[Bâtiment] Domaine de Hautetour

[Taliesin]

-C'était une précaution. Je ne pense pas qu'on me surveille particulièrement : je n'ai pas donné motif à se méfier de moi, alors pourquoi le ferait-on ? Cependant, cette demeure est bourrée de gens curieux qui adorent écouter les conversations qui ne les concernent pas, dans l'espoir de colporter des ragots. Or, les entraînements de Godefrey et Tommen comptent parmi les nombreuses discussions à la mode parmi les domestique. J'ai donc préféré ne pas prendre de risque.
Il sourit à nouveau.
-Le côté positif, c'est que si cela continue ainsi, j'aurai un prétexte tout trouvé pour t'emmener loin des oreilles indiscrètes, si tu viens me parler en arguant de ce motif : après tout, les maîtres des lieux n'ont pas forcément envie que tout le monde en connaisse les moindres détails. Du moins parait-il légitime qu'en tant que garde d'honneur, j'aie cette pensée à l'esprit.

[Claris de Corvimande]

« Oui, c'est sans doute une piste intéressante. J'imagine d'ailleurs que cette tendance au commérage peut éventuellement m'aider à approcher certains domestiques, si besoin, même si ça revient à jouer sur les deux tableaux… Et même si, dans l'immédiat, je n'aurais de toute façon rien à leur apprendre que tout le monde au domaine n'ait pu imaginer de lui-même, je pense. Bref. »

Le temps défilait, et il était sans doute préférable que leur conversation ne s'éternise pas trop. Claris avait de toute façon évoqué les sujets les plus importants – du moins lui semblait-il dans l'immédiat. Mais puisque son comparse lui avait signifié vouloir cette entrevue, même si celle-ci devait de toute façon arriver avant peu, il avait peut-être d'autres choses à ajouter de son côté.

[Taliesin]

Ce ne semblait pas être le cas. Sans doute avait-il envisagé cette première rencontre privée comme une façon de mieux se coordonner, à moins qu'il n'ait voulu savoir ce que Claris avait pu découvrir de son coté.
-En tout cas, chapeau bas pour ta patience et ta retenue envers les morveux, conclut-il d'un ton badin. A ta place, je crois que cela fait un moment que j'aurais cédé à l'envie de profiter au maximum de cette carte blanche qu'on t'a accordée pour leur en faire voir de toutes les couleurs...

[Claris de Corvimande]

« Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, mais je crains fort que si je laissais mes penchants s'exprimer, cette carte blanche ne suffirait pas et il faudrait que tu termines cette mission tout seul. Je me console en pensant à la meilleure façon dont elle pourrait se terminer. »

À savoir, de son point de vue, un bain de sang dont aucun Valombre ne réchapperait. Antin en avait sans doute une idée assez proche.

[Taliesin]

-Si je puis me permettre un conseil : ne les épargne tout de même pas trop. Si j'ai bien suivi, le but est de dégoûter l'un de l'escrime et d'endurcir l'autre, ce qui ne ravit pas leur mère. C'est pour ça qu'ils ont embauché Gail : il est extérieur au domaine, de basse extraction, insignifiant, en somme : il peut par conséquent faire le "sale boulot" tout en étant expulsable ou sacrifiable en cas de besoin. Bref, si tu es trop doux, il risquent d'estimer que tu ne fais pas l'affaire. Je pense d'ailleurs que cela surprendra, que tu ne les aies pas fait s'entraîner sous la pluie... Bon, mais je présume peut-être. Et de toute façon, il était important qu'on se parle.
Il eut un air pensif.
-Une alternative serait d'entrer dans les bonnes grâces de Tommen, en faisant semblant de l'endurcir tout en le ménageant en réalité. A travers lui, cela pourrait te valoir les faveurs de sa mère. Mais les défaveurs du maître de maison, si cela est trop visible...

