[Bâtiment] Domaine de Hautetour

[Taliesin]

Tommen resta silencieux quelques secondes puis acquiesça sans mot dire. Claris avait pu le constater, il n'était pas du genre à remettre en cause les explications qu'on lui donnait, les prenant au contraire comme elles venaient, du moins en apparence. Peut-être en allait-il de cela comme des consignes qu'il recevait : il les acceptait même si elles ne lui plaisaient pas. Le voir refuser quelque chose ou simplement protester devait être extrêmement rare, comme l'avait signalé Louise.

[Claris de Corvimande]

HRP : Signe de vie o/

Puisque le mioche ne semblait pas vouloir porter plus avant cette conversation, et que le temps dont ils disposaient n'était pas encore écoulé, Claris en revint à son programme initial : laisser son élève choisir entre de nouvelles passes d'armes, et un nouvel exercice de méditation. S'ils avaient encore la possibilité d'enchaîner les deux, dans l'ordre qui siérait au gamin, ce serait encore mieux. L'objectif était de toute façon le même dans les deux cas, même si les modalités variaient quelques peu : à l'épée, il s'agissait de lui donner une série d'objectifs simples, et de lui opposer chaque fois des mouvements visant à l'en distraire. Dans l'autre cas, et en le prévenant à l'avance, maintenant que le premier effet de surprise était passé, le replonger dans son univers apaisant, tout en y suggérant de temps à autres des rats et autres visions désagréables qu'il devait intégrer ou ignorer sans que cela ne brise sa concentration.

[Taliesin]

Le temps ne faisant pas défaut, ils purent mener tour à tour les deux activités : à l'épée, Tommen se révéla égal à lui-même ; pour la méditation, il ne se fit plus surprendre, quoiqu'il soit évident qu'imaginer des rongeurs dans ses lieux préférés lui répugnait fortement.
La séance n'était pas encore tout à fait terminée lorsque Claris nota la présence du jeune sieur d'Estemarche. Il se tenait à bonne distance et, par souci de discrétion, n'observait rien de l'entraînement - ou, du moins, donnait l'impression de n'en rien observer. Quoi qu'il en soit, son arrivée précoce témoignait assez de son enthousiasme.

[Claris de Corvimande]

HRP : je ne sais pas comment on s'y prend, mais ça fait plusieurs fois que tu postes pile au début d'une période chargée

La présence du mioche était un point assurément intéressant, et, un instant, Claris se demanda s'il ne pourrait pas s'avérer utile de le faire participer dès maintenant. Qui sait, la présence d'un élève motivé pourrait également avoir un effet positif sur celui-ci… mais sans doute valait-il mieux d'abord avoir une petite conversation avec lui, et peut-être rendre la chose un peu plus officielle. Dans tous les cas, puisqu'il demeurait discret – ou feignait la discrétion –, autant le laisser faire et se concentrer sur l'autre : un problème (sur pattes) à la fois.
“Gail” s'efforça donc de terminer la séance aussi sérieusement et efficacement que possible, profitant de ce rappel temporel inopiné pour tenter d'en terminer aussi près que possible du moment où Antin viendrait signaler qu'il devait ramener le jeune homme. Il n'était pas sûr que des progrès décisifs aient été accomplis au cours de cette séance, mais c'est quelque chose qui, compte tenu du caractère de Tommen, s'évaluerait de toute façon sur la durée. Au moins se prêtait-il au jeu de pas trop mauvaise grâce.

[Taliesin]

Claris calcula plutôt bien son coup puisque la séance s'acheva une ou deux minutes seulement avant qu'Antin ne les rejoigne. Celui-ci, comme d'habitude en présence de témoins, ne lui parla que pour lui dire l'indispensable, à savoir qu'il reviendrait avec Godefrey d'ici une demi-heure. Sur ce, il tourna les talons et Tommen lui emboita le pas, non sans avoir adressé à son maître d'armes un "au revoir" poli.
Sitôt qu'ils furent partis, Jean d'Estemarche s'avança pour demander s'il pouvait être d'une quelconque utilité en attendant l'arrivée de son partenaire d'entraînement.

