[Bâtiment] La Maison de Silmandel

[Manfred]

Silmandel, après avoir vérifié par principe les références de ces dames, leur informa qu’elles étaient toutes les deux engagées. Il aborda ensuite la question du salaire. Elles seraient bien sûr moins bien payées qu’Alfred, mais le sorcier n’était pas avar et ce qu’il proposait était donc des plus convenables. Ceci réglé, il appela Clémentine et Alexandre qui se trouvaient tous deux à l’étage. Ce serait la première fois que l’une comme l’autre verraient les domestiques. Silmandel, tout sourire, se chargea donc des présentation.
« Clémentine, Alexandre, je vous présente Alfred, le majordome, Adélaïde, la cuisinière, et Mathilde, la femme de chambre. Mathilde aura à sa disposition la mansarde et Alfred, la chambre d’ami. Alfred, Mathilde et Adélaïde, je vous présente Clémentine et Alexandre, des personnes à qui je tiens énormément et que j’héberge pour l’instant. »
Sur le coup, l’elfe avait faillit présenter Clémentine comme sa femme et, Alexandre, comme son fils. Il ne fallait cependant pas confondre avec le jeu de rôle qu’il avaient tous trois suivi lors de l’enquête de la maison hantée. Pour autant, les liens devenaient forts, c’était indéniable.

[Taliesin]

Si Clémentine éprouva de la surprise, elle n'en montra rien : impassible, elle salua courtoisement les nouveaux venus. Quant à Alexandre, passé son prime et visible étonnement, il se fendit également de salutations polies.
Une fois les présentations faites, Alfred, déjà dans ses fonctions, s'en alla montrer leurs quartiers aux deux femmes.
-Pourquoi tu as pris des domestiques ? souffla le garçon sitôt qu'ils furent partis. Clémentine aurait pu faire tout ça toute... Aïe !
Il venait d'écoper d'une tape symbolique sur la tête.

[Manfred]

Silmandel sourit.
« Sacrée crapule ! Une remarque de plus de ce genre et tu risques d’aider Adélaïde à nettoyer les marmites. Il ne faudrait pas que tu perdes l’habitude après t’être tant entrainé, non ? »
Redevenant sérieux, il se tourna vers Clémentine. Les serviteurs étaient loin, mais il baissa tout de même d’un ton :
« Alfred Pennyworth est quelqu’un de confiance. C’est Fagin qui me l’a adressé. C’est également un ancien soldat. Il sera peut-être un peu rigide, mais une lame de plus, ça n’est jamais de trop, surtout pas dans cette ville. Adélaïde et Mathilde m’ont été recommandé par Alfred. Je pense qu’on n’a pas de souci à se faire. Avec eux, la maison ne sera plus une charge, pour aucun d’entre nous. »

[Taliesin]

-Ton toit, ta loi, répondit la jeune femme. Mais il faudra malgré tout être vigilants quand nous discuterons : il existe malheureusement des moyens de faire parler même les personnes de confiance.
-Moi, ce qui m'ennuie surtout, c'est qu'avec tant de gens dans la même maison, il n'y aura plus moyen de faire des bêtises tranquille, soupira Alexandre. Enfin, j'espère que j'aurai le droit de mettre un panneau "Défense d'entrer" sur la porte de ma chambre : mon désordre, j'y tiens !

[Manfred]

Silmandel acquiesça aux propos de Clémentine avant de faire face à Alexandre, de croiser les bras et d’adopter un air pensif.
« Je pense que je vais donner quelques consignes pour que soit surveillée ta chambre de manière très étroite. Au moindre objet de travers, punition ! »
Après un petit rire taquin, il s’en alla retrouver Alfred et les autres domestiques afin de régler tout ce qui devait encore l’être. Cela lui faisait bizarre de se retrouver dans sa situation. Melandis achevait sans doute de le changer. L’elfe de lune insouciant débarqué dans la cité, voilà plusieurs mois, avait disparût. À sa place, un sorcier aux convictions plus marquées, aux responsabilités naissantes. L’âge adulte, peut-être enfin...
Il n’abandonnait pas ses rêves, pour preuve ses activités nocturnes plutôt audacieuses, mais il savait à quoi il s’exposait et faisait en sorte de l’éviter.

