[Boutique] La Vierge d'Argent

[Althéa]

Une femme se trouvait derrière le comptoir. Elle était d'un âge indéterminé et ne portait pas d'armes mais l'homme sentit la menace larvée qu'elle représentait s'il osait s'en prendre à elle. Il en allait sûrement de même pour la plupart des clients.

Elle achevait de remplir un bocal de feuilles séchées - un observateur attentif aurait reconnu sans mal la valériane - avant de lever la tête vers lui et de le gratifier d'un sourire aimable.

"Bonjour. Que puis-je pour vous ?"

[Eliaëdel]

« Bonjour madame. » Un sourire fin et courtois et une brève inclinaison de la tête répondirent a l'apothicaire.

« J’aurais besoin de votre expertise. Pour une question qui m’est vitale. » L’homme fit une petite pause.

« Je recherche une plante rare. Très rare sous ces latitudes même. Particulièrement élusive. Mais je pense qu’une herboriste qualifiée telle que vous me semblez l’être saurait me donner quelques indications. »

Il sortit un fin carnet a la couverture de cuir en s’approchant du comptoir.

« Mais je pense qu’un croquis sera plus parlant et plus respectueux de votre temps. Il se peut que certains détails ne soient plus d’actualité. L’artiste responsable de ce dessin avait une sensibilité… particulière. »

Il ouvrit le livret avec précaution, révélant un portrait sur un vélin vieilli par le temps. Un visage elfique, une moue narquoise, et un regard intense. Calculateur. Avec un nom calligraphié avec soin : « Eliaëdel ».

[Althéa]

Si Delcia reconnut la jeune femme, elle ne laissa rien paraître. Peut-être n'avait-elle pas vraiment de quoi être surprise après tout. Une personne comme Eliaëdel traînait les ennuis avec elle comme d'autres collectionnaient les bouilloires. C'était écrit sur sa figure. Elle demanda à l'inconnu.

"Et que voulez-vous à cette plante rare ? J'imagine que ce n'est pas pour un herbier ..."

[Eliaëdel]

« Pas d’herbier, madame. » Le regard de l’homme devint songeur.

« Vous pensez bien qu’aucun être normalement constitué ne souhaiterait se lancer volontairement dans une pareille collection. Les risques sont bien trop évidents, pour une récompense souvent nulle. »

« Mais il se trouve que j’ai pas le choix. » Le sourire s’estompa légèrement, et ses doigts jouèrent distraitement auprès de la bague de bronze aux motifs finement ciselées – probablement elfiques, bien que seul un examen approfondi permettrait de lever le doute – autour de son index. Un haussement d’épaule fataliste. Il précisa, en pesant chaque mot avec précaution. La malédiction qui le poursuivait ne lui permettait pas d’être aussi explicite qu’il le souhaitait. Plus exactement, il pouvait être plus précis, mais au prix d’une douleur qu’il n’était pas prêt à endurer.

« C’est un remède. Je souffre d’une condition particulière, et la personne qui peut m’en guérir requiert cet ingrédient. »

Il n’était pas dupe pour autant. Qu’il la livre, et il finirait son existence comme elle. Quoique de manière légèrement plus miséricordieuse, car plus rapide. La compassion ne faisait pas partie du vocabulaire de sa commanditaire.
Briser le sort ne lui serait possible qu’avec des alliés, mais sa foi en la nature humaine lui murmurait qu’il aurait plus de chances de trépasser de vieillesse avant de trouver l’aide nécessaire. Soit.

« J’ai étudié cette plante durant dans longues années. Sur Féérune. Mais il me semble, aussi surprenant que cela puisse paraître, que ses caractéristiques se soient altérées au fil du temps. »

C’était une manière de formuler les choses. Eliaëdel avait toujours eu une part d’ombre certaine, et il avait toujours été plus sage de se mettre de son cote s’il s’agissait de faire équipe avec elle. Et cela avait été le cas six ans durant. Et malgré cette violence qui pouvait surgir dans les instants de menace, il subsistait en elle une part de spontanéité et d’insouciance qui semblait avoir désormais disparu.
Le souvenir du charnier dans cette cahute isolée de la Cordillère du Faucon était un signe qui l’inquiétait : la brutalité avait été froide, appliquée avec méthode, et sans limite sur des individus ayant déjà trépassé dans des conditions qu’il ne souhaitait a personne. Pas même a ses pires ennemis. L’image restait gravée dans son esprit.