[Claris de Corvimande]

Sitôt le mioche repartit, Claris entreprit de disposer de nouveau les armes. Cette fois, il s'agissait de les placer sur toute la surface que les deux autres utiliseraient pour combattre, sans apparat particulier, mais de façon à ce qu'il soit toujours possible, pour un combattant désarmé, d'en saisir une à temps pour reprendre le combat. À cette fin, l'aide du sieur d'Estemarche ne fut pas refusée, même si elle était loin d'être indispensable. Le coussin, pour sa part, fut placé hors de vue : il était désormais inutile.
Pendant la fin de cette opération, et profitant du temps gagné par cette aide, “Gail” demanda à toute fin utile à son jeune aide de camp s'il avait un avis à formuler sur ce qu'il avait aperçu de la séance précédente. On ne savait jamais.

[Taliesin]

-J'ai essayé de ne pas trop regarder mais je n'ai pu m'empêcher de jeter quelques coups d’œil, parce que cela m'intéressait, avoua le garçon sans grand embarras. Enfin, surtout les passes d'armes, parce que je n'ai pas trop compris en quoi consistait l'autre exercice, celui où messire Tommen était assis pendant que vous lui parliez. Et si cela n'est pas indiscret, je serais d'ailleurs curieux d'en savoir plus à ce sujet. Mais donc, les passes d'armes étaient intéressantes, même si cela ne plaisait pas beaucoup à messire Tommen.

[Claris de Corvimande]

« Simplement une séance de méditation. »

Bon, ça ne suffisait sans doute pas, comme explication.

« Certaines personnes ont besoin d'apprendre à canaliser leurs émotions pour parvenir à manier correctement les armes. Il existe ainsi un grand nombre d'exercices visant à développer la concentration, et j'ai décidé d'en essayer quelques uns avec messire Tommen, pour le cas où ça l'aiderait à trouver la motivation pour les séances. »

[Taliesin]

-D'accord, acquiesça-t-il. Mais... Bon courage, si je peux me permettre.
Il marqua une pause, vaguement embarrassé.
-Enfin, non que je sous-entende que cette méthode ne soit pas efficace : je ne me permettrais pas. C'est juste qu'imaginer messire Tommen motivé pour une séance d'escrime, c'est assez... difficile, disons.

[Claris de Corvimande]

Au moins, les avis étaient unanimes. Si Gail avait été plus qu'un simple personnage, son avis aurait sans doute été que son succès finirait par être d'autant plus retentissant qu'il surprendrait tant de gens. Mais Claris, après tout, avait d'autres sujets de préoccupations et ne comptait pas rester ici le temps qu'il faudrait pour cela : mener sa tâche – la véritable – à bien, et retourner à sa vie ordinaire : voilà un programme qui lui seyait davantage. Mais il n'en fallait pas moins donner le change.

« C'est précisément parce que c'est difficile que c'est intéressant. Comme lorsque l'on se bat. »

Mais en attendant, c'était un combat d'un autre genre qui s'apprêtait à commencer. À voir comment l'autre Valombre réagirait à ce qui l'attendait, cette fois…

[Taliesin]

Sauf que lorsque le délai annoncé par Antin fut écoulé, ni lui ni Godefrey ne parurent. Et un quart d'heure supplémentaire s'écoula sans que personne n'apparaisse.
Le garçon avait-il oublié la séance ? Avait-il décidé de ne pas venir ? Souhait-il rappeler sa position en se faisant désirer ? Claris n'avait aucun moyen de le savoir... Quant au sieur d'Estemarche, s'il s'efforçait de n'en rien montrer, il s'impatientait indéniablement.

[Claris de Corvimande]

De mieux en mieux.
Le plus probable lui semblait la pure mauvaise volonté, la volonté délibérée de traîner pour le simple plaisir. Ayant suffisamment de personnel pour lui rappeler toutes ses obligations, il n'avait pas eu le loisir d'oublier. Étant donnés les propos du capitaine la veille, signalant que Gail serait couvert même si l'un de ses élèves menaçait de se plaindre, il n'était sans doute pas en position de décider de ne plus venir, sauf à renoncer à devenir épéiste, ce qui de toute façon correspondait aux objectifs officieux de ces cours. Quant à un rappel de sa position… étant donné la façon dont les choses avaient débuté, l'intérêt en paraissait particulièrement limité. Une autre explication pouvait être un incident extérieur les retenant de l'autre côté. Mais, compte tenu du gamin, le reste était plus probable.