[Taliesin]

Jour après jour, les choses se mirent en place, au sein de la demeure, et ses divers résidents trouvèrent peu à peu leurs marques.
Mais forcément, l'arrivée de trois étrangers, fussent-ils discrets et de confiance, changea l'atmosphère : l'endroit était bien plus peuplé, l'intimité bien moindre...
Clémentine passa le plus clair de ses journées à l'extérieur, que ce soit pour ses activités au sein de la guilde ou pour faire des promenades en compagnie de son frère. Quant à celui-ci, bien davantage sur la réserve que précédemment, il ne faisait pas de vagues et restait souvent dans sa chambre.
En vérité, il faudrait encore du temps avant que la situation ne paraisse et ne soit réellement normale.

[Manfred]

Pour Silmandel également la situation était étrange. Il avait du mal à se dire que cette maison était à lui, que ces domestiques étaient à son service. Il demeurait un joyeux luron, n’hésitait pas à déboucher une bouteille et des fois, pris de lubies soudaines, il profitait d’un rien pour transformer un repas en festin. Mais derrière cette joviale façade, il surveillait ses comptes, demeurait très sérieux dans la tenue de sa propriété. Jamais il ne se dérobait à ses responsabilités. Il ne négligeait pas Alexandre. N’ayant plus rien à lui apprendre en matière de magie, il commença à lui enseigner l’elfique.
« Tu verras, un jour, ça te sera peut-être utile ! » avait-il dit.
Puis, il lui proposa même des leçons d’escrime. Il était un haut elfe, il avait appris très tôt l’art de la lame. Nul doute cependant qu’Alfred pouvait en la matière expliquer d’avantage. Le soir, il conduisait Alexandre et Clémentine, lorsqu’elle était disponible, au théâtre. Il avait envisagé de remonter sur les planches, mais le temps lui manquait. Car lui-aussi, de manière assez régulière, revenait vers Maître Fagin pour réaliser des contrats. De là provenait son salaire. Presque une vie rangée, selon ses critères d’en temps...

Il n’y avait que la nuit, après sa transe elfique, qu’il pouvait se laisser aller. En tout cas, cela avait été l’objectif au départ. Mais sa mésaventure avec Beodacia lui avait bien montré que son rôle de justicier réclamait le plus grand sérieux. Au moins vibrait-il avec extase au rythme des filatures, espionnages et vols pour la cause d’une justice véritable faisant si cruellement défaut dans la cité du chaos.
Double vie, triple même : le bourgeois, l’agent de la guilde des voleurs et le chat-justicier...

[Taliesin]

Et peut-être finirait-il par devoir en toucher un mot à son vigilant majordome.
En effet, une nuit, alors qu'il quittait discrètement sa propriété pour vaquer à ses occupations, il perçut, du coin de l'oeil, un mouvement à la fenêtre du vieil homme. Il lui sembla que le rideau avait bougé, comme si on l'avait écarté pour mieux voir.
Peut-être avait-il fait un peu de bruit, sans s'en rendre compte. Peut-être était-ce un hasard; Ou une simple impression.
Quoi qu'il en soit, le lendemain, Alfred parut lui jeter un regard très, très légèrement plus appuyé qu'à l'ordinaire.
Impression, encore ?
Mais il ne fit en tout cas aucune remarque et son attitude ne varia en rien.

[Manfred]

Au début, Silmandel fut tenté de ne rien faire. Après tout, il pouvait se tromper. Alfred Pennyworth n’avait rien remarqué et c’était lui qui se faisait des idées. Néanmoins, la nuit tombée, alors qu’il avait déjà adopté sa forme hybride, qu’il l’avait altéré pour conférer à son pelage un aspect noir de jais et à ses yeux, la couleur de l’or, qu’il avait enfilé son ample et légère robe noire, qu’il ouvrait la fenêtre et s’apprêtait à sortir... il hésita franchement sur la conduite à tenir.
Franchement mais pas longtemps. Il ne pouvait pas se comporter comme avant, avant Alexandre, avant Melandis. Lorsqu’il y avait un doute, il fallait l’éclaircir. Lorsqu’il y avait un problème, il fallait le régler.
Comme si de rien n’était, il franchit la fenêtre, la referma sans tout à fait la bloquer, puis d’un bond surnaturelle, gagna le toit voisin, puis le suivant avant de disparaître dans les méandres de la cité.

Très attentif, il avait vérifié si son majordome, à nouveau, l’avait repéré. Si c’était le cas, alors il se contenterait d’une balade de quelques minutes avant de revenir afin de se planter juste devant la fenêtre d’Alfred et de toquer au carreau. Une discussion allait s’imposer, mais il espérait bien un minimum surprendre le vieil homme par ce retour prématuré. Espièglerie féline.

