[Lieu-dit] Le quartier populeux et les quais

[Kededric]

Quel excentrique individu ! Il en était presque agaçant. Ses manières soupçonneuses ne lui plaisaient guère. S'il ne parvenait pas à se montrer un peu plus courtois, Kededric finirait bien par le prendre en grippe.

Comme Orchandelle lui laissa le loisir de contempler ses œuvres, l'assassin ne s'en priva pas. D'abord, il était sûr que l'artiste disait vrai au sujet de l'emplacement de ses affaires. Ensuite, le voler ne l'intéressait que très peu, à moins qu'il ne fût en possession d'une pièce rare ou exceptionnelle ; auquel cas, il lui faudrait revenir plus tard pour s'en emparer. Enfin, Kededric avait réellement l'intention d'en savoir un peu plus sur ce que pouvait bien peindre ce type aussi bougon.

Il se décida donc à franchir la porte du salon, une fois son exaspération atténuée par la disparition de l'artiste. Quelle équipée...

[Manfred]

La demeure d’Orchandelle était globalement négligée. Désordre, saleté, vétusté. Kededric ne repéra rien de valeur, à tel point qu’il put commencer à se demander si l’artiste n’était pas totalement ruiné. Mais quand il pénétra dans la galerie, il crut entrer dans un autre monde, tout du moins une autre maison. C’était ici que Blasius dépensait tout son temps et son talent. La pièce avait un planché lustré, des murs d’une blancheur immaculée. L’éclairage provenait de chandeliers en argent, les fenêtres étant soigneusement condamnées. Et puis il y avait ces tableaux...

Chacun d’entre eux illustrait un ou plusieurs morts. Des morts de tous les âges, du nourrisson au vieillard. Des morts de tous les sexes, de toutes les races, de toutes les conditions sociales. Il y avait des morts dignes, comme celle de cet aristocrate, assis dans son fauteuil, un livre ouvert sur les genoux. On devinait qu’il s’était assis pour lire et que le trépas l’avait saisit en douceur. Des morts poétiques comme celle de cette belle demoiselle, fauchée par un carreau d’arbalète, dont la dépouille était tombée au milieu des fleurs. C’était l’aube, les couleurs étaient si délicates. Des morts domestiques comme celle de cette vieille ayant basculée dans le feu. Des morts en groupe comme celles de ce champ de bataille, sous les rayons lunaires. Des morts atroces, comme celle de ce jeune homme torturé, castré, écorché vif. L’assassin avait rarement eu l’occasion d’admirer des toiles aussi belles et terribles à la fois. Orchandelle était peut-être réellement un des meilleurs artistes de Melandis. Un artiste dément mais un artiste extraordinaire.

[Kededric]

Cet homme était vraiment intrigant. Délaisser ainsi son habitation pour ne s'occuper que de sa galerie d'art, c'était pour le moins atypique. Ou cela relevait de la maniaquerie, ce qui était possible au vu des sujets sur les tableaux. Morbide... les lumières étaient splendides, les personnages d'un réalisme époustouflant. S'ils n'étaient morts sur les toiles, on aurait pu les croire encore vivants en réalité. Chaque détail était savamment réalisé, et même si Kededric n'était pas un expert en peinture, il avait la nette impression que Orchandelle travaillait d'une traite, sans corriger ses coups de pinceaux. Et il y avait des tas de tableaux ! L'assassin en était vraiment ébahi.

Il finit par murmurer pour lui-même : "Drôle de type... mais quel artiste."

Il en connaissait, des musiciens, des littéraires, des sculpteurs... chacun avait son petit côté excentrique, qui les avait mené à sa profession, ou que la profession lui avait imprimé. Mais ils étaient loin d'atteindre ce côté génial et sombre d'Orchandelle. Kededric comprenait mieux pourquoi Griscieux tenait tant à avoir ses toiles dans sa cabine, et pas celles d'un autre.

[Manfred]

Orchandelle passa une éternité à l’étage, tant et si bien que Kededric put douter de le voir revenir. Mais il revint tout de même. L’artiste était alors ô combien plus présentable. Laver, rasé de près, peigné, habillé avec soin, son charme naturel pouvait pleinement s’exprimer. C’était presque un autre homme. Pour autant, son caractère n’avait pas changé.

