[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Le barde put appliquer les deux méthodes tour à tour : en quittant (dans la précipitation) l'amas désormais branlant, il parvint à décocher une flèche droit dans l'oeil gauche de la bête. L'effet fut beaucoup plus spectaculaire que celui de ses traits précédents et l'animal, hurlant de colère, se tourna vers son agresseur, la gueule dégoulinant d'une écume sanglante. Braen en profita pour le frapper à la gorge, ce qui n'arrangea rien au volume de bave qui jaillit du gosier de l'animal, mais permit à Taliesin de ranger son arc et sortir son épée. Il rejoignit son compagnon et les dernières passes d'armes ne furent plus qu'une formalité : le chien infernal était épuisé, perdait son sang en mille endroits, et ne parvenait pas à choisir sa cible entre ces deux créatures vives et meurtrières. Il finit par rejoindre la poussière dans un ultime râle et un silence tout relatif retomba sur la rue déserte. L'odeur de charogne était déjà puissante.
" Bouse de cerf, c'était plus juste que prévu, grommela le cuisinier. Je n'en avais pas encore vu de pareils. Je ne sais pas si c'est bon ou mauvais signe."

[Taliesin]

-Moi non plus. Mais ça me conforte dans l'idée qu'il est vraiment très, très urgent de mettre un terme à tout cela.
Il soupira.
-J'imagine qu'il est inutile de s'inquiéter pour Wilmarin, qu'il est suffisamment puissant pour se protéger tout seul. Néanmoins, j'espère qu'il ne s'est pas trop exposé...
Il espérait, aussi, que Victor n'était pas en train d'arpenter ces rues...

[Galathée]

" Non, s'inquiéter pour Wilmarin est effectivement inutile. Mais ce serait dommage qu'il gâche son feu sur ces distractions..."
Il soupira, essuya ses lames dans le poil du chien puis grimaça.
" Ouais... C'était pas une idée inspirée, ça."
Elles avaient l'air encore plus sales qu'avant.
" Désolé pour le moment d'égarement, au fait. Je suis en train de me demander si on ne devrait pas continuer avec quelque chose dans les oreilles, mais ce sera pas évident pour la communication..."

[Taliesin]

-En effet, sans compter que l'ouïe peut rendre bien d'autres services. Mais rien n'empêche de préparer quelque chose et de ne s'en servir que si nous voyons une nouvelle meute...
Il hésita.
-D'un autre côté, comme nous n'avons pas la moindre idée de l'endroit où se trouve Wilmarin, je me demande si ce que nous faisons a beaucoup de sens. En plus, il n'est pas impossible qu'il rejoigne l'état-major en notre absence.

[Galathée]

" Ce n'est pas faux. Mais il y a une méthode qui devrait fonctionner... Vous êtes barde, n'est-ce pas ? Vous savez amplifier les sons ?"
Il leva un doigt vers un toit voisin.
" On pourrait grimper là-dessus et l'appeler, simplement. Mais il faudrait l'appeler fort."

[Taliesin]

Voilà une suggestion à laquelle il ne s'était pas attendue...
-C'est tout à fait faisable, et ça ne manquerait pas d'être spectaculaire... Mais ne crains-tu pas que nous attirions à nous, du même coup, tout les monstres arpentant la ville ? Sans compter que Wilmarin pourrait ne pas apprécier d'être ainsi mandé et de voir ainsi sa présence dévoilée à nos ennemis...

[Galathée]

" Bah... On va faire ça en elfique et ce sera tellement rapide que personne n'aura le temps de comprendre ce qui se passe. Je sais exactement quoi dire pour le faire venir rapido. Et je ne crois pas que nos amis d'en haut sachent qui il est, de toute façon. Quant à son humeur... On t'a dit que je n'étais pas très populaire, n'est-ce pas ? Je dirai que c'est mon idée. Ça ne changera pas grand chose."

[Taliesin]

Il finit par acquiescer.
-Très bien. Mais il faudra se tenir prêt à décamper : il n'est pas impossible qu'entendant l'appel, les cultistes décident de nous bombarder...
Ne restait plus qu'à grimper sur le toit. Quant à lancer le sortilège sur Braen, ce serait une formalité.