Eh bien, soit.
Puisqu'il ne daignait pas venir, et que partir à sa recherche aurait sans doute apporté plus de mal que de bien, Claris choisit la solution la plus satisfaisante : il y avait un élève, le cours pouvait commencer. D'une part, le traînard pourrait constater dès l'abord, s'il arrivait au milieu d'un exercice, que le jeune Jean était pour l'heure d'un niveau inférieur au sien – c'était l'une des raisons pour lesquelles il avait été choisi. Cela le conditionnerait d'autant mieux à se sentir humilié lorsque, de leurs diligences respectives, le rapport de force s'inverserait. D'autre part, si vraiment il manquait de jugeote au point de vouloir prouver quelque chose en se faisant attendre, quelle meilleure manière de le contrer que de montrer qu'on ne l'attendait pas ? Et si quelqu'un formulait un reproche à ce sujet, l'excuse était toute trouvée : puisque Jean d'Estemarche était encore d'un niveau inférieur à celui de Godefrey de Valombre, profiter d'un délai sur lequel Gail n'avait aucune prise pour tenter de rattraper cet écart ne pouvait passer que pour louable.

Laissant l'intérieur préparé comme il l'était, Claris invita donc son jeune élève à l'accompagner au dehors, pour y commencer quelques exercices – bien en vue, mais également en capacité de voir venir quelqu'un de loin.

[Taliesin]

L'avantage de ce contretemps, c'est que Claris put profiter d'une séance avec un élève motivé, ce qui faisait un notable - et appréciable - contraste avec la précédente.
Au final, c'est avec une bonne trentaine de minutes de retard sur l'horaire initialement prévu que Godefrey, escorté par Antin, daigna se montrer. Rien qu'à voir sa mine, il était évident qu'il n'éprouvait aucun remord : non, il affichait encore plus de morgue que la veille, si semblable chose était possible.
-Oh, vous l'exercez ? lança-t-il à son maître d'armes après un très léger salut. Voilà une bonne idée : peut-être que d'ici quelques semaines, il fera un adversaire vaguement convenable...

[Claris de Corvimande]

Voilà qui était exactement l'état d'esprit attendu. Lorsque l'adversaire « vaguement capable » le battrait à plate couture, ce mioche serait sans doute suffisamment piqué au vif pour comprendre la leçon. En attendant, Claris s'interrompit et fit signe à son meilleur élève de retourner à l'ombre, où les choses étaient toujours disposées comme il le fallait. Puis se tourna vers le nouveau venu.

« Vous êtes en retard. »

Il n'y avait pas de reproche, ni même de demande implicite d'explication dans cette remarque : ç'aurait de toute façon été peine perdue. Mais son ton portait tout de même un message clair : quel que soit la supériorité que le gone plaisait à s'imaginer, cela se limitait à son esprit à lui et n'avait pas de prise sur le reste du monde.

[Taliesin]

La réponse fusa, sèche, acide.
-Et depuis quand les maîtres ont-ils à rendre des comptes à leurs laquais ?
Sourire mauvais.
-Mais si la curiosité te démange au point de t'en faire oublier quelles sont nos places respectives, saches que j'avais plus important à faire : le meilleur cordoonnier de la cité venait de me livrer de merveilleuses bottes en daim que j'ai été bien aise d'essayer sur l'heure.

[Claris de Corvimande]

Étant donné le peu de curiosité dont Claris avait fait preuve, l'explication la plus probable à cette surabondance de détails aurait pu être l'envie de rabaisser, de montrer que les leçons et la personne qui les donnaient étaient moins importantes pour lui que les plus basiques considérations vestimentaires. Toutefois, en l'occurrence, l'auteur des propos était vraisemblablement trop bête pour un tel calcul. Tel était sans doute son sens des priorités, mais il l'étalait moins par envie de blesser que par satisfaction personnelle idiote.

« Eh bien, maintenant que la séance d'essayage est terminée, peut-être pouvons-nous passer à l'entraînement. »

“Gail” continuait sur sa lancée : pas le moindre soupçon de reproche ; mais pas non plus la moindre once d'obséquiosité.

