Quête : Les caprices de Fortune - perdus dans la campagne

[Mornagest]

Sylas avait raison, elle était tenace. Les drows avaient cette réputation, de même que celle de ne jamais oublier... et d'être totalement dénué de compassion. Dès lors, comment pouvaient-ils agir autrement avec elle ? Elle n'aurait pas compris s'ils avaient tenté l'approche délicate. Elle l'aurait rejetée, peut-être même aurait-elle refusé tout dialogue avec des "faibles".

"Malheureusement, je n'avais pas le choix. Qu'elle me déteste : de toute manière, je doute qu'elle puisse éprouver autre chose à mon égard. Mais nous devons évidemment nous méfier. Elle risque de tenter de nous distraire avec des paroles douces ou des promesses... pour mieux nous poignarder ensuite."

Malgré lui, Mornagest avait côtoyé un elfe noir pendant de longs mois. Beorn Devir n'était pas tendre, loin de là. Mais lui avait au moins le bon goût d'être juste avec ceux qu'il appréciait. Cette femme, elle, ne devait rien à personne, sinon de la rancœur envers celui qu'ils voulaient sauver, et de la crainte envers son frère...

"Il faudra aussi la nourrir. Il n'est pas question de la laisser dépérir... et tant pis si elle prend cela pour de la faiblesse de notre part, mais la malmener ne servirait à rien."

Il avait l'impression un peu dérangeante de redevenir un meneur d'hommes. Dérangeante, car ces hommes avaient été ses compagnons, et son supérieur pour sire Rowan. Il ne voulait pas que les choses basculassent du mauvais côté. Des disputes au sein de leur groupe n'arrangeraient rien à la situation déjà complexe...

Les mages détaillèrent les possibilités pour rejoindre le portail de la Cordillère. "J'aurais tendance à privilégier la sécurité. Avec une otage, nous sommes moins mobiles si quelqu'un nous attaque. Et dans les bois, nous risquons de rencontrer des elfes."

[Lothringen]

"Des elfes ?!" répéta Hadlis, incrédule.

Ses autres auditeurs parurent tout aussi surpris. Lothringen n'avait jamais raconté à personne leurs mésaventures de la fontaine d'Inselwenn, et le commun des manostiens était loin d'imaginer que des oreilles pointues puissent oser s'aventurer si loin du Bosquet des Pierres... Ce n'était sans doute pas le meilleur moment pour une mise au point géopolitique.

"Hem... J'espère que ça n'arrivera pas. Avec une elfe noire dans nos bagages, prisonnière ou non, ils nous aligneraient à vue."

"Soit, va pour la Voie Côtière", trancha sire Rowan, voyant que personne n'émettait d'objection. "ça nous fera gagner du temps... et peut-être des ennuis aussi, nous verrons bien."

Ils bivouaquèrent ce soir-là en se couchant de bonne heure, plusieurs d'entre eux ayant encore quelques séquelles fort désagréables de leur demi-combat mélandien. Globalement, les esprits étaient plutôt apaisés. La piste d'abord très ténue qu'ils avaient voulu suivre s'avérait enfin pouvoir mener quelque part. Si la drow voulait bien...

[Mornagest]

Ainsi fut-il décidé. Mieux valait limiter les risques, en effet... même si cela rallongeait d'autant le trajet.

Le guerrier resta plutôt silencieux durant le repas sommaire du soir. Les hommes étaient fatigués, et même si le danger était moins imminent, le harassement se lisait sur la plupart des visages ; l'avenir n'était guère plus reluisant...

Mornagest alla tout de même toucher un mot à sire Rowan concernant sa position. Comme d'habitude, il peinait un peu à trouver les mots.

"Excusez-moi de vous déranger, sire... je voulais revenir sur ce qui s'est passé. Vous savez... enfin, j'ai mené l'interrogatoire par défaut, et c'est vrai que vous et les autres m'avez demandé mon avis, mais je ne voudrais pas que vous pensiez que je devienne le meneur du groupe. La Garde n'existe plus, mais vous avez bien plus de légitimité en matière de commandement que ce que je peux en avoir..." Malgré le fait qu'il était resté chancelier pendant de longs mois, il n'avait pas de qualités de meneur d'hommes très poussées. Il pouvait parfois se montrer convaincant, mais seulement si lui-même abondait dans le sens qu'il voulait imprimer.

[Lothringen]

Le crépuscule tombait rapidement sur le petit groupe harassé ; d'ici peu de temps, seuls les veilleurs désignés tiendraient encore debout. Assis sur un rondin, Sire Rowan baissa la tête, afin de laisser dans l'ombre un demi-sourire amusé. Il n'avait fait qu'apercevoir l'ambassadeur, puis le chancelier Mornagest, autrefois, et il peinait à s'imaginer les mélandiens se choisissant pour porte-parole un homme qui peinait à trouver ses mots. Lui-même choisit soigneusement les siens, tandis qu'il reposait sur le sol herbeux sa gamelle vide.

