[Lieu] Le Bois du Gobelin Pouilleux

[Alexiel]

Alexiel ne s'était pas attendu à une explosion de saveurs, et ne fut donc pas déçu. Manger chaud et assis à une table était déjà en soi un luxe appréciable auquel il n'avait pas droit tous les soirs, il s'en fallait de beaucoup. Aussi mangea-t-il sa purée de pois sans faire le difficile, tout en prêtant l'oreille à se passait autour de lui. Dans le brouhaha des échanges, la conversation des marchands l'intéressait tout particulièrement. S'il y avait un convoi pressé et menacé, il pouvait bien y avoir un besoin d'escorte; et si la direction suivie était plus ou moins celle du sud, lui-même pourrait bien faire l'affaire. Ce serait de l'argent facilement gagné. Un peu de renfort financier serait justement le bienvenu, sa bourse le lui avait soufflé tout à l'heure...

[Taliesin]

Le marchand ne faisait mystère ni de sa destination, ni de son employeur, se servant au contraire de ces données comme arguments pour bien faire comprendre à son fournisseur qu'une entorse au contrat entre eux signé aurait des conséquences importantes.
Alexiel put donc aisément apprendre que l'homme travaillait pour un architecte renommé de Melandis, lequel s'était vu chargé par un aristocrate de haut rang de lui bâtir une nouvelle demeure aux abords de la capitale. C'était donc là que le bois devait être livré au plus vite - le commanditaire n'étant pas du genre à souffrir le moindre retard.
En revanche, le chevalier noir ne découvrit rien à propos d'un éventuel besoin de protection pour le convoi.

[Alexiel]

Le chevalier noir préféra attendre que cette conversation - apparemment à sens unique - prenne fin, jugeant qu'il serait plus convenable d'aborder le fournisseur une fois que ce dernier serait seul. Et puis, peut-être en apprendrait-il plus dans l'intervalle... D'ici là, il pouvait toujours terminer soigneusement son assiette et la saucer avec son pain. Ne pas gâcher.

[Taliesin]

La discussion ne se prolongea guère : après que le marchand ait pour la énième fois souligné le caractère impératif d'une livraison effectuée dans les temps, son interlocuteur local l'assura à nouveau que tout se passerait bien puis prit congé et quitta l'auberge, sans doute pour prendre des dispositions et pour se délester sur ses subordonnés d'une partie de la pression qu'on venait de faire peser sur ses épaules. Quant au marchand de bois, il marmonna quelques récriminations dans sa barbe, avala d'une traite le peu qui restait dans son assiette puis se leva pour sortir à son tour.

[Alexiel]

Ah c'est malin ! Voilà que son homme s'en allait sans demander son reste. Alexiel avait fini son assiette; il se leva sans hâte excessive, laissant l'appoint sur la table, et sortit sur les talons de sa cible, qu'il retrouva marchant d'un bon pas au beau milieu de la grande rue. Maintenant qu'il était sorti de l'auberge, le semi-elfe s'autorisa d'allonger la foulée, rattrapant l'homme en moins de dix mètres.

"Messire !"

Sa voix portait bien : l'autre se retourna.

" Messire, je n'ai pu m'empêcher d'entendre votre conversation tout à l'heure; si je ne fais pas erreur, vous avez une livraison de bois à assurer à Melandis, et des délais à tenir en dépit d'une situation très incertaine. Je me demandais si vous seriez intéressé par le recrutement d'une escorte ? Faisant route moi-même dans la même direction, il me semble que nous pourrions faire affaire. J'ai un cheval et une lame dont je connais l'usage."

Sur ces mots, il croisa les bras, attendant la réponse. En règle générale, ses interlocuteurs ne doutaient guère de ses aptitudes martiales ; aussi affichait-il une crâne assurance.

