[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Ils se hissèrent donc sur un premier toit, lequel était fait de bois recouvert d'un enduit. Il y avait du chaume un peu plus loin, mais pas de tuiles en vue. Les toits n'étaient pas non plus assez hauts pour pouvoir atteindre le sommet de la seconde enceinte.
" C'est un mauvais plan, dit Braen. Même en marchant très légèrement, nous allons nous faire entendre s'il y a des gens en-dessous.
— Ils penseront que ce sont des chats.
— S'ils ont des chats. Tout est tellement régulé, ici, que si ça se trouve, il n'y a pas de souris, et donc pas de chats."
Pendant qu'ils parlaient, deux hommes s'étaient engagés dans la petite rue et passèrent sous eux, sans les voir.
Le premier devait avoir la cinquantaine, le second beaucoup moins, et ils portaient la robe de bure brune des Chauntéens. Les bribes de leur conversation traitaient de la mise-bas d'une vache dans une ferme, sans doute voisine, mais ils tournèrent à droite dans une autre allée, et leurs voix se perdirent.

[Taliesin]

Peut-être cette partie de l'abbaye était-elle réservée aux hommes, tandis que celle située entre les deuxième et troisième enceinte accueillait les femmes ? En tout cas, il voyait mal les deux sexes se mêler, surtout sachant que l'un vivait totalement cloitré... Enfin, il verrait bien et, de toute façon, il y avait des choses plus urgentes auxquelles réfléchir.
-Peut-être devrions-nous continuer par les rues mais après avoir attendu que tout ce petit monde ait regagné ses pénates, souffla-t-il. Les Chauntéens doivent se lever relativement tôt et, par conséquent, ne pas se coucher trop tard...

[Galathée]

Ils demeurèrent ainsi immobiles pendant un petit moment. Peu à peu, les lumières s'éteignirent, le murmure des conversations se tut. Seules quelques lampes, au coin de certaines rues, restèrent allumées, comme pour guider le promeneur nocturne. Les elfes purent se remettre en route.
Il ne leur fallut que quelques minutes pour gagner le portail. Il était grand, massif, fermé. Il ne semblait pas y avoir de sentinelles, car contre qui l'auraient-ils gardé ?

[Taliesin]

Certes. D'autant que pour éviter les contacts entre les prêtres et les prêtresses - si tant est qu'on le fasse -, il n'était pas besoin de gardes : il suffisait de portes hermétiquement closes.
-A mon avis, c'est verrouillé. Et si ça ne l'est pas, il doit y avoir des mécanismes ou des sorts pour informer qui de droit d'un franchissement illicite.
Ce n'était qu'une hypothèse. Néanmoins, elle lui paraissait fort probable.

[Galathée]

Braen s'était approché et observait la porte avec circonspection, Caenlin dans son ombre. Dothiel était demeurée en arrière, à faire le guet.
" Ce portail n'a pas l'air d'avoir été ouvert depuis des semaines, dit finalement le cuisinier à mi-voix. Il n'y a aucune marque sur le sol, de la boue dans les charnières, il y a même un nid d'oiseau juste là..."
Il tendit le doigt vers une masse brune à la jonction entre les deux battants.
" Il doit y avoir une autre porte, ailleurs...
— Il y a un treuil et une poulie, en tout cas. Ça nous permettra de passer par dessus." dit Caenlin en désignant une corde nouée sur la droite de la porte.

[Taliesin]

-Sauf si le mécanisme émet des grincements audibles à des lieues à la ronde...
Il se frotta le menton, songeur.
-Tout ça doit servir à fournir des vivres et du matériel aux prêtresses cloitrées. Et à moins qu'il n'y ait une autre issue, ce qui est possible, cela doit aussi être employé pour... disons... introduire les nouvelles venues, volontaires ou non, dans leur "résidence".

[Galathée]

" Il y a peut-être une issue plus... mystique, dit Braen. En imaginant que ces gars adhèrent à cette histoire de prêtresses recluses, le passage pourrait avoir lieu au cours d'une cérémonie, non ?"
Caenlin paraissait tenté par la corde.
" C'est bien beau mais ça n'aide pas."

