins dont je connaisse la position à mon égard. Honnêtement, vu ma situation, je me verrais mal faire la moindre esquisse de demande à quelqu'un d'autre... Cependant, s'il s'avère que je doive en faire une, sans que cela revête un caractère cruciale... Je passerai par une personne de mon entourage moins susceptible que moi de susciter l'hostilité.
Il soupira puis sourit à nouveau, cette fois plus franchement.
-Quoi qu'il en soit, je voudrais profiter de l'occasion afin de te remercier à nouveau pour tout ce que tu as fait pour nous. Si tout cela se termine finalement bien... tu n'y seras pas étranger, loin s'en faut.

[Galathée]

" Tout se terminera bien, dit Kerun, de cela, tu ne dois pas douter. Ce sera pénible, mais il y aura une fin heureuse."
Il lui serra la main, lui sourit, puis s'écarta, le laissant à nouveau seul à ses pensées. Cela ne dura pas cependant, car Galathée en profita pour le rejoindre, guettant sans doute la fin de son conciliabule avec l'espion.
" Un retour doux-amer, pour toi aussi... murmura-t-elle en lui prenant la main. Finalement, il n'y a que moi qui rentre le coeur léger... presque léger."

[Taliesin]

Il entremêla ses doigts aux siens.
-Surtout, ne laisse rien ternir ce moment, lui glissa-f-il d'un ton doux. Cette nuit, nous serons de retour chez nous, nous retrouverons Victor et nos amis... Ne pense qu'à cela, car c'est tout ce qui compte. Le reste, ma foi... Il ne s'agit que de péripéties sur la route qui, bientôt, seront derrière nous.
Il aurait aimé se les épargner. Les leur épargner, plutôt. Mais voilà, c'était impossible. Mieux valait donc s'en accommoder plutôt que s'en désespérer.
Facile à dire...

[Galathée]

Elle s'appuya sur son épaule et soupira doucement.
" Nous serons là pour toi, tous, comme tu as été là pour nous quand nous avions besoin de toi. Ne me garde pas hors de ce qui t'étreint. Je comprendrai."
Des mouettes avaient commencé à les escorter, signe que la terre était proche, et elles criaient dans leur sillage. Sur le pont, les enfants avaient repris leurs jeux, désireux sans doute de profiter une dernière fois de ce terrain original avant de devoir regagner la terre ferme. D'autres navires, petits bateaux de pêche et caraques imposantes, croisaient désormais dans les eaux voisines. Encore quelques heures et ils seraient à quai.

[Taliesin]

Imitant l'exemple de leurs jeunes compagnons de voyage, Taliesin décida de ne rien changer à ses habitudes, de s'adonner exactement aux mêmes activités que les jours précédents : à son avis, c'était le meilleur moyen de repousser quelque peu les craintes qui lui nouaient la gorge. Toutefois, n'ayant guère la tête à la lecture, il s'abstint de regagner sa cabine, hormis pour s'occuper des bébés. Il préféra plutôt demeurer aux côtés de Galathée, de Guéric et du reste des passagers, puisant du réconfort dans une chaleur humaine décidément salvatrice.

[Galathée]

Ils gagnèrent le port en chevauchant paresseusement les vagues. Le nombre de bateaux augmentait autour d'eux et le capitaine prit la barre pour manoeuvrer sur les derniers milles. Ils arrivèrent en vue du port et les Luméniens reconnurent les bâtiments, la forteresse dressée au loin, la capitainerie, le dôme du Temple de Lathandre qui surplombait légèrement les autres bâtiments, vers le sud, le fourmillement sur l'esplanade. Mais ils ne se dirigèrent pas dans cette direction, évitèrent les zones marchandes, et les marins commencèrent à s'affairer sur le pont. On conseilla aux passagers de regagner leurs cabines ou d'aller sur le château arrière pendant les manoeuvres. La plupart d'entre eux optèrent pour l'extérieur, et c'est ainsi que la Polissonne entra dans la rade militaire.