« En l'état actuel des choses, la Garde n'est plus, et je ne suis pas plus officier que vous n'êtes chancelier ; peut-être s'en trouvera-t-il même, à Manost, pour considérer que je déserte quand la patrie est en danger. Mais nous n'avons jamais d'autorité que celle que les autres nous prêtent, et je ne pense pas nos compagnons prêts à vous accepter pour meneur, même par intermittences. Ce sont des soldats d'élite de l'armée manostienne et d'anciens helmites, ne l'oubliez pas… Nous écouterons vos conseils s'ils sont sages, mais n'espérez pas davantage et prenez garde aux susceptibilités. La mienne, cela dit, n'est pas en cause ; je ne me vois plus aujourd'hui que comme celui qui a échoué. Deux fois. Et le régime que j'ai servi se meurt de cet échec... »

Il se tut quelques instants, ressassant probablement les disparitions successives de Ravestha et de Lothringen. Où avait-il failli, qu'aurait-il dû voir venir ? Il ne trouvait pas de réponse satisfaisante. Le Grand Émissaire lui avait toujours paru un roc, et le conseiller à la diplomatie… à la fois insaisissable et prudent, et comme auréolé d'une chance insolente. Les apparences… Il reprit un ton plus bas, au moment où il vit Mornagest prêt à se relever :

« Nos titres ne sont plus, et l'homme que nous cherchons ne sera sans doute même plus le souvenir d'un conseiller, à peine l'ombre d'un homme quand nous le retrouverons. Y Songez-vous parfois ? A ce moment, ce ne sont pas d'anciens subordonnés qu'il souhaitera trouver, mais un ami sincère. Ne vous y trompez pas, votre présence est la plus importante de toutes... »

[Mornagest]

Sire Rowan avait raison, et lui-même le savait avant même d'avoir posé la question. Un ancien dirigeant mélandien, même repenti, ne pouvait inspirer suffisamment de confiance auprès de ces gardes qui s'étaient toujours préparés à devoir affronter des hommes comme lui. Dès lors, sa survie avait été une chance inouïe. Alors, prendre le dessus... heureusement, ce n'était pas ce qu'il souhaitait, au contraire. Tout au plus pouvait-il donner son avis, car il ignorait bon nombre de choses que sire Rowan et ses hommes connaissaient. Et vice versa, bien entendu.

Mornagest rougit cependant à la dernière remarque de sire Rowan. Il était indispensable. Peut-être. Mais il n'aimait pas songer à lui-même de cette façon. Pour l'instant, il fallait se concentrer sur la piste qu'ils devaient suivre, avec les dangers qu'elle recelait, selon la magicienne drow. Tout cela sans même penser à Lothringen, qui, à cette heure, pouvait souffrir mille tourments, ou être victime d'une nouvelle fourberie de Dorson, qui tenterait de s'approprier à nouveau son ancien élève qu'il n'avait jamais pu considéré comme perdu. Les cauchemars qu'il lui faisait régulièrement subir en étaient une preuve irréfutable.

L'objectif paraissait tellement inaccessible, irréalisable... une vague de tristesse s'empara à nouveau de lui, et il ne put que murmurer un vague "merci" à sire Rowan avant de se lever vraiment et d'aller s'allonger pour tenter de trouver le sommeil. Il n'y arriva que longtemps plus tard.

[Lothringen]

Il voyait une caverne, immense, si haute qu'on n'en apercevait pas la paroi supérieure ; on n'y aurait vu goutte sans la propriété phosphorescente de certaines roches, qui baignaient l'endroit d'une douce pénombre. Une partie des végétaux, aux alentours, diffusaient des lumières plus vives, invraisemblables, bleues, vertes ou mauves. Il y avait des plantes géantes, des champignons plus hauts qu'un homme, des fougères denses comme des cultures. Mornagest, sans l'avoir jamais vue, reconnut l'ombreterre. Il regarda aux alentours. Il se tenait sur le rivage d'un lac aux eaux mornes et noires où son instinct lui disait de ne pas tremper les pieds. Des bâtiments se devinaient au loin, mais il aurait fallu marcher plusieurs heures pour les atteindre. Mais son attention était retenue par une sorte de vibration magique, sur un rocher tout proche. C'était comme si un mage, ou une quelconque entité, tentait de se matérialiser, tout en se heurtant à une résistance, aussi obstinée que l'étaient ses tentatives. L'air était chargé d'électricité, et créait une sorte de tourbillon. Il aperçut à peine une silhouette anthropomorphe, puis tout s'effaça. Le rêve avec.