[Taliesin]

-Nous pouvons essayer précautionneusement la poulie, pour voir si elle est silencieuse ou non. Dans le second cas, ne nous restera plus qu'à faire le tour de l'enceinte, en quête d'une autre issue ou d'un endroit relativement facile à escalader.
Tenter d'ouvrir simplement la porte lui paraissait hasardeux, ne serait-ce qu'à cause des traces qu'ils laisseraient.

[Galathée]

Caenlin paraissait ravi de cette option, Braen haussa les épaules, Dothiel continuait de scruter les rues alentours, aux aguets.
Le jeune elfe tira donc doucement sur la corde, qui coulissa dans sa poulie sans grincer bruyamment, mais sans être totalement silencieuse non plus. Quelqu'un d'affublé d'un sommeil fragile, à l'affut du moindre bruit, l'entendrait peut-être, mais la majorité des gens ne se rendraient même pas compte qu'on manipulait quoi que ce soit.
" J'espère qu'il y a une autre porte de sortie et que quelqu'un pourra nous l'indiquer, remarqua le cuisinier. C'est quand même très peu pratique."

[Taliesin]

-C'est vrai... Veux-tu que nous terminions le tour de l'enceinte avant d'employer ce treuil ? Cela ne devrait pas être très long et cela pourrait nous faire gagner du temps quand nous repartirons.
Sauf s'ils ne trouvaient aucune autre issue, évidemment. Ce qui était probable, le but étant de totalement couper les religieuses du monde extérieur...

[Galathée]

" Non, ce serait une perte de temps. Nous aviserons une fois à l'intérieur... Il doit y avoir... des passages plus discrets... un système de vide-ordures, par exemple, je suppose... Mais si nous repérons un semblant de Temple... Je serais d'avis de jeter un oeil à l'intérieur. Plusieurs bâtiments que nous avons vus sont appuyés directement sur la muraille, et si ça se trouve, il y a des portes à l'intérieur..."
Il se tourna vers Caenlin.
" Bon, qui passe en premier ?"

[Taliesin]

Sans doute faudrait-il aussi qu'ils essaient de jeter un coup d’œil à l'intérieur de la troisième enceinte qui devait constituer le saint des saints et où devait résider le Semeur. Le Semeur qu'il voyait mal sortir et entrer en employant un treuil...
-C'est comme vous voulez, répondit-il, revenant à des considérations plus immédiates. Le tout est de ne pas perdre une seconde une fois lancés : nous ne devons surtout pas être vus.

[Galathée]

" Très bien, dit le cuisinier. Caenlin, tu passes devant. Si tu donnes un coup sur la corde, c'est que c'est bon. Deux coups, on te ramène."
Le principal intéressé acquiesça et noua promptement la corde autour de sa taille. Une seconde plus tard, Braen le hissait dans les airs. Une fois à la bonne hauteur, Caenlin dut se balancer un moment pour parvenir à franchir l'enceinte : il n'y avait personne de l'autre côté pour tirer la perche de la poulie jusqu'au bon endroit, mais il finit par réussir à s'accrocher d'un pied au sommet du rempart, puis à se tirer dans la bonne direction. Une fois correctement positionné, il fit signe à Braen qui le laissa retomber lentement jusqu'à ce que la corde devienne lâche. Il y eut alors un coup tiré, preuve que la voie était libre. Braen ramena précautionneusement la corde lestée, et s'aida d'une seconde corde pour ramener la poulie de leur côté de l'enceinte.
" A vous. Je passerai ensuite, vous aurez bien besoin d'être deux pour me soulever. Dothiel passera la dernière."

[Taliesin]

Taliesin marqua une hésitation mais ne tarda pas à acquiescer.
-Très bien.
Et de s'attacher avec la corde. Il avait hâte que tous quatre soient parvenus sains et saufs de l'autre côté de l'enceinte, même si c'est seulement alors que les choses sérieuses débuteraient...