« Vous avez fini de rêvasser ? déclara-t-il en débarquant dans la galerie. On a du travail et le travail n’attend pas ! Et puis d’abord, où va-t-on ? »

[Kededric]

Kededric haussa un sourcil en voyant Orchandelle ainsi métamorphosé. Excepté sa taille et sa corpulence, son apparence avait changé du tout au tout. Incroyable ce qu'une toilette pouvait modifier un homme... enfin, son aspect, en tout cas. L'artiste n'avait pas remisé son caractère déplorable. Bah. Il devrait composer avec lui, autant ne pas s'attarder sur ses remarques désobligeantes au possible.

"Nous avons trois personnes à qui nous devons rendre visite." Kededric sortit la liste de noms chiffrés de sa poche et la consulta. Il vaudrait mieux effectuer les "visites" en commençant par la personne la plus proche, ce serait le plus simple.

"Commençons par l'esplanade impériale, si vous le voulez bien." Il s'apprêta à partir, laissant le soin à Orchandelle de verrouiller sa porte d'entrée.

[Manfred]

Orchandelle le retint d’un geste.

« Une minute, Monsieur je ne sais plus quoi. Que ce soit bien clair, vous vous chargerez des cibles comme je vous l’indiquerai, très exactement. Une fois sur place, mon inspiration me dictera la scène. À vous de l’accomplir. Chaque détails compte ! Je dis bien chaque ! Ce sera la perfection ou rien ! »

Il alla chercher une petite mallette très soignée qui devait contenir son nécessaire de travail.

« En ce qui concerne la manière d’approcher les cibless, c’est votre travail. Après tout, c’est vous le professionnel en ce domaine. Mais j’aimerais que ce soit aussi rapide et facile que possible. Je déteste perdre du temps. Mon temps est précieux, je le souligne deux fois ! »

[Kededric]

Kededric se demanda si le peintre jouait un rôle, celui de l'éternel râleur qui essayait de le pousser à bout pour voir si sa patience finirait par lâcher, ou s'il était réellement comme ça. Dire qu'il allait devoir le traîner pendant toute la journée, peut-être même bien davantage s'ils étaient retardés !

"Maxime Petitpierre, pour vous servir. Je ne vais probablement pas pouvoir vous rassurer autant que vous le souhaiteriez, mais sachez que j'aime faire mon travail de façon propre, nette et précise. Je ne suis pas un barbare qui ne laisse de ses victimes qu'un tas sanguinolent..." Sauf, bien sûr, si la nécessité l'en obligeait. Mais c'était rarement le cas, et il n'aimait pas perdre son temps à brouiller les indices de cette manière-là. De toute façon, souvent, l'identité de sa cible se devait d'être connue.

"Je m'occuperai bien entendu de l'approche. Néanmoins, souffrez que cela puisse parfois prendre davantage de temps que de simplement leur demander de bien vouloir nous ouvrir pour les assassiner, que ce soit de façon artistique ou pas."

Il y avait fort à parier que les cibles de Griscieux étaient des gens prudents, voire méfiants à l'extrême...

[Manfred]

Orchandelle poussa un magistral soupire.

« Haaaa... Je ne comprends vraiment pas pourquoi tout le monde cherche à me mettre des bâtons dans les roues... Est-ce si difficile de mourir ? Est-ce si désagréable que de rejoindre mon œuvre sans pareille ? Je ne demande pourtant pas grand-chose ! M’enfin, c’est ainsi... »

Le peintre sortit de chez lui, ferma sa porte et suivit Kededric en direction de l’esplanade impériale.

[Manfred]

Les rues étaient encore relativement tranquilles alors que le petit matin les emplissait d’une fade lumière. Parti du Lumenien Noyé, Kededric ne se fit retardé par aucun bâtiment fâcheux. Le voilà devant la maison décrépite du si charmant artiste. Comme il s’y attendait Guilem était là, assis sur un muret proche, observant le ciel, l’air perdu dans ses pensées. Sitôt l’assassin en vue, il sauta du muret et vint à sa rencontre. Il dût juger les salutations inutiles puisqu’il entra directement dans le vif du sujet. Seulement, pas le sujet de la galerie de peinture.
« Vous avez entendu ? Le port grouille d’étranges rumeurs. Ça se répand comme une trainée de poudre. Il paraît que les dieux sont en colère. Le ciel brille là où il ne devrait pas ! Même le capitaine semble intrigué. Et pourtant, le capitaine, il est pas du genre à croire n’importe quoi. Vous en pensez quoi, vous ? »

[Kededric]

Alors, l'affaire des tableaux d'Orchandelle passait même après cette histoire. Les rumeurs s'étaient vite propagées sur le port, comme il fallait s'y attendre. Mais en étaient-ce vraiment ? Plusieurs "témoignages" racontaient la même chose, des aurores boréales à des latitudes qui n'en avaient jamais vu auparavant, et maintenant, le ciel clair là où il ne devrait pas l'être... troublant. Kededric exprima son incertitude par une moue un peu boudeuse.

