[Lieu] La ferme Desmoulins

[Galathée]

" Je n'ai absolument aucune idée de ce qu'ils font, dit Victor, toujours très sérieux. Mais si tu as un truc important à lui dire, moi j'irais. Elle n'a pas dit que qu'ils avaient besoin de calme ou de solitude... C'est juste là qu'ils sont partis après le repas, une fois que les jumeaux dormaient."

[Taliesin]

-Reste à savoir si je vais réussir à débusquer une rôdeuse en plein cœur des bois... fit-il.
Il sourit.
-Mais donc, je vais essayer. A plus tard !
Et de se mettre en route, sous un soleil toujours aussi radieux.
Dire que cette journée aurait pu être agréable...

[Galathée]

Les bois du domaine Desmoulins étaient tous sauf inextricables et il aurait fallu faire preuve d'une véritable mauvaise volonté pour ne pas y retrouver quelqu'un qui ne s'y cachait pas. Formant un L le long de la rivière à l'ouest puis vers le sud, ils bordaient aussi le pré des moutons et une partie du potager. Les enfants y avaient tracé mille sentiers, sans compter le chemin principal qui menait jusqu'aux zones à champignon, au bosquet de noisetiers, et à l'endroit d'abattage, car une communauté telle que la leur avait besoin de bois.
La journée était calme et Taliesin put se fier à sa vue et à son oreille pour localiser les promeneurs. Il les trouva dans la clairière, en train de bavarder au soleil. Jehan et Titus étaient allongés dans l'herbe, Galathée assise, et elle fit de grands gestes en direction de Taliesin avant de se lever.
" Je reviens." dit-elle aux enfants.
Elle se planta ensuite devant le barde.
" Quelque chose ne va pas."
Ce n'était pas une question.

[Taliesin]

Et il ne chercha pas à nier.
-Disons que j'ai bien fait de ne pas laisser trainer cette histoire.
Il jeta un regard aux enfants, revint à son épouse.
-Mais on n'est pas non plus à quelques heures près, alors si tu veux d'abord terminer avec eux...

[Galathée]

" Je n'ai rien commencé et rien à terminer : nous faisons la sieste au soleil." dit-elle, l'expression toujours soucieuse.
Elle lui prit le bras et l'entraîna à l'écart.
" Qu'est-ce qui se passe ? On dirait que tu as vu un fiélon. Tu as des ennuis ?"

[Taliesin]

-Ça nous concerne tous...
Il soupira.
-Je te présente d'avance mes excuses, parce que je ne vais pas tourner autour du pot. Mais... Mais je ne sais pas coment enrober ça.
Il prit une profonde inspiration.
Autant cracher le morceau au plus vite.
-Le père de Baptiste s'est fait connaître, il souhaite le récupérer et on a chargé les Paladins de Lathandre de le retrouver. Leur Commandant a pris sur lui de ne rien révéler, encore, mais le temps commence à presser. Alors, que ce soit directement ou par l'entremise de l'Ordre, il va nous falloir rapidement prendre contact avec lui.

[Galathée]

" Oh." dit-elle, en écarquillant les yeux.
Elle pinça les lèvres, opina lentement du chef, puis resta silencieuse un instant. Son regard fila derrière son épaule, vers Jehan et Marius, puis revint vers le barde.
" Bien sûr, finit-elle par dire. Je suis... vraiment désolée... C'est tout à fait inattendu."
Elle lâcha un petit soupir.
" Mais... Taliesin... Tu es conscient que ce n'est pas forcément une mauvaise chose, n'est-ce pas ?"

[Taliesin]

Sa réaction le laissa quelque peu pantois.
Car il ne s'était pas attendu à ce qu'elle rationalise si vite.
Mais sans doute avait-elle raison.
-Je sais. Et si ce monsieur est quelqu'un de bien, et si Baptiste souhaite aller vivre avec lui, tu peux être certaine que je ferai tout pour faciliter la transition et lui éviter tout conflit de loyauté.

[Galathée]

Elle avait reporté son regard sur la clairière, demeura silencieuse.
" Cela ne va pas être facile pour lui..."
Elle posa une main sur la poitrine du barde.
" Et pas pour toi non plus, ni pour moi, ni pour personne."
Elle secoua la tête.
" C'est tout à fait inattendu." répéta-t-elle.
Elle releva les yeux sur le barde.
" On est sûr qu'il est ce qu'il prétend être ?"

[Taliesin]

-D'après le commandant, cela ne fait guère de doutes : il correspond au peu que l'on savait du père de Baptiste et dispose de lettres envoyées par la mère de ce dernier, dans lesquelles elle parle justement de lui... Pour autant, j'aimerais entrer en contact avec Kerun, pour voir s'il peut procéder à quelques vérifications. De moralité et... pas seulement. Baptiste à du sang elfe dans les veines, cela lui vient du côté paternel et cela devrait être donc plus marