[Lieu] Le Golfe de l'Oubli

[Taliesin]

Le capitaine leva les yeux au ciel.
-Non, aucune nouvelle. Et à moins que vous ne connaissiez un devin sur se bâtiment, je doute d'en obtenir avant un bon moment.
Il frotta sa barbe imposante, l'air pensif.
-Quant à gagner la terre ferme... Ramer sur une chaloupe pendant un ou deux jours, ça vous tente ? Parce que c'est le seul moyen qui me vienne à l'esprit.
Le ton était poli, mais on y sentait poindre de la moquerie et de l'agacement mêlés. L'officier était du genre plutôt rude et c'était peu de le dire. Malgré cela, malgré son souci constant de la discipline, ce n'avait pas un mauvais fond, Sieben avait pu le constater à bien des petits détails.

[Sieben]

Sieben sourit intérieurement. Il ne voulait pas être désagréable mais il sentait qu'il avait touché une corde sensible. Il lisait l'agacement dans le regard du capitaine. Avec une pointe de... Moquerie ?

*Regarde moi bien bonhomme. Tu me prends sans doute pour un vulgaire amuseur de foire à deux sous, rejoignant un quelconque cirque.* pensa-t-il.

*Il est temps de te surprendre. Je ne suis pas un de tes dociles matelots qui se laissent malmener sans rien dire.*

Sieben avait un semblant de respect pour cet homme. Il avait l'air fiable, sûr de ses compétences et avait l'air de se comporter correctement avec la plupart des gens. Mais le moine n'aimait pas cette pointe de moquerie qu'il avait cru décerner dans le regard du capitaine. Pour Sieben, ces yeux semblait se moquer, non pas de sa personne, mais de tout ce qu'il avait vécu jusqu'à présent. Et il ne pouvait le supporter. La perte de ses amis était bien trop récente et bien trop importante. Et même s'il reconnaissait être à fleur de peau, il faisait son possible pour être jovial alors que son monde lui avait été enlevé. Et voilà que ces yeux semblaient le prendre pour un vulgaire saltimbanque et vu ses habits, probablement pour un ermite ou pire encore, un paria ou un mendiant. Et c'était plus qu'il ne pouvait en supporter. Il ne pouvait pas supporter un regard tel que celui là, qui semblait se moquer de ses amis disparus. Sieben se devait d'inverser la tendance, de faire honneur aux morts et de transformer cette moquerie en respect.

Il sourit donc au capitaine.
- Très bien. cette solution me convient tout à fait. Faites mettre une chaloupe à la mer. Je rassemble mes affaires, quelques provisions et j'arrive. Autant me mettre en route le plus tôt possible. Plus vite je serais à terre et plus vite je pourrais reprendre la route. C'est très aimable de votre part de proposer des solutions concrètes.

Et sur ces paroles, il fit demi tour et commença à retourner dans sa cabine pour préparer ses affaires.

[Taliesin]

Mais le capitaine ne l'entendait pas de cette oreille : Sieben n'avait pas fait deux pas que, déjà, il le rappelait, ce sans hausser le ton afin de ne pas attirer l''attention des personnes se trouvant à proximité.
-Tout doux, messire, tout doux, fit-il d'un ton conciliant. C'était une boutade, non une véritable proposition. Il est en effet hors de question que je vous donne une chaloupe. D'abord parce qu'aussi bon rameur que vous puissiez être, vos chances d'atteindre la côte sain et sauf seraient modérées, pour dire le moins. Ensuite parce qu'au cas où les choses tourneraient mal, j'aurais besoin de cette fameuse chaloupe et de toutes les autres pour sauver tout le monde.
Il secoua la tête.
-Ah, vous êtes tous pareils, vous autres gens de terre. Vous n'arrivez pas à comprendre que les marins ne soumettent pas la mer à leur volonté mais doivent se plier à la sienne. Et donc, pour répondre plus directement à ce que vous me demandiez à l'instant... Non, il n'y a absolument aucun moyen de gagner plus rapidement le continent. La seule chose à faire est de prendre patience. C'est pénible, certes, mais c'est ainsi.
Tout compte fait, le regard vaguement moqueur qu'il avait eu quelques instants plus tôt ne visait peut-être pas Sieben lui-même, mais plutôt les questions qu'il avait posées.

[Sieben]

Sieben se senti un peu penaud. Il souhaitait vraiment que la situation se débloque. Regarder les vagues toute la journée commençait à bien faire.

*Je crois qu'il va falloir ronger son frein. Puisque j'ai besoin de me défouler, ce soir, entrainement deux fois plus intense. Je n'arrêterai que quand je m'écroulerai sur place. En attendant il serait peut être bon de renouer avec de vieilles habitudes...*

Il poussa un soupir en secouant la tête de droite à gauche.