[Claris de Corvimande]

« J'espère bien que nous aurons d'autres occasion de les faire se tremper jusqu'aux os ; mais dans l'immédiat, il me semble que les choix de Gail sont plutôt compréhensibles : Godefrey a besoin de prendre une leçon dans les conditions qui lui sont les plus favorables, faute de quoi il persistera à blâmer des causes extérieures en ignorant superbement le fait qu'il soit nécessaire, pour devenir un bon bretteur, de savoir y faire face. Quant à Tommen, il a besoin de prendre goût au fait de se battre, et plus la chose lui sera désagréable, plus il voudra s'en détourner. Et si je peux gagner du crédit auprès d'un autre membre de la famille ainsi, ça peut effectivement être intéressant. »

Resterait à trouver comment en profiter ensuite. Dans l'immédiat, en dehors de ses deux élèves, la famille Valombre n'avaient pas de véritable existence dans le quotidien de Claris.

« Ce qui m'amuse, dans cette affaire, est que le meilleur moyen de remplir les consignes que l'on m'a données – endurcir l'un et faire comprendre à l'autre qu'il ne s'en sortira pas en se la coulant douce – est sans doute de fiche le feu à ce domaine et de passer tous ses occupants par le fil de l'épée sous leur yeux. »

[Taliesin]

-En effet. Mais pareil spectacle pourrait bien les détruire irrémédiablement. Ou, au contraire, révéler chez eux des forces qu'on ne soupçonnerait guère, sous leurs allures d'enfants gâtés.
Son sourire s'élargit puis disparut.
-Ah, quelle belle scène se serait là. Malheureusement, les chances pour qu'elle se produise à l'issue de notre mission sont minces. Dans le meilleur des cas, nous devrons nous contenter de coups plus mineurs. Et il me paraît même probable qu'au final, notre rôle se limite à réunir d'utiles informations qui ne seront exploitables que sur le long terme. Mais qu'importe : j'ai fait mien l'adage voulant que la vengeance soit un plat qui se mange froid.

[Claris de Corvimande]

La position d'Antin était assurément la plus raisonnable, Claris n'en doutait pas, et se préparait à une fin de mission qui soit aussi décevante. Toutefois, cela ne l'empêchait pas d'espérer que l'issue fut autre. Terminer son séjour ici dans un affrontement épique et en semant la mort aussi largement que possible, avant de retourner à son véritable quotidien, serait à ses yeux des plus satisfaisant, Mais on verrait bien le moment venu.

« C'est sans doute le plus sage, en effet. Comme il est sans doute plus sage de ne pas poursuivre cette conversation trop longtemps. À ton avis, est-il préférable que je te raccompagne là-bas, ou que je commence dès à présent à aménager cette salle ? »

Après tout, si ces grandes fenêtres, qui ouvraient sur la colère des cieux un spectacle magnifique, pouvaient être franchies sans les briser, il serait peut-être tout de même envisageable, en cours de route, d'envoyer Godefrey se faire tremper, sans forcément le prévenir à l'avance. Ce serait déjà une grande satisfaction.

[Taliesin]

Antin ne réfléchit pas très longtemps à la question.
-Que tu aménages la salle : me racompagner ne paraîtrait pas très justifié.
Il lui sourit à nouveau.
-Content de t'avoir parlé. Et à bientôt !
Puis, sur un salut de la main, il tourna les talons pour regagner les quartiers des maîtres.

[Claris de Corvimande]

Claris acquiesça et répondit sur le même ton, avant de se mettre en effet à préparer les lieux. Pour cette fois, cela incluait prévoir toutes sortes d'obstacles et récupérer quelques armes de jet et des projectiles adéquats – certains rendus inoffensifs, mais pas tous –, dans le but de reconstituer une modeste esquisse de sa propre salle d'entraînement. Avec le bruit de la pluie pour diminuer les repères, un duel contre son jeune adversaire dans un lieu où il ne serait pas toujours possible de le voir et où tous deux seraient la cible d'un tireur embusqué pourrait avoir un effet intéressant sur Godefrey – surtout s'il était possible de l'amener à sauter dehors d'une façon ou d'une autre. Concernant Tommen… un gosse de son âge apprécierait peut-être une partie de cache-cache, ce serait un début.

