[Quête] A travers la vallée...

[Taliesin]

-Merci beaucoup dit-il au tenancier.
Il observa la chienne et les enfants.
-J'espère ne pas devoir vous l'emprunter trop longtemps... Mais j'enverrai l'un des garçons vous prévenir, de toute façon.
Il allait donc les embarquer... et partir sans tarder sur la piste du petit faune. Bien sûr, s'il était parti au début de la nuit, le rattraper rapidement serait illusoire. Mais l'on verrait bien...

[Galathée]

Ils sortirent dans la cour, avec la chienne et la couverture. Molly renifla le morceau de laine avec concentration, la queue battante, puis farfouilla de la truffe au sol, à gauche, à droite, en arrière, bousculant Victor et Marius. Ce dernier ne put s'empêcher de rire comme le môme qu'il était, malgré ce qui les avait jetés dehors à l'aube.
Puis l'animal s'immobilisa une seconde et fila... droit sur le bâtiment voisin. Victor et Marius cavalèrent derrière la chienne, Taliesin sur les talons, et ils entrèrent dans l'atmosphère odorante et obscure des écuries. Les chevaux les regardèrent passer, curieux, et ils poursuivirent jusqu'au fond du bâtiment, et une stalle ouverte. Un rayon de soleil baignait les lieux, éclairant une scène tout à fait charmante. Victor rit à mi-voix. Marius s'accroupit pour caresser la chienne. Endormi dans la paille, contre le flanc d'un bouc parfaitement blanc, aux yeux très noirs, Titus dormait paisiblement.

[Taliesin]

Le barde poussa un profond soupir de soulagement.
Il avait envisagé le pire trop vite. Sans doute influencé par ce qui s'était passé la veille, par le malaise qui en avait résulté.
-J'imagine qu'il est trop tard pour rattraper Baptiste... lâcha-t-il. Enfin, nous pourrons le rassurer à son retour. Et être à l'heure au rendez-vous.
Et donc, à moins d'une ressemblance fort trompeuse, le "chamois" avait refait son apparition. Voilà qui était intéressant...

[Galathée]

" On le laisse là ? demanda Victor.
— Il mériterait qu'on lui verse un seau d'eau sur la tête, pour le punir de nous avoir fait courir... Moi je serais bien resté dans mon lit.
— J'm'approcherais pas, si j'étais toi. Il a des grandes cornes, le bouc.
— Mais moi j'ai un super chien !"
Titus ouvrit les yeux, doucement, et les observa, interdit, avant de réaliser où il se trouvait.
" Oh... je croyais... que c'était un rêve..." dit-il en sylvestre.

[Taliesin]

-Eh bien, peut-être t'es-tu déplacé en dormant. Peut-être notre ami a-t-il usé de ce moyen pour pouvoir profiter de ta compagnie...
Il sourit au bouc mais, comme toujours, ne chercha ni à lui parler, ni à l'approcher : il lui laissait l'initiative.
-Prends le temps d'émerger puis rejoins nous dans la salle commune, d'accord ? Moi, il faut que j'aille ramener Molly à son maître...
Bigre, qu'il était soulagé...

[Galathée]

" D'accord." dit Titus, sagement.
Le bouc ne broncha pas, restant couché dans la paille. Victor et Marius emboîtèrent le pas de Taliesin et retraversèrent l'écurie.
" Moi je crois qu'on a droit à des petits pains pleins de raisins et de sucre, pour notre peine, remarqua Marius.
— Avec du lait chaud et du caramel.
— T'as raison, plein de caramel."
Ils arrivèrent dans la cour, où se trouvait l'aubergiste et un jeune homme hors d'haleine. Molly se dirigea vers son maître en jappant gaiement. L'aubergiste, cependant, semblait presque choqué.
" Vous êtes là, les dieux soient loués. Votre gamin... Il y a eu un accident sur la route...
— Il a traversé sans regarder, en courant... Le chariot n'a pas pu freiner..." ajouta le jeune homme.

[Taliesin]

Le barde sentit son sang se glacer dans ses veines.
-Où est-il ? demanda-t-il d'une voix blanche. Comment va-t-il ?
Il aurait dû se douter qu'après le soulagement viendrait un contrecoup pire encore.
C'était presque toujours comme ça.
Mais il était bien trop ébranlé pour vraiment y réfléchir.