- Veuillez m'excusez. Je sais parfaitement que vous êtes soumis à la volonté des flots au même titre que nous tous. Je crois que l'inaction me met sur les dents et me rend quelque peu impulsif. Je vous remercie de faire ce que vous pouvez pour nous. Et puisqu'il faut patienter, je patienterai. Vous me trouverez à la proue si toutefois vous avez besoin de moi.

Il se détourna du capitaine et se rendit à la proue. Là, il se chercha un coin le plus à l'écart des autres, dans la mesure du possible. Il posa l'étui de son luth, dont il ne se séparait presque jamais et s'assis dos au bastingage. Ramenant les jambes devant lui et posant les mains sur ses genoux, il ferma les yeux et essaya de relâcher son esprit. Depuis quelques temps, il avait du mal à trouver l'état de calme absolu caractéristique de la méditation.
Malgré tout cela lui fit un peu de bien. Il senti une tension le quitter. Puis il ouvrit les yeux, attrapa l'étui de cuir, le posa en travers de ses jambes et l'ouvrit.
Un beau luth reposait sur un intérieur de velours rembourré.

- Bonjour, mon ami. chuchota-t-il à son instrument. Je me suis dit qu'un peu de soleil te ferai du bien.

Sieben s'adossa au bastingage, et leva la tête pour sentir les rayons du soleil sur son visage. Puis, après un soupir, il reporta les yeux sur son luth. Il passa une main sur le bois tiède de l'instrument et caressa les cordes avec un mélange d'amour et de nostalgie. Puis les souvenirs l'assaillirent. Des visions magnifiques, chères à son cœur mais difficiles à revivre.
Il ne se rendit plus compte de son environnement. Et le temps défila...

[Taliesin]

Lorsqu'il reprit contact avec la réalité, Sieben se découvrit un public assez fourni. Rien d'étonnant à cela : les occupations manquaient cruellement et il était bon musicien. Ainsi avait-il attiré à lui l'essentiel des gamins du bord, auprès de qui il avait la cotte depuis qu'il les avait régalés de ses acrobaties, la plupart des autres passagers, qui comme lui s'ennuyaient ferme, et même plusieurs des matelots qui n'étaient pas de quart.
-Vous vous débrouillez bien, lui dit l'un d'entre eux. En arrivant à Manost, si vous cherchez du boulot et s'ils n'ont pas déjà un barde à demeure, vous pourriez songer à proposer vos services au Loyal Paladin, la plus fameuse auberge de la ville.

[Sieben]

Sieben mis quelques minutes à reprendre contact avec la réalité. Il cligna des paupières plusieurs fois, comme une chouette éblouie et se rendit compte de la foule qui s'était regroupée autour de lui.
Lorsqu'un des marins l'aborda il avait pleinenment repris ses esprits.

- Merci pour ces aimables paroles mais ce n'était pas grand chose. Juste un peu d'improvisation au gré de vieux souvenirs.Par contre je serais très intéressé par quelques informations concernant Manost. Je n'y ai jamais mis les pieds et je vous avoue que c'est pour moi une plongée dans l'inconnu. Je prend note du Loyal Baladin. J'espère que les amuseurs sont les bienvenus dans cette citée. Ce n'est malheureusement pas le cas partout.

[Taliesin]

-Malheureusement, Manost n'est pas le coin rêvé pour les artistes. C'était déjà pas trop le cas avant, du temps où la ville servait Helm, sans doute à côse du côté... austère et sévère de ses adeptes, disons. Maiis il y avait quand même pas mal d'endroits où ils pouvaient se produire. C'est encore le cas aujourd'hui, ne vous trompez pas, mais ils sont davantage surveillés.
Il marqua une pause, cherchant manifestement ses mots.
-D'après ce que j'ai entendu à Paymill, l'ambiance est pas au mieux là-bas, depuis la mort de Helm et la défaite contre Melandis. Il y aurait des tensions entre les différents cultes qui sont désormais aux commandes et puis, on cultiverait beaucoup l'esprit de revanche... Mais bon, ce sont des ouï-dires : vous jurerez par vous-même. Et puis, du moment que vous faites pas dans les pamphlets politiques et subversifs, j'imagine que vous n'aurez pas d'ennuis.

[Sieben]

- Finalement c'est un nid de serpents comme toutes les autres cités du monde. Toutes les autorités se tirent dans les pattes pour obtenir ou garder le pouvoir si je comprends bien. Ca ne m'étonne pas si les artistes sont mal vus. Ce sont bien souvent les premiers à crier haut et fort les tords des instances politiques.