[Taliesin]

Son interlocuteur s'efforça d'arborer une mine neutre. Pourtant, Alexiel voyait bien d'une part qu'il n'appréciait guère d'avoir été écouté, d'autre part qu'il ne voulait pas trop le montrer, ne sachant sur quel pied danser face à ce nouveau venu à la présence - et aux compétences - indéniables.
-Eh bien, messire, dans l'absolu, du renfort n'est jamais malvenu, répondit-il bientôt. Cette route n'est pas exempte de malandrins, et certains sont tellement aux abois qu'ils pourraient s'attaquer à un convoi tel que le mien... Le problème, c'est que les fonds qu'on m'a confiés pour cette opération ne me laissent quasiment aucune marge de manœuvre, si bien que votre salaire n'aurait rien, loin s'en faut, de mirobolant.

[Alexiel]

"De combien parlons-nous ?" répliqua-t-il calmement.

Certes il avait reconnu un peu trop volontiers qu'il suivait de toute façon cette route, mais il n'était pas prêt non plus à accepter une somme ridicule pour son escorte. Ce n'était pas seulement parce que le jeu n'en valait pas forcément la chandelle, qu'il voyageait mieux seul et à son propre rythme. C'était aussi une question de standing : un homme tel que lui n'acceptait pas n'importe quoi.

[Taliesin]

L'homme l'observa à nouveau avec attention, comme s'il essayait de déterminer, d'après son allure, sa mise, quelle somme minimale il pouvait proposer sans que cela soit pris pour une insulte.
-Je ne pourrais malheureusement pas faire mieux que dix pièces d'or pour l'ensemble du trajet, avec cependant prise en charge des frais d'auberge, finit-il par dire.
Ce n'était pas grand chose. Ce n'était pas totalement honteux non plus.

[Alexiel]

Alexiel réprima un soupir. Ce n'était pas encore cette fois qu'il ferait fortune, mais ça devrait faire l'affaire. A ce prix-là, cependant, ils ne devraient pas s'attendre à trop de zèle en cas de grabuge, mais c'est le risque que chacun court avec les mercenaires. Peu désireux de prolonger la conversation, le semi-elfe préféra abréger les effusions.

"Je loge à l'auberge. Prévenez-moi lorsque vous serez prêts au départ. Et n'oubliez pas de régler la note..."

[Taliesin]

Le marchand parut soulagé. Grandement soulagé.
-N'ayez crainte : ce sera fait. Par ailleurs, je vous verserai la moitié de votre solde au moment du départ.
Un geste de conciliation qui n'engageait à pas grand chose. Mais un geste de conciliation tout de même.
Sur ce, l'homme prit très poliment congé puis s'éloigna dans la rue.

HRP : Toutes mes excuses, je n'avais pas vu ton message. Je serai plus vigilant désormais, promis.

[Alexiel]

Bon. Voilà. C'était réglé. A présent, il ne lui restait plus qu'à attendre le signal du départ. Et dormir. La route avait été longue et il n'y avait de toute façon pas grand chose d'autre à faire par ici la nuit tombée.

Alexiel rentra donc à l'auberge et monta dans sa chambre, où il se déshabilla promptement avant de s'allonger tout aussi promptement sur le matelas. Draps rêches, matelas de son dur. Mais l'ensemble était propre et infiniment plus confortable que le sol inégal et souvent pierreux des environs. La rapière posée à portée sur la chaise, il s'endormit sans délais.

Oui, moi aussi je n'ai vu tout de suite ta réponse..