[Galathée]

Les deux elfes grimpèrent donc sur le toit puis Taliesin incanta et conféra à son compagnon la magie nécessaire.
" Vieux Branchu ! Ramène-toi par ici, tu veux ?" s'exclama-t-il en elfique.
Son appel, rendu presque poétique par la beauté de leur langue, se réverbéra dans la nuit tandis qu'un peu plus loin, le fracas d'un incendie crépitait avec vigueur.
" Il ne reste plus qu'à redescendre."
Leur attente fut de courte durée : le mage elfe surgit au coin de la rue, la mine furibarde.
" Vieux Branchu ! Comme oses-tu, Braendoril Telumendil ? Je devrais te transformer en escargot pour oser seulement m'interpeler de la sorte.
— Passez devant, Taliesin, je pense que c'est plus prudent. Maintenant qu'on l'a trouvé, je vais... retourner au poste de commandement."
Et il détala sans demander son reste.

[Taliesin]

Taliesin, stupéfait, ne songea pas à décamper mais, plutôt, à adresser des excuses à Wilmarin.
-Navré : je ne m'attendais pas vraiment à ça...
Il se racla la gorge puis se fendit d'un sourire embarrassé.
-Avez-vous pu mener d'intéressantes observations ?

[Galathée]

" Comment diable vous êtes-vous retrouvé à fréquenter cette chiure de blaireau ? demanda l'elfe, toujours courroucé. Je parie que c'est Amrod qui l'a recueilli sous son toit ! Ah, c'est beau, la solidarité dans cette race, par les prunelles de Corellon ! Pisse de lièvre, oui, passez-moi l'expression."
Un sourire affable revint sur ses traits.
" Excusez-moi. C'est une rencontre que je n'avais pas anticipée. Vous m'avez posé une question. Ah oui. Observations. Ils usent leurs parchemins, si vous voulez mon avis. Trop de variété et d'esbroufe. Ils seront à sec tôt ou tard. Mais je suppose que je suis là pour éviter le tard. Nous irons en journée, cela dit. Ça devrait vous convenir, en bon lathandrite que vous êtes. Mais la nuit, c'est bon pour les chauves-souris, pas pour les braves."

[Taliesin]

Taliesin faillit répondre que Braen leur avait été d'un grand secours mais, jugeant cela peu diplomate, il préféra ne pas rebondir sur le sujet.
-Je me range à votre avis. D'autant que de jour, nous pourrons nous approcher sans avoir à batailler à tous les coins de rue.
Il se tourna dans la direction par laquelle son camarade s'était carapaté.
-Seriez-vous d'accord pour m'accompagner jusqu'aux quartiers des officiers ? Je pense qu'ils seraient ravis que vous leur fassiez part de vos conclusions.

[Galathée]

" C'est peu utile, mais nous n'avons pas grand chose d'autre à faire... A moins que... Les humains vont exiger d'envoyer quelques uns des leurs avec nous, je suppose... pour nous surveiller... et éviter que la victoire ne soit qu'elfique. Ah, c'est logique, je ne m'en offusque pas."
Le vieil elfe ne broncha pas lorsqu'une traînée violacée embrasa la ciel pour aller finir sa course quelques rues plus loin.
" Il faut juste que je veille à prendre mes quelques heures de Rêverie, sans quoi je risque d'être peu efficace le moment venu. Et ne me parlez pas de la villa d'Amrod. J'ai vu un parc, un peu plus loin... plein d'elfes, mais ça, c'est plus familier."

[Taliesin]

Il sourit.
-Très bien. Il faudra aussi que j'aille me reposer, d'ailleurs... Mais je pense que notre rencontre avec l'état-major ne sera pas très longue, de toute façon.
Elle lui semblait néanmoins nécessaire : si l'on voulait que tout cela se termine par quelque chose de positif, mieux valait jouer à fond la carte de la coopération, ne pas agir seul dans son coin.

[Galathée]

Ils se retracèrent donc le chemin que Braen et Taliesin avaient emprunté plus tôt jusqu'à atteindre la petite place et son auberge. Il y avait désormais un peu plus de monde aux alentours et si les humains ne réagirent en rien à la présence de Wilmarin, il en fut tout autrement pour les elfes. Manifestement stupéfaits, et même impressionnés, les soldats qu'ils croisèrent s'agenouillèrent sur leur passage, certains prononçant quelques paroles rituelles qui reflétaient leur immense respect pour le vieil ermite.
" J'ai horreur de ça, grommela ce dernier entre ses dents. Le complexe d'infériorité des boisés. C'est vrai que ce sont de quasi sauvages, mais quand même... Si j'apostrophe l'un d'eux, il va mouiller ses chausses."