Sieben poussa un soupir. Il désespérait de trouver une ville qui fonctionnerai sur un autre schéma.

- Heureusement pour moi, je suis loin de tout ça. Je me moque de la politique tant que personne ne me met de bâton dans les roues. Mais je suppose que je finirai par me faire rattraper par un quelconque fonctionnaire qui me dira quoi faire si toutefois l'envie de sortir mon luth me prenait.

Il secoua la tête en soupirant. Il n'avait peut être plus trop envie de gagner sa pitance en amusant les foules.

- Un travail manuel serait peut être aussi simple. Et puis il aura l'avantage de ne pas attirer l'attention des autorités. Je suppose qu'il y a une demande de main d'oeuvre. dit il plus pour lui même que véritablement pour le matelot.

- Je m'excuse, je passe du coq à l'âne mais concernant notre problème actuel... Cela arrive souvent, un bateau mis en panne au milieu de la mer ? Et surtout, est ce que ça dure longtemps en général ?

[Taliesin]

-Avant, juste... Faut vraiment pas vous méprendre, hein : je pense pas que les Manostiens vous ennuieront parce que vous jouez de la musique. Sinon, je vous aurais pas suggéré de postuler au Loyal...
Il sourit, encourageant, avant d'adopter une mine plus sérieuse.
-Sinon, oui, les calmes plats, ça arrive, et ça peut parfois durer très longtemps. C'est même dangereux quand on commence à manquer de vivres et d'eau. Mais c'est pas du tout le cas, en l'occurrence. Et puis, ici, le temps peut changer très vite : c'est un coin particulier que le Golfe de l'Oubli...

[Sieben]

- Bon alors prenons notre mal en patience. De toutes façon que peut on faire de plus ?

Sieben se redressa, fit un tour d'horizon du navire avant de reposer les yeux sur son interlocuteur.

- Qu'entendez vous par "c'est un coin particulier que le Golfe de l'Oubli..." ? Je ne suis pas marin mais cet endroit m'a l'air comme toutes les autres mers... A la limite peut être y a-t-il un peu plus de poisson. Ca reste un bateau... pardon, un navire, je sais que vous n'aimez pas le terme "bateau" vous les marins. Ca reste donc un navire sur une mer non?

[Taliesin]

-Pour sûr. Et globalement, vous n'avez pas tort : c'est juste une mer comme les autres, qu'on traverse ni plus facilement ni plus difficilement que les. Du moins, si on est prudent, car son nom renvoie quand même à une certaine réalité...
Il se fit quelque peu mystérieux.
-Au beau milieu du golfe, il y a un secteur où rien au monde ne convaincrait un marin d'aller voguer. On le nomme le Gouffre de l'Oubli, et un grand nombre de navires y ont disparu sans laisser la moindre trace. La faute apparemment à une zone de magie instable, de magie entropique si je me souviens bien du terme approprié. Elle n'est vraiment dangereuse que si on y pénètre mais, malgré tout, il lui arrive d'avoir une certaine influence sur le climat environnant, provoquant des changements assez brusques...

[Sieben]

- Bah ! La magie est toujours dangereuse. Mais si on reste éloigné on a pas de soucis. Et par éloigné, j'entends "ne pas s'y intéresser". On peut réussir à vaincre un adversaire plus grand ou plus fort, mais la magie... On y perd toujours quelques plumes. C'est pour les fous qui aiment les mystères et les salamalecs.

Sieben senti les poils se dresser sur ses bras nus et en même temps une excitation réchauffer son ventre.

- Dommage qu'on ne puisse pas se battre à armes égales avec la magie. Ce serait un fantastique combat... En tout cas il va falloir croiser les doigts pour que votre fameuse magie entropique nous envoie un peu de vent. Sinon nous allons bien finir par nous momifier sur place.

[Taliesin]

Le matelot rit.
-Honnêtement, il y a peu de risques ! Nos réserves sont quasiment pleines et même sans magie, le temps changera bien avant que nous ne les ayons vidées, croyez-moi.
Autour d'eux, les occupants du navire s'étaient dispersés, recommençant à se chercher un semblant d'occupation.

[Sieben]

Sieben acquiesça d'un signe de tête. Rien ne présageait un changement de temps dans les prochains jours mais, d'après les rumeurs, en mer le temps pouvait virer d'un instant à l'autre.

- J'espère que vos dieux vous écoutent, vous et les autres passagers. Comme ça peut être qu'ils nous enverront un magnifique vent arrière qui nous poussera rapidement et gentiment dans les bras de la chère citée de Manost...