[Taliesin]

Et Alexiel rêva.
Il se vit déambuler, de nuit, dans un parc à l'ambiance sinistre.
Un parc qu'il reconnut aussitôt, pour s'y être déjà promené, lorsqu'il se trouvait encore à Melandis.
Le Jardin de la Mélancolie.
Au détour d'une allée gravillonnée, il remarqua une silhouette encapuchonnée, se tenant comme en prière à quelque distance de là, parmi la végétation.
Une statue ?
Sans hésiter, il se dirigea vers elle.
"Qui êtes vous ? lui demanda-t-elle sans relever la tête.
-Une ombre, s'entendit-il répondre.
-D'où venez vous ?
-De la flamme sans laquelle les ombres ne sauraient exister.
-Où allez vous ?
-À la flamme, car elle m'a mandé.
La scène s'estompa, remplacée par d'absolues ténèbres.
Mais une flamme s'alluma dans son champ de vision.
D'abord minuscule et fragile, elle enfla rapidement, devenant en un rien de temps un véritable brasier prêt à tout consumer.
Alexiel se réveilla en sursaut.
C'était le petit matin.

[Alexiel]

Un rapide regard dans la chambre : non, rien. Ce n'était qu'une chambre d'auberge de village au petit jour. Se relâchant, il retira de la garde de son arme la main qui s'y était crispée, avant de la plonger dans sa chevelure, qu'il massa longuement. Ce rêve lui faisait l'effet désagréable d'une gueule de bois après un concours d'ivrognerie, et pourtant, il avait eu une nuit complète : pas d'excuse.

Redressé sur l'oreiller, il se repassa mentalement les divers éléments de ce rêve. Tout sonnait faux : le temps, le lieu et ses propres réponses, qu'on aurait dit récitées d'un bréviaire. Il avait été comme spectateur de cet échange, et non acteur, en dépit des apparences. Au fond de lui, il savait bien pourquoi : ce n'était pas un rêve. Plutôt une convocation. Et, sans tout à fait être certain de l'identité de son expéditeur, il en ressentait une sourde colère, qui ne fit que s'enfler à mesure qu'il y réfléchit. On venait de le siffler comme un chien ! Et il n'était le laquais de personne.

En attendant l'inévitable confrontation, force lui était de constater qu'aucun feu follet ne flottait dans la pièce, prêt à lui indiquer la route qu'il était censé suivre. Partie remise. Il se leva furieux, se lava, s'habilla, refit son lit - pourquoi ? pour s'occuper l'esprit sans doute - rangea son paquetage, et quand il vit qu'il n'y avait plus à faire ici et qu'il ne décolérait pas pour autant, se décida à descendre dans la salle commune y prendre son petit-déjeuner. Il avait le visage fermé, un regard prêt à tuer, et en de tels moments, son aura incommodait jusqu'aux profanes.

[Taliesin]

Cela ne manqua pas.
Ainsi le tenancier ne s'attarda-t-il pas près de lui, ne restant que le temps de le saluer et de lui servir son petit-déjeuner avant de retourner derrière son comptoir pour essuyer des coupes - sans doute davantage pour se donner contenance que par nécessité. Quant aux clients attablés non loin du chevalier noir, ils parurent subitement se rappeler qu'ils avaient des affaires urgentes à régler car ils se hâtèrent de finir de manger puis de quitter les lieux d'un pas pressé.
Du marchand qui l'avait engagé, en revanche, Alexiel ne vit nulle trace.

[Alexiel]

Et évidemment, cela ne fit que l'irriter davantage. Il allait donc être bloqué dans ce patelin encore une journée ! Il n'y aurait donc rien pour l'empêcher de repenser à ce rêve ? Il ne voulait pas se demander d'où cela venait, peut-être parce qu'il en avait une vague idée et que cette dernière le contrariait encore un peu plus.

Une fois fini un repas d'un intérêt gustatif fort discutable, le semi-elfe sortit de l'auberge. L'inaction lui pesait ; il voulait trouver un coin un peu écarté pour s'entraîner. Il lui suffirait de hautes herbes et d'un tronc d'arbre.