Quand le petit jour le réveilla, néanmoins, il gardait de ces visions un souvenir d'une extraordinaire netteté.

[Mornagest]

Lui qui rêvait si peu... cela le frappa. Cet endroit, qu'il n'avait jamais vu. Peut-être à peine abordé avec Lothringen, et encore... lui avait-il fait une description, même sommaire, de cet environnement si sombre et aux atours hostiles ? Il n'arrivait pas à s'en souvenir. Dès lors, comment pouvait-il avoir eu une vision aussi précise d'un lieu dont il ignorait pour ainsi dire tout ? Il songea aux pouvoirs de Dorson, et aux cauchemars qu'il infligeait à son compagnon même à une distance aussi élevée. Se pouvait-il que le mage drow cherchait à lui instiller des idées ou des connaissances ? Mornagest en doutait ; Dorson ne devait même pas connaître son existence. Lothringen aurait-il pu, lui, provoquer ce "rêve" ?

Tant de questions sans réponse... et l'aube était déjà là. Cette impression de ne s'être pas reposé pour un sou lui laissa un goût d'autant plus amer en bouche. Mais il fallait se lever, et agir...

Histoire de tenter de se changer les idées, il exécuta ses petites tâches du lever, machinalement. Rapidement, cependant, les images de son songe lui revinrent à l'esprit. Une caverne, des bâtiments, des plantes étranges, un lac dangereux... Ils risquaient de voir tout cela bien assez tôt.

[Lothringen]

Le groupe déjeuna, puis leva le camp assez rapidement, prenant la direction de l'ouest, sud-ouest, dans l'idée de rejoindre la voie côtière le plus vite possible. Si le prêtre Sylas paraissait tout à fait dans son élément et allongeait volontiers la foulée, la Garde Blanche, souvent dotée d'un équipement lourd, n'avait cependant pas une grande expérience des marches d'infanterie, et les mages peinaient. La drow, pour sa part, soigneusement encadrée par les jumeaux, serrait les dents et suivait le rythme. Après quelques heures, néanmoins, il parut évident qu'elle n'avait qu'une faible endurance, et il fallut faire halte. Au grand soulagement du reste de la troupe... Alors qu'Erwan suggérait à sire Rowan de ralentir le rythme, ce dernier répliqua qu'ils avaient peu de vivres de réserves, et que plus tôt ils rejoindraient la civilisation, plus vite ils pourraient s'asseoir sur une selle.

Ils reprirent leur route dans l'après-midi et marchèrent jusqu'au coucher du soleil. On parlait peu au sein de leur groupe, mais l'humeur n'était pas morose non plus : ils avaient un but, et plus ou moins une idée du chemin à suivre; c'était beaucoup plus que le premier jour. Ils traversaient des plaines désertes, épargnées par la guerre mais aussi par les colons. Aussi, quand ils aperçurent un village, peu de temps avant de devoir bivouaquer, eurent-ils l'impression d'un mirage... Ils pourraient dormir à l'auberge, ce soir-là. On les accueillit sans poser de questions, car les allées et venues de patrouilles n'étaient pas rares dans la région. S'ils soutenaient l'allure, le lendemain, ils finiraient par rejoindre la Voie Côtière, cette grande route qui assurait la liaison nord-sud, entre Manost et Graëlon.

Le deuxième jour se déroulait à son tour sans incident quand, alors qu'ils longeaient un petit bois, Sylas, qui marchait toujours devant, poussa un cri. Mornagest et le second mage, dont il ne se rappelait pas le nom, accoururent : le prêtre avait tiré son bouclier et, masse à la main, s'expliquait avec une araignée géante.

"Elle a surgi de nulle part !"

Une seconde plus tard, c'étaient deux de ses frangines éclipsantes qui venaient dire bonjour aux deux hommes accourus. Les renforts, derrière, allaient mettre un peu de temps à les rejoindre. Le mage se mit à incanter.

[Mornagest]

Le chemin n'était pas difficile, mais long. Mornagest ignorait exactement où ils se trouvaient, et le continent était grand. Immense... ils pouvaient très bien être proches de la côte sans pouvoir l'apercevoir avant une semaine. Néanmoins, ils poursuivirent leur route, s'arrêtant le moins souvent et le moins longtemps possible. Le temps pressait, malgré tout, et leur détermination ne devait pas s'émousser à cause de la fatigue du voyage.

Tandis que la monotonie s'installait tout doucement durant leur périple, Mornagest entendit Sylas s'exclamer. Il était aux prises avec une araignée énorme... elle arrivait à hauteur de poitrine du prêtre ! Inconsciemment, le guerrier songea à la drow. Les araignées étaient leurs mascottes, ou quelque chose dans ce goût-là. Mais elle n'avait aucun moyen d'en convoquer, avec les mains entravées... Repoussant ses idées fantasques, Mornagest dégaina et se positionna à côté de Sylas.

