[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

" Bien sûr, Braen va vous préparer ça."
Il se dirigea vers la porte et héla son majordome. Marius musardait toujours dans la pièce, allant d'une pile à l'autre, les mains dans le dos. Baptiste avait commencé, lui aussi, à s'intéresser aux rayonnages.
" Je propose que vous vous restauriez dehors ? Il fait magnifique et il y a la place pour tout le monde sous la tonnelle, dit Amrod en revenant vers le barde. Aussi... Avez-vous une idée de la durée de votre séjour parmi nous ? C'est pour le ravitaillement..."

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Je ne sais pas. Mais je doute que nous nous attardions au-delà d'une ou deux journées : nous devrions déjà être rentrés chez nous, ma femme doit commencer à s'inquiéter et comme je n'ai pas de moyen de l'informer rapidement que tout va bien... Enfin, quoi qu'il en soit, prendre le petit-déjeuner au jardin, cela me convient parfaitement.

[Galathée]

Cordélia écoutait toujours patiemment Victor qui faisait maintenant des gestes et des grimaces pour décrire quelque chose de particulièrement épique. Baptiste était toujours silencieux et revint vers le barde, tandis qu'Amrod attrapait Marius par les épaules et le guidait, non sans fermeté, vers le jardin. Le gamin se laissa conduire sans résister, sans surprise non plus, et tous deux disparurent à l'extérieur.
" Je n'ai pas dit au revoir à Lola, dit subitement Baptiste. Je n'avais pas réalisé que ça allait se finir si vite. Et j'ai peut-être cru qu'elle rentrerait avec nous."
Tout était sorti d'un seul coup, comme quelque chose de gardé longtemps à l'intérieur qui se libère subitement.

[Taliesin]

-Oh...
Il lui sourit doucement.
-Ne te tracasse pas pour ça, mon grand : elle ne voulait pas d'au revoir, parce qu'elle trouve ça trop difficile. Mais elle m'a chargé d'un message pour toi : elle n'a pas voulu trop t'ennuyer, elle est heureuse de t'avoir connu et... elle sait que tu feras de grandes choses.

[Galathée]

Baptiste eut un sourire embarrassé et secoua la tête en rougissant.
" Quand même... Je n'ai pas été très gentil avec elle... Je ne sais pas. C'est bizarre. De se dire que... tout ça c'était comme un rêve, au final."
Il baissa les yeux.
" Sauf pour l'épée dont tu dois encore nous raconter l'histoire."
Victor entraînait Cordélia vers l'extérieur. Une odeur de pain chaud flottait dans l'air, jusque dans le bureau.

[Taliesin]

-Ce n'était pas un rêve mais bien la réalité. Et rien ne dit qu'un jour, vos chemins ne se croiseront pas à nouveau. Pour le reste, ne te tracasse surtout pas : elle sait ce que tu ressentais. Les êtres féériques perçoivent beaucoup plus de choses que nous.
Il lui serra affectueusement l'épaule.
-Quant à l'épée, nous en parlerons en privé. Mais dans l'immédiat... Si nous allions déjeuner ?

[Galathée]

" D'accord."
Toute la petite bande s'était réunie autour de la table du jardin intérieur et les serviteurs apportaient déjà des plats chargés de pains, de fruits, de divers fromages et charcuteries. Il y avait aussi des oeufs, de la marmelade de trois sortes différentes, du lait frais et du thé qui infusait délicatement. Les enfants s'installèrent, les adultes aussi, bien que Cordélia se contente d'une prune et Amrod d'une tasse de thé. On ménagea une place à Taliesin et à Baptiste.
" Nous avons rencontré votre ami... Châtiment, dit Amrod avec un sourire. Il est... très particulier."

[Taliesin]

Fichtre, c'est qu'il avait presque oublié le dragon, avec tous ces événements...
-C'est vrai. Mais il est surtout déboussolé, Il paraîtra moins étrange lorsqu'il se sera un peu... acclimaté, disons. Mais pour le reste, il a bon fond, je pense pouvoir l'affirmer.
Sinon, sans doute leurs rencontres auraient-elles été plus... mouvementées.