"Qu'en penser ? Je l'ignore. Les rumeurs folles, ce n'est pas cela qui manque, à Melandis. Il faut attendre de voir si elles sont confirmées par des preuves un peu plus tangibles. Hier soir, je n'ai entendu que des racontars de marins ivres. Le doute était permis..."

Il observa l'horizon au-dessus des toits. Rien ne semblait laisser présager de l'arrivée d'un cataclysme. Une troupe de dragons qui attaquerait la cité ? Des archimages fous venus bombarder Melandis à l'aide de magie sauvage ?

"Mais qui sait ? Ce sont peut-être les dieux qui s'en mêlent. Avec eux, on ne sait jamais si le soleil va se lever, le lendemain.", conclut-il sur un sourire forcé. Il était perplexe, lui aussi. Il essaya de changer de sujet.

"Prêt à affronter le peintre ? Il sera peut-être plus commode qu'hier."

[Manfred]

« Ouais. J’ai hâte de voir ce qu’il fait. Parce que de ça aussi, on parle pas mal sur le navire. »

Le regard de fouine, ou plutôt de rat, de Guilem exprima toute sa curiosité. Son impatience juvénile était presque comique. Kededric frappa donc à la porte d’Orchandelle. Un coup, deux coup, trois coup et... des bruits à l’intérieur, ceux de pas hâtifs. En un clin d’œil, l’artiste fut derrière la porte. Il fit coulisser son judas, jeta un coup d’œil à l’extérieur, ne dit rien, referma le judas, déverrouilla, ouvrit la porte, referma, verrouilla. Le tout avait prit moins de deux minutes. Orchandelle était prêt, sa mallette à la main et un sourire pensif flottant sur ses minces lèvres.
« Et bien, qu’est-ce qu’on attend ? » demanda-t-il.
Il n’avait même pas remarqué le mousse qui, forcément, était un brin chiffonné. Comment regarder la galerie de l’artiste maintenant que le peintre était déjà sur le départ ?

[Kededric]

Orchandelle semblait prêt depuis un moment. Et impatient d'en découdre avec son prochain sujet... Kededric se mordit la lèvre : lui mettre les nerfs en pelote n'était sans doute pas une très bonne idée, mais il jugeait que l'artiste avait sa fierté - sinon plus - et qu'il serait heureux de savoir qu'il avait un autre admirateur, même si ce n'était qu'un simple mousse et non un personnage important de la cité du Chaos.

"Si vous le permettez, une connaissance de votre cousine... Lidia... aimerait admirer vos œuvres. C'est qu'on en parle beaucoup dans la ville, vous savez."

Restait à attendre l'inévitable accès de colère d'Orchandelle. Ou son assentiment chaleureux. La loterie, somme toute.

[Manfred]

Orchandelle fut un instant pris au dépourvu. Il regarda de gauche, de droite, cherchant cette fameuse connaissance. Il ne trouva bien sûr que Guilem et fut bien forcé de baisser les yeux sur lui. L’instant d’après, le peintre refaisait face à l’assassin, rouge de colère. Apparemment, la loterie n’avait pas été généreuse cette fois-ci.

« C’est une blague ?! Vous savez depuis combien de temps je suis prêt ? Ce genre d’escapade au nom de l’art, ça se prépare, ça se pense ! On n’a plus une seconde à perdre ! Surtout pas pour... cette chose, un morveux incapable d’apprécier l’étendu de mon immense génie ! »

Le morveux en question serra les poings, cracha par terre et s’en alla, passablement vexé. Avant de tourner à l’angle de la ruelle, il jeta un regard assassin à l’artiste, l’air de dire « attends un peu que j’me venge du con ! », puis disparût.

« Je ne serai tolérer d’autres enfantillages ! » gronda Orchandelle.