[Taliesin]

A l'heure dite, Antin reparut. Rien, dans son attitude, ne laissait soupçonner la nature de l'échange qu'il avait eu avec Gail : il savait jouer la comédie, rien à redire à ce niveau.
Derrière lui marchait Tommen qui, une fois n'est pas coutume, semblait de bonne humeur. La raison ne fut pas difficile à comprendre : au regard appuyé qu'il jeta aux fenêtres et, surtout, au déluge qui s'abattait derrire elles, il était évident qu'il avait craint, un temps, de devoir s'entraîner sous la pluie.

[Claris de Corvimande]

Chose qui ne manquait pas de donner fortement envie à Claris de l'attraper et de le jeter dehors. Mais si drôle que cela aurait été, ça n'aurait rien apporté d'utile ; aussi valait-il mieux opter pour une autre tactique. “Gail” proposa donc à son élève une activité qui était peut-être en mesure de lui plaire : se dissimuler parmi les nombreux obstacles disséminés dans la pièce, équipé de l'arme de jet de son choix – dotée de munitions inoffensives – et tenter de profiter des conditions favorables à ne pas être remarqué pour toucher son maître d'armes. Patience et discrétion plus que force et rapidité : c'était davantage dans ses cordes, et quoique cela soit un véritable entraînement martial, cela avait quelque chance de passer, aux yeux de l'enfant, pour un jeu. Ainsi l'objectif pouvait sembler être, simultanément, de lui faire prendre goût à ce type de chasse aux yeux du maître de maison, et de lui faire passer un bon moment aux yeux de sa mère. Une manière simple, pour cette fois, de jouer sur les deux tableaux.

[Taliesin]

Peut-être était-ce dû à sa bonne humeur ? Peut-être Claris avait-elle su présenter cet exercice comme un simple jeu et n'en avait-il retenu que cet aspect ? Quoi qu'il en soit, Tommen non seulement respecta les consignes mais, de surcroit, le fit avec un certain enthousiasme et sans ménager ses efforts. Et à peine une vingtaine de minutes plus tard, alors que la séance était encore loin d'être terminée, la jeune Corvimande avait la certitude que, depuis le début, ce serait indéniablement la plus réussie.

[Claris de Corvimande]

C'était, assurément, une expérience intéressante. Pouvait-on changer un enfant quasi-luménien en tueur simplement en présentant l'exercice comme un jeu ? Bien sûr, le résultat ne serait sans doute pas le même lors d'une chasse dont le gibier serait véritablement mis à mort. Mais, même s'il n'était pas non plus dit que ce genre d'exercice soit ce à quoi les maîtres de maison avaient pensé, ce nouvel enthousiasme était, au minimum, encourageant pour Claris. Les exercices s'enchaînèrent, la difficulté augmentant progressivement. Lorsque l'enfant prit suffisamment confiance en lui, “Gail” s'arma à son tour pour riposter, faisant peu à peu entrer la nécessité d'être rapide à celle d'être discret et adroit. Mine de rien, toujours déguisée en jeu, la séance mobilisait assurément de véritables compétences martiales.

[Taliesin]

Et c'est là qu'elle mesura tout le chemin qu'il restait à parcourir. Si tant est qu'elle veuille réellement consacrer moult efforts à sa tache.
Car si Tommen demeura globalement enthousiaste, il n'en montra que plus clairement ses limites : il n'était pas du tout endurant, pas vraiment discret, pas exactement rapide, pas franchement habile... C'était juste un gosse sédentaire, qui n'avait jamais fait d'exercice physique avant que ne débutent ces séances et qui, en dehors de celles-ci, passait toujours le plus clair de son temps à se prélasser dans le confort auquel il avait droit.

[Claris de Corvimande]

À la vérité, Claris n'avait aucune intention de mener cette tâche à son terme : si longue que soit cette mission, elle serait, fallait-il espérer, en moins de temps qu'il n'en faudrait pour que ce gosse devienne un combattant accompli, voire même un débutant recevable. Mais d'ici-là, il faudrait donner le change, et si possible obtenir quelques progrès remarquables par un profane. Avoir réussi à l'intéresser à un exercice martial en était sans doute un – à voir si le fait que l'enfant lui-même prenne cela comme un jeu parviendrait ou non à satisfaire également l'autre parti en présence. Savoir ce qui en ressortirait du point de vue des autres personnes s'occupant de lui serait sans doute intéressant, et cela pourrait donner à “Gail” une occasion d'aller rendre visite à d'autres parties du personnel.
En attendant… il fallait s'accorder sur cette bonne humeur et ne rien laisser paraître de ce que lui inspirait l'inaptitude totale de son élève. Le reste de la séance se poursuivit sur cette lignée, tâchant de le faire progresser du mieux possible tout en conservant un aspect suffisamment ludique pour qu'il ne perde pas sa motivation.

