[Quête] Escapade en Féérie

[Galathée]

Baptiste grommela mais s'exécuta en prenant place sur le tabouret. Les autres enfants revinrent, avec la flèche de Victor.
" Mais c'est quoi ce narcissique ! s'exclama Victor en voyant Baptiste devant le peintre.
— C'est quoi narcique ? demanda Marius.
— C'est pour moi ! dit Lola, ravie. Un portrait pour me souvenir !"

[Taliesin]

Et il était content que Baptiste ait accepté de lui l'offrir, bon gré, mal gré.
-Sois pas jaloux, Victor : tu passeras ensuite.
Il observa la flèche, curieux.
-Alors, qu'a-t-elle de particulier ?

[Galathée]

" Dans tes rêves !" s'exclama Victor en bondissant hors de portée.
Il brandit ensuite la flèche.
" C'est une flèche de glace. Elle gèle ce qu'elle touche. Pour autant que ça n'ait pas la taille d'un ours, hein."

[Taliesin]

-Ah...
Peut-être aurait-il dû surveiller l'achat de plus près, finalement.
-Bon, mais sois prudent, d'accord ? Et évite de te blesser avec, ou de blesser les autres. Parce que je ne sais pas trop comment je pourrais vous dégeler, si cela devait arriver...

[Galathée]

" T'inquiète pas : on n'a pas d'arc, alors on sait rien en faire, dit Victor. Mais il faut que je me trouve un carquois. On en profitera pour te trouver un fourreau pour cette horreur."
Baptiste avait terminé de poser et le chat peintre tendit le résultat à Lola. C'était un petit portrait, très finement, tout à fait ressemblant. L'arrière figurait le festival en mille couleurs, mais pas précisément l'endroit où ils se tenaient. Le pouvoir de la peinture n'était pas à ce point puissant.

[Taliesin]

Après avoir félicité l'artiste pour son œuvre - et lui avoir payé son dû -, Taliesin avait l'intention de poursuivre leurs déambulations parmi les étals et les devantures : Baptiste, Marius et Titus finiraient peut-être par trouver quelque chose à leur convenance. Mais il n'avait pas l'intention d'y passer des heures et si rien ne les tentait vraiment, il les amènerait ailleurs. Peut-être vers l'un des points d'eau qu'était susceptible de fréquenter le chamois, histoire de faire des repérages.

[Galathée]

Ils marchaient depuis un moment, déambulant sans but précis, quand il commença à y avoir un mouvement de convergence vers un point particulier du festival. Plusieurs marchands étaient en train de fermer leurs étals et les gens bavardaient avec une certaine excitation. La rumeur bourdonna bientôt à leurs oreilles : le Grand Bal du Festival allait bientôt commencer, ouvert, comme chaque année, par une première danse au cours de laquelle seuls les seigneurs de Féérie prenaient place sur la piste. On disait qu'on y verrait le Prince, on disait qu'on y verrait Dame Mahaut, et la foule pépiait d'impatience à l'idée de les voir s'affronter de la sorte, au sein d'instruments magnifiques, sous le couvert des arbres.

[Taliesin]

Voilà un événement qui aurait pu l'intéresser... Mais il y avait la mission et il ne pouvait pas, décemment, laisser passer cette opportunité.
S'il y avait moyen d'acheter un fourreau basique dans les alentours immédiats, il le ferait. Sinon, tant pis : il prendrait directement, avec sa petite troupe, la direction de la cascade aux nénuphars. Évidemment, il n'y foncerait pas au grand galop : cela aurait risqué d'attirer l'attention. Non, il adopterait plutôt le pas d'un flâneur.

[Galathée]

" On va pas au bal ? demanda Victor. Voir les gens danser ? Les musiciens féériques ? Pourquoi ?"
Baptiste fit une grimace.
" Si on n'y va pas, c'est qu'on n'y va pas."
Victor lui rendit sa grimace.
" Et j'ai le droit de poser la question ! T'as peur qu'on t'invite à danser ?
— Quand on danse avec les fées, on oublie qui on est, comment on s'appelle, et on danse pendant mille ans.
— Merci, Marius. Maintenant j'ai compris. C'est sûr que dans de telles conditions..."