[Taliesin]

Mais il en fut pour ses frais.
La fenêtre s'ouvrit quelques instants seulement après qu'il y ait toqué, révélant un Alfred aussi impeccable qu'imperturbable.
Et que parfaitement réveillé.
-Que puis-je pour votre service, messire ? s'enquit-il posément.

[Manfred]

Silmandel ne put qu’écarquiller les yeux, puis il dût réprimer un éclat de rire.
« Fichtre ! Aurais-je trouvé plus imperturbable que moi ? Je tenais la chose pour impossible ! Orgueilleux que je suis ! » dit-il, à mi-voix, avec cet élégant accent exotique qu’il avait sous cet aspect.
Il bondit lestement à l’intérieur de la pièce, puis, nonchalant, pivota.
« Fermez, l’air est vif. Ensuite, racontez-moi d’où vous tenez cet extraordinaire aplomb. Je doute que seul l’horreur de la guerre ait pu le cultiver. Certains de vos anciens maîtres étaient-ils singulier ? »

[Taliesin]

Le vieil homme ferma la fenêtre puis haussa les épaules.
-On peut le dire, oui. Mais même sans cela... La nature et les affaires privées de mes employeurs ne me regardent pas, surtout quand ils m'ont été recommandés.
Il marqua une pause.
-Néanmoins, je me permettrai de vous recommander la prudence : mon précédent employeur, lui aussi, était d'une nature enthousiaste et prisait les sorties nocturnes. Malgré mes recommandations, l'une d'entre elles lui a été fatale.

[Manfred]

« J’entends vos conseils, Alfred. Melandis m’a déjà révélé à quelle point elle pouvait se montrer retorse et cruelle. Je gage ne point avoir tout découvert. Prudent, je le suis, sans doute pas assez à vos yeux, mais bien plus qu’avant. Le danger est pour moi un vieux confrère. J’ai un passé d’aventurier. Cet aventurier, aujourd’hui, me trouverait passablement assagi. Moi, je réalise à quel point il était téméraire, à quel point les mains de ses compagnons ont été salvatrices. »
Il marqua une pause, organisa ses idées, tout en faisant quelques pas, appréciant le peu de bruit de ceux-ci. Pattes de velours...
« J’étais venu pour vous expliquer certaines chose. C’aurait été nécessaire avec j’imagine à peu près n’importe qui, mais pas vous. Je sortirai toutes les nuits, ou tout du moins, la plupart. Rassurez-vous, je me contente habituellement de rôder, d’épier, d’écouter. Parfois, simplement, je me balade. Vous garderez le secret. Pas un mot, pas même à Clémentine ou à Alexandre. »

[Taliesin]

Il opina du chef.
-Le secret professionnel est le b-a-ba, dans ma profession.
Il soupira.
-J'ai eu exactement la même discussion avec mon précédent employeur, lequel tenait exactement les mêmes propos que vous. Espérons que, cette fois, la conclusion ne soit pas exactement la même.

[Manfred]

Silmandel, après quelques nouveaux pas durant lesquels il s’amusa à observer son ombre portée sur le mur, découpée légèrement par l’infime clarté des étoiles, il refit face à son majordome.
« Il serait très surprenant, Alfred, que je meurs de vieillesse, d’autant plus que je suis un elfe. Un jour, ou une nuit, je vais me planter, rencontrer plus rusé, plus rapide, plus discret ou plus fort que moi. Je ferai néanmoins en sorte que cela soit le plus tard possible. Il y a ici des gens sur qui je désire veiller. Cela, plus que tout le reste, modère mes ardeurs. L’un dans l’autre, il n’est pas certain que ce soit la nuit que je prenne le plus de risque. La nuit, c’est le loisir, le jour, je travaille. »
Il avait dit cela avec un absolu sérieux, se surprenant lui-même. Mais déjà, il redevait espiègle.
« Cher Pennyworth, faites-moi plaisir, racontez-moi ce que vous connaissez de cette ville. Votre ancien maître, celui que vous évoqué, a dû vous révéler quelques petites choses dignes d’intérêt et qui ne rentre pas dans le cadre du secret professionnel. Sans compter votre propre expérience qui ne me semble pas de nature à être négligée. »

[Taliesin]

Alfred, toujours aussi imperturbable, lui jeta un long regard.
-Votre question est presque aussi vaste et complexe que la cité dans laquelle nous vivons, répondit-il finalement. Et à moins que vous ne souhaitiez passer la nuit à écouter un long et probablement ennuyeux monologue, je pense qu'il serait préférable de me donner des précisions quant à ce qui pourrait vous intéresser.