[Taliesin]

Mais plus les minutes passèrent, plus ladite motivation s'émoussa, rognée par la fatigue et, peut-être, par le constat qu'il n'était décidément pas très doué - quoique Tommen ne donnât pas l'impression de s'en offusquer outre-mesure, ou de rechercher à tout prix la progression.
L'heure finit par arriver à son terme. Antin se manifesta pour ramener le garçon à ses quartiers et aller quérir Godefrey. Celui-ci se présenterait-il ? Se ferait-il attendre ? Jouerait-il les abonnés absents ? La question pouvait se poser, désormais...

[Claris de Corvimande]

La baisse de motivation s'était fait sentir, une fin de séance survenue avant qu'il ne faille trop lutter pour continuer fut plutôt bien accueillie. Claris consacra le temps d'entre-deux cours à récupérer les projectiles et à rectifier les positions de quelques uns des obstacles. L'organisation de la séance serait grosso-modo la même pour les deux frères, la présence de Jean en augmentant toutefois considérablement l'intérêt. Tout fut en place à l'heure dite, comme si un retard du principal (dés)intéressé était inenvisageable. Et si cela impliquait de patienter, eh bien… ce ne serait qu'une occasion supplémentaire de réfléchir à la façon dont le lui faire payer.

[Taliesin]

Jean arriva le premier, comme toujours. Il observa l'installation avec étonnement - il faut dire qu'elle n'avait rien de conventionnel - mais curiosité.
Godefrey parut un peu plus tard - et à peu près à l'heure. Et, de manière tout sauf étonnante, son regard et sa mine ne reflètent que du mépris, voire de la désapprobation. Sans doute estimait-il que tout exercice s'éloignant de la formation classique des chevalierrs était indigne de lui. Et, peut-être, tout bonnement inutile.

[Claris de Corvimande]

Claris attendit que les deux élèves soient présents pour présenter l'objectif de la séance – la curiosité de Jean aurait peut-être été satisfaite plus tôt si Godefrey avait été une nouvelle fois en retard, mais puisque ça n'avait pas été le cas…

« Vous n'êtes pas sans savoir que combattre ne nécessite pas seulement de l'adresse, mais également de l'attention. Avoir tous ses sens à l'affût est essentiel, et savoir réagir efficacement au moindre danger est d'une nécessité vitale. Nous allons aujourd'hui travailler sur la façon de répondre à une embuscade. Godefrey, vous vous imaginerez devant vous rendre autre part en ville, et devant pour cela passer par une ruelle aussi encombrée que celle-ci. »

Le geste pour désigner son aménagement de salle était, certes, un peu théâtral, mais croiser ce type de décors en ville n'avait, après tout, rien de particulièrement rare.

« Pour l'instant, Jean jouera le rôle de votre garde du corps. Je compte cependant sur lui pour ne prendre aucune initiative : charge à vous de lui donner les ordres nécessaires pour vous aider à mettre l'assaillant hors d'état de nuire, dès lors que vous aurez été en mesure de percevoir sa présence. »

Les armes de jet avaient été positionnés pour pouvoir être utiles, mais étaient pour l'instant hors de vue des deux jeunes gens, et c'est volontairement que “Gail” n'en avait rien dit : cela ferait, au moins, un élément de surprise, car il lui semblait assez peu probable que le jeune Valombre suive la consigne de réagir comme s'il ignorait qu'une attaque aurait lieu. Au moins, le fait d'être en situation de commandement pourrait peut-être attirer ses bonnes grâces…

[Taliesin]