[Taliesin]

Il adressa de silencieux remerciements à Marius, qui avait mis un terme aux protestations de Victor de la meilleure des façon, à savoir qu'elle ne pourrait nullement provoquer la perplexité ou les doutes d'éventuels espions.
-On va finir notre promenade d'hier : après tout, on n'a pas pu voir cette fameuse cascade. Mais cette fois, on reste groupés ! dit-il d'un ton léger.

[Galathée]

A mesure qu'ils progressaient, pas à pas, dans les travées qui se vidaient du Festival, les lieux prirent peu à peu un aspect à la fois plus merveilleux et plus inquiétant. Les grands arbres demeuraient magnifiques, illuminés de leurs sphères de magie, diffusant des lueurs tamisées, bleues, vertes, mauves ou orangées. Il y avait parfois une flamme mouvante entre deux arbres, un feu follet en maraude, une luciole, peut-être une fée, mais jamais elle ne s'attardait. Le vent se leva doucement, à moins qu'il ait toujours été là, mais dissimulé par les rires, les conversations et la musique. Petit à petit, les enfants se turent, se rapprochèrent du barde. Ils n'étaient pas franchement effrayés, mais les aises qu'ils avaient prises au fil des heures s'étaient dissipées, laissant à nouveau place à un sentiment de révérence et d'étrangeté.
La rivière murmurait quelque part sur leur droite, dissimulée par les arbres. Lola les menait sans hésitations. Il n'y avait plus personne. Les échoppes étaient fermées, les créatures innombrables disparues et au loin, on percevait une musique étrange, mais tellement distante, qu'elle aurait pu n'être qu'un mirage...

[Taliesin]

Et pourtant, qu'il aurait aimé l'entendre, la savourer...
Mais, tout en marchant tranquillement - il était soucieux d'avoir les allures d'un simple promeneur -, il s'efforça de se concentrer sur ce qui allait peut-être suivre. Il faudrait faire preuve de discrétion pour ne pas effaroucher le chamois. Et quand ils l'auraient repéré, il faudrait agir avec promptitude...
Restait à espérer qu'il saurait faire bon usage de la corde dont il était pourvu. Car s'il manquait une première tentative, la suivante serait plus difficile.

[Galathée]

La lune se dessinait, vague forme blanche, entre les arbres, nimbant les hauteurs d'argent. Lola les fit bifurquer sur un sentier plus étroit entre les arbres. On entendait murmurer la cascade sans la voir, plus loin dans la pénombre. Il sembla à Taliesin qu'il apercevait de petits yeux verts, de temps en temps, dans le sous-bois, mais c'était peut-être une illusion. L'impression de silence, après tout le tumulte des derniers jours, était spectaculaire. Et la nuit était parfaite, un peu froide, une brume légère s'était levée sur le sol. Un oiseau de nuit chanta, quelque part. Et le bruit de la cascade, toujours plus fort, résonnait devant eux...

[Taliesin]

Voilà qui offrait un panorama, une atmosphère qui valait bien des bals, de son point de vue.
Mais pareil changement d'ambiance le surprenait. Était-ce uniquement dû à l'éloignement de tous les festivaliers ? Y avait-il autre chose ?
Et surtout, se pouvait-il réellement que l'endroit soit totalement déserté ? Sur ce point, il avait de sérieux doutes.
Mais qu'importe : ils étaient lancés et ne pouvaient s'arrêter. Il fallait juste faire des efforts pour donner le change, en cas de besoin.

[Galathée]

Bientôt, la cascade apparut. L'eau jaillissait en hauteur et descendait tout droit dans le bassin en un rideau frissonnant d'une dizaine de mètres. Là où la cascade arrivait, le bassin se troublait de quelques rides, mais qui semblaient aussitôt se dissiper. Une myriade de nénuphars blancs, légèrement phosphorescents, flottaient sur un tapis de feuilles rondes, couvrant presque toute la surface du cercle parfait de cet petit étang. Ils paraissaient mobiles, se déplaçant, doucement, au fil d'un courant invisible. Les enfants demeurèrent à la lisière du bois, sans oser fouler l'herbe rase qui poussait tout autour du bassin, à l'exception de son côté nord, abrupt, d'où jaillissait le torrent.