Dans sa voix transparaissait une touche d'aigreur. Pour Sieben les dieux n'étaient que des enfants jouant cruellement avec les mortels.

*Arrête de te lamenter sur ton sort. Trouve de quoi t'occuper et le temps passera plus vite.*

En effet il était temps de passer à autre chose. Il décida donc de mener une petite enquête auprès des marins pour voir qui serait partant pour passer le temps en se défiant... Aux dés ou aux cartes par exemple...

[Taliesin]

Les volontaires pour jouer avec lui ne manquaient pas : les matelots ainsi que quelques passagers enchaînaient les parties depuis des heures et voir une nouvelle tête venir grossir leurs rangs était plutôt, pour eux, une perspective appréciable. Sieben nota que les mises était de rigueur : à chaque fois, l'on pariait un petit objet ou quelques piécettes. Rien de spectaculaire, cependant : l'objectif était de mettre un soupçon d'enjeu, non de s'enrichir, d'autant qu'un joueur plumé risquerait fort de nuire à l'ambiance du bord, ce qui ne serait assurément guère recommandé.

[Sieben]

Sieben avait quelques piécettes qui ne lui étaient pas vraiment nécessaire. Le genre de pièces qui prend beaucoup de place pour ne représenter qu'une faible valeur monétaire. De plus passer quelques heures à jouer seraient autant d'heure à ne pas regarder cette mer d'huile, synonyme d'attente. Il se jeta donc dans les parties comme dans un combat : tout entier tourné vers la victoire sans penser au reste.

[Taliesin]

Des victoires, il en remporta, tout comme il subit quelques défaites. Quels que soient les résultats, l'ambiance demeurait bonne et le temps s'écoulait un peu plus vite.
Le soir finit par tomber, l'heure du dîner par arriver. Puis ce fut la nuit : il y avait tellement peu de roulis que même les personnes les plus sujettes au mal de mer pouvaient dormir sans difficultés.
Lorsque Sieben s'éveilla, il trouva sur le navire une ambiance bien différente de celle de la veille : c'était pour ainsi dire le branlebas de combat
Pour l'heure, seule soufflait une brise légère qui suffisait cependant à animer les voiles qui, trop longtemps, étaient demeurées désespérément flasques. Mais à l'horizon, à l'ouest, on discernait une barrière de nuages dont le gris sombre tranchait sur le bleu du ciel qu'elle dévorait peu à peu.
Une tempête, semblait-il. Et pas une petite, à en croire les matelots.
Tous s'activaient donc pour manœuvrer le bâtiment. L'objectif : tenter d'éviter la tourmente par le nord - car, par le sud, on se serait trop rapproché du fameux Gouffre de l'Oubli...

[Sieben]

Sieben se prépara comme tout le monde pour accueillir la tempête. Il rangea toutes ses possessions pour éviter qu'elle ne se dispersent et cala son sac pour qu'il ne soit pas ballotté dans tous les sens. Pendant qu'il rangeait ses affaires, il ne put s'empêcher de ressentir un frisson d'excitation monter en lui. Cependant ce sentiment était accompagné d'une certaine peur. Il fallait être fou pour aborder une tempête en pleine mer sans appréhension.

* Ah tu voulais de l'action, imbécile ? Si la tempête est aussi méchante qu'elle en a l'air tu vas te faire trimbaler comme un fétu de paille. Tu vas subir sans pouvoir rien faire. Tête de nœud ! Tu ne pouvais attendre et patienter tranquillement comme tout le monde ?! Non, il a fallu que tu pestes contre le beau temps et un peu de farniente. Les dieux t'ont entendu. Tu vas être servi. A table. J'espère que t'as faim parce qu'a priori, tu vas déguster ! *

Une fois que tout fut empaqueter, et vu le peu de biens en sa possession, Sieben monta la coursive qui menait au pont pour chercher le capitaine ou un des officiers. S'il pouvait se rendre utile en quoi que ce soit, il n'hésiterai pas une seconde. Il jeta un rapide coup d’œil aux sombre nuages avant de s'engager sur le pont...

[Taliesin]

Occupé à distribuer des consignes à l'équipage affairé, le capitaine prit néanmoins le temps de répondre à Sieben.
-C'est fort aimable à vous de proposer votre aide. En matière de manœuvres, mes hommes devraient pouvoir s'en tirer comme de coutume. En revanche, comme vous avez la cotte parmi les passagers, eut égard à vos talents artistiques, vous pourriez m'être fort utile en les rassurant, le cas échéant. Si nous ne parvenons pas à éviter cette tempête et si elle est aussi violente qu'il y paraît, je leur demanderai de regagner leurs quartiers et, dès lors, l'attente risque d'être fort éprouvante pour eux...