[Taliesin]

-Je suis jaloux : j'adorerais susciter ce genre de réactions, répondit-il sur le ton de la plaisanterie, montrant bien par là qu'il n'en était rien.
Il se dit également qu'il valait mieux que personne n'apprenne la manière dont Braen avait interpellé le vieux sage : sinon, il pourrait bien s'attirer des ennuis, surtout connaissant sa réputation déjà sulfureuse.
Quoi qu'il en soit, l'immense respect témoigné à Wilmarin montrait assez son importance... et le caractère presque extraordinaire de son déplacement.

[Galathée]

" Qui sait, d'ici trois ou quatre cent ans, si vous continuez à faire votre mariole... Mais le secret, c'est de se donner en spectacle à un seul endroit... Sinon la légende s'effiloche et les gens pensent avoir affaire à plusieurs personnes différentes. Surtout les humains."
Il eut un calme sourire.
" Enfin. Il va falloir travailler avec ces maudits boisés, nous n'aurons pas le choix si nous voulons donner l'assaut à ce fortin perché."

[Taliesin]

-Il faudra aussi travailler avec les humains... Mais plus nous serons nombreux, plus nous aurons de chances de l'emporter. Et puis, une victoire collective pourrait être célébrée de concert et, qui sait, apaiser des tensions, permettre à des relations de se nouer...
Peut-être était-ce utopiste. Toutefois, cela tenait-il réellement de l'impossible ? Il aimait à croire que non, aimait à croire que ce drame pourrait déboucher sur quelque chose de bon. Ou, au moins, d'encourageant.

[Galathée]

" Mais il est nettement plus difficile de coordonner un vaste groupe quand il s'agit de mener une mission pour sauver des otages. Le moindre faux pas et c'est le massacre. Et dans ces cas-là, les dissensions deviennent des gouffres... des haines... Chacun rejette la faute sur l'autre. Liguer des groupes dissemblables ne fonctionne que lorsque l'alliance est couronnée de succès."
Le vieil elfe laissa le barde le guider jusqu'à l'auberge où se trouvait l'état-major et le laissa entrer devant. Les mêmes personnes s'y trouvaient : deux humains, Braen et l'officier elfe, ainsi qu'Amrod et Cordélia, en retrait. A l'entrée de Wilmarin, l'officier s'inclina, Amrod en fit de même, plus rapidement, et Braen ne put s'empêcher de sourire, espérant probablement que la compagnie lui éviterait d'être éviscéré sur place.

[Taliesin]

-Messieurs, je vous présente maître Wilmarin, le sage dont je voua avais parlé, dit-il aux deux officiers humains.
Après avoir fait les présentations en sens inverse et en elfique, il se tut. Si nécessaire, il jouerait volontiers les interprètes. Mais peut-être Amrod souhaiterait-il endosser ce rôle. Après tout, il était de Champsdor : les hommes du cru lui feraient dès lors davantage confiance qu'à un étranger tel que lui, aussi bienveillant puisse-t-il paraître.

[Galathée]

Pendant un moment, personne ne dit rien, si bien que Wilmarin finit par prendre une chaise de lui-même (l'inspectant d'abord comme s'il se fut agi d'un animal venimeux) et s'assit parmi eux.
" Bon, fit-il avec son commun très particulier. Il faut des gens pour les femmes prisonnières. Je peux aller mettre du désordre chez les fous de l'abbaye, mais il faut les protéger. Je ne peux pas à moi tout seul contrôler tous ces... hommes. Surtout si on ne sait pas combien ils sont."

[Taliesin]

A nouveau, le barde se tint coi : il espérait bien que, cette fois, les officiers elfes et humains répondraient. Si nécessaire, il adresserait à Amrod et aux autres des signes encourageants. Et si vraiment le dialogue ne s'instaurait pas... Tant pis, il jouerait les intermédiaires. Mais cela l'ennuierait : non que rendre service lui déplaise, loin s'en fallait, mais étant lui-même un étranger en cette ville, n'ayant aucune place au sein de l'état major, il ne pouvait pas dire grand chose et encore moins prendre des décision pour tel ou tel parti. Son rôle se limiterait donc à briser la glace...