[Galathée]

Braen le hissa aussitôt. Avec Caenlin de l'autre côté, qui pouvait manoeuvrer la poulie, ce fut nettement plus facile. Il lui fallut à peine quelques minutes pour retrouver le plancher des vaches et son premier compagnon. Ce qu'il découvrit de l'autre côté de l'enceinte était... un village presque identique à celui qu'il venait de quitter. Des petites maisons, des allées obscures, ici un potager, là un poulailler clos pour la nuit, une remise ouverte, un jardin fleuri.
Le cuisinier les rejoignit, puis Dothiel, sans qu'ils ne rencontrent aucune difficulté particulière.

[Taliesin]

-Voilà une bonne chose de faite, souffla le barde.
Il se mit ensuite à observer le paysage avec une attention accrue, cherchant à se remémorer le moindre détail que lui avait révélé le sortilège de scrutation. Entre cela et le plan, qu'il se tenait prêt à tirer de sa poche, localiser le bâtiment où était enfermée Cordélia ne devrait pas être trop ardu...

[Galathée]

Effectivement, ce fut chose aisée d'emprunter la bonne direction. Ils traversèrent le petit village endormi, sans rien remarquer de particulier, sans croiser personne non plus. Il était maintenant très tard, les nuages s'étaient complètement dissipés, bien que le sol demeurât humide. Ils parvinrent devant un grand bâtiment de pierre, sans fenêtres, et Taliesin reconnut les lieux dont il avait été repoussé. Il y avait une double-porte de bois, manifestement solide, et, de ce qu'ils purent déduire en l'observant, c'était la seule issue visible.

[Taliesin]

C'était une mauvaise nouvelle qui, cependant, n'avait rien d'étonnant : après tout, puisqu'on y avait enfermé Cordélia, il devait s'agir d'une prison, ce que venait confirmer l'absence de fenêtres...
-Ce bâtiment est protégé contre la divination : le sort de scrutation n'a pu en franchir les limites, annonça-t-il. Dès lors, il semble probable qu'il possède d'autres protections magiques...

[Galathée]

Braen se plaça à côté de lui.
" De deux choses l'une. Soit on ne s'en occupe pas et on cherche à trouver d'autres informations, soit on force le passage... et advienne que pourra."

[Taliesin]

-Ce qui est certain, c'est que je ne repartirai pas sans Cordélia, dit doucement l'elfe.
Il lorgna la porte, jeta un regard en direction de la troisième enceinte.
-Mon amie et, qui sait, les autres personnes retenues ici pourraient avoir des informations intéressantes à nous confier. Des informations susceptibles de nous orienter dans la suite de l'opération. Mais il y a malheureusement un risque que nous déclenchions une alarme en entrant... Par conséquent, et même si je n'aime guère cette solution, nous pouvons pousser plus avant, en direction du cœur de l'abbaye, pour voir s'il est aisé ou non de s'y infiltrer...

[Galathée]

" Vous voulez dire franchir la troisième enceinte ?" dit Braen.
Il eut une grimace.
" Si ce que vous craignez est vrai, je crains que ce soit... drôlement audacieux. Mais j'imagine que jeter un oeil ne nous coûte pas grand chose... Tant qu'on n'y jette qu'un oeil."

[Taliesin]

-Comme je le disais, ma priorité est de sauver mon amie. Certes, j'aimerais pouvoir identifier les coupables de l'enlèvement de la princesse et du massacre de ses hommes ; j'aimerais, aussi, comprendre ce qui cloche en ces murs et éviter qu'une guerre éclate. Bref : je tiens, si possible, à récolter des indices. Mais si cela compromet la libération de mon ami... Cela passera après celle-ci. Par conséquent, en ce qui me concerne, ce ne serait que jeter un œil dans l'immédiat. Quitte à y revenir une fois mon amie libre.