"Attention à son venin !" crut-il bon d'avertir. À ce moment, deux autres araignées apparurent. Il ne connaissait pas les araignées éclipsantes, et leur arrivée soudaine le perturba. Fallait-il les terrasser en premier lieu ? Il se décida pour attaquer les nouvelles venues.

[Lothringen]

J'ai mis longtemps... désolée...

L'une des araignées le suivit, bien décidée à goûter ce nouveau modèle de nourriture. Sylas et Mornagest se retrouvèrent alors côte à côte, mais comprirent vite qu'ils ne pourraient maintenir la ligne : les araignées ne cessaient d'attaquer et de disparaître, se transportant à gauche, à droite, derrière, les faisant tourner en bourrique. Ils n'avaient pas le temps de voir si leur coup avait porté que l'araignée était déjà ailleurs, prête à mordre. Mornagest n'avait pas les jambes aussi bien couvertes que le prêtre : il sentit une violente morsure dans son mollet, se retourna aussitôt, trouva la gueule monstrueuse de l'araignée à portée de lame, frappa. Elle disparut, pour réapparaître, vacillante, à côté de sa consoeur, devant Sylas. Pour sa part, Mornagest se sentit bientôt fiévreux, nauséeux, la vue trouble. Ce poison était rapide ! En regardant derrière lui, il aperçut vaguement le mage, l'entendit crier, vit sa silhouette tomber. Sire Rowan arrivait; une flèche de feu d'Erwan et un coup d'épée bien placés eurent tôt fait de transformer la troisième assaillante, qui avait renversé le mage, en carcasse fumante.

Le guerrier rejoignit le prêtre, attaquant, presque en aveugle, l'une des araignées. Il ne sut pas vraiment qui avait frappé quoi, d'autant que sire Rowan se mettait de la partie, mais les deux choses retombèrent bientôt sur le dos, les pattes recroquevillées. Dieu que ces créatures étaient laides. Pour sa part, il ne tenait plus debout, et dut s'accroupir.

"Vous êtes touché ?" entendit-il dire. Mais Sylas n'attendit même pas qu'il réponde et lui lança un sort. Il se sentait toujours aussi fiévreux et nauséeux, mais sentit que la progression du venin venait d'être stoppée. Il lui faudrait juste un peu... beaucoup de repos. Dans un brouillard, sire Rowan intervint.

"Le mage a aussi besoin de vous, derrière !"

"Je... je suis désolé. Je ne m'attendais pas à ce genre de péril. Je n'ai plus de sort de ce type..."

[Mornagest]

Malédiction. Il fallait évidemment que deux d'entre eux fussent mordus par ces infâmes araignées... il fallait espérer que le venin ne parviendrait pas à tuer le magicien, ce qui était malheureusement probable : lui-même s'était senti tellement faible en un espace de temps tellement court ! Si Sylas ne l'avait pas aidé, il aurait peut-être déjà tourné de l'œil et aurait pu y rester sans plus de formes.

Préférant s'asseoir tant qu'il en avait encore la possibilité, Mornagest balbutia :

"Il... il faut le soigner avec autre chose, mais v... vite ! Ce poison est... est très vif." Il peinait à articuler. Sa nausée se dissipait lentement, mais la tête lui tournait et il avait l'impression d'avoir jeûné pendant une semaine. Le moindre geste lui demandait un effort énorme.

[Lothringen]

Sire Rowan se précipita en grommelant auprès du mage. Ce dernier, immobile, paraissait déjà inconscient. Le manostien fouilla dans son sac, en tira une fiole, et fit glisser son contenu entre les lèvres du mage. Ils attendirent. Des secondes qui duraient des heures. Ceux qui formaient la queue de la file les avaient rejoints, y compris la drow. Erwan finit par prendre le pouls de son collègue, et constata laconiquement qu'il était mort.

La drow, à qui on avait mis un bâillon afin d'éviter qu'elle ne signale leur présence au pire moment, tapait ostensiblement du pied, l'air furieux. Sire Rowan, d'un air las, finit par faire signe à Haldir de la laisser parler.