[Manfred]

« À votre avis, Alfred, qu’est-ce qui pourrait m’intéresser ? répondit Silmandel, non sans malice. Qu’est-ce qui pourrait intéresser un nouveau bourgeois elfe avec un long passé d’aventurier et se plaisant à vadrouiller la nuit sous les traits d’une créature féline ? »
Il serait intéressant de savoir à quel point Pennyworth l’avait cerné. Le chat, disant cela, s’était assis au pied du lit, dans une pause très nonchalante.

[Taliesin]

-Des injustices à réparer ? Des torts à redresser ?
Le vieil homme avait prononcé ces mots de son ton habituel, sans rien perdre de son flegme.
-L'ennui, c'est que ces choses sont aussi courantes à Mélandis que des épis dans un champ de blé.

[Manfred]

« J’adore cette ville, répondit Silmandel, avec sa malice féline. Je ne vais décidément jamais m’ennuyer, ici. L’aventure à domicile, n’est-ce pas un luxe ? D’habitude, il faut au moins sortir des murs d’une cité, chercher un donjon, une crypte, un camp de bandit, mais là, pas besoin : à chaque recoin, un truc à faire ! »
Quand Silmandel y pensait, la situation avait de quoi être déprimante. Mais il se connaissait. Il avait beau avoir acquis plus de sagesse dans ses actes, il ne pourrait pas vivre dans un havre de paix. Il se releva.
« Vous n’avez encore rien raconté. Dommage. Une prochaine fois, peut-être. Je vais vous laisser dormir, Alfred. Tout imperturbable que vous êtes, les humains ont besoin de leurs nuits, plus que nous autres, elfes. »
Et il prit la direction de la fenêtre.

[Taliesin]

-Les vieux humains ont bien moins besoin de sommeil que leurs cadets, répondit-il. Et avant de vous laisser partir, je réitérerai une dernière fois mes conseils de prudence. Cette cité a presque systématiquement raison des gens bien intentionnés, aussi expérimentés et... particuliers soient-ils, et nos amis communs seraient forts marris si cela devait également être votre destin. Alors, faites attention.
Courte pause.
-A ce propos, dans la cour de la troisième maison dont vous franchissez le toit, il y a un chien de garde qui grogne de plus en plus fort à chacun de vos passages. Bientôt, il aboiera. Changer d'itinéraire pourrait donc être une bonne idée.

[Manfred]

Silmandel, une main sur la poignée de la fenêtre, tourna une fois de plus ses yeux d’or vers son majordome. Il luit sourit et, dans la pénombre, ses dents bien blanches contrastèrent sur son pelage de nuit.
« Alfred, décidément, vous êtes quelqu’un d’à part. Et des gens, vous imaginez bien, j’en ai vu beaucoup pour étayer mon avis. »
C’était dit avec calme et franchise. Le chat-garou ouvrit la fenêtre.
« C’est noté pour la prudence. »
Il bondit sur le rebord mais repassa brièvement la tête à l’intérieur pour ajouter :[/i]
« Et pour le chien aussi. Puissiez-vous tout de même un peu vous reposer. »
Et il disparût dans un murmure d’étoffe.

[Taliesin]

Alfred guetta-t-il son retour ou alla-t-il se coucher ?
Silmandel ne le sut pas : tout juste put-il dire que le vieil homme ne se trouvait pas debout derrière sa fenêtre quand lui-même revint de son expédition nocturne.
Et le lendemain, il fit comme si de rien n'était, comme s'ils n'avaient pas eu cette conversation.
Imperturbable, décidément !

[Manfred]

Silmandel se montra tout aussi égal dans son comportement. Il lui semblait qu’il trouvait ses marques dans cette nouvelle vie et espérait qu’il en irait de même pour Clémentine et Alexandre.

Il continuait de s’occuper au mieux de sa maison. Cela lui garantissait d’avoir l’esprit tranquille, de ne point se sentir irresponsable. Il continuait d’œuvrer pour la guilde des voleurs, toujours prêt à aider Maître Fagin. Il continuait lorsqu’il était libre ses sorties nocturnes, sans négliger les conseils d’Alfred. Il se restreignait donc à la plus grande prudence et, de temps en temps, il réitérait ses visites dans la chambre du majordome afin de discuter de tout et de rien. Il gardait contact avec Maître Presteplume, n’écartant pas la possibilité de rejouer dans une pièce, mais jamais plus sous ses traits félins.