[Galathée]

" Ils allaient le porter dans l'hôtel de ville...
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Marius, inquiet.
— Baptiste est blessé ?
— On cherche un clerc, mais on n'a pas de temple, ici, à Pont-d'Ire..."
Il commença à les guider vers la route. Il y avait un attroupement autour d'un chariot, une grosse masse sombre tirée par quatre chevaux nerveux. Une trentaine de personnes encerclaient les lieux de l'accident, mais le jeune homme se dirigeait vers une bâtisse massive, aux allures de fortin, un peu plus su la gauche.

[Taliesin]

Il fallait que ce soit grave, pour qu'ils soient en quête d'un clerc.
Et la situation était d'autant plus inquiétante que de clerc, il n'y en avait point.
Dire qu'ils venaient de quitter une vallée avec toute une abbaye...
Ces pensées traversaient son esprit sans qu'il s'y attarde.
Il était trop choqué, trop rongé par l'angoisse pour réellement penser.

[Galathée]

Au moment où ils passèrent à côté de l'attroupement, Taliesin entendit des bribes de conversation sans réellement pouvoir en faire sens. Des mots lui parvinrent, mélangés, sang, raffut, chariot, vitesse, dévié, sans prévenir, cheval, choc, gosse, c'est le père, vous l'avez vu, pauvre gamin, c'est pas de chance, la fatalité, un accident, si seulement, et puis tout fut avalé par le silence du corridor dans lequel on le mena.
" C'est mieux que les enfants restent dehors." dit une voix féminine.
Victor gronda.
" Je rentre avec lui !"

[Taliesin]

Il posa une main sur son épaule.
-Si tu tiens à venir, je ne t'en empêcherai pas. Mais je préférerais que tu restes ici pour veiller sur Marius.
Puis il se remit en marche.
Pas le temps de se lancer dans un débat avec Victor. De toute façon, il en avait vu d'autres.

[Galathée]

Un homme se tenait un peu plus loin, les vêtements maculés de sang. Il y en avait une quantité impressionnante, qui lui éclaboussait surtout le ventre et les bras.
" Venez." dit-il simplement.
On avait installé Baptiste sur une table, dans une pièce qui devait être un bureau. Il gisait sur le dos, manifestement inerte. Une femme d'un certain âge se redressa à son entrée.
" Vous êtes prêtre ? druide ? Vous avez de la magie curative ?"
L'enfant avait manifestement pris un coup sur la tête car ses cheveux étaient plaqués par le sang et il avait tout le côté gauche du visage éraflé. Sa jambe droite formait un angle étrange avec le reste de son corps. Mais le plus marquant était son bras gauche : il était manquant à partir du coude, qu'on avait garrotté à l'aide d'une lanière de cuir et emmailloté dans une étoffe déjà écarlate.

[Taliesin]

Le barde resta quelques instants sans réaction, comme s'il ne parvenait pas à comprendre.
Puis il fut pris d'un vertige et dut s'adosser au mur le plus proche.
-Mes sorts de soins sont impuissants contre ça... lâcha-t-il d'une voix méconnaissable.
Le malaise le menaçait tandis qu'à ces effroyables images venaient s'en superposer d'autres, celles d'un Victor brûlé quasiment à mort.
Mais il fit un violent effort pour se ressaisir.
Il fallait qu'il se ressaisisse.
-C'est mon fils, expliqua-t-il rapidement. J'ai un objet qui pourrait peut-être l'aider, à l'auberge. Si cela ne fonctionne pas... Indiquez-moi, s'il vous plait, où je peux trouver un clerc puissant. Je convoquerai un coursier fantôme pour m'y rendre.
Penser pratique. Ne pas penser au reste.
Surtout pas;

[Galathée]

L'homme grimaça mais ne trouva rien à dire.
" Si vous disposez de quelque magie, murmura la femme, il faut d'abord le stabiliser. Il n'est pas tiré d'affaire. Il a perdu beaucoup de sang. Je vous en conjure... Soignez-le. Un rien pourrait déjà faire beaucoup.
— Je vais chercher le pipeau." lâcha Victor, depuis l'embrasure de la porte, et Taliesin l'entendit courir dans le couloir.

[Taliesin]

-Très bien.
Il essaya d'incanter, n'y parvint pas, fit un nouvel effort pour se reprendre.