[Galathée]

Braen n'avait pas l'air convaincu.
" Soit. Allons voir."
A nouveau, Taliesin put aisément les guider jusqu'aux portes qui permettaient de franchir la dernière enceinte. Massives comme les précédentes, elles paraissaient d'usage plus fréquent : on n'y trouvait nulle poussière, toile d'araignée ou nid d'oiseau. En conséquence, il n'y avait pas de treuil non plus, juste les portes closes.

[Taliesin]

Si le Semeur vivait au-delà de la troisième enceinte, l'utilisation fréquente de cette porte signifiait qu'il aimait rendre régulièrement visite aux religieuses. Mais s'il vivait ailleurs, cela voulait dire que celles-ci étaient les seules à pénétrer dans le saint des saints...
Quoi qu'il en soit, l'elfe examina les portes avec attention, en quête de systèmes de protection, magiques ou non. S'il y avait une serrure, il ne se priverait pas pour tenter de regarder au travers. Mais... il ne toucherait à rien.

[Galathée]

Braen et Caenlin s'étaient postés de part et d'autre de lui, tandis que Dothiel montait la garde. Il n'y avait pas de trou de serrure apparent, pas de fente ou de judas par lequel regarder. Quant à détecter des protections, c'était tout aussi compliqué : les glyphes de garde étaient généralement invisibles aux yeux profanes, et il serait difficile de juger de la présence d'un verrou sans tenter quelque chose...
" Ça pue." dit le cuisinier.
Il leva les yeux. Franchir l'enceinte par les airs demanderait un peu d'équipement.
" Moi je suis pour qu'on force le passage dans la prison. On embarque les filles et on se tire, dit Caenlin.
— Nous ne savons pas si la princesse s'y trouve."

[Taliesin]

-Nous ne savons pas non plus ce qui se produira si nous tentons d'ouvrir ces portes-ci où si nous passons de l'autre côté de l'enceinte...
Difficile de savoir quelle serait sinon la meilleure solution, en tout cas la moins pire. Mais il fallait choisir...
-Optons pour la prison, suggéra-t-il finalement. Cordélia pourra nous expliquer ce qui lui est arrivé et, par la même occasion, nous en saurons davantage sur ce qui se trame ici. Si notre intrusion déclenche une alarme, il sera toujours possible de nous diviser, les uns s'efforçant de fuir l'abbaye tout en attirant les poursuivants, les autres profitant de la diversion pour poursuivre les investigations.

[Galathée]

" Ça me semble plus raisonnable." dit Braen.
Caenlin paraissait ravi.
" On pourrait aussi attendre le jour... Peut-être que le bâtiment est alors ouvert... ou que nous pourrions observer quelqu'un qui s'y rend..."
Caenlin ne parut plus du tout ravi.
" Ah non ! Allez !"

[Taliesin]

-De jour, ce endroit grouillera de monde : passer inaperçu tiendra de l'exploit, parvenir à s'enfuir sans verser inutilement le sang, du miracle.
Il soupira.
-Nous avons réussi à nous infiltrer : battons le fer tant qu'il est chaud.

[Galathée]

" Si ce sont des prêtresses asservies, elles nous épauleront peut-être, dit Braen. Et je voudrais bien voir qu'une bande d'humains nous détectent si nous décidons de ne pas être vus !"
Il haussa les épaules.
" Mais très bien. Ce sont des supputations, effectivement. Si ça se trouve, le bâtiment est seulement protégé contre la scrutation et pas contre les invasions. Après tout, jusqu'ici, on ne peut pas dire que les lieux soient très protégés."

[Taliesin]

-Ils ne le paraissent pas, certes, admit-il. Néanmoins, ne nous fions pas aux apparences et demeurons prudents : les clercs possèdent de puissants sorts de divination et nous pourrions bien être espionnés à notre insue. Moi, en tout cas, puisque j'ai déjà été vu par certains d'entre eux...
Il faillit ajouter que sous-estimer les humains serait une erreur mais il préféra s'abstenir et prendre prudemment la direction de la prison.