[Lieu-dit] Le quartier populeux et les quais

[Manfred]

La prêtresse observa un temps de silence avant de murmurer :
« Il semble qu’une vague entropique traverse notre monde. Même la toile d’ombre ne peut s’y soustraire. Cela dit, plus fermement tissée que celle de la sotte Mystra, elle sera moins affectée. Et nous autres, fidèles de Shar, pouvons encore agir là où bien d’autres demeurent impuissants. »
La prêtresse se remit à détailler le corps de l’artiste avant de poursuivre :
« En échange d’une donation au temple, il se peut que le regard de la dame des ombres daigne se poser sur votre ami. »

[Kededric]

Une vague entropique ? C'était incroyable. Le Temps des Troubles revenait-il à la charge ? Les dieux allaient-ils à nouveau errer parmi les mortels ? Le chaos risquerait d'être total, et Kededric n'aimait pas vraiment cette idée. Il préféra se dire que cette vague serait de moindre importance, et de plus courte durée... la prêtresse ne paraissait guère inquiète, en tout cas. Inconscience, ou philosophie ?

L'assassin hocha la tête lorsque la sharite parla de donation. C'était légitime, et contenter une divinité comme Shar n'était jamais inutile. Il estima rapidement une somme d'or qui pourrait satisfaire la prêtresse sans paraître outrancier, et il sortit deux cents pièces d'or de sa bourse - quasiment tout ce dont il disposait sur lui, d'ailleurs - avant de les présenter à la femme.

Si seulement la dame des Ombres pouvait s'attarder sur Orchandelle, après la fin de leur mission commune... histoire de faire taire définitivement ses sautes d'humeur insupportables !

[Manfred]

La prêtresse prit l’or. Elle ne compta pas mais estima tout de même la somme qui, visiblement, convenait. Elle l’empocha, puis fit un signe. Une de ses collègues, sortit de l’ombre. Elle lui murmura quelques mots, puis elles échangèrent leur place devant la statue de Shar. La prêtresse à qui s’était adressé Kededric disparût quelques instants de la salle de prière avant de revenir avec deux novices. Elles les envoya chercher l’artiste inerte. Ils le transportèrent jusqu’à une pièce annexe, sur une table. L’assassin fut invité d’un signe à suivre le mouvement. Là, la prêtresse débuta son examen. Elle toucha l’homme évanouit et psalmodia à voix basse des paroles mystiques faisant frémir l’âme. Puis elle se tut et le silence devint total, pesant. Elle ferma les yeux, se concentra plus encore que lors de l’incantation, comme si elle écoutait une réponse. Enfin, elle s’écarta d’Orchandelle et s’adressa à Kededric.
« La vague a touché votre ami, j’en ai bien peur. Ce qui a été fait ne peut être défait, mais... ses jours ne sont pas en danger. Il vivra, il se remettra. À lui d’accepter ce qui suivra. »

[Kededric]

Le rituel divin parut long à Kededric, mais il était peu au fait de la chose ecclésiastique ; peut-être était-ce tout à fait normal. Orchandelle et lui avaient fort à faire, et l'heure tournait.

Finalement, la prêtresse le rassura sur l'état de santé de l'artiste. Quoique... s'il devait vivre des changements dans son comportement, qu'est-ce que cela pourrait impliquer ? Ce serait, en tout cas dans un premier temps, à lui, Kededric, de vivre avec. Il essaya de philosopher en songeant que son état allait peut-être être meilleur qu'auparavant.

"Bien... je vous remercie. Avez-vous une idée de la manière dont cette vague a pu l'atteindre, lui ? Je n'ai pas vu beaucoup de personnes inconscientes pendant notre trajet jusqu'ici..." Pourquoi lui en particulier ? Était-il sensible à cela, ou avait-il des prédispositions pour la Toile sans qu'il le sache ? Si les dieux étaient farceurs, Orchandelle était peut-être ensorceleur...

Kededric ajouta : "Va-t-il bientôt se réveiller ?"

[Manfred]

La prêtresse eut un sourire énigmatique.
« Ha, tant de questions... si peu de réponses. Le chaos est par nature imprévisible. Une vague anthropique est l’expression même de l’imprévu. Ramenez cette personne chez elle et demeurez à son chevet. C’est tout ce que je peux vous conseiller. Évitez également de faire usage de vos pouvoirs durant cette période de trouble, elle ne durera pas. Pour le reste, priez. »
Sur ce, elle s’en alla avec les novices. Voilà Kededric seul à côté de la table, l’artiste inconscient inerte sur cette dernière.