"J'espère pour vous que ce n'est pas pour nous exprimer votre joie. Je ne suis pas d'humeur."
Elle parut sincèrement surprise.
"Pourquoi me réjouirais-je ?"
"Un mort parmi vos ravisseurs. Des araignées... Vos amies, il me semble."
"Vous n'avez rien écouté de ce que je vous ai dit ? Comme l'ensemble de ma maison, j'ai abjuré Lolth pour Vhaeraun. Si la Reine Araignée nous envoyait ses mignonnes, je serais première sur la liste... Mais je crois plus simplement que vous avez dérangé un nid. Elles aiment être à couvert..."
"Bien. Alors dites vite ce que vous aviez à dire."
"J'ai à vous dire que vous êtes stupide ! Vous envisagez de descendre en Ombreterre et vous venez de gaspiller un antidote ! Vous n'irez pas loin à ce rythme."
Le manostien haussa un sourcil.
"Vous trouvez sûrement plus intelligent de ne rien faire pour conserver en vie ses alliés ?"
"Le poison est rapide et les mages sont faibles. C'était évident que vous arriviez trop tard. Ah, et pour information, moi aussi, je peux lancer un Ralentissement du poison. Si on me laisse lancer le sort, bien sûr."
Ce fut au tour de Sylas de paraître outré; on empiétait sur ses prérogatives.
"Je vous croyais magicienne."
"Par les Enfers, vous ne connaissez vraiment rien aux sous-sols, n'est-ce pas ? Chez les drows de naissance noble, les femelles sont prêtresses et les mâles sont mages ou guerriers."

Erwan semblait fouiller sa Bibliothèque Imaginaire.
"De mémoire, je crois qu'elle dit vrai..."
"Peu importe. On ne peut la laisser libre de ses mouvements", intervint Losha.

[Mornagest]

Mort. Si rapidement... Mornagest aurait tout aussi bien pu subir le même sort, si Sylas ne l'avait pas soigné. Et même, il se sentait si fatigué... la nausée était partie, mais il avait l'impression de n'avoir ni dormi ni mangé depuis trois jours. Et la drow qui se prétendait prêtresse. Comment vérifier cela ? Comment croire qu'elle voudrait les aider à l'avenir ? Elle pouvait tout aussi bien les charmer ou les immobiliser à l'aide de sortilèges pour ensuite les mettre à mort selon les rituels sinistres des elfes noirs.

Tout tournait, sans logique ni réflexion, dans la tête du guerrier. Le mage était mort. Les araignées étaient les amies des elfes noirs. La drow les avait-elle attirées ? Elle prétendait que non, mais...

"Il faut... nous allons..." Mais il ne put achever sa phrase. Il ferma les yeux et les maintint clos, terrassé par l'exténuation.

[Lothringen]

Quelqu'un attrapa sa main et y déposa quelque chose de mou et de tiède.
"Figue sèche", commenta une voix, Haldir sans doute. Quelques secondes s'écoulèrent. Personne n'avait repris la parole. Mornagest devina les regards plantés sur lui, mais répondre lui sembla un effort superflu.
"Il y a un sort pour ça aussi", remarqua la drow d'un ton las, comme si elle s'adressait à des gamins bornés dont elle désespérait de se faire entendre.
"On y réfléchira au besoin, mais pour l'instant, ce n'est pas nécessaire", trancha sire Rowan. "Nous avons fini notre route pour aujourd'hui, il faudra enterrer cet homme et laisser Mornagest se reposer. Écartons-nous tout de même de ce sous-bois..."

Mornagest entendit une partie de la troupe s'éloigner ; quelqu'un creusait la terre, tout près... Quelqu'un d'autre, prenant appui sur son épaule, s'accroupit près de lui. Il ne le reconnut qu'à la voix : Sylas.
"De la part d'un homme de votre gabarit, on s'attendrait à une meilleure endurance... Avez-vous déjà été exposé à un poison ?"

[Mornagest]

La torpeur finit par le quitter progressivement, et il pouvait percevoir son environnement proche de façon plus distincte. Il entendit donc nettement la question de Sylas, et hocha la tête en guise de réponse. Ouvrant la bouche pour parler, il la referma pour avaler sa salive, puis finit par bredouiller :

"Une ten... tentative d'assa... sassa... de meurtre. J'ai failli y rester et j'en garde des... des séquelles."

Des séquelles dont il mesurait pleinement l'importance aujourd'hui : s'il avait pu résister au poison, Sylas n'aurait pas eu à le soigner, et le magicien aurait pu bénéficier de ce sortilège... et serait toujours en vie. Combien de personnes étaient-elles mortes à sa place, depuis toutes ces années ? Pourquoi méritaient-elles cela, alors qu'il croulait sous le poids de tant de malheur et de meurtres ?

La destinée était chose cruelle... surtout si l'on tentait d'y échapper et qu'elle vous rattrapait de façon aussi implacable, pour mieux vous forcer à regarder les conséquences de vos actes.

[Lothringen]

Il y eut un silence, durant lequel Mornagest entendit Sylas ranger son sac ; en jetant un oeil de côté, il vit que le prêtre avait arraché plusieurs crochets à venin sur les cadavres des araignées, et les rangeait soigneusement dans un linge. S'il s'en servait avant que le venin ne sèche, il pourrait en imprégner des armes... Quand le tymoran reprit la parole, le guerrier pouvait presque entendre son sourire.