[Kededric]

Pas de chance. Et en plus, il se montrait vulgaire et suffisant vis-à-vis de Guilem, qui avait montré un courage hors norme lors de la petite séance de torture improvisée sur le navire de Griscieux. Kededric avait vraiment envie de laisser cet égocentrique en plan et de le laisser se débrouiller pour honorer seul le "contrat" passé avec le capitaine. Inutile de dire que cela ne se pouvait... être obligé de faire équipe avec ce type, quelle punition ! Et maintenant, il allait sans doute être d'une humeur massacrante pour le restant de la journée. Ou se montrer presque affable d'ici cinq minutes.

"Je ne comprends pas vraiment pourquoi vous n'acceptez pas qu'un admirateur puisse profiter de vos œuvres" fit l'assassin d'un ton mielleux. "Vous ne peignez pas que pour vous-même, n'est-ce pas ?" Autant tenter de voir s'il accepterait au moins de se calmer un peu. Au pire, il ne pourrait pas littéralement exploser de colère.

[Manfred]

« Bien sûr que vous ne comprenez pas pourquoi ! Vous êtes un idiot ! Comment pourriez-vous me comprendre, moi, un artiste, un génie ? Hein, comment ? Par quel miracle ? Sachez juste qu’en ce monde, nous avons tous une tâche, un but qu’on se doit d’accomplir. Le mien est de peindre la quintessence qu’est le début de l’éternité. Le votre est de tuer pour de l’or. Celui des gens dignes est de regarder mes œuvres et de les apprécier. Celui des vermines est d’aller voir ailleurs si j’y suis ! Voilà comment fonctionne le monde, comment JE fonctionne ! Maintenant, en route ! »
Sur cette virulente tirade, Orchandelle se mit en route avant de se rappeler qu’il ne savait pas où aller. Alors, il se retourna face à Kededric :
« Bon, vous venez ? »
Déjà il semblait plus calme. Seul un dément pouvait avoir de tels sauts d’humeur.

[Kededric]

Il fallait reconnaître qu'il était réellement impressionnant durant ses accès de colère. Pour un peu, Kededric aurait pu se sentir menacé ; heureusement qu'Orchandelle n'était pas armé, car il serait sans doute capable de foncer dans le tas et frapper aveuglément jusqu'à l'épuisement, durant une de ses crises... Malheureusement, d'un autre côté, il devrait encore supporter ce caractère impossible au moins toute cette journée. Et sans doute encore demain, si les affaires ne marchaient pas trop mal. Davantage s'ils avaient des ennuis.

"Il nous faut aller du côté des magiciens, aujourd'hui. Votre cousine m'a fait passer un message, et c'est là que nous sommes attendus."

Il trouva plus sage de ne plus évoquer la demande de Guilem, ni de revenir sur cet échange. Avec un peu de chance, le peintre l'aurait oublié d'ici quelques minutes, si ce n'était déjà fait.

[Manfred]

« Les magiciens... »
Orchandelle marqua une petite pause. Son regard se fit lointain. Nul doute qu’il devait anticiper sur de nouvelles œuvres qu’il serait peut-être bon de rattacher au thème de la magie ou à ses dérivés.
« Oui, les magiciens, pourquoi pas. Ils sont rares sur mes tableaux. Les occasions de les approcher au terme de leur existence sont rares. Ha, si seulement j’avais pu suivre les régiments Melandiens lors de la dernière guerre... J’aurais pu en voir, là, étendus, magnifiques, sur le champ de bataille, entourés de leur propre œuvre destructrices. Et puis, les magiciens, se sont généralement des gens plein de fantaisie. Leurs maisons sont superbes ! »
Le peintre commençait à diriger ses pas vers le noyaux occulte.

[Kededric]

Kededric secoua la tête. Les magiciens ? Souvent, des manipulateurs, des nécromanciens, des traîtres, des fous, des fantasques qui cherchaient à découvrir les plus grands secrets du Multivers. Certes, à leur façon, ils étaient fantaisistes... jusqu'à ce qu'ils se mettent à incanter pour lancer un sortilège qui réduisait quelqu'un en bouillie. Kededric était bien placé pour savoir que la Toile permettait de faire de grandes choses, utiles également, mais il avait tendance à ne l'utiliser qu'à des fins d'espionnage ou de fuite. La magie destructrice n'avait, à ses yeux, que peu de grâce. Or, dans la Cité du Chaos, c'était tout de même un type de magie très souvent usité.