[Kededric]

Shar n'était pas la déesse des secrets pour rien. Ses prêtresses s'exprimaient par énigmes... ou du moins, cultivaient l'incertitude à dessein. Bien. Il n'avait plus qu'à patienter, en espérant que cette vague s'achèverait rapidement et qu'elle ne lui porterait pas préjudice. Pour Orchandelle, c'était déjà trop tard. Les conséquences se mesureraient ensuite...

Après avoir remercié la sharite, Kededric entreprit de porter à nouveau le peintre et de le ramener chez lui. Du repos. Et pendant ce temps, leur proie pouvait vaquer à ses occupations... Griscieux se montrerait compréhensif, sans doute.

[Manfred]

Le retour vers la maison de l’artiste fut particulièrement pénible mais voilà enfin Kededric arrivé à destination. Chemin faisant, il n’avait pu que mieux constater l’étrange atmosphère régnant en ville. Des troubles marginaux mais fréquents se produisaient, le guet avait fort à faire. Ici un groupe priait en pleine rue, là une rixe éclatait, là-bas un truand profitait du chaos pour commettre un larcin quasiment à la vue de tous. Par chance, l’assassin n’avait pas été inquiété. Il prit les clés du peintre, déverrouilla la porte, entra dans le vestibule. Ce fut alors que sa vigilance naturelle le mit en alerte. Il avait entendu un mouvement en provenance de la galerie d’Orchandelle. Des griffes sur le plancher. Il y avait quelqu’un ou quelque chose dans cette direction, quelqu’un ou quelque chose qui désormais devait se cacher car le silence était revenu, presque étrange après la rumeur fiévreuse de la rue.

[Kededric]

La cité semblait en proie au chaos, mais un chaos relativement limité. Si la sharite avait dit vrai, les phénomènes ne dureraient guère, et la situation se rétablirait probablement d'elle-même. L'assassin n'était toutefois guère à l'aise avec de tels événements, sur lesquels il n'avait aucune prise. C'était là quelque chose de frustrant et d'inquiétant à la fois. Néanmoins... il fallait reconnaître que cela mettait un peu de piment à Melandis. Le tout était de garder le sens de la mesure...

Une fois entré chez Orchandelle, Kededric marqua un bref temps d'arrêt pour chercher des yeux un endroit où poser l'artiste. C'est alors qu'il entendit du bruit dans le salon-galerie. Un bruit de griffes. L'assassin songea aussitôt à...

"Guilem ?", appela-t-il sans réfléchir. Et si c'était quelqu'un... ou quelque chose d'autre ?

[Manfred]

Ce fut tout d’abord le silence qui répondit à Kededric, un silence qui ne dura guère cependant. Le bruit de griffes sur le plancher se fit de nouveau entendre, bientôt accompagné par une voix qui rappela effectivement quelque chose à l’assassin.
« Ho, c’est vous. »
Guilem glissa la tête hors du salon-galerie avant de pénétrer complètement dans le couloir. Il était sous sa forme hybride, mi enfant, mi rat, et il était nu, offrant donc un spectacle un rien hideux. Sans doute était-il rentré par un trou quelque part en tant qu’animal et avait donc dû laisser ses habits derrière lui. Quoi qu’il en soit, il paraissait stressé.
« Je vous avais pris pour... »
Ses yeux tombèrent sur l’artiste inconscient. Son ton se chargea de mépris.
« ...cet espèce de déchet. »
Il releva les yeux sur Kededric.
« Il est mort ? Qu’est-ce qui s’est passé ? »

[Kededric]

Après coup, Kededric fut soulagé de constater qu'il s'agissait bien du matelot hybride. Tomber sur un assassin ou un quelconque maraudeur ne l'aurait normalement pas inquiété, mais il avait toujours les bras chargé du peintre ; se battre dans de telles conditions risquait de lui offrir quelque déconvenue.