"Ah oui, les aléas ordinaires de la gloire mélandienne... Il semblerait que vous ayez eu plus d'une fois les faveurs de ma Dame, tout compte fait."

Il termina de ranger son sac, avant de se tourner de nouveau vers Mornagest.

"Vous devriez manger cette figue, cela vous redonnera de l'énergie. Et il n'est pas bon de s'attarder ici, ces bestioles pourraient revenir..."

[Mornagest]

Des aléas parsemés d'embûches, de traîtrise et de mort. La vie mélandienne au conseil était davantage une survie de chaque instant qu'un parcours de santé, il avait eu l'occasion de le ressentir amèrement à plusieurs reprises.

Mornagest hocha la tête à la suggestion de Sylas, et, lentement, il entreprit de manger la figue qu'il lui avait donnée. Il n'en ressentit pas la savoir, et sa texture avait quelque chose d'écœurant, mais c'était sûrement dû à son état plutôt qu'à la qualité du fruit. Même s'il n'en ressentit pas de suite les effets, avaler quelque chose lui fit du bien. Il se sentait revivre...

Au bout de plusieurs minutes, le guerrier avait regagné un peu de vigueur. Il avait les idées plus claires - une punition, hélas, en ce moment dramatique - et il sentait bien qu'il pourrait se redresser. Peut-être avec l'aide de quelqu'un, cependant.

Des échanges qui avaient eu lieu suite au décès du magicien, il ne gardait qu'un souvenir trouble. Il songea brièvement qu'il devrait en reparler avec ses compagnons, mais le moment n'était sans doute pas opportun.

[Lothringen]

Pendant ce temps-là, à leurs côtés, Losha creusait la tombe, et ses coups de pioche rythmaient la scène d'une manière sinistre. Il eut fini de la refermer avant que Mornagest, décidément mal en point, ne se décide à se redresser, appuyé sur Sylas. Une partie de la petite troupe était revenue sur ses pas ; ils avaient mis le délai à profit pour dresser le camp, à deux cents pas de là, près d'un cours d'eau - et ils revenaient pour rendre hommage au mage. Le mélandien n'avait pas vraiment d'autre choix que d'assister à la brève cérémonie, présidée par Hadlis, qui avait été prêtre helmite du temps où Manost avait un dieu. Tout le monde était plutôt mal à l'aise : le mage était toujours resté dans l'ombre d'Erwan, se mêlant peu au groupe, d'autant que le duo avait toujours affirmé qu'il les quitterait avant l'Ombreterre. Le mauvais endroit, le mauvais moment... La prière helmite ne dura guère, et tout le monde rentra au camp. L'heure du dîner n'allait plus tarder; ce serait sans doute le bon moment pour discuter...

[Mornagest]

L'ambiance était morne. Quelques paroles étaient échangées durant le repas, mais dans l'ensemble, le silence était accablant. Chacun songeait au magicien, mort à cause de leur imprudence. À la prêtresse drow... que lui-même avait considéré comme une magicienne jusqu'à cet après-midi. Quelle bêtise ! Il était étranger aux elfes noirs, mais il savait tout de même que les femmes ne pratiquaient quasiment jamais la magie profane. Les vestales de Lolth étaient suffisamment connues... Il leur faudrait lui faire davantage confiance s'ils désiraient réellement atteindre Lothringen. Ses conseils seraient sûrement indispensables pour survivre au-dessous. Et puis... elle risquait autant sa vie qu'eux, car elle avait rejeté Lolth. Un crime grand chez les elfes noirs, pour ce qu'il en savait.

Mornagest se sentait encore faible, mais le fait de manger un peu lui fit du bien. Il se força cependant, car il n'avait pas vraiment faim ; le poison l'avait retourné, et il avait surtout envie de dormir, maintenant. Avec un peu de chance, demain, il serait sur pied. Mais d'ici là, il allait falloir revoir leur mode de fonctionnement...

"Nous allons être obligés de laisser l'elfe noire plus libre de ses mouvements... que ce soit en Ombreterre ou maintenant. Inévitablement, cela se produira... comment pouvons-nous l'empêcher de nous fausser compagnie ? Sans parler de nous tuer, bien sûr..." Il s'adressait à Sire Rowan, mais leurs voisins directs pouvaient l'entendre. Sylas n'était pas loin, non plus. De toute façon, ils allaient devoir prendre une décision.

[Lothringen]

Sire Rowan haussa les épaules, embarrassé. Il n'oubliait pas que la drow aurait pu sauver le mage qu'ils venaient d'enterrer, mais lui accorder la moindre confiance lui semblait une erreur potentiellement tout aussi fatale...