[Galathée]

" Il raconte beaucoup de blagues, remarqua Cordélia. Il en a quelques unes fameuses sur les gobelins, d'ailleurs. Et puis sur les hommes, de manière générale...
— Quel genre de blagues ? demanda Victor.
— Pas ton genre, Victor. Des blagues nulles."
Amrod sourit et Victor ne poursuivit heureusement pas.
" Il est entre de bonnes mains. Ils vont lever le camp incessamment, sans doute avant la nuit."

[Taliesin]

Si vite ?
-Est-ce qu'il y a eu... des échanges entre les deux communautés ? Je me disais qu'avoir combattu de concert la même menace et en avoir triomphé ensemble leur permettrait non d'oublier le passé mais, peut-être, de faire un pas l'une vers l'autre...

[Galathée]

" Il y a eu un pas, ne vous en faites pas. Il ne faut pas non plus en demander trop aux gens, trop vite... Elwyn a besoin de rentrer chez elle, elle a... vécu des moments difficiles, tout comme Aegon. Leur escorte a été décimée... et cet endroit n'est pas leur foyer. Le deuil et la guérison sont des processus... extrêmement lents chez les elfes de la Lorien. Leur esprit n'est pas disponible pour autre chose. Mais Wilmarin va rester. Les humains s'en inquiètent mais ils ne le diront jamais... et malgré toute son excentricité... ce ne sera pas un mauvais ambassadeur."

[Taliesin]

-Je n'en doute pas.
Il esquissa un sourire.
-Compte tenu des drames d'hier et d'aujourd'hui, je pense que nous n'aurions pu espérer meilleure conclusion. Et peut-être du bien ressortira-t-il de ces sinistres événements.
En tout cas, il le souhaitait ardemment.

[Galathée]

" Le bien principal est déjà fait : le culte qui maintenait la Vallée sous sa coupe depuis des décennies a été anéanti. Les gens vont devoir changer leur mode de vie mais ils y gagneront en autonomie... et en esprit critique. Et la nature... la nature reprend ses droits, ce qui, pour un elfe, est toujours une victoire. Les humains chercheront encore et toujours à la domestiquer, mais c'est dans leur nature à eux, et en cela, c'est dans l'ordre des choses."
Son expression redevint plus sérieux, il but un moment son thé, puis reposa sa tasse.
" Il y a des célébrations. Sûrement une sorte de... je ne sais pas quoi, encore... Mais ce ne sera pas pour tout de suite. Et j'imagine donc que vous ne serez plus parmi nous. Peut-être songerez-vous à nous revenir dans un an, pour l'anniversaire de la libération ? Je m'en veux de vous laisser partir sans symbole de notre reconnaissance, mais avec tout ce qui s'est passé, nous n'avons plus de conseil, plus de structure..."

[Taliesin]

-Ne vous tracassez pas pour cela. D'abord, je n'ai pas fait grand chose. Ensuite... Je suis déjà ravi que les choses se soient ainsi terminées. Mais il n'est pas non plus impossible que je revienne dans la vallée un jour ou l'autre : ma sœur habitant à Loth Imarhil, cela ne nécessiterait qu'un petit crochet sur le trajet... Enfin, je vous donnerai mon adresse : j'aimerais beaucoup continuer à avoir de vos nouvelles.

[Galathée]

" On viendra vous voir !" s'exclama Cordélia par-dessus la tête de Victor.
Amrod sourit.
" Et vous avez vu que la maison est grande... Nous aurons de quoi vous accueillir... y compris, bien sûr, votre épouse et vos cadets.
— Tu devras donner une augmentation à tu-sais-qui.
— C'est déjà prévu, ne t'inquiète pas.
— C'est qui les cadets ?" demanda Marius.

[Taliesin]

-Tristan et Héloïse, nos jumeaux. Ils sont encore tout petits. lui répondit le barde.
Puis il refit face à Amrod et Cordélia.
-Si un voyage dans la région de Luménis vous tente, vous serez évidemment les bienvenus sous notre toit. Et comme je le disais, il est probable que nous puissions vous rendre visite. J'essaierai juste, au préalable, d'obtenir une autorisation pour que ma compagne puisse visiter la Lorien : elle est rôdeuse, si bien que se tenir aux abords d'une si splendide forêt sans avoir le droit d'y pénétrer risque de l'ennuyer.