[Taliesin]

Ceux des habitants du village qui n'étaient pas déjà au travail s'y rendaient, devisant avec ce qui se voulait de l'entrain. Mais cela sonnait faux, semblait forcé : l'humeur générale était maussade, pour ne pas dire plus, et sans doute avait-ce trait aux disparitions qui se produisaient au village.
Le chevalier noir n'eut guère à s'éloigner de celui-ci pour trouver un endroit à sa convenance.
Cela faisait peut-être une heure qu'il s'entraînait sans avoir subi la moindre interruption lorsque quelqu'un se racla discrètement la gorge, à quelque distance derrière lui. Tournant la tête, il remarqua le fameux marchand. Lequel semblait plutôt hésitant...

[Alexiel]

Tout en dévisageant son interlocuteur, Alexiel pestait intérieurement. Non seulement parce que c'était l'humeur du jour, mauvais rêve oblige, mais parce qu'il s'était laissé surprendre, ce qui prouvait que son attention se relâchait. Les conséquences auraient pu être graves si l'individu l'avait trouvé en train de prier, d'invoquer ou autre; il aurait fallu le tuer, et adieu le convoi. Bref. Il était là, et tout bien réfléchi, ce devait être une bonne nouvelle. Le semi-elfe força un sourire de convenance.

"Prêts à partir ?" lança-t-il, laconique.

[Taliesin]

-Presque. Je tenais à vous prévenir un peu en avance, afin que vous ne soyez pas pris au débotté...
Il lui rendit son sourire.
-Le chargement des chariots doit être en train de débuter. Nous devrions donc pouvoir partir en toute fin de matinée, voire juste après le repas
Il jeta un regard par dessus son épaule avant de revenir à Alexiel.
-Et il était temps ! C'est fou comme un rien peut désorganiser ces gens... Mais bref, mes efforts ont fini par payer.

[Alexiel]

"Un rien" ? Parlait-il des disparitions, des battues infructueuses ? Hé bien, en voilà un que la compassion n'étouffait pas, Alexiel l'en aurait presque trouvé sympathique. Ou alors le marchand parlait plus vraisemblablement de tout autre chose, vol de matériel ou roue cassée, mais le chevalier noir aurait estimé dégradant de s'intéresser davantage aux vicissitudes d'une vie commune... Jetant un coup d'oeil à l'élévation du soleil sur l'horizon, il en déduisit qu'il avait encore deux bonnes heures devant lui.

"Très bien, j'y serai."

Quand le marchand fut reparti, il s'exerça encore quelques temps, puis rentra à l'auberge sans se presser. C'était la fin de la matinée, et il guettait du coin de l'oeil s'il n'apercevait pas les charriots et où en était leur chargement : tout bien réfléchi, il aurait apprécié de pouvoir prendre encore un repas chaud - et à défaut, il fallait qu'il voie auprès de l'aubergiste si ce dernier voulait bien lui vendre quelque nourriture pour la route.

[Taliesin]

Alexiel eut de quoi se satisfaire de la suite des opérations.
D'abord, il put prendre un repas chaud, le chargement n'étant pas allé aussi vite que le marchand l'aurait souhaité.
Ensuite, le tenancier accepta de lui vendre des vivres. Le faisait-il régulièrement ? S'agissait-il d'une concession pour s'épargner l'ire de ce troublant client ? Impossible à dire.
Enfin, quand vint le moment du départ, il put constater que sa monture avait été très bien traitée.
Quant au convoi, il se composait de trois chariots chargés de rondins et tirés par de solides chevaux de labours. Le tout allant de pair avec six humains : son employeur, deux gardes du corps et trois cochers. Une troupe fort peu impressionnante, mais qui aurait bien pu vouloir voler du bois ?
Il devait pourtant exister des risques : sinon, on ne l'aurait pas recruté...

[Alexiel]

Le chargement de bois n'étant effectivement pas la cible favorite des brigands - trop lourd à transporter - il fallait croire que si agresseurs il y avait, ils s'en prendraient aux êtres vivants en premier lieu. Question de territoire ? Besoin de sang, de chair fraîche pour un rituel quelconque ? Voilà qui collait assez bien avec le fait que les cadavres demeuraient introuvables... Mais Alexiel n'allait pas se torturer les méninges pour si peu : avec un peu de chance - oh oui de chance, il commençait à s'ennuyer ! - il verrait bien.