[Echo]

Personne n'avait plus jamais reparlé de cette nuit-là, cette fameuse nuit où ils avaient quitté Manost à la hâte, sans même un regard derrière eux. Une bourse remplie d'or avait convaincu un marchand de lever l'ancre quelques heures plus tôt que prévu et le navire s'était bien vite retrouvé à fendre les flots vers une destination qui, à ce moment précis, n'importait guère à ces passagers surprises. Ils étaient au nombre de trois, deux tieffelins et un enfant, et formaient là une bien curieuse équipe que l'équipage, une fois bien réveillé, dévisagea comme des bêtes curieuses.

Cette défiance augmenta davantage au fil des jours, à tel point que l'ambiance sur le navire devint par trop pesante. Elzen, barde de son état, joua de ses talents de diplomate pour apaiser les tensions qui commençaient à naître mais le comportement de sa compagne ne fit rien pour l'y aider, bien au contraire. Chance s'était plongé dans un mutisme total et son seul regard dissuadait le tout venant de l'approcher de trop près. Ulysse, quant à lui, n'était pas aussi bavard et enjoué que d'ordinaire et se contentait bien souvent d'observer le large sans mot dire, un comportement qui s'expliquait sans doute par les récents événements.

Le barde aurait peut-être pu trouver un allié dans la personne d'Augustin s'il avait été capable de le voir, malheureusement ce n'était pas le cas. Le fantôme aurait pourtant aimé parler à quelqu'un, n'importe qui, puisque la seule oreille qui pouvait l'entendre avait choisi de l'ignorer royalement. Alors il errait comme une âme en peine sur le pont, et se surprenait parfois à espérer qu'une vague monstrueuse engloutisse ce navire et mette fin à cet ennui mortel... puis se rappelait qu'il était déjà mort et qu'un événement de ce genre n'arrangerait en rien ses affaires.

Il fut une chose qui arriva toutefois à distraire tout le monde de la morosité du voyage : la musique. Mais ce ne fut pas assez pour faire taire les rumeurs qui commençaient à circuler sur le bateau. Elzen s'était peut-être attiré la sympathie des matelots, mais ce n'était pas le cas de sa compagne. Leur trio était également très étrange au yeux de tous et bientôt une question se fit entendre sur toutes les lèvres : pourquoi avaient-ils à ce point tenu à quitter Manost à la hâte si ce n'est pour fuir quelque chose ? Et surtout : que faisaient-ils avec un enfant sur les bras, enfant qui n'avait visiblement aucun lien de parenté avec eux ?

Lorsqu'il glissa quelques mots à ce sujet à Chance, celle-ci haussa les épaules.
- Tu crois que je l'ignore ? J'ai des yeux et des oreilles partout sur ce bateau.
- Ouais, d'ailleurs je démissionne !
Elle poursuivit comme si de rien n'était.
- "La cornue", c'est comme ça qu'ils m'appellent quand ils pensent que je ne les entends pas. Est-ce qu'on doit vraiment s'inquiéter de ça ? Ce n'est pas comme si c'était la première fois que ça arrivait. Et ils ne vont pas se débarrasser de leur seule source de distraction ici. Si tu veux vraiment lancer une grande opération de séduction -elle ricana- ce n'est pas vraiment sur moi que tu devrais compter.

Elle lui fit signe de se retourner pour observer le pont, là où le petit Ulysse flânait.
- Il nous évite depuis... Il nous évite et ça ne donne pas vraiment une très bonne image de nous. Certains sont même allés jusqu'à dire qu'on l'avait enlevé à ses parents. Et je ne peux pas aller lui parler. Qu'est-ce que je pourrais bien lui dire d'ailleurs ? "Désolée d'avoir tué ton père" ? Va lui parler si tu veux, mais ne me demande pas de le faire.

[Elzen]

« Chance… »

Était-ce vraiment la peine d'avoir fait tant pour retrouver ce gamin si les choses continuaient de cette manière ? Entre ce qui s'était passé lorsque le père du gosse était brusquement revenu d'entre les morts et son comportement actuel, la tieffeline semblait avoir décidé que, de toute façon, les choses n'iraient pas.