[Galathée]

" Les femmes obtiennent toujours plus facilement ce genre d'autorisation que les hommes, dit Amrod. Et il y a certaines zones, plus au nord, qui sont occupées par des tribus moins hostiles. Tout dépend toujours de l'histoire spécifique de la région. Toute la zone entre les deux routes de Togoria est un peu... difficile. Mais la Vallée du Nirvana en elle-même regorge de choses intéressantes pour quiconque aime la nature... et je suis sûr que d'ici un an... notre Vallée elle-même aura retrouvé de quoi intéresser une rôdeuse. D'autant que les relations entre humains et nature vont être... épineuses. Tout est à réapprendre, en la matière.
— Tu as des bébés ? dit Marius, vaguement dégoûté.
— Ils sont mignons. Et ils sont plus si petits." intervint Victor.

[Taliesin]

-C'est vrai que le temps passe...
Et ils auraient bien changé, en l'espace de seulement quelques semaines...
-Mais donc, j'en parlerai à mon épouse et je vous tiendrai au courant par courrier si quelque chose se décide.

[Galathée]

" Merci." dit Cordélia.
Victor passa un bras autour de la jeune femme et poussa un soupir.
" Hé, mon lapin, c'est juste un au revoir, hein.
— Oui." dit-il.
Taliesin vit passer un sourire moqueur sur les lèvres de Baptiste, mais dès qu'il réalisa que l'elfe l'avait vu, il replongea dans son bol de gruau, l'air de rien.
" Je pense que Wilmarin sera heureux de vous voir avant que vous ne partiez... A ce sujet, vous avez une idée de comment vous allez voyager ?"

[Taliesin]

-A pied puis en coche, j'imagine... Il faudra juste que nous passions récupérer notre cheval et le reste de nos bagages à Vauxgrisants... J'espère d'ailleurs que la personne qui nous hébergeait là-bas a appris que tout allait bien pour nous, car sinon, elle doit s'inquiéter, depuis le temps...
De quand datait l'assaut sur le camp des centaures et leur fuite de la vallée ? il devait avouer avoir perdu le compte des jours...

[Galathée]

" Ne vous inquiétez pas pour ça. La jeune Lucie et le fils de votre logeuse, Yann, sont repartis pour Vauxgrisants hier. Ils ignoraient votre dernière... mésaventure mais comme je vous l'ai dit, Wilmarin a rassuré tout le monde et tout le monde l'a cru.
— On n'était pas vraiment en sécurité, pourtant, dit Baptiste.
— Peut-être que si, répondit Amrod. Peut-être que Wilmarin savait que vous aviez les aptitudes pour faire face à ce qui vous est arrivé, et qu'il savait que vous reviendriez indemnes.
— Mouais, fit Cordélia.
— A moins qu'il n'ait su que, de toute façon, il n'y avait rien à faire et qu'il ait estimé préférable que personne ne se fasse de cheveux blancs en vain. L'un dans l'autre, le résultat est le même."
Il se tourna à nouveau vers le barde.
" Si vous voulez, je peux vous prêter un cheval pour aller à Vauxgrisants."

[Taliesin]

-Pourquoi pas ? Mais je vais voir si certains des enfants sont tentés par l'excursion : auquel cas, la marche sera plus pratique. Et je n'oublie pas Wilmarin, mais...
Il sourit.
-Je préférerais le rencontrer en ville plutôt que sur la butte. Au cas où.

[Galathée]

" Je doute qu'il en descende dans l'immédiat... et je comprends votre réticence. Mais même s'il descendait, je doute qu'il passe par ici. J'ai de mauvaises fréquentations, surtout dans ma cuisine." dit Amrod avec un haussement d'épaules.
Cordélia ébouriffa les cheveux de Victor.
" Ça me fait bien plaisir de vous voir, en tout cas. Je n'aime pas tous ces mystères."