« Et je dois dire que cela m’inquiète », conclut-il, sans joie et pensif.

« Mais je ne voudrais pas abuser de votre temps. Si jamais vous trouvez -par hasard- quelqu’un pouvant me fournir une piste, je vous serais extrêmement reconnaissant. » L’homme se força a sourire, mais échoua. Sans que cela ne le surprenne.

[Althéa]

C'est Delcia qui sourit à sa place, nullement impressionnée par la leçon de botanique qu'elle venait d'entendre.

"Pouvez-vous me dire à qui ais-je l'honneur ? Vous ne m'avez pas l'air d'être un herboriste renommé. A Manost tout du moins. Vous savez, la plante que vous cherchez est tellement rare ... Elle a implanté quelques temps ses racines en ville. Mais je ne sais pas vraiment où elle est allée ensuite. Elle est plutôt versatile."

[Eliaëdel]

« Pas un herboriste, non. Mais il faut parfois apprendre de nouvelles choses. » Initialement, il n’était pas même un voyageur ; il préférait l’activité bruissante d’une ville. Non qu’il ne soit trop délicat pour la route. Il avait réussi à survivre, bon an mal an, à des années de voyage, une guerre, et quelques mois de prison. Et il comptait bien continuer sur cette lancée. Quand ses talents de discrétion ne suffisaient plus, le couteau apportait des réponses satisfaisantes et rapides. Mais l’homme préférait fuir les combats qu’il ne pouvait remporter.
Il hocha la tête. Eliaëdel avait été à Manost. Non que la révélation en soit une, mais en avoir la confirmation était toujours utile. Et la femme qui lui faisait face l’avait vraisemblablement connue. Même indirectement.

« Je m’appelle Admar. Je viens de Berdusk. » Ce qui faisait une sacrée trotte depuis les Contrées du Mitan Occidental.
Mais il était hors de question d’en dire plus pour le moment. Parce que s’il était assis dans ce qui était une herboristerie, la clientèle ne ressemblait pas vraiment a celle d’un apothicaire.Trop affûtée. Et probablement aussi trop méfiante. Mais soit, qui était-il pour juger ? Il ne ressemblait lui-même pas vraiment à un botaniste. Il retourna son attention face à son interlocutrice, avec une lueur d’amusement dans le regard. C’était un jeu ou personne n’était dupe.

« Et vous-même, madame ? »

[Althéa]

"Delcia, pour vous servir."

Elle était méfiante - cela se voyait - mais pas apeurée. Elle avait visiblement une arme dont elle savait se servir dissimulée quelque part. C'est elle qui posa la question suivante.

"Et quelles vertus possède selon vous cette plante ? En quoi peut-elle vous servir ? Voyez-vous, je suis moi aussi curieuse et j'aime apprendre."

[Eliaëdel]

« Ah. Une question pour laquelle bon nombre de sages – et de moins sages se déchirent, madame. »


L’homme réfléchit un instant. Il lui fallait penser vite, et efficacement.Un regard vers le carnet, vers le visage couche sur le vélin qui semblait le fixer avec un mélange d’intensité et de sarcasme. Ce don pour la provocation le suivait malgré le passage du temps.