[Taliesin]

Il se tourna vers les enfants et déclara, à mi-voix :
-C'est un lieu magnifique. Peut-être même sacré. Et nous en trouverons difficilement l'équivalent dans notre monde. Alors, nous allons nous imprégner de son atmosphère, de sa beauté. Et observer la nature environnante.
Il les regarda tour à tour bien en face, espérant qu'ils comprendraient ce qu'il taisait.

[Galathée]

" Est-ce qu'on ne devrait pas... s'écarter un peu ? demanda Baptiste. Voire... se cacher... au cas où... heu... notre présence dérangerait l'esprit des lieux ?"
Marius avait l'air fasciné par le ballet des nénuphars. Victor s'était appuyé au tronc d'un arbre. Titus, en revanche, était déjà en train de s'approcher du bord de l'eau, musant à mi-voix.

[Taliesin]

Et il le laissa faire : son côté faune le mettait probablement en harmonie avec la nature, ce qui pourrait contribuer à rassurer le chamois. Sans compter que celui-ci pouvait difficilement avoir peur d'un être si petit, si fragile...
-Nous pouvons nous reculer un petit peu. Mais pas beaucoup, sous peine de ne rien voir. Et à mon avis, le meilleur moyen d'être en accord avec les lieux, c'est d'être calme et silencieux.

[Galathée]

" Mais tu ne crois pas que..."
Baptiste secoua la tête mais préféra aller se tapir dans le bois, hors de vue de ce qui pourrait s'approcher de l'eau. Victor en fit de même mais se coucha sur le dos dans les feuilles mortes.
" Je crois que l'harmonie magnifique des lieux va m'endormir."
Lola s'était faite chauve-souris. Marius, par contre, semblait avoir beaucoup de mal à tenir en place et résolut son problème en commençant à créer des pyramides de branchettes. Il se tourna vers Taliesin et, avec un sourire entendu, lui glissa à voix basse.
" C'est ici que certains animaux timides viennent boire."
Titus, lui, s'était justement accroupi pour boire dans l'onde.

[Taliesin]

Tout en se demandant si Marius avait fait un simple constat ou s'il avait prononcé cette phrase dans l'espoir qu'elle se réalise, il resta à observer Titus, croisant mentalement les doigts pour que l'eau n'ait aucun effet négatif sur lui.
Il se tenait à l'abri d'un arbre, s'espérant suffisamment dissimulé pour ne pas inquiéter le chamois et suffisamment proche pour pouvoir intervenir s'il apparaissait.
Mais cela... il ne pourrait le savoir que si ladite apparition se produisait.

[Galathée]

Le temps se déroula, lentement, dans la fraîcheur de la nuit. Un oiseau chantait quelque part sur la droite, des insectes bourdonnaient, de temps en temps, mais sans s'attarder. Le vent, capricieux, leur apportait parfois des bribes tonitruantes de musique, avant de les emporter dans le néant. Titus, assis près de l'eau, semblait observer son reflet. Victor dormait peut-être. Marius faisait des ombres avec ses mains. Baptiste était aussi vigilant que le barde. Puis, celui-ci sentit une légère caresse sur sa joue, et Lola apparut à ses côtés.
" Nous avons été suivis, souffla-t-elle. Il y a deux personnes dans le bois, sur la droite. Un des deux a un arc."

[Taliesin]

Suivis ?
Si tel était le cas, cela signifiait que ses tentatives pour donner le change avaient plus que lamentablement échoué.
Mais plus grave : la présence de ces chasseurs allait singulièrement compliquer les choses.
-A moins qu'il y ait un moyen de les éloigner, il me faudra compter sur ma seule rapidité.
Serait-ce suffisant ? Impossible à dire. Mais il ne voyait pas comment distraire les intrus.
-Lola, si nous réussissons à accomplir notre mission, nous serons aussitôt renvoyés dans notre monde. Alors je profite de cet instant pour te remercier pour ton aide et ta gentillesse. Pour ta bienveillance, aussi, envers Baptiste, Victor et Marius, malgré la mauvaise réputation des humains. Ils ont de la chance de t'avoir côtoyée, et moi aussi.