C'était mal le connaître.
-Dois-je te rappeler que c'est l'escrime que je suis censé apprendre, et non le combat de rue, lequel incombe à la piétaille et en rien à l'aristocratie ? D'autant que celle-ci, ne te déplaise, n'a pas pour habitude de fréquenter les venelles puantes où grouille la plèbe... Enfin, je pense malheureusement qu'il est inutile de tenter de discuter avec toi.
Mais peut-être le fait de commander à l'écuyer avait-il malgré tout joué, car il sembla prêt, bon gré mal gré, à se plier à l'exercice. De même que Jean, bien sûr : certes, il avait paru légèrement dubitatif, lui qui était habitué à la formation traditionnelle des futurs chevaliers ; mais protester ne lui serait sans doute jamais venu à l'esprit, sans compter sa relative ouverture d'esprit.

[Claris de Corvimande]

Quoique peu conventionnel, ce type entraînement figurait en bonne place parmi les raisons pour lesquelles Claris avait un niveau d'escrime quelque peu supérieur à celui de la moyenne des gens de sa génération. Mais de cela, bien sûr, il n'était pas question de parler.

« C'est bien d'escrime qu'il s'agit ; mais d'escrime mise en situation. »

Et il était, somme toute, assez satisfaisant que Godefrey estime qu'il était inutile d'en discuter. S'il pouvait rester sur cette ligne à l'avenir, les leçons seraient sans doute moins épuisantes.
Bref, dès lors que ses élèves semblèrent prêts à débuter l'exercice, “Gail” disparut donc dans le décors. Son intention était de profiter des conditions favorables à n'être pas remarquer pour tirer quelques traits à proximité des deux jeunes gens – pas directement sur eux, dans un premier temps. S'ils parvenaient à déterminer sa position et à engager un corps à corps en un temps raisonnable, le jeune Valombre aurait son escrime ; dans le cas contraire, des projectiles inoffensifs mais mieux ajustés leur signifieraient leur échec.

[Taliesin]

S'ils parvinrent assez facilement à la repérer, la suite ne se passa pas exactement comme prévu.
-Va t'en occuper, intima Godefrey à Jean. Les armes de jet son des armes lâches et roturières, maniées par des lâches et des roturiers : ceux-ci ne méritent pas l'honneur qu'un aristocrate daigne les attaquer.
Jean parut sur le point de rappeler qu'il était également un aristocrate mais jugeant sans doute que cela ne lui apporterait rien sinon des ennuis, il s'exécuta finalement sans piper mot.

[Claris de Corvimande]

S'il prenait les choses ainsi… Claris attendit que Jean se soit suffisamment éloigné de Godefrey pour décocher, droit vers ce dernier, un nouveau trait – inoffensif, bien sûr, mais bien ajusté, celui-ci. Il avait choisi d'envoyer son garde au loin et de rester là où il était : il était normal d'en payer les conséquences. Son autre élève aurait ensuite droit à un accueil à l'épée, suite auquel l'agresseur risquait fort de prendre la fuite. Resterait ensuite à voir s'il tirerait une leçon de cet échec tactique flagrant.

[Taliesin]

Aucunement.
Godefrey lui jeta un regard noir lorsque le projectile le percuta et Claris eut la certitude que s'il le pouvait, il s'en vengerait. Mais dans l'immédiat, il choisit de faire étalage d'une suprême indifférence.
Peut-être était-il convaincu que, jamais, il ne se retrouverait dans pareille situation. Et il fallait admettre que la plupart des nobles qu'il connaissait n'étaient probablement jamais allés dans une venelle étroite propice aux embuscades.

[Claris de Corvimande]

“Gail” ne sembla pas s'émouvoir le moins du monde de la noirceur de ce regard et, l'exercice terminé, se dirigea vers le jeune noble d'un pas assuré.