[Taliesin]

-En effet, dit-il avec sa morgue habituelle. De toute façon, je ne vois pas bien ce que nous pourrions faire d'autre.
Il jeta un regard peu amène à Jean d'Estremont puis refit face à Claris, bras croisés, attendant manifestement la suite.
Antin, pour sa part, avait déjà regagné sa place habituelle, sur le banc situé à bonne distance du lieu des exercices mais permettant de l'observer à loisir.

[Claris de Corvimande]

“Gail” guida donc ses élèves à l'intérieur, où les armes étaient toujours disposées, et leur exposa rapidement le principe du premier exercice.

« Il y a ici des épées et des sabres de toutes sortes. Vous aurez ainsi, à chaque instant, une lame à portée de main, mais toujours avec des caractéristiques différentes. Vous allez commencer par marcher à votre guise, désarmés, au milieu d'elles. Lorsque j'en donnerai le signal, vous ramasserez l'arme la plus proche de vous et commencerez à vous battre – gardez à l'esprit que le but est de prendre l'avantage sur l'autre, mais que vous devez ici éviter de blesser ou de tuer. Chaque fois que je donnerai de nouveau le signal, vous devrez tous deux lâcher votre arme actuelle et en récupérer une autre. Nous pourrons ainsi évaluer votre faculté à réagir à un environnement inconnu et défavorable. »

Claris croisait intérieurement les doigts pour que Godefrey ne commence pas à s'étaler sur le fait qu'il aurait toujours son arme personnelle à portée de main, et blah blah blah.

[Taliesin]

HRP : Pardon d'avance. J'ai pas pu m'en empêcher.

-J'aurais toujours mon arme personnelle à portée de main, répliqua celui-ci à peine "Gail" avait-il fermé la bouche. Et quand bien même serais-je victime d'une incroyable étourderie, il y aurait toujours un garde du corps pour y avoir pensé et la tenir à portée de ma main. Dès lors, je ne vois guère l'intérêt de pareil exercice et j'aurais de loin préféré m'en tenir à de simples duels. Mais enfin...
Il haussa les épaules et, avec l'air de qui consent à faire une faveur à quelqu'un, il se mit en devoir d'exécuter les consignes.
Et il les exécuta, de même que son adversaire. Claris put observer que dès qu'ils avaient le choix, ils en restaient à l'épée, négligeant les lames non traditionnellement associées à la chevalerie. Elle put noter, surtout, que Godefrey n'y allait pas de main morte lorsqu'il s'agissait d'attaquer son adversaire : on avait même l'impression qu'il serait ravi s'il parvenait à lui faire mal.

[Claris de Corvimande]

HRP : j'aurais dû m'en douter

Au moins, cela n'avait pas duré, et il n'y avait pas eu besoin de négocier quelques heures pour arriver à le faire coopérer. C'était déjà ça.
Les choix de Godefrey en matière d'armes n'avaient rien d'étonnant, même s'il poussait le snobisme un peu loin au goût de Claris : ce n'est pas comme s'il y avait eu des fourches et des gourdins. La grande majorité des armes à leur disposition, sabres aussi bien qu'épées, étaient d'une manière ou d'une autre dotées d'un certain prestige, d'une manière ou d'une autre, même si cela relevait certes, pour quelques unes, d'autres cultures dont il était sans doute totalement ignorant. Que Jean ait les mêmes réflexes, lui qui semblait suffisamment intéressé par le maniement des armes pour avoir une certaine connaissance de la chose, était plus surprenant – mais sans doute était-ce en grande partie dû à la crainte de moqueries. L'un dans l'autre, s'ils préféraient prendre des armes plus loin que ce qu'ils auraient pu et que cela les mettait en difficulté, cela ne rendait l'exercice que d'autant plus instructif.

Quant au fait que le jeune Valombre semble chercher à blesser malgré la consigne qui lui avait été donnée… sur ce point, difficile de lui en tenir rigueur, quand c'était une disposition d'esprit que de Corvimande avait eu à de multiples reprises. Il fallait simplement veiller à ce qu'il n'ait pas satisfaction, et le signal de changer d'arme était tout prêt, si besoin, à tomber au moment opportun, en s'efforçant de ne pas rendre cela trop visible.