[Galathée]

" Heu... J'imagine que les prêtres chauntéens qui se sont désolidarisés de l'abbaye doivent savoir combien de... gens... se trouvaient là-haut. Sans doute un nombre ésotérique au hasard ? Sept ou treize ou... trente-trois ? commença l'un des officiers humains, d'une voix mal assurée.
— Il me semble qu'un d'entre eux en a parlé, oui. Mais je ne me souviens plus du chiffre. Il faudra leur demander." intervint Amrod, avec tout autant de gêne.
Peut-être que c'était simplement le fait de parler en commun.
" Tant que ce n'est pas 666..." commenta Braen à mi-voix.
" Avez-vous une idée de la manière dont vous comptez procéder ? demanda le premier humain. Si nous tentons de prendre les portes, ils pourraient massacrer leurs otages..."

[Taliesin]

-Si je puis me permettre... intervint-il. Lors de notre dernière rencontre, quelqu'un a évoqué la possible existence de grottes sous la colline. A-t-il été possible de vérifier ? Car s'il y en avait bel et bien, cela rendrait possible une infiltration discrète et une rapide mise sous protection des otages. Sinon, sans doute faudra-t-il user de magie pour se dissimuler, en espérant que les capacités de détection des cultistes ne soient pas trop élevées...

[Galathée]

" Nous n'avons pas eu le temps d'aller très loin, commença l'officier humain. On a trouvé trois entrées et...
— C'est une idée non mauvaise, intervint Wilmarin. Mais ces tunnels sont sans doute sans utilisation récente et ils sont..."
Il fit un geste sinueux de la main, cherchant ses mots.
" Compliqués. Et ils conduisent tous au même lieu, dans le centre."

[Taliesin]

Taliesin s'accorda quelques instants de réflexion avant d'interroger Wilmarin.
-Pensez-vous qu'une escouade sous l'effet d'un sort d'invisibilité aurait une chance de pénétrer dans l'abbaye sans être repérée ? Dans le cas contraire, aussi complexes soient-ils, ces tunnels seraient sans doute notre meilleure option...
Pour peu que les cultistes ne les surveillent pas ou ne les aient pas totalement piégés, cela allait de soi.

[Galathée]

Wilmarin parut peser les possibilités un moment.
" Nous pouvons passer par là pour atteindre le coeur de leur temple... mais pas pour rejoindre les femmes que vous voulez sauver. Le mieux est sans doute de passer par là et par ici... Il faut aller tout de suite chez les femmes, si on veut neutraliser ceux qui les menacent... Mais franchir les portes.... ou les murs, je veux dire... La magie des dieux humains le peut. Vous dites qu'il y avait de vrais hommes de bien dans cette abbaye. Ils doivent le faire."

[Taliesin]

Taliesin acquiesça.
Il allait être difficile de faire confiance à ces hommes qui, tout en faisant partie de l'organisation néfaste qui gangrénait la vallée depuis des lustres, affirmaient avoir tout ignoré de ses réels desseins, de ce qui se passait véritablement dans l'abbaye. D'un autre côté, s'ils acceptaient de combattre ceux dont ils avaient été les dupes, ce serait un excellent moyen pour eux de prouver aux yeux de tous leur bonne foi et leur innocence.
Restait simplement à espérer qu'il n'y aurait pas, parmi les volontaires, de faux repentis n'attendant que le bon moment pour retourner à nouveau leur veste.

[Galathée]

" Je pense que c'est une bonne idée, intervint alors Cordélia. Les filles qui sont dans cet entredeux... la plupart sont complètement... acquises à cette cause. Si des étrangers ou des elfes surgissent, elles ne les croiront pas... elles diront qu'ils mettent leur âme en péril...
— Nous l'avons vécu en première main, renchérit Braen.
— On pourrait même emmener une des femmes qu'on a déjà secouru.
— Je ne pense pas que ce soit possible, intervint un des officiers humains. Comme vous le dites... Beaucoup de certitudes sont tombées... des certitudes très douloureuses. Elles ne sont pas en état."

[Taliesin]

-Peut-être cela vaudrait-il malgré tout la peine de leur poser la question, par acquis de conscience ? Qui sait si certaines d'entre elles ne retrouveraient pas de l'allant à l'idée de pouvoir contribuer au sauvetage de leurs camarades d'infortune et à la défaite de leurs bourreaux... Mais effectivement, si aucune ne s'en sent le courage, ce qui serait tout à fait compréhensible, il ne faudrait pas les y contraindre : contraintes, elles l'ont été suffisamment pour toute une vie, sinon plus encore.