« Ces vertus sont contradictoires. Administrée avec soin, les effets peuvent être bénéfiques. Une dissipation de l’ennui. Une stimulation des compétences artistiques et des capacités d’attention.Même si cela semble provoquer chez d’autres patients une diminution notable des facultés de patience, voire de l’irritabilité. »


Comment dire ? Il ne pensait jamais avoir à formuler un phrase aussi chargée en euphémisme. Et l’homme qui avait connu Eliaëdel ne savait probablement pas que ce mot pouvait bien signifier, alors. Mais sa vie était notoirement plus simpleàce moment. Savoir d’où viendrait le prochain instant de calme, la prochaine lame à éviter,et les prochaines pièces d’or.Et ce n’était pas cette simplicité qui lui permettrait de se sortir des ennuis auquel il faisait face. Il payait encore son manque d’anticipation. Il poursuivit, donc :

« À forte dose, cela semblerait causer une démence certaine, couplée a des sautes intenses d’agressivité. D’autres prétendent qu’ingérer une trop grande quantité cause une mort douloureuse et pénible. »
Quant à savoir pourquoi une telle plante constituerait un remède pour ma condition, c’est une question a laquelle j’ai peu de réponses. Je ne suis hélas pas herboriste, et cela dépasse mes compétences. Et ce secret est jalousement gardé. »


Il haussa les épaules, faussement désinvolte. « Si un autre remède, était à ma disposition, croyez-moi, mon choix serait vite fait. Mais il faut parfois jouer avec les cartes qu’on a en main. »

[Althéa]

Delcia leva un sourcil devant l'énoncé des vertus de la plante en question.

"Et que feriez-vous si vous la trouviez ? J'imagine que vous ne comptez pas la réduire en poudre pour la boire dans un flacon ... Vous voyez, je ne cautionne pas les meurtres et je n'aime pas beaucoup les chasseurs de prime ... Votre discours est bien beau mais il ne m'éclaire pas du tout."

[Eliaëdel]

Bien. Les masques tombaient. Voilà qui faciliterait tout au moins la communication.

« Je sais me débrouiller, madame, fort convenablement, même. Mais en l’occurrence, je la connais trop bien. Beaucoup trop bien. La réciproque est également vraie. Et connaissant son tableau de chasse, elle n’aurait aucun souci a m’y ajouter. La sentimentalité n’a jamais été sa principale force. »

Admar sourit, luttant de plus en plus contre le mal-être qui l’oppressait de plus en plus implacablement. L’effort de volonté qu’il avait déjà fourni contre le sortilège se faisait payer chèrement. Il en avait déjà dit plus qu’assez, et n’était pas prêt à mourir du fait de la mauvaise volonté évidente de Delcia. Les mots sortirent avec difficulté, comme si une poigne de fer qui broyait le larynx.

« Aucune somme par ailleurs ne saurait me convaincre de la chercher. Les morts n’ont guère besoin de richesses. Je dois la trouver, et je n’insulterai pas votre intelligence pour en connaître les raisons. Pas plus que je n’insulterai la sienne. »

Le regard se figea un instant. Il était déjà dangereusement sur le fil. Il se tut, inspira longuement, en attendant le reflux de la douleur et de la nausée. Il referma le carnet d’un geste sec. Il était temps d’une sortie digne.

« Je vous laisse à vos occupations, dame Delcia. Votre temps n’est que trop précieux, bien que notre entretien fut instructif et plaisant. Je reste à votre disposition à Manost. Nul doute que vous sauriez me trouver si l’envie vous en prenait. »

[Althéa]

"Et où pourrais-je vous trouver ?"

Delcia était assez méfiante. Mieux valait pouvoir situer les ennuis avant qu'ils ne vous tombent dessus. Elle l'avait bien fait pour Eliaëdel alors pourquoi pas pourquoi pas avec celui qui la recherchait.

L'affaire puait le sac de nœuds à cent pas.

[Eliaëdel]

« Je resterai à l’auberge du port pour les prochains jours. »

Il avait suffisamment à penser pour se tenir occupe. Sans compter que Delcia, de manière compréhensible, s’avérait peu loquace. Mais même son silence et ses dénégations étaient instructifs. Il avait frappé à la bonne porte, et probablement au-devant d’ennuis hors de contrôle. Il s’arrêta devant l’entrebâillement.

« Ah, et madame ? Si vous désirez une audience et des informations plus détaillées, je suis un homme raisonnable et calme. Nul besoin d’employer des moyens disproportionnés. »

Une déclaration probablement provocante. Mais il avait appris de longues années durant. Il sortit, pas fâché de retrouver l’air marin, et de quitter l’atmosphère lourde de l’herboristerie.

La suite ici