[Taliesin]

Il sourit.
-Le plaisir est partagé.
Quant aux mystères, peut-être commençait-il à y reprendre goût. Du moins, à certains d'entre eux, comme ceux liés à l'épée ou... à Féérie.
Sans doute retrouvait-il peu à peu de l'allant, mine de rien.

[Galathée]

Quand le repas toucha à sa fin, Amrod prit congé, rappelé par ses devoirs, et Cordélia demeura avec la fine équipe. La jeune femme paraissait parfaitement détendue, en bien meilleure santé, tant physique que mentale, qu'à peine quelques jours plus tôt. A côté d'elle, Victor avait repris son récit, tandis que les serviteurs s'affairaient à débarrasser la table. Cette fois, cependant, Baptiste avait décidé d'intervenir, et il recadrait ou développait les propos décousus de son cadet. Ce dernier prenait la chose avec une relative philosophie, entrecoupée de légers moments d'agacement. Titus était reparti explorer le jardin, ses fleurs et ses insectes tandis que Marius paraissait examiner avec sérieux la possibilité d'escalader les plantes grimpantes qui couvraient la tour.
Il faisait tranquille, le sol ne tremblait plus, et le soleil vigoureux les réchauffait de ses rayons. C'était un moment que Taliesin pouvait décider d'exploiter comme il l'entendait...

[Taliesin]

Pour ne pas perdre trop de temps, sachant que leur séjour ici s'acheminait vers sa fin, il décida de passer outre ses inquiétudes et de gagner la butte pour y rencontrer Wilmarin. Ce ne serait probablement guère long, cependant, si bien qu'il prit soin, avant de partir, d'annoncer aux enfants que l'excursion à Vauxgrisants aurait lieu à son retour, et que ceux qui le souhaiteraient pourraient l'accompagner.

[Galathée]

Taliesin quitta donc le domaine d'Amrod, sans qu'aucun des enfants ne proteste : Victor et Baptiste étaient engagés dans un duel sans merci pour tenir le crachoir et les deux autres avaient leurs étranges projets habituels. Mais sa solitude fut de courte durée : sitôt qu'il eut quitté le dôme protecteur de la villa, le bouc blanc reparut et lui emboîta le pas. Il le suivit dans les rues, sans jamais s'éloigner, d'un pas tranquille. Ils croisèrent des citadins qui s'affairaient toujours à nettoyer les dégâts causés par les mages et clercs ennemis, il y avait quelques uniformes mais surtout beaucoup de civils et de bonne volonté. Ils atteignirent le pied de la butte sans que personne ne s'interpose et Taliesin put, du bas de la route qui avait mené autrefois aux remparts, constater qu'effectivement, il ne restait absolument rien de l'abbaye, sinon un amoncèlement spectaculaire de gravats.

[Taliesin]

Si l'édifice avait survécu, les habitants de Champsdor auraient pu le réhabiliter et en faire bon usage. Mais compte tenu des crimes odieux dont il avait été le théâtre, ça n'était pas forcément une mauvaise chose qu'il ait été complètement détruit. Sans compter que cela permettrait aux gens du cru de repartir sur de meilleures bases...
C'est avec ces pensées en tête qu'il entama l'ascension, non sans avoir adressé un regard - et un sourire amical - à l'être qui s'attachait à ses pas.

[Galathée]

Le bouc l'accompagna jusqu'au sommet puis entama l'escalade, très aisée, des gravats. Quoi que Taliesin ait envisagé, une voix l'interrompit avant qu'il n'ait pu tenter la moindre ascension.
" Ne grimpe pas là-dessus, mon garçon, tu vas te rompre la nuque."
Wilmarin avait surgi des arbres qui bordaient le site. Il était pareil à lui-même, un peu hirsute dans ses vêtements froissés. Il sourit joyeusement au barde.
" Alors ? La petite balade ? Instructive ?"

[Taliesin]

-Tellement que j'en garde un goût de pas assez. Mais comme il faut bien, chaque matin, quitter le rêve pour la réalité, je dois oublier les merveilles de Féérie pour me réhabituer à notre si fade, si ennuyeux, si ordinaire plan matériel.
Il sourit largement.
-Comment vous portez-vous ?