Il nota le peu de cas que Guilem faisait d'Orchandelle. Il était vrai que l'artiste ne faisait rien pour se faire apprécier, et il doutait que l'avis des autres lui importassent. Et puis, son refus catégorique et son mépris à l'encontre du matelot ne pouvait que susciter de telles réactions... pourquoi était-il si excentrique, c'était là une question que Kededric se posait régulièrement depuis la veille. Toutes les dix minutes, environ, même.

"Il a... fait un malaise. Apparemment, les troubles qui opèrent en ville en ce moment l'ont atteint. Tu as dû les remarquer, toi aussi ? L'air qui ondule, le ciel qui change de couleur..."

Il jugea superfétatoire le fait de lui demander la raison de sa présence ici : Guilem pensait avoir tout son temps pour admirer la galerie de toiles d'Orchandelle. Pas de chance... enfin, le peintre n'était pas en état de rouspéter : pendant que Kededric resterait à veiller sur lui, le marin pourrait continuer sa visite.

[Manfred]

Guilem parût surpris.
« L’air qui ondule ? Le ciel qui change de couleur ? J’ai vraiment loupé tout ça ? »
Il partit en direction des escaliers, les gravit avec une agilité animale et disparût du champ de vision de l’Assassin. Ce dernier put en profiter pour lui-aussi monter à l’étage afin de déposer l’artiste inerte sur son lit. Sa chambre, comme tout le reste de la maison, exception faite de sa galerie et de son atelier, était délaissée, crasseuse, puante. De quoi inspirer un taudis. Guilem revint peu après. Il avait dû jeter un coup d’œil par une des rares fenêtres ouvertes. Toutes celles du rez-de-chaussée étaient condamnées.
« Alors, donc, les rumeurs du port ce sont confirmées. On dirait que c’est un sacré bordel, dehors. »
Il disait cela sur le ton de la conversation, comme si le sujet ne le concernait pas. D’ailleurs, il en changea l’instant d’après.
« Vous avez vu sa galerie ? Elle est extra ! Tellement flippante aussi ! Je comprends pourquoi le capitaine tiens à ce que ce soit lui qui lui fasse ses tableaux. Et d’ailleurs, votre mission ? C’est partie en couille ? »

[Kededric]

Le peintre ne donnait toujours aucun signe de reprise de conscience. Kededric espérait que cette "attaque" ne durerait plus trop longtemps. Quitte à perdre cette journée pour agir - après tout, ils n'en étaient pas à quelques heures près - mais au moins, l'assassin serait rassuré quant aux aptitudes d'Orchandelle à terminer cette délicate mission. Il repensa aux propos de la prêtresse... il en sortirait sans doute affecté d'une manière ou d'une autre...

Guilem ne paraissait guère impressionné par les phénomènes en ville. Il n'avait pas dû ressentir leurs effets, ce qui était possible : dans les rues, certaines personnes avaient eu l'air particulièrement affectées, tandis que d'autres semblaient tout à fait dans un état normal. Étrange... il s'interrogea sur les conséquences que cela pourrait avoir sur lui-même. Heureusement, il n'avait pas été rendu inconscient, lui.

"Oui, il a une manière inquiétante de représenter la mort. Mais il faut admettre qu'on se croirait au sein de la scène qu'il dépeint à chaque fois." La mission, en couille... d'une certaine façon, oui, mais c'était peut-être temporaire. Kededric poursuivit : "Pour aujourd'hui, je pense que la suite des opérations va surtout consister à attendre qu'il revienne à lui. Ensuite, en fonction de son état, nous agirons, ou nous remettrons notre visite à demain. De toute façon, je ne peux pas travailler sans lui. Tout l'intérêt consiste à la réalisation de ces tableaux..." Il se demanda comment Orchandelle avait pu peindre autant de toiles auparavant. Faisait-il appel à d'autres assassins ? Ou tuait-il lui-même ? Cette option n'était guère crédible, il n'était pas bâti pour ça. La question restait en suspens.