La séance se prolongerait suffisamment de temps pour que “Gail” puisse se faire une idée de ce que les deux jeunes gens donnaient l'un contre l'autre, et décider des exercices qui seraient les plus adaptés pour la suite, en fonction des failles repérées dans leurs mouvements. Ensuite, consigne leur serait donné à tous deux de commenter leur prestation et de chercher à identifier leurs points faibles – chacun les siens, évidemment : il était sans doute peu prudent de demander ainsi à un serviteur de faire de telles remarques à propos de son maître, lorsque le maître était à ce point imbu de lui-même.

[Taliesin]

Conformément aux attentes de Claris, lesquelles avaient présidé à sa sélection en tant que partenaire d'entraînement de Godefrey, Jean d'Estemarche se révéla plus faible que ce dernier. En revanche, il s'avéra autrement plus lucide que lui. En effet, quand vint le moment du bilan, il identifia fort bien et énonça sans honte ses faiblesses, là où le sieur de Valombre ne s'en reconnut aucune hormis une seule : il se déclara moins efficace lorsqu'il s'agissait de retenir ses coups, lorsqu'il était question de prendre garde à ne pas blesser un adversaire indigne de son propre niveau.

[Claris de Corvimande]

« Hélas, je crains que même les ressources de votre famille ne suffiraient pas à achever votre entraînement si vous deviez tuer votre partenaire à chaque séance. »

Ce fut la seule remarque que fit Claris en réponse à l'auto-aveuglement de son élève officiel, et elle fut prononcée d'un ton aussi neutre que possible. L'autre, quant à lui, avait eu droit à une attitude plus encourageante.
Fort heureusement, même si cela aurait évidemment aidé, il n'était nul besoin que Godefrey identifie lui-même ses lacunes pour chercher à y remédier. Les exercices qui suivirent furent consacrées à celles-ci – il aurait été tentant de se concentrer sur Jean, puisque lui avait joué le jeu, mais la réaction la plus prévisible aurait été par trop pénible. Suivit alors une séance de duel guidé, pendant laquelle “Gail” intervenait, initialement, pour corriger les postures, faire des remarques sur les gestes, etc.
Sitôt le duel parti sur de suffisamment bon rails, son intention était, comme avec Tommen un peu plus tôt, d'intervenir pour tenter de les déconcentrer et voir quels effets cela aurait.

[Taliesin]

Concentrés sur leur tâche, les deux belligérants furent d'abord tous deux pris au dépourvu par ses interventions. Mais ils ne réagirent pas de la même manière. Godefrey s'en agaça rapidement et, aux regards noirs qu'il jeta à son maître d'armes, il était évident qu'il considérait ses agissements comme une manœuvre pour tenter d'atténuer sa position dominante dans le combat - plus expérimenté, il prenait en effet assez nettement le dessus. Quant à Jean, il comprit qu'il s'agissait là d'un exercice et s'efforça non seulement d'en tenir compte mais, de surcroit, d'en tirer avantage. Ainsi, alors que son adversaire s'occupait uniquement de l'assaillir, lui-même guettait discrètement les nouvelles interventions de Claris. S'il ne réussit pas à profiter de la première, il fut en mesure de le faire pour la seconde : il se fendit d'une attaque adroite qui franchit la garde de son vis-à-vis déconcentré et qui alla même égratigner son pourpoint.
La réaction de Godefrey ne se fit pas attendre. Son teint s'empourpra, ses traits se crispèrent sous le coup de la colère et, l'instant suivant, il décochait, de la main gauche, un violent coup de poing dans les côtes du sieur d'Estremont qui lâchant son arme, se plia aussitôt en deux.

[Claris de Corvimande]

« Il me semblait que vous vouliez devenir épéïste, et non moine. »

Un seul coup porté avec la main, de la part d'un gosse de surcroît, avait peu de chances de provoquer des dégâts considérables ; mais cela pouvait suffire à gâcher une bonne partie de la séance. Claris entreprit donc de se pencher vers la jeune victime pour s'enquérir de l'état dans lequel il se trouvait. C'était le plus urgent. Gérer la susceptibilité de l'autre viendrait ensuite.

[Taliesin]

-Il était nécessaire de punir son outrecuidance, répliqua Godefrey avec aplomb. J'aurais pu le faire avec ma lame, mais j'ai choisi de faire preuve de mansuétude.
Jean, pour sa part, se redressait déjà. Certes, il se ressentait encore du coup reçu, peinait encore à retrouver son souffle brutalement coupé. Néanmoins, il était évident qu'il tenait à préserver les apparences.