Taliesin --> Soins légers --> Baptiste

Et une fois lancé, il n'avait pas l'intention de s'arrêter avant d'être à cours de sortilèges.
Agir, cela aidait à ne pas penser.

[Galathée]

Quant il eut terminé, l'enfant avait meilleure mine. La blessure sur son visage s'était cicatrisée et il respirait plus librement. Il paraissait moins pâle aussi, sa poitrine creuse avait retrouvé sa souplesse, et il y avait quelque chose, dans son attitude, même inconscient, qui semblait plus naturelle, comme s'il dormait paisiblement. Sa jambe était toujours blessée, cependant, et il n'avait pas retrouvé son bras.
" Il va mieux, dit la femme. Il va s'en tirer."

[Taliesin]

C'était une bonne nouvelle.
Mais le barde, qui gardait les yeux rivés sur la jambe brisée, sur le bras amputé, ne s'en sentit pas soulagé pour autant.
Soulagé, il ne le serait que quand Baptiste serait remis sur pied et... indemne.
Il ne pouvait simplement pas accepter l'idée que son fils se retrouve handicapé à vie suite à un horrible coup du sort.
Surtout après avoir déjà tant souffert dans sa jeune existence.

[Galathée]

" C'est arrivé si vite, dit l'homme. Personne aurait rien pu faire."
La femme posa un linge humide sur le front du petit garçon assoupi. Baptiste ne broncha pas. Il fallut de longues minutes pour que Victor revienne, mais Taliesin finit par entendre son pas de course dans le couloir, un léger dérapage comme il arrivait à bon port.
" Désolé... J'ai dû expliquer à Titus... et puis chercher un peu... et le voilà."
Il lui flanqua le pipeau entre les mains.

[Taliesin]

-Merci...
Et, sans perdre un instant, il se mit à jouer les Damoiselles d'Eauprofonde. Et peu importe si cela semblait incongru.
Avec un peu de chance, il obtiendrait de quoi soigner totalement le malheureux Baptiste.
Avec un peu de chance...

[Galathée]

Il y eut un peu de lumière, comme de coutume, et une fiole apparut sur le bord de la table. Elle était emplie d'un liquide doré. Au moment où Taliesin la toucha, il eut comme un vertige, et l'impression furtive qu'un esprit, momentanément, se glissait dans le sien. Ses pensées étaient indistinctes, cependant, et il n'en capta que des bribes.
Tout est trop et pourtant il faut agir.
L'esprit ou le corps, l'esprit compte plus, nous sommes d'accord.
Trop de lumière appelle l'ombre.
Rien ne sert de courir.
L'essence est autre, il faut se méfier.
Cela n'avait duré qu'un battement de coeur, car il reprit son aplomb et rien n'avait changé autour de lui, pas plus que les personnes présentes ne paraissaient avoir pris conscience de son étourdissement.

[Taliesin]

Il resta à fixer la fiole.
C'était ce qu'il souhaitait.
Du moins... Cela semblait l'être.
Mais pourquoi lui l'offrir pour le mettre aussitôt en garde ?
C'était presque... cruel, quelque part.
A moins que celui qui l'avait prévenu n'aie pas la possibilité d'intervenir directement sur la magie du pipeau ?
Il n'aurait su dire.
Et, pire encore, il ne savait que faire.

[Galathée]

" Mais qu'est-ce que tu attends ? intervint Victor, stupéfait. Donne-le lui !"
La femme, face au barde, demeurait silencieuse, peut-être un peu effrayée par le prodige auquel ils venaient d'assister. Victor s'approcha de Taliesin et posa les mains sur les siennes, tentant, en douceur, de lui arracher la fiole.
" Je vais le faire."

[Taliesin]

-On m'a... mis en garde, lâcha-t-il.
Son regard allait de Baptiste à la fiole, de la fiole à Baptiste.
Et chaque fois qu'il se posait su ce dernier, son cœur se serrait.
Disposer d'un remède et ne pas l'utiliser... Attendre plutôt, des semaines et des mois, en voyant chaque jour son fils privé de son bras...
Peut-être un dieu ou un sage en serait-il capable.
Mais il n'était ni l'un, ni l'autre.
Il était juste un père qui se tenait debout devant son enfant amputé...
-Et puis merde : si on ne voulait pas que je m'en serve, il ne fallait pas me la donner.
L'instant suivant, il s'approchait du garçon pour la lui faire boire.