[Manfred]

« C’est dingue ça ! J’adore ce qu’il fait et je déteste ce qu’il est ! répondit Guilem. En tout cas, il a bien choisi son moment pour tomber dans les pommes. Votre cible risque de partir dans la journée, c’est ce que le capitaine m’a dit. En même temps, peut-être qu’avec l’espèce de phénomène bizarre, ça le retiendra. Faudrait peut-être que j’aille vérifier... »
Cette perspective semblait ne pas vraiment le tenter. Ses yeux s’étaient machinalement tournés vers l’escalier, vers la galerie qu’il n’avait probablement pas achevé d’admirer.
« Ou peut-être que je devrais faire mon rapport. Le capitaine a peut-être d’autres instructions, enfin il en aura peut-être s’il sait que le peintre est KO. »
Il parlait, mais ne bougeait pas. Kededric, lui, eut une sale impression. Il ressentait subitement plus précisément les ondulations de la toile. Et cette proximité avait quelque chose d’effrayant, comme s’il risquait d’être pris dans cette toile, désintégré par son énergie.

[Kededric]

Le marin paraissait tellement détaché de ce qui se passait en ville, c'en était presque drôle. Du moins, ça l'aurait été si Kededric ne ressentait pas à nouveau ce malaise, comme s'il avait trop mangé de pudding au foie gras - ce qu'il avait le bon goût de ne jamais faire, évidemment. Le phénomène qui agitait tout Melandis ne semblait pas vouloir s'arrêter complètement, et l'intensité des "vagues" variait grandement au fil des minutes. Pourvu que ça ne s'accentuerait pas encore davantage...

"Mmh, c'est à toi de voir si tu préfères aller informer le capitaine. Je n'ai pas d'ordre à te donner, après tout. De toute manière, tu as un peu de temps. Je ne vais sans doute pas m'éloigner du peintre avant d'être certain qu'il ne risque pas de se suicider à son réveil, ou d'aller se confesser auprès des gardes impériaux. Quant à moi, ces... cette magie... ou plutôt, ces variations dans la Toile me donnent la nausée. Je préfère rester au calme quelque temps."

Rien que le fait d'en parler lui donnait mal au cœur.

[Manfred]

Kededric avait à peine achevé sa phrase qu’il y eut comme une étincelle dans son esprit. Il avait heurté la toile, si une telle chose était possible. Le monde se mit à tanguer, son équilibre devint précaire. Il dût s’appuyer au lit d’Orchandelle pour ne pas tomber. Ses oreilles sifflaient désagréablement et il ne tarda pas à se rendre compte qu’il venait de perdre toute son énergie magique. Il ne pouvait plus lancer le moindre sort. La sensation s’estompa et il réalisa que le jeune rat-garou se trouvait juste devant lui en train d’agiter sa main griffue face à ses yeux afin d’essayer de capter son attention.
« Hé ho, ça va ? Restez avec moi, ce serait sympa. Vous voyez mes doigts ? J’en ai combien ? »
Guilem semblait dépassé. Il n’était qu’un gosse et tous les adultes de cette maison semblaient... mal en point. Il devait prendre la mesure de ce qui se passait à l’extérieur.

HRP : ton personnage est passé en v5. Il ne peut lancer aucun sort, pas même les sorts mineurs, avant un repos long. Dès qu’il étudiera son grimoire, il constatera que celui a inexplicablement changé, comme si c’était celui d’un autre mage et que pourtant Kededric peut parfaitement lire.

[Kededric]

Le monde avait tangué dangereusement, comme s'il avait trop bu d'eau-de-vie. Hélas, il ne pouvait pas mettre cette terrible sensation sur le compte de l'alcool... au moins, il aurait su qu'il ne devait s'en prendre qu'à lui-même. Non... ce qui l'affectait, c'était la Toile, qui se déformait à vue d’œil, et qui entraînait avec elle ses facultés magiques. Toute sa mémoire arcanique semblait évaporée ! Il dut lutter pour ne pas s'évanouir. Et même alors, sa vision était trouble...

Il finit par entendre Guilem. Des doigts ?

"Euh" fit-il, désemparé."Trois ?" Il cligna plusieurs fois des yeux pour essayer de recouvrer pleinement la vue. Guère brillant...

"Bon sang... j'ai l'impression d'avoir traversé un ouragan en coquille de noix", grogna-t-il avant d'avoir un haut-le-cœur. Il ne vomit cependant pas, mais c'était moins une.