L'homme était un artiste, cependant, et il devait avoir une vision de l'univers très différente de la sienne. N'empêche... heureusement que tous les artistes n'étaient pas de sa trempe. Sans quoi, ce seraient eux qui seraient les plus à craindre, et non les archimages ou les hauts prêtres...

L'assassin finit par lui emboîter le pas, restant silencieux. Le trajet ne serait pas long s'ils n'étaient pas retardés. Et ils auraient sûrement fort à faire sur place.

[Manfred]

Mais ils furent retardés...
Pas par les raisons habituelles qu’aurait pu fomenter la vil Melandis. Non, ce fut tout autre chose. Kededric le ressentit avant de le voir, une sensation étrange, comme un chatouillement à la lisière de sa conscience. Sa condition d’assassin le fit sur le champ s’alarmer de cette curiosité dont il ne pouvait douter car elle allait croissante. Il fut bientôt en mesure de constater que le phénomène paraissait affecter ce qu’il avait mémorisé en matière de magie. C’était comme si la toile de Mystra ondulait. Puis, il vit Orchandelle s’arrêter et lever les yeux au ciel. Il suivit son regard et put contempler d’étranges lueurs. Elles étaient ténues, discrètes, mais bien là, en plein jour. Des passants, à proximité, avaient remarqués la chose. Et ils n’étaient pas les seuls. On s’exclamaient, on s’interrogeaient. Il n’en fallut pas d’avantage pour que s’instaure une atmosphère très particulière. Toute la cité commençait à vibrer de cette dernière.

[Kededric]

La sensation était étrange et totalement inconnue à Kededric. Subissait-il les effets d'un poison ? D'un enchantement ? Il devint nerveux et ne cessait de regarder autour de lui pour s'assurer que personne ne guettait sa réaction. Mais il ne vit que des passants occupés à regarder les lueurs qui gagnaient en intensité dans le ciel, et ne semblaient cesser de se multiplier. Une aurore boréale ? Non... cela n'en avait ni l'apparence, ni la logique. Un phénomène magique, certainement.

L'école de magie n'était plus si loin. Ils avaient sûrement dû remarquer ces lueurs. Peut-être Kededric pourrait-il leur demander... mais cela n'expliquait en rien cette impression fugace qu'il lui arrivait quelque chose. La Toile se déchirait-elle ? Mystra avait-elle encore été assassinée ? Cette habitude détestable qu'elle avait pris avait déjà provoqué suffisamment de dégâts comme cela. Non, ce devait être autre chose. Sûrement. Il fallait l'espérer.

"Il se passe quelque chose. Je n'ai aucune idée de ce que cela peut-être, mais ce n'est pas anodin. Nous devrions passer consulter les mages. Ce n'est pas très éloigné de notre visite du jour..." finit-il par souffler à Orchandelle. Toutes ces histoires lui avaient presque fait oublier les sautes d'humeur du peintre. C'étaient au moins leur mérite.

[Manfred]

L’artiste ne répondit pas. Il fixait les lueurs célestes avec la même fascination que celle qu’il semblait éprouver en présence d’un cadavre. La bouche à demi ouverte, les bras ballants, son esprit était définitivement ailleurs. Puis, subitement, peut-être parce que Kededric venait de s’adresser à lui, il lui saisit le poignet avec force.
« C’est incroyable... » souffla-t-il, en extase.
Mais il y avait presque de la douleur dans ces mots. Et l’espace d’un instant, une peur réelle marqua ses traits. Sans prévenir, il s’effondra. L’assassin parvint à le rattraper avant qu’il ne se fasse mal et il eut donc tous le loisir de constater que le peintre avait perdu connaissance. Dans la rue, au moins une autre personne était tombée. L’étrange sensation de cette connexion brouillée, distordue avec la toile de Mystra se renforçait, mais sans devenir prépondérante sur la perception de la réalité.

[Kededric]

Il n'était donc pas le seul à ressentir physiquement ce phénomène. L'émotivité d'Orchandelle ne pouvait pas expliquer son évanouissement : il semblait en être totalement dénué. Pourquoi avait-il succombé à l'inconscience avant lui ? La résistance de chacun était différente, c'était certain. Toujours était-il que le temps pressait peut-être. Le peintre ne devait pas sortir blessé de ce trouble de la Toile. La Toile qui ondulait et qui terrassait un artiste... le côté cynique de la chose la rendait presque poétique, mais il fallait agir.