Le chevalier noir alla droit vers sa monture, vérifia son équipement, chargea les sacoches, et constata avec satisfaction qu'Eclipse avait retrouvé un peu de son énergie : la crinière soigneusement peignée, le poil luisant, l'étalon hennissait et renâclait avec une agressivité certaine à l'égard des chevaux de trait, comme s'il voulait leur cracher au plus tôt son aristocratique mépris.

Un demi-sourire aux lèvres, il monta en selle.

[Taliesin]

Ce fut un sourire autrement plus large qui illumina les traits du marchand lorsque, la colonne s'étant ébranlée, le village eut disparu derrière eux.
-Enfin partis de ce trou à rat ! s'exclama-t-il joyeusement. Les dieux m'en soient témoins, j'avais hâte ! Et avec un peu de chance, il se sera fait rayer de la carte avant longtemps : ce ne sera pas une grosse perte, vu l'inefficacité de ses habitants. Et de surcroit, cela m'évitera d'avoir à y remettre les pieds.
Il semblait décidément aussi insensible aux malheurs des habitants que ravi de s'éloigner de leur bourgade.

[Alexiel]

Alexiel fut amusé de ce discours, bien qu'il le trouvât fort étrange. Terrier creux, site sans intérêt, trou à rats ? Sans aucun doute. Mais de là à souhaiter qu'il disparaisse, voilà bien une drôle d'idée pour un marchand...

"Mais que deviendrez-vous, messire, si cela advenait ? Un marchand de bois a besoin de bûcherons, il me semble, comme une lame de pierre où s'aiguiser..."

[Taliesin]

-En effet, acquiesça-t-il. Cependant, les gens d'ici n'ont jamais été très carrés quant au respect des délais, sans compter leur refus entêté de baisser leurs prix. Les essences poussant dans cette partie de la forêt sont très recherchées, ce dont ils ont parfaitement conscience et ce qui les pousse à être... intraitables. Or, si leur communauté venait à disparaître, mes clients ne pourraient plus insister pour que je m'approvisionne ici, ce qui me permettrait de me rendre en des lieux où les bûcherons sont autrement plus raisonnables... Mes marges ne s'en porteraient que mieux. Le résultat serait à peu près le même si ce village se retrouvait dans une situation vraiment critique : les personnes dans le besoin font moins les difficiles.

[Alexiel]

"Avec un peu de chance, vos voeux ne devraient pas tarder à être exaucés : ces histoires de disparitions semblent créer un bon terreau de panique dans leur communauté..."

Encore quelques bûcherons de moins, quelques hypothèses angoissantes de plus, et on pourrait parler de situation critique, pour sûr. Peut-être même, à terme, de nettes ruptures de stock en bois de qualité ! Alexiel n'en parlait que pour alimenter poliment la conversation ; en réalité, il ne s'en réjouissait ni ne s'en inquiétait : jamais il n'avait pis la peine de dénombrer la piétaille... Il n'empêche, ne pas avoir le fin mot de l'affaire l'agaçait.

[Taliesin]

-Un rien fait paniquer ces péquenauds, fit le marchand, le mépris pointant dans sa voix. Bon, peut-être est-ce grave, allez. Mais ils n'en reste pas moins incapables non seulement de régler le problème eux-mêmes mais, de surcroit, de trouver quelqu'un pour le régler à leur place. Tenez : vous ont-ils proposé de résoudre l'affaire ? Que nenni, à ma connaissance. Certes, il n'est dit ni que vous auriez accepté, ni qu'ils aient eu assez d'argent pour vous rétribuer comme il se devrait. Néanmoins, ils auraient dû tenter... Bref, de mon point de vue, quand on n'a pas les épaules pour survivre, on est voué à disparaître. La sélection naturelle, en somme.