[Manfred]

Guilem bondit en arrière pour éviter de se faire arroser par Kededric, une précaution qui s’avéra inutile.
« Bon sang, c’est dingue ce qui se passe ! »
Maintenant il se sentait concerné et même un brin inquiet. Heureusement, l’assassin reprenait prise sur la réalité. Le malaise s’éloignait et, avec lui, l’anormale présence de la toile. Bien sûr, rien ne prouvait que cela ne recommencerait pas, mais la crise semblait passée.
« Bon, heu, moi, je vais faire mon rapport, reprit le jeune rat-garou. Ça part en vrille, j’dois reprendre mes ordres ! »
Il fit volte-face, se dirigea vers la porte. Un bruit le fit se figer sur place. Un gémissement... Celui de Blazius Orchandelle. Le peintre semblait revenir à lui.

[Kededric]

Après cette nausée, Kededric se sentit un peu mieux, ou en tout cas, moins mal. Guilem prit congé, et c'était une bonne chose : Orchandelle revenait à lui, et il n'aurait sûrement pas goûté la présence du matelot qu'il avait si peu élégamment renvoyé dans ses pénates la veille au soir.

"Orchandelle ? Comment vous sentez-vous ?", fit l'assassin, conscient que la question était sans doute un peu prématurée. L'artiste ne l'entendait probablement pas encore très distinctement, et il ne sortait pas d'une simple sieste...

[Manfred]

Mais Guilem n’était pas encore sorti. Il se trouvait encore sur le seuil, s’étant immobilisé en entendant l’artiste gémir. Curieux, il observa depuis sa position. Après tout, le capitaine demanderait sûrement dans quel état se trouvait le peintre, c’était un paramètre important pour la tâche engagée.

Orchandelle ouvrit les yeux. Il semblait passablement perdu. Son visage n’exprimait rien. Il ne sembla même pas reconnaître Kededric qu’il se mit pourtant à détailler avec une morbide intensité. Puis, sans dire un mot, il se redressa sur son séant, regarda la chambre. Son regard, forcément, finit par tomber sur le matelot. Lui non plus, il ne le reconnu pas mais, pour le coup, cela pouvait aisément s’expliqué. Ce matin, il avait méprisé un mioche crasseux. Là, il contemplait un rat-garou sous forme hybride et dans le plus simple appareil. Guilem déglutit avec difficulté, recula d’un pas, entrant de fait dans le couloir, puis il s’adressa à l’assassin :

« Heu, j’aime pas bien comment il me fixe. Vous pensez pas qu’il a pu perdre l’esprit ? »

[Kededric]

Le visage du peintre exprimait un désarroi total. Se souvenait-il simplement de son nom ? Peut-être avait-il simplement besoin d'un peu de temps pour retrouver ses esprits et se rappeler tout cela. Sans quoi... le capitaine devrait dire adieu au reste de ses tableaux.

"Sûrement. Mais c'était il y a longtemps, je pense.", fit Kededric, pince-sans-rire. "Orchandelle ? Me voyez-vous ? Essayez de parler." intima-t-il au peintre. Pour l'instant, il était impossible de constater l'ampleur des dégâts que la vague magique avait pu lui causer. L'assassin se mordit la lèvre. Il était nerveux.

[Manfred]

Le peintre se mit effectivement à parler et ce fut pour lâcher un unique mot, un mot prononcé avec extase, avec passion :
« Magnifique... »
Il regardait toujours Guilem, le mot devait donc lui être destiné, aussi difficile à imaginer que ce soit.
« Ma,gni,fique ! » répéta-t-il, plus fort et en détachant chaque syllabe.
Il détaillait le rat-garou de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête, son visage se parant du masque de l’inspiration, cette même inspiration macabre qu’il avait eu devant l’animal crevé dans le caniveau ou devant la dépouille d’Irène Beau-sabbat. Totalement stupéfait, le matelot demeurait figé sur place. En vérité, il avait peur, réellement peur, Kededric le devina. Et faire peur à un gamin de ce genre, c’était tout sauf facile. Ne passait-il pas son temps en compagnie de monstres ? N’était-il pas au service d’un capitaine diabolique ? Blazius Orchandelle se leva. Il vacilla quelque peu mais retrouva vite son équilibre.
« Mon matériel, il me faut mon matériel ! Et une mise en scène, une mise en scène ! Reste là, rat. Parfait, tu seras parfait ! »
La seconde d’après, il dévalait son escalier au pas de charge. Guilem s’était plaqué au mur et il tournait maintenant la tête vers le rez-de-chaussée.