« Je vais aller lui parler, ne t'inquiète pas pour ça. »

En fait, ce ne serait pas la première fois du voyage.
Chacun des deux compagnons percevait les choses à sa manière, bien sûr : la demoiselle était habituée de longue date à être la cible des rumeurs et des suspicions, et pour elle, il était évident que le gosse lui en voulait et que l'équipage les percevaient comme deux tieffelins voleurs d'enfants. De son point de vue à lui, les choses étaient loin d'être aussi noires : en ce qui concernait l'équipage, le fait qu'il était tieffelin ne sautait jamais vraiment aux yeux. Certes, la plupart des gens sentaient un certain trouble en sa présence ; mais la proximité d'une authentique tieffeline, connue et reconnue comme telle, et dont il ne s'éloignait jamais trop au cas où, devait aider à noyer le poisson en faisant considérer qu'elle en était la cause plutôt que lui. Et son apparence physique et celle du gosse, si elles n'étaient pas particulièrement identiques, n'étaient pas spécialement dissemblables non plus : compte tenu des différences dues à l'âge, Ulysse pouvait fort bien passer pour son fils légitime – d'ordinaire, Elzen semblait un peu trop jeune pour être père d'un enfant de cet âge ; mais il avait prit quelques précautions – aidées, il fallait le dire, par la fatigue et les événements récents – pour se vieillir quelque peu.
Certains membres de l'équipage, sans doute, devaient soupçonner un rapt ; mais le fait qu'ils laissent l'enfant libre de ses mouvements, et que celui-ci, malgré son attitude pensive, n'ai ni spécialement pleuré, ni spécialement semblé apeuré, devait plaider en leur faveur. De son point de vue, l'histoire que devaient se raconter la plupart des marins sans oser questionner – mais qui suffisait à créer un climat particulier, assez pesant pour que Chance le prenne avec bien davantage de pessimisme – était d'une autre nature : l'enfant pouvait être le sien, eu avec une précédente femme. À la mort de celle-ci, il s'était entichée de cette drôle de créature, ce que le reste de sa famille, Manostienne par tous aspects, n'avait pas apprécié, au point qu'il ait brusquement prit le large avec son fils et sa nouvelle compagne. Lesquels ne s'entendaient pas nécessairement très bien, l'enfant regrettant encore sa véritable mère.
Quoiqu'il n'ait pas encore prit la peine de raconter ouvertement cette histoire, le tieffelin veillait à laisser autant d'indices et de sous-entendus que possibles allant dans ce sens, afin de l'ancrer dans les esprits. C'était, après tout, l'une des choses que son métier de barde lui rendait facile. Et pour ce faire, il avait notamment une attitude assez paternelle, protectrice envers l'enfant, même si son premier soucis demeurait la « nouvelle » élue de son cœur.
Cela fonctionnait-il ? Sans doute pas parfaitement ; mais néanmoins toujours mieux que ce qu'elle semblait imaginer.

« Mais ne dis pas que tu as fais ça : c'est parfaitement faux. Tu n'es responsable de rien. Tu es tombée par hasard sur ce type ; il t'a proposé un boulot, et n'a pas respecté ses propres engagements. Tu ne pouvais ni le prévoir, ni l'empêcher ; et ce n'est pas de ta faute. Ulysse le sait, lui. »

Sans doute, si ces deux-là pouvaient se parler, cela arrangerait bien des choses. En fait, si quoi que ce soit pouvait ramener un peu de son optimisme d'antan dans l'esprit de la demoiselle, cela arrangerait ce qui était à ses yeux le principal point noir de la situation. Alors, oui, sans doute, aller parler au gamin serait l'une de ses prochaines actions. Mais il n'avait pour autant pas l'intention de tourner le dos si vite à celle qu'il aimait.