[Alexiel]

Quel dommage qu'Alexiel n'ait plus de groupe sous ses ordres, il aurait recruté le marchand sur le champ, ne fût-ce pour sa bonne philosophie existentielle. Bon, c'est vrai, les aptitudes martiales ne sont pas un détail dans la profession, et il n'avait plus de groupe depuis des mois. C'était un peu de sa faute, d'ailleurs. Mais tout de même, cela faisait fichtrement plaisir de rencontrer quelqu'un qui partageait un tant soit peu sa vision des choses. C'était indéniable, ces bûcherons n'avaient pas fait grand chose d'utile pour résoudre leur problème. Des battues ? Ils auraient dû comprendre depuis un bon moment que le problème était trop grave pour se résoudre ainsi. Que diable, les disparus n'étaient pas des enfants apeurés par la tombée de la nuit... Et l'absence de cadavre ou de piste excluait l'hypothèse d'une bête féroce. Bon. Peut-être auraient-ils la chance d'être attaqués pour avoir le fin mot de l'affaire, peut-être pas. La vie est beaucoup plus décevante que les romans, c'est connu, et la plupart des archives de quête demeurent inachevées dans les journaux des aventuriers... Sur ces réflexions fatalistes, Alexiel se laissa bercer par le pas régulier d'Eclipse.

[Taliesin]

Leur périple fut dépourvu de tout incident et, pour tout dire, passablement ennuyeux : certes toujours de bonne humeur et de ce fait plutôt enclin à la discussion, le marchand évitait toutefois de trop déranger Alexiel, sans doute intimidé par son aura et peu désireux de le mécontenter.
Quand arriva le soir et que faire halte pour la nuit s'imposa, point d'auberge à l'horizon : on bivouaquerait dans un lieu repéré par la caravane lors du voyage aller, à quelque distance de la route - et, surtout, de l'orée des bois.
Le camp fut promptement monté : le chevalier noir ne fut évidemment pas sollicité, la tache incombant aux seuls cochers. Et il semblait bien qu'on ne le solliciterait pas non plus pour jouer les sentinelles et que seuls les gardes du corps s'en chargeraient.

[Alexiel]

La traversée avait été paisible et donc facteur d'ennui mortel pour Alexiel. Lorsqu'ils furent sortis de la foret, il fit son deuil de tout éclaircissement immédiat sur le problème des bouseux à éclipse. Bah. il l'apprendrait sans doute par la rumeur un jour ou l'autre, c'était la route de Melandis, après tout... L'esprit dégagé de cette préoccupation, il ne put s'empecher de repenser à son étrange reve de la nuit précédente, et son humeur s'en ressentit. Pendant que les autres montaient le camp, il décida donc d'aller se dégourdir les jambes un moment à proximité, sous prétexte de reconnaitre les lieux et de se redresser la colonne vertébrale et en réalité pour se calmer.

[Taliesin]

Autour de lui, la nuit était paisible : exceptés les bruits du camp, qui s'atténuait au fur et à mesure qu'il s'en éloignait, on n'entendait que les stridulations des insectes et, de temps à autre, le cri d'un oiseau de proie. Par ailleurs, il faisait relativement clair, grâce au ciel dégagé piqueté d'étoiles et où montait, surtout, une lune proche de son plein. Tout cela conférait à ce petit coin de nature une atmosphère reposante, sinon apaisante. Du moins, pour qui était sensible à semblables attraits.
Toutefois, cette quiétude était trompeuse : la Bois du Gobelin Pouilleux était réputé pour abriter bien des horreurs et les plaines qui le longeaient n'étaient pas, non plus, exemptes de périls. Bref, l'endroit n'était point sûr pour les personnes isolées.
En tout cas pour les personnes isolées ordinaires.

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