[Kededric]

La stupéfaction était de mise. Kededric n'y échappa pas, et il fixait maintenant tour à tour les visages d'Orchandelle et de Guilem, pour y lire, respectivement, de l'admiration face à un spectacle de toute beauté, et une frayeur sourde et brute. Le choc avait été violent pour le peintre, et il l'accusait en trouvant de l'esthétique à un rat-garou nu et difforme. Hum...

Alors qu'Orchandelle rassemblait son matériel, l'assassin dit au matelot :

"Bien, bien. Je pense qu'il vaut mieux que tu restes là et le laisses terminer ce dont il a envie, Guilem. Je ne voudrais pas contrarier notre ami avant de poursuivre ma mission en sa compagnie. Sois patient. Et n'aie crainte, il ne te sautera pas à la gorge. Je l'en empêcherai s'il le faut, mais je pense que tu sais te défendre..."

Finalement, cette situation était plus cocasse qu'autre chose. De son point de vue, en tout cas.

[Manfred]

« Mais vous délirez, couina Guilem, qui se remettait tant bien que mal de sa peur. Ce type ne peint que des morts ! Des morts ! Pas des vivants, des morts ! J’ai pas envie d’aller rejoindre sa galerie, même si elle a trop la classe ! Moi je voulais juste la regarder ! »
Il jeta un énième coup d’œil vers l’escalier mais il semblait plutôt attiré vers une pièce au fond du couloir où devait être accessible le trou par lequel il était entré ici. En bas, Orchandelle faisait preuve d’un empressement tout à fait excessif, c’était ce que laissaient deviner le bruit de ses pas précipité. Il était peu probable qu’il parvienne à quoi que ce soit dans cet état.
« Je me tire ! Débrouillez-vous avec ce fou ! » ajouta encore Guilem.
Il voulut partir mais sursauta. Malgré sa surveillance de l’escalier, le peintre était parvenu à le surprendre. Et pour cause, il avait même surpris l’assassin car il venait de grimper les marches avec une célérité tout simplement diabolique. Et le voilà, avec tout son matériel, rassemblé en moins d’une minute. Il souriait et son sourire avait de quoi effrayer un truand des bas-fonds.
« Une situation, il me faut une situation ! répéta-t-il. La pendaison ? Ou une scène de torture artisanale ? Un décès pathétique ? Au contraire, le contraste entre le sujet et l’acte ? Trop d’idées, j’ai trop d’idées ! »

[Kededric]

Évidemment, Guilem n'avait pas envie de devenir le sujet mort d'un des tableaux d'Orchandelle. C'était curieux, comme point de vue. Mourir était quand même quelque chose d'intéressant... tant que ça concernait les autres, bien sûr. Le peintre ne laissa en tout cas plus d'équivoque vis-à-vis de ses intentions lorsqu'il énuméra toutes les mises en scène auxquelles il pensait pour le matelot rat-garou.

"Eh, c'est qu'il semble t'avoir réellement pris pour sujet. Bon. Il va falloir le raisonner." Il fit signe à Guilem de s'en aller pendant que lui-même parlerait au peintre. Ne serait-ce que pour lui faire perdre un peu de temps.

"Allons, allons. Blasius, nous n'allons pas perdre du temps à dépeindre un vulgaire métamorphe velu comme cela ? Alors qu'il nous reste de chères victimes dont nous devons nous occuper pour notre employeur commun. N'oubliez pas : la prochaine se trouve dans le quartier occulte. Ce sera certainement un magicien ou quelque chose du genre..."

Écoutait-il seulement ?

[Manfred]