[Galathée]

Le liquide doré coula dans la bouche entrouverte de Baptiste et aussitôt son visage se mit à briller, comme s'il était habité d'une lumière intérieure, qui se diffusait doucement à travers sa peau. La lumière resta un long moment à l'intérieur de son visage et de son crâne, comme en circulation, une minute, deux, peut-être dix, avant de descendre dans sa poitrine, jusqu'à sa jambe. Là, à nouveau, elle passa un certain temps, éclairant les vêtements déchirés de l'intérieur, avant de reprendre son parcours ver le bras gauche. La lumière devint alors étincelante, tellement vive qu'ils furent tous contraints de se détourner. Puis elle s'éteignit et la pièce parut, par contraste, beaucoup plus sombre qu'avant.
" Il est indemne... C'est incroyable." dit la femme.
Et elle disait vrai : là où il n'y avait eu qu'un moignon ensanglanté, Baptiste avait retrouvé un bras. Mais il était toujours inconscient.

[Taliesin]

L'elfe fut à deux doigts de se pincer.
Car c'était incroyable, oui.
Savoir que c'était possible et être confronté au phénomène, voilà deux choses bien différentes.
Merci, songea-t-il.
Il fallait espérer, bien sûr, que cet extraordinaire remède n'ait pas de conséquences néfastes sur son fils. Mais pour l'heure, il était trop soulagé pour y songer réellement.
Tellement soulagé, même, qu'il avait un peu de mal à garder contenance.
Il s'y efforça pourtant.

[Galathée]

" On devrait le laisser se reposer... dit la femme. Mais il n'est pas très bien installé, ici... et avec tout ce sang, toute cette poussière... Vous avez peut-être un endroit où l'emmener ? A l'auberge ?
— On devait repartir ce matin, intervint Victor. En chariot."
La femme eut une légère grimace, puis chercha le regard de Taliesin.
" Je ne sais pas quelle potion vous lui avez donné... Peut-être est-il en état de voyager ?"

[Taliesin]

-Je ne sais pas vraiment ce que c'était. Et je ne sais pas non plus s'il est en état de voyager.
Il fit un effort pour se reprendre, pour essayer de mettre de l'ordre dans ses pensées.
-Je vais commencer par le ramener à l'auberge : j'aviserai ensuite. Et...Merci beaucoup pour vous être occupé de lui.
Et il s'apprêta à prendre Baptiste dans ses bras.

[Galathée]

" C'est naturel, dit la femme en l'aidant à le soulever. Attendez..."
Elle ouvrit le tiroir d'une commode, en sortit ce qui devait être une nappe, et l'utilisa pour recouvrir le garçon.
" Pas besoin d'exposer tout ça... Même quand on dort, on a sa pudeur."
L'homme qui se tenait à la porte parut embarrassé.
" Je dois vous demander, quand même... si vous comptez porter plainte... ou si on peut laisser partir le cocher qui l'a renversé..."

[Taliesin]

Le barde, pris de court, resta silencieux quelques instants.
-Si les choses sont vraiment comme on me les a décrites, si le cocher n'avait pas une conduite imprudente et n'a vraiment rien pu faire pour éviter mon fils... Non, je ne porterai pas plainte contre lui.
Peut-être les choses ne s'étaient-elles pas exactement déroulées comme ça : après tout, Baptiste était plutôt du genre précautionneux. Mais cela, il ne pouvait le savoir.

[Galathée]

" Je vais voir avec les témoins... m'en assurer... je vous dirai quoi... Peut-être que le gosse pourra donner sa version, quand il sera réveillé...
— Avec le coup qu'il a pris sur la tête, je n'y compterais pas trop, Stan. Tu vas devoir te contenter de ceux qui ont vu l'accident se produire."
L'homme acquiesça.
" Je vous retiens pas. On viendra vous chercher au besoin."
Il ne restait plus à Taliesin qu'à ramener Baptiste à la Loutre. Il remonta le couloir, Victor sur les talons, puis retrouvèrent Marius à l'entrée. Celui-ci ne dit rien à Taliesin et se glissa dans son ombre. Le barde l'entendit parler à voix basse.
" Il est mort ?
— Non. Il dort." lui répondit Victor.
A l'extérieur, le soleil était aveuglant.