« Comme vous le disiez vous-mêmes, vous êtes censé apprendre l'escrime ; et vous n'y parviendrez pas en négligeant toute occasion de sortir l'épée. Puisque la mise en situation ne semble pas vous convenir, nous allons nous affronter à découvert. Pendant ce temps, Jean tâchera de rester hors de vue et de nous tirer dessus. Nous verrons ainsi si vous parvenez à mieux éviter les traits lorsque vous êtes aussi exposé qu'il vous sied que lorsque vous avez la possibilité de vous abriter. »

[Taliesin]

Une moue fugace se dessina sur les traits de Jean : manifestement, et quoiqu'il n'envisageât pas de protester, il n'était guère ravi à l'idée de devoir se servir d'armes de jet, lesquelles étaient jugées peu honorables.
Sa réaction, aussi passagère ait-elle été, n'échappa pas à Godefrey qui se fendit d'un sourire : la déception de son partenaire d'entraînement paraissait le réjouir au plus haut point. Puis il le gratifia d'un long regard appuyé, qui voulait sans doute dire quelque chose, avant de se tourner enfin vers Gail.
-Ne peux-tu pas t'en tenir à des leçons d'escrime classiques ? Pourquoi te faut-il toutes ces... mises en scène ? Les aristocrates ne tirent pas à l'arc ou à la fronde, ils ne vont pas se souiller dans les venelles sordides... Es-tu à ce point ignorant du mode de vie de la noblesse ?
Le bon point, c'est qu'il paraissait malgré tout prêt à croiser le fer.

[Claris de Corvimande]

« Il peut néanmoins leur arriver qu'un adversaire déloyal vous fasse tirer dessus lors d'un duel. Pensez-vous pouvoir faire face à cela ? »

Inutile de chercher à argumenter davantage avec lui. Cette séance pouvait d'ailleurs s'avérer aussi conventionnelle que l'avaient été toutes les autres avant elle : il ne s'agissait après tout plus que d'esquiver des attaques tout en menant un duel, ce qui restait un exercice classique. Bien sûr, en s'en tenant aux exercices classiques avec toute la mauvaise volonté qui le caractérisait, Godefrey ne serait jamais rien de plus que médiocre, mais il y aurait du chemin à accomplir pour qu'il parvienne à comprendre cela. Manifestement, avoir cherché à expérimenter davantage n'était guère efficace à ce niveau.
Il allait sans doute être nécessaire, la séance terminée, de présenter quelques excuses à Jean ; mais pour l'heure, il était temps de combattre.

[Taliesin]

-Oui, grâce à mes gardes du corps, répliqua Godefrey avec aplomb. Vous savez, ils ne sont pas là uniquement pour faire joli.
Sur ce, la passe d'armes débuta et s'annonça aussi insipide que de coutume, à cause du piètre niveau - ou de l'absence de niveau ? - de l'élève. Jean vint bien sûr la pimenter, mais d'une façon assez particulière : si certains de ses projectiles semblaient destinés au jeune Valombre, ils le manquèrent tous de beaucoup, tandis que la plupart, visant Claris, s'avérèrent autrement plus précis, plusieurs faisant même mouche.

[Claris de Corvimande]

HRP : un doute me prend : Jean est au courant du but semi-officiel des séances, ou il croit que le but est vraiment de faire progresser Godefrey ?

La chose n'avait, à vrai dire, rien de bien surprenant, et Claris l'avait quelque peu anticipé : comme précédemment, il était préférable pour le jeune homme d'épargner autant que possible celui qui avait toute latitude à faire de lui son souffre-douleur – d'avantage que ce n'était déjà le cas. Face à un élève un tant soit peu consciencieux, cela aurait pu être une occasion de donner l'exemple en prenant bien soin de montrer comment y faire face tout en combattant. Ici, c'était sans doute peine perdue, et “Gail” se contenta, une fois suffisamment de projectiles tirés, de mettre hors de combat le jeune Valombre sans sembler s'en émouvoir le moins du monde.

« Et dans votre cas, ils seront sans doute utiles. Bien, puisque savoir comment réagir face à ce type d'armes vous semble aussi indigne que de les manier, nous allons nous focaliser sur la seule épée pour la suite. En profitant tout de même de cette installation : nous allons travailler l'attention, la vitesse et la discrétion. Je vais de nouveau me placer hors de vue – sans vous tire dessus, cette fois –, et vous devrez néanmoins me trouver et me mettre hors de combat. »

Et cette fois, sa ferme intention était de se placer à proximité d'une sortie vers la pluie qui tombait toujours aussi fortement, et de voir si la fureur du jeune homme serait suffisante pour le faire foncer sous l'eau en croyant l'atteindre.