Oui, il écouta, il comprit même. Hélas, sa réponse fut de nature à faire naître bien des inquiétudes à l’assassin. L’artiste, une moue de furieuse contrariété peinte sur son délicat visage, se tourna vers lui. L’instant d’après, ses yeux se mirent à briller d’une lueur rouge indéniablement surnaturelle, pour ne pas dire impie. Encore une seconde et Kededric volait contre le mur au fond de la chambre, projeté par une force invisible, probablement un sortilège de télékinésie. Le choc fut rude et il fut étourdit. Il crut alors remarquer que l’ombre du peintre s’était mise à onduler, à se déformer, mais alors qu’il prenait conscience de cela, le phénomène s’estompa. Il vit, par l’embrasure de la porte, Orchandelle se tourner vers le couloir où Guilem devait s’enfuir, à en juger par le bruit de ses pieds griffus. L’artiste tendit la main, rugit :
« Reviens là !!! »
Et le rat-garou revint, bien malgré lui, emporté par cette même force invisible. Le voilà pendu par le cou à la poigne de l’artiste qui, visiblement, pouvait le soutenir d’une seule main. Ce n’était pas franchement un exploit, n’en demeurait pas moins que le matelot, sous cette forme, devait quand même dépasser la trentaine de kilos. Il se débâtit, terrorisé, en poussant des cris étranglés particulièrement hideux. Ses pieds et sa queue battaient dans le vide. Blazius se calma subitement, eut même un sourire et tourna la tête vers Kededric :
« N’est-il pas minions ? Venez, aidez-moi. Il me faut choisir une mise en scène et vous m’aiderez à la réaliser ! »

[Kededric]

Le choc l'avait surpris, mais surtout, le fait que le peintre avait pu réaliser un tel tour... avait-il acquis des pouvoirs magiques suite à sa "rencontre" avec la Toile ? Cette lueur rougeâtre dans les yeux évoquait plutôt une influence démoniaque qu'une bénédiction apportée par Mystra ou Shar... d'autant que la prêtresse sharite n'avait pas évoqué une telle interception sur l'artiste.

La situation devenait critique. Orchandelle semblait vouloir à tout prix assassiner Guilem, et il avait les capacités pour les maintenir prisonniers chez lui s'il le désirait. Et rien ne disait qu'il ne s'en prendrait pas à Kededric, une fois le matelot mort et son décès mis en scène sur une toile.

Le choix était assez simple, somme toute. Ils devaient fuir ce dément et rendre compte auprès du capitaine de son changement de comportement. Griscieux n'était pas borné, il comprendrait... d'autant qu'il faisait confiance à Guilem.

Restait à savoir comment s'en aller de cette maison. La chose ne serait pas aisée, et l'assassin ne disposait plus de ses sortilèges pour s'arracher à l'attention d'Orchandelle.

"Et... que voulez-vous que je fasse, alors ?" fit-il d'une voix mal assurée, et en se massant le dos et l'arrière du crâne. Gagner du temps... et se jeter sur lui avec l'aide de Guilem, dès que possible.

[Manfred]

« Mais me donner votre avis, que diable ! s’énerva Orchandelle en secouant par la même occasion Guilem. C’est un grand honneur que je vous fais en vous permettant de l’exprimer ! Et d’ailleurs, pourquoi vous fais-je cet honneur ? Je n’ai pas l’impression que vous le méritez. »
L’artiste se troubla, devint pensif. Il lâcha le jeune rat-garou qui s’étala à ses pieds et qui fut ensuite agité par une quinte de toux.
« D’habitude, la mise en scène s’impose à moi. C’est une vision claire, limpide, impérieuse. Là, je ne sais pas, j’ai trop d’idées, trop d’imaginations. C’est dur, c’est si dur de choisir... Et, toi, reste ici, je te prie ! »
Le matelot était sur le point d’à nouveau s’enfuir. Pour l’en empêcher, le peintre plaça son pied sur sa queue de rongeur et appuya assez fort pour qu’il se tienne tranquille.
« Donc oui, je comprends pourquoi je vous demande ça. Vous devez m’aider, assassin. Je déteste les dilemmes ! Je déteste perdre mon temps !
- Attendez ! Vous pouvez pas faire ça ! glapit Guilem, qui n’était pas à cours de ressource quand il fallait sauver sa peau.
- Ho que si, je le peux. Ma galerie te réclame. Je l’entends en ce moment crier ton nom ! Elle est si impatiente !
- Je ne dis... je ne dis pas le contraire mais si vous me tuer, je vais me retransformer, je n’aurais plus la même apparence. »
Orchandelle allait répliquer mais il sembla en proie à un affreux doute.
« Vraiment ? Non, tu mens ! Pourquoi tu changerais ?
- Parce que c’est comme ça que fonctionne la lycanthropie, espèce de gros malade ! »
Orchandelle fixa Kededric, histoire d’avoir son avis.