"Même si cela nous ralentit, je ne suis pas très favorable à l'idée de la laisser libre de ses mouvements, du moins tant que nous serons en surface - la magie divine comporte elle aussi quelques tours susceptibles de l'aider à fuir. Et puis, elle nous l'a dit elle-même : elle a tout à perdre à se confronter de nouveau aux drows ou à son frère ; elle n'aura de cesse que de nous fausser compagnie."

Sylas donna involontairement un coup de cuillère dans sa gamelle qui attira sur lui l'attention de l'assistance.

"Je me demandais... N'avez-vous rien d'utile dans la réserve de matériel de la Garde Blanche ?"

"Nous avons des artefacts susceptibles de bloquer son accès à la magie, mais ce n'est pas ce qu'Hug... Mornagest proposait, je crois. Pensez-vous à quelque chose de particulier ?"

"Un parchemin de quête."

Il y eut un silence, avant que l'ancien capitaine de la Garde ne se décide à répondre.

"Nous avons cela. Je... Doit-on en arriver là ?"

Tout mage qu'il était, il avait quelques principes, et le sort de quête était à ses yeux ce que l'on pouvait faire de plus pernicieux en matière de coercition mentale.

[Mornagest]

Les solutions existaient, mais elles ne paraissaient pas emballer sire Rowan. Pour quelles raisons, précisément, Mornagest l'ignorait. Il connaissait en partie les effets d'un sort de quête, mais pas de façon aussi précise qu'il l'aurait voulu. Visiblement, cela comportait des aspects que l'ancien commandant de la Garde n'appréciait guère.

"Existe-t-il une autre alternative qui nous soit accessible ? Il s'agit de ne pas sombrer dans les travers que nous reprochons à nos adversaires... Si nous avions davantage de temps, nous pourrions envisager de gagner sa confiance de façon plus mesurée. Mais la contraindre par magie à nous obéir ne me plaît pas beaucoup non plus."

Voilà qui ferait avancer la question, à coup sûr. Ils étaient au pied du mur. Et ils ne pouvaient pas perdre trop de temps à tourner autour du pot.

[Lothringen]

Néanmoins ses interlocuteurs semblaient avoir fait le tour des options disponibles, et elles étaient déjà singulièrement plus nombreuses que pour la plupart des groupes d'aventuriers, qui ne disposaient pas d'ordinaire d'autant de matériel.

"Je suppose que si nous la connaissions mieux, nous pourrions trouver des arguments, des contreparties... ou même actionner la corde sensible, les drows doivent bien en avoir une, s'appelât-elle vengeance", hasarda Losha. Ses épaules s'affaissèrent. "Mais tout ce que nous savons d'elle, c'est qu'elle vient de passer plusieurs années pétrifiée après avoir tenté d'assassiner le conseiller..." Et encore, on ne savait pas grand chose des circonstances de cette affaire. La drow serait-elle prête à leur en révéler davantage ? Rien n'était moins sûr.

"En prime, elle doit probablement nous prendre pour des incapables, vue notre méconnaissance de l'Ombreterre. Elle n'a cessé de nous cracher son mépris depuis le début, et je ne vois pas comment lui montrer notre valeur, dans l'immédiat..." renchérit Haldir. Son frère, qui était en train de la surveiller un peu plus loin, ne put intervenir, mais, toujours aussi bavard, il se serait probablement contenté de hocher la tête.

[Mornagest]

Quel était le plus grand risque ? Arriver trop tard pour sauver Lothringen, se faire tuer avant même de pouvoir le revoir, ou se perdre en Ombreterre parce que la prêtresse s'était enfuie ? Épineuse question qui n'appelait aucune réponse claire. C'était bien pour cela que personne n'osait prendre une décision. Or, il faudrait bien passer par là pour pouvoir avancer à nouveau et poursuivre leur périple.

"Gagner sa confiance me paraît difficile. Mais nous allons avoir du temps à passer avec elle d'ici à ce que nous retrouvions Lothringen. Le meilleur moyen que nous avons à disposition est de nous montrer capable d'affronter les dangers sur notre route. Nous... n'avons pas bien commencé, il faut le dire", ajouta-t-il, sinistre, "cependant, les drows respectent les forts et les audacieux. Acceptons les risques et prouvons-lui que nous sommes dignes de son intérêt. Sans sa coopération, cette mission est vouée à l'échec. Et la lier par la contrainte est une option visiblement très difficile à envisager."

Facile à dire. Qui oserait prendre le risque de la laisser libre de ses mouvements, même de façon parcellaire ?

"Admettons que nous la détachions. A-t-elle de quoi fuir instantanément, ou nous assommer tous autant que nous sommes ? Si nous sommes toujours au moins deux - ou plus - à veiller sur elle, qu'avons-nous à craindre ?"

Il se faisait sans doute l'avocat du diable, et il était conscient que son passé ne jouait pas en sa faveur alors qu'il tentait de convaincre les autres. Y verraient-ils une manœuvre de sa part ?