Profitant du fait que l'attention des gens se reportait sur les lueurs et les mouvements de la cité du Chaos, Kededric porta le peintre dans ses bras, puis se baissa lentement pour attraper son nécessaire de peinture. Il comptait bien rendre visite aux mages sur-le-champ. D'abord parce qu'Orchandelle était peut-être en danger, même relatif, et que cela pouvait grandement compromettre sa mission, mais aussi parce que tous ces phénomènes ne lui disait rien qui valait. Son impression de trouble ne s'était pas estompée, loin de là. Il ne devait pas faillir, pas maintenant...

Il se hâta de faire marche en direction de l'école du Nécronomicon.

[Manfred]

L’assassin fut sans doute soulagé de constater que son propre trouble n’allait plus croissant. Il sentait la toile onduler sous une mystérieuse et impérieuse influence, il voyait le ciel parcourût de lueurs éphémères, mais au moins, l’univers ne semblait pas vouloir imploser sur l’instant. La ville, en revanche, bourdonnait d’une activité tout à fait inédite. C’était comme si une fièvre anxieuse s’était répandue. Or cette fièvre se concentrait progressivement autours des temples et de l’école du Nécronomicon. Cette dernière commençait carrément à être assiégée. Bien des gens devaient tenir pour responsable les mages du phénomènes. La peur engendrait la colère et la colère provoquait des troubles. Le guet, déjà, devenait agressif, appelant au calme mais usant de violence. Kededric ne tarda pas à avoir la conviction qu’il ne franchirait jamais les murs de l’école. Il vit de loin les hautes portes de l’établissement occulte closes. Les magiciens ne devaient apporter leur soutien qu’aux nobles et encore. N’étaient-ils pas d’avantage concerné par l’étude de cette anomalie ? Fréquenter les rues devenait en tout cas dangereux et l’artiste ne semblait pas vouloir se réveiller.

[Kededric]

C'était évident, et il n'y avait pas pensé. Le trouble avait gagné la population, et même si les mélandiens semblaient disposer d'une forte capacité à accepter beaucoup de choses horribles, les ondulations désagréables et nauséeuses ne semblaient pas en faire partie. Une émeute pourrait même survenir, si les gardes impériaux ne parvenaient pas à calmer les esprits.

Quant à lui, il se retrouvait quelque peu démuni. Si l'école de magie et les temples étaient assaillis par les gens inquiets ou en colère, où pourrait-il demander de l'aide pour son associé temporaire ? Il trouverait peut-être un lieu de culte qui ne serait pas encerclé de la sorte. Mais où ? Et dans combien de temps ? Orchandelle était peut-être réellement mal en point.

S'étant écarté du flot de gens venus manifester leur joie toute relative de voir de tels phénomènes se répandre dans la cité, Kededric se risqua à lancer un petit sortilège de détection sur le peintre. Après tout, ça ne coûtait rien d'essayer...

Kededric ---> détection de la magie ---> Blasius Orchandelle

[Manfred]

Le résultat qu’obtint Kededric fut pour le moins étonnant. Son sortilège détecta d’innombrables auras magiques qui se chevauchaient, s’entremêlaient, se fusionnaient, se divisaient, que ce soit sur l’artiste ou partout ailleurs. En fait, l’assassin eut droit à une perception tellement déroutante qu’il en fut un instant subjugué. Toutes ces couleurs mouvantes ! Tant d’énergies diversifiées ! Il y avait de quoi en perdre son aplomb. Fort heureusement, le sortilège pris fin, n’ayant au final apporté qu’une seule information fiable : il ne servait à rien de chercher à détecter quoi que ce soit pour l’instant. Pire encore, l’usage de la magie était probablement à éviter, sous peine d’avoir droit à des surprises que n’importe quel esprit sensé pouvait qualifier de dangereuse. Autour de Kededric, le guet continuait d’assurer un semblant d’ordre. Cela n’empêchait pas certaines personnes de crier, de courir, de prétendre tout et n’importe quoi, chacun voyant dans les lueurs célestes ce que bon ils voulaient, du présage divin à l’expérience raté en passant par la fin du monde.