[Kededric]

Comme s'il allait l'aider à choisir comment tuer Guilem. Mais les idées d'Orchandelle semblaient se bousculer les unes contre les autres dans sa tête, tellement fort qu'il lui parut les entendre s'entrechoquer avec un tintement sinistre. Ou alors, c'était plutôt la douleur sourde qu'il ressentait encore après le choc contre le mur...

Le rat-garou était vif, et encore plus d'esprit que de corps. Il tenta de convaincre le peintre, et l'assassin saisit la balle au bond.

"Eh bien... les lycanthropes naturels... ceux qui sont nés ainsi, conservent leur forme après leur décès, mais notre ami, ici, n'est pas de cette espèce. Il a été... contaminé par la maladie. Le tuer ne vous servira à rien d'autre que d'avoir ensuite pour tâche de devoir vous débarrasser discrètement du corps, et aussi, sans doute, de devoir vous défendre de ses amis qui viendront indubitablement le venger ensuite."

La provocation était sans doute inutile, mais les nerfs de Kededric commençaient à craquer. Fait rare, mais pas impossible, apparemment...

[Manfred]

« C’est une menace ? » gronda Orchandelle, les traits crispés, les poings serrés.
Ses yeux se remirent à luire d’une lueur rouge et mauvaise. Dans le même temps, un bourdonnement désagréable se fit entendre et les petits objets se mirent à vaciller dans la pièce. Le peintre dût aussi appuyer plus fort sur la queue du rat-garou car celui-ci brailla un bon coup. Puis... tout redevint calme et l’artiste se fendit d’un sourire radieux. Il brandit les mains et déclara, joyeux :
« J’ai la solution ! Personne ne va mourir aujourd’hui... »
Il poursuivit, menaçant :
« ...sauf si vous continuez à me contrarier ! »
Il retira son pied avant de le balancer dans le postérieur de Guilem, l’expédiant dans la chambre. Il se recula ensuite dans le couloir, reprenant d’un ton mielleux :
« J’ai une potion qui plonge celui qui la boit dans un état de mort illusoire. Elle fera merveille ! Vous ne pensez pas ? Seulement... il me faut... une mise en scène ! Allez-y, assassin, décrivez-moi une mise en scène ! Je veux qu’elle m’inspire ! Je veux que je me dise que ce soit la bonne, celle réclamée par ma galerie ! Commencez par... une mise en scène terrible, pour voir, ou pathétique ! Décrivez ! Décrivez ! Choisissez bien vos mots pour que ce ne soit pas vos derniers ! Et ne vous en faites pas pour les accessoires de ladite mise en scène, s’il faut quelque chose, je l’aurai forcément. »
Il ouvrit une de ses mains, paume vers le haut. Apparût dans celle-ci un fouet. Le fouet se tortilla comme un serpent puis se mua en tisonnier chauffé au rouge, avant que lui-même ne se mue en rose délicate.

[Kededric]

Orchandelle était incontrôlable, tant psychiquement que physiquement. Et il semblait avoir gagné des attributs d'ensorceleur, pour ainsi faire apparaître et changer de forme des objets dans sa main, et faire lui-même onduler les bibelots de la pièce. Ce n'était pas un prêtre qu'il lui faudrait, mais trois...

Pour l'heure, avait-il le choix ? La négociation ne semblait guère fonctionner, et son caractère irascible n'arrangeait rien à son pouvoir désormais sans limite apparente. Kededric devait coopérer, de même que Guilem.

L'assassin soupira brièvement, pris au dépourvu. Une inspiration pour une mise en scène de meurtre ? Ce n'était pas lui, l'artiste. Lui, il exécutait... proprement, rapidement, avec ou sans torture ; ça, il savait faire. Mais une disposition qui siérait à ce cinglé ?

Kededric essaya de réfléchir à toute allure. Quelque chose d'original et de... comment avait-il dit ? Pathétique ?

"La nudité du sujet offre déjà un côté très pitoyable, surtout au regard de son physique disgracieux. Il faudrait un accessoire qui l'infantiliserait. Une poupée de chiffon, par exemple, ou un jouet quelconque. Une position du corps grotesque, peu naturelle, renforcerait bien l'effet misérable ; les grands hommes, eux, prennent de belles postures pour mourir."

Cela suffirait-il au peintre ? Son esprit dérangé trouverait sûrement quelque chose sur cette base, mais il avait crainte qu'Orchandelle ne voudrait en redemander juste pour le plaisir.