[Galathée]

Elle sourit.
" Vous avez été très gentils avec moi, aussi, en acceptant de m'emmener dans vos pérégrinations. Les gens disent souvent que je suis collante et c'est vrai que j'aime la compagnie et que beaucoup de créatures, en Féérie, préfèrent rester entre elles. Mais quand le festival sera terminé, je rentrerai chez moi et je retrouverai mes amis. Mais je ne vous oublierai pas. Et tu diras à Baptiste que... je n'ai pas voulu trop l'ennuyer, mais que je suis heureuse de l'avoir connu et que je sais qu'il fera de grandes choses, parce que... parce que je le sais."

[Taliesin]

Il sourit à son tour.
-Je n'y manquerai pas, promis. Mais pourquoi ne pas le lui dire toi-même ? Peut-être sera-t-il embarrassé mais... Je suis certain que ça lui fera plaisir. Comme je suis certain que ça lui a fait plaisir de te connaître et qu'il ne t'oubliera pas, pas plus que nous ne t'oublierons.

[Galathée]

" Je n'ai pas envie de lui dire au revoir, murmura Lola. C'est trop difficile. Ça va l'embarrasser. Et on ne saura pas quoi dire... Et c'est de ça dont je me souviendrai, et lui aussi. Alors non."
Elle regarda vers la cascade.
" Je vais attirer les chasseurs ailleurs. Ça vous donnera la possibilité d'attraper le chamois quand il vient."

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Je ne veux pas que tu t'exposes, Lola. Ils pourraient te blesser et même si cela n'arrive pas, ta participation à ce qui va suivre pourrait te valoir des ennuis après notre départ et la clôture du festival. Non, il vaut mieux compter sur ma vitesse d'intervention : ils s'attireraient de gros problèmes à s'en prendre à moi, devant témoins, ce qui constituerait une impardonnable entorse aux règles en vigueur...

[Galathée]

" Taliesin... J'aurai encore plus d'ennuis si je suis avec toi au moment où tu captures le chamois blanc, tu ne crois pas ? Vous allez tous disparaître et moi je vais rester ici, avec les chasseurs de Dame Mahaut... Je peux les emmener loin, ils ne me rattraperont pas... Je peux même les sortir du festival jusqu'à un endroit... dont ils ne reviendront pas."
Son sourire se fit un peu plus carnassier.

[Taliesin]

Ce qui le mit mal à l'aise.
-Ce n'est pas nécessaire : ils ne connaissent pas tous les tenants et les aboutissants de cette histoire.
Il soupira.
-Si tu veux vraiment nous aider... D'accord, fais diversion. Mais promets-moi d'être prudente et de ne pas prendre de risques inconsidérés : je ne me le pardonnerai pas, s'il t'érrivait quelque chose.

[Galathée]

" Promis."
Elle l'attrapa par la tête et lui planta un baiser sur le front.
" Le baiser de la femme chauve-souris. Attention, il porte chance !"
Elle lui adressa un clin d'oeil puis se métamorphosa. Elle voleta un moment devant lui, traçant de petits zigzags qui voulaient peut-être dire quelque chose, mais peut-être pas. Ensuite, elle disparut entre les troncs.
Pendant un moment, il n'y eut plus un bruit, puis Taliesin entendit un bruissement dans les feuilles mortes, du mouvement sur sa droite, loin dans les fourrés, puis à nouveau le silence. La nuit était froide. L'attente promettait d'être longue...

[Taliesin]

Il faudrait pourtant l'endurer. Et ce, sans jamais relâcher sa vigilance.
Car il faudrait se tenir prêt à intervenir sitôt que le chamois se montrerait - s'il se montrait.
Car ce serait la seule et unique tentative.
La présence des aspions le disait assez...