[Lothringen]

"Cela suppose une vigilance de tous les instants, jour et nuit. Et nous ne sommes plus si nombreux..." remarqua sire Rowan. "Nous ne sommes que sept*, nous passerons à six lorsque Erwan nous quittera, à l'entrée d'Ombreterre. Bon, il nous faut prendre une décision : votons."

L'issue du vote fut que, pour l'instant du moins, et par cinq voix contre deux - Erwan ayant voté dans le même sens que Mornagest - on ne toucherait pas aux liens de la drow. On reconsidérerait la question à l'entrée d'Ombreterre. Il n'y avait plus à discuter; chacun prit ses dispositions pour la nuit. Le lendemain, avait annoncé sire Rowan, ils rejoindraient la Voie Côtière ; la route serait alors bien plus rapide, mais aussi plus dangereuse. On pourrait redouter les indiscrétions des aubergistes ou des voyageurs de rencontre : ils étaient peut-être recherchés, et si Guiguemar d'Aulfray avait toujours quelque pouvoir, mieux valait rester sur ses gardes...

HRP : tu peux avancer, la nuit se passe sans incident.

*Pour mémoire, le groupe est composé de :
- Sylas, prêtre de Tymora
- sire Rowan, guerrier-mage
- Mornagest, guerrier
- Haldir, guerrier
- Hadlis, guerrier-prêtre (Helm : sorts inaccessibles)
- Losha, paladin (Torm)
- Erwan, mage
... et donc la drow, Myalë, prêtresse de Vhaeraun

[Mornagest]

La décision fut prise, et même s'il sentait que la situation risquait de s'aggraver, Mornagest n'avait plus qu'à s'incliner. Peut-être se trompait-il. Mais ils avaient besoin de la prêtresse, de gré ou de force. Et de gré... c'était préférable.

Il dormit comme une souche, cette nuit-là, contrairement à ses craintes. Malgré toutes les questions qui demeuraient en suspens, malgré les dangers, malgré les doutes... la fatigue accumulée durant cette funeste journée l'avait terrassé comme un coup de gourdin sur la tête. Et ses rêves furent apparemment sans encombres, car il se réveilla non pas en pleine forme, mais suffisamment reposé pour attaquer cette journée comme il se devait. La marche serait encore longue, et si des créatures hostiles devaient se manifester...

"Le long de la côte, nous devrions être moins exposés aux attaques comme celle d'hier... en revanche, comment passer inaperçus, nous tous ? Avec la prêtresse ?" Des elfes noirs, ça ne courait pas les rues. Ils seraient rapidement repérés tout au long de leur parcours s'ils ne se méfiaient pas suffisamment. Mais ils ne pourraient pas indéfiniment rester à l'écart de tout contact avec les communautés locales.

[Lothringen]

Sire Rowan fit la moue.

"L'idée, en rejoignant la Voie Côtière, était de gagner en rapidité. La route est jalonnée de relais destinés aux estafettes ou aux militaires en mission, et normalement nous n'avons qu'à nous présenter pour ce que nous sommes pour y obtenir des chevaux. En revanche une fois que ce sera fait il faudra alors faire vite, très vite, et peut-être renoncer à circuler sur la route pavée - afin d'aller plus vite que les nouvelles, en somme. Peut-être l'alerte a-t-elle été donnée partout notre encontre, et peut-être les personnes averties de ce qu'il s'est passé ne sont-elles pas si nombreuses... Pensez-vous que le jeu n'en vaille pas la chandelle ?"

Circuler à cheval jusqu'à la Cordillère représentait en tout cas un gain de temps considérable...

[Mornagest]

Le temps pressait, c'était évident. Le plus difficile était de savoir comment en gagner un maximum sans prendre de risques inconsidérés. Les nouvelles circulaient, Lothringen était en danger, l'elfe noire risquait de s'enfuir ou d'attirer les ennuis - malgré elle ou non... cela faisait beaucoup de paramètres dont il fallait tenir compte. La décision de voyager à cheval sur la distance la plus longue possible paraissait sensée.

"Je crois, malheureusement, que nous n'avons de toute façon pas le choix. Si nous tardons trop, nous risquons de tomber sur des soldats ou des miliciens au courant de la situation. Qu'ils donnent l'alerte ou qu'ils nous attaquent directement serait une catastrophe... et puis, voyager le long des routes, même sur une courte distance, réduira les risques d'être attaqués par d'autres créatures."

Les fins fonds du Bosquet regorgeaient de toutes sortes de monstres. Les araignées étaient peut-être les moins dangereux à craindre. Une horde d'orques les réduirait en charpie, et des hamadryades pourraient facilement les convaincre que les bois n'étaient vraiment pas faits pour être arpentés.