[Claris de Corvimande]

« L'outrecuidance d'avoir réussi à rester concentré alors que vous y échouiez ? »

Sans lui laisser le temps de répliquer, Claris se saisit d'une arme et se mit en position de combat face à lui.

« Manifestement, nous avons besoin de travailler ceci. Vous allez m'affronter moi, et c'est Jean qui va maintenant tâcher de nous déconcentrer tous deux. »

Ainsi, le jeune homme pouvait prendre le temps de se remettre du coup sans pour autant rester trop en retrait, et sans interruption de séance aux effets sans doute problématiques.

[Taliesin]

-Le punir, d'abord, pour avoir abimé un pourpoint de prix, répliqua très sèchement le jeune seigneur. Le punir, ensuite, pour ne pas avoir respecté les consignes. N'as-tu pas dit qu'il fallait prendre garde à ne point se blesser ? Or, cet idiot maîtrisait tellement mal son assaut que cela aurait fort bien pu advenir, si je ne m'étais promptement reculé.
C'était là de la mauvaise foi flagrante : en réalité, Jean avait plutôt bien maîtrisé son attaque et, à aucun moment, n'avait risqué de blesser son adversaire. Mais le souligner ne serait peut-être pas une bonne idée...
-Pour le reste, reprit Godefrey d'un ton où pointaient le mépris et l'aigreur, crois-tu que je ne vois pas clair dans ton petit jeu ? Je suis tellement plus doué que lui que tu es intervenu uniquement dans le but de l'aider et de nuire à ma prestation.

[Claris de Corvimande]

Et naturellement, Jean, sourd et aveugle qu'il est, ne risquait en rien d'être autant déconcentré que toi.

Non, mieux valait sans doute ne pas prononcer une telle phrase. Un ton trop sarcastique n'entraînerait que des complications.

« Il se trouve que c'est ce que feraient effectivement des adversaires moins adroits, mais résolus à vous vaincre. Préférez-vous continuer à vous plaindre du fait qu'ils y parviendraient, ou bien apprendre à éviter que ce soit le cas ? »

Claris était toujours en position, l'épée à la main. Allait-on enfin cesser cette discussion stérile et laisser parler les armes ?

[Taliesin]

Godefrey jeta un regard en direction d'Antin. Il était clair comme de l'eau de roche que ces séances sous la houlette d'un roturier qu'il percevait comme guère plus âgé que lui et qui ne lui témoignait pas les égards qu'il estimait dus à son rang commençaient à l'agacer au plus haut point. Sans nul doute, s'il n'avait s'agit là de consignes données par son grand-père en personne, il aurait envoyé paître son maître d'armes - et aurait peut-être même recouru à de radicales mesures de représailles.
-Je vais mettre tes bizarreries et ton irrévérence sur le compte de ton inexpérience, grommela-t-il, s'efforçant de jouer les grands seigneurs conciliants. Mais n'abuse quand même pas trop de ma patience : je ne sais pas comment cela se passait dans la maison à laquelle tu étais attaché avant mais ici, on veille à ce que les domestiques restent à leur place.
Et il se mit en garde.

[Claris de Corvimande]

Claris ne répondit pas : il était peu probable que quelque phrase que ce soit put le faire changer d'avis. Il aurait sans doute était très amusant d'observer la situation inverse – un seigneur d'un rang suffisamment élevé pour que celui de Godefrey paraisse insignifiant qui aurait condescendu à lui donner quelques leçons. Sans doute le jeune Valombre aurait-il déjà été congédié sans autre forme de procès.

Comme annoncé, “Gail” laissa à Jean, au cours des passes d'armes qui suivirent, la responsabilité de chercher à les déconcentrer tous deux. Au moins, la différence de niveau était cette fois telle que son adversaire ne pourrait plus prétendre qu'il s'agissait de l'empêcher de gagner. Il n'aurait d'ailleurs droit à aucun cadeau : chaque fois que, pour une raison ou pour une autre, sa garde serait aisément contournable, une lame frôlerait son précieux pourpoint – sans jamais le toucher, naturellement. À voir comment cela le ferait réagir, si seulement il s'en rendait compte.