[Echo]

Le savait-il vraiment ? Lorsqu'elle l'observait discrètement, elle surprenait parfois son regard s'attarder sur elle, et ce qu'elle y voyait lui faisait peur. Ulysse avait beau être un enfant, il n'était pas stupide. Si je n'avais jamais croisé son chemin, son père serait probablement encore en vie. C'était ce genre de pensées qui accaparait son esprit du soir au matin et du matin au soir. Certes, ce n'était pas elle qui avait plongé un poignard dans le cœur de cet homme, mais lui amputer toute responsabilité... Non, Elzen ne comprenait pas ou faisait mine de ne pas comprendre.

- C'est inutile, j'ai déjà essayé, encore et encore. Autant parler à un mur...

Les paroles d'Augustin avaient souvent le don de la mettre hors d'elle en très peu de temps et c'était souvent ce qu'il cherchait à faire, sans vraiment l'avouer directement. Le fantôme avait toujours eu recours à des méthodes énergiques pour crever les abcès, ne ménageant ni sa cible ni ses efforts, et arrivait parfois à sortir du positif d'une dispute qu'il avait lui-même déclenchée. À ses yeux, le tieffelin se montrait peut-être un peu trop doux avec celle qui pourtant faisait vivre un enfer à tous ceux qui avaient le malheur de l'approcher ces derniers temps, qu'elle en soit conscience ou non.

Mais cela ne prenait plus, Chance ne montrait plus aucun signe de colère, ni d'agacement. Tout juste semblait-elle remarquer sa présence.

- Si tu le dis.

Si Elzen avait des scrupules à tourner le dos à sa compagne, la réciproque était loin d'être vraie, et Chance tourna ostensiblement le dos au tieffelin, mettant un terme à leur conversation.

- Et si on la jetait par dessus bord ? proposa inutilement le fantôme.

Heureusement que dans toute cette histoire, il y avait Ulysse. Le garçon, peut-être un brin mélancolique depuis qu'ils avaient quitté Manost, était souvent de bien meilleur compagnie. Il avait l'habitude de flâner tout seul sur le point, mais parfois sa curiosité d'enfant reprenait le dessus et il se retrouvait à poser plein de questions aux marins qui se prenaient au jeu en lui expliquant tout et n'importe quoi au sujet des bateaux. Ulysse avait donc appris tout un tas de choses pendant le voyage, ce qui avait rassuré Elzen quant à sa capacité à s'intéresser à autre chose qu'aux paladins.

Lorsqu'il s'approcha de lui, le gamin lui sourit aimablement.

- Il bouge beaucoup ce bateau, ça donne un peu envie de vomir. Gus m'a dit de fixer un point à l'horizon quand ça arrivait.

[Elzen]

Quelle humeur charmante… il y aurait sans doute besoin de pas mal de travail pour retrouver le caractère souriant de la voleuse qu'il avait brièvement rencontrée à Melandis. Mais c'était le genre de tâches qu'il était prêt à prendre en charge. Seulement, ça ne se ferait pas comme ça.

La tieffeline ayant clairement signifié qu'elle en resterait là pour le moment – mais pour le moment seulement ; ça, Elzen en avait la ferme intention –, le barde se dirigea vers le gamin. Sans doute faudrait-il faire appel à lui : il lui semblait indispensable que ces deux-là finissent par discuter ensemble.

« Ça bouge pas mal, oui… c'est le problème avec les petits bateaux. Plus ils sont gros, plus ils sont stables. Mais que ça bouge, ça peut aussi être amusant, non ? »

Et cette mer-ci était plus calme, en tout cas dans l'immédiat, que certaines autres sur lesquelles le tieffelin avait séjourné, fort heureusement. Celui-ci s'était agenouillé devant l'enfant, lui passant la main sur l'épaule d'un air souriant.

« Et à part le mal de mer quand ça bouge trop, tu te sens bien ? »

Bien sûr, il n'y avait pas que l'état de santé de l'enfant qui l'inquiétait ; mais il valait mieux ne pas être trop brusque dans ses demandes.