[Kededric]

Désorienté et surpris, l'assassin resta quelques instants bouche bée sans savoir que faire. Son sortilège avait dû percuter quelque déformation dans la Toile, ou en provoquer une nouvelle... ou quelque chose dans ce goût-là. En tous les cas, il s'était avéré inefficace, sauf pour lui confirmer, si besoin était, que les choses étaient bien anormales en ville. Et peut-être de façon plus large encore, d'ailleurs.

Il finit par reprendre ses esprits. Toute considération superstitieuse mise à part, qu'est-ce qui pouvait expliquer ces inquiétants troubles ? Mystra n'avait tout de même pas encore succombé à quelque complot ourdi par un dieu plus intelligent qu'elle, si ? Ou Shar prenait-elle simplement le dessus sur sa rivale et entreprenait de tisser sa Toile d'Ombre partout où elle le pouvait ? Difficile à dire sans la confirmation d'un prêtre. D'un prêtre de Shar. Il y avait un temple, non loin de là. Il pouvait au moins tenter de s'y rendre, si la foule n'avait pas déjà encerclé les lieux...

Emportant de nouveau le peintre dans ses bras, Kededric se remit en route. La journée ne commençait décidément pas bien.

[Manfred]

Il y avait bien un temple de Shar en ville. Il se situait dans une discrète venelle du Noyau Occulte qui, Kededric put bientôt le constater, n’était pas encore envahie par une foule apeurée et colérique. Le bâtiment en lui-même était de taille modeste mais l’assassin savait qu’il s’étendait en profondeur, s’étendant de façon sournoise et invisible à l’image de la déesse à qui il était consacré. Un des battants de la double porte était entrouvert, invitant le fidèle et le visiteur à se faufiler dans une salle emplie de pénombre. Quelques flambeaux épars y étaient disposés, mais ils semblaient n’avoir pour but que de mettre en exergue l’obscurité. Quelques personnes priaient en silence. Une prêtresse se trouvait au pied d’une noire statue de Shar.

[Kededric]

La chance lui souriait à nouveau. Le temple n'avait pas encore été pris d'assaut par la foule. Peut-être les gens craignaient-ils - à juste titre - les prêtres sharites et n'osaient-ils pas les invectiver ou leur demander de l'aide de façon aussi cavalière.

Kededric portait toujours Orchandelle et sa mallette d'artiste, et il fatiguait. Il déposa donc le peintre sans ménagement mais sans brutalité non plus. Il constata que personne ne semblait lui prêter attention, ce qui n'était pas forcément une mauvaise chose : inutile de hurler sur tous les toits qu'il se trouvait là... il finit par aviser la prêtresse près de la statue de la déesse des Ombres, et s'approcha d'elle en silence. Après tout, elle l'entendrait sûrement venir, si sa déesse lui donnait des pouvoirs.

[Manfred]

Elle l’entendit effectivement et se tourna vers lui dans un murmure de tissu. Elle portait comme de bien entendu les couleurs de sa déesse. Son visage, plutôt pâle, donnait presque l’impression de flotter au milieu du néant. Après avoir observé l’assassin et le corps de l’artiste inerte, elle demanda en chuchotant :
« Qu’espérez-vous trouver dans la maison de la dame des ombres ? »

[Kededric]

La déesse Shar était sans doute une des divinités que Kededric respectait le plus. Ses attributions étaient les plus en accord avec sa propre philosophie, et un assassin ne pouvait pas vraiment se permettre de délaisser une divinité qui était l'essence même des ombres. Aussi Kededric montra-t-il une déférence polie et adéquate avec la prêtresse. Le clergé sharite n'appréciait guère les salamalecs ni les tons obséquieux, au contraire de la crainte respectueuse et discrète. Et même si Kededric craignait peu de choses, il n'était pas inconscient au point de risquer de froisser les membres d'un culte puissant.

Après une courte révérence, l'assassin lui répondit : "Il y a des troubles en ville, et ils sont très certainement d'origine magique. Lors que mon camarade et moi-même cheminions dans les rues, il s'est effondré en observant le spectacle d'ondulations dans l'air, dans la rue... j'ai tenté de déceler s'il était atteint d'un sortilège, et le mien a échoué, me renvoyant des inepties colorées. Si la Toile est endommagée, j'ai pensé que Shar devait en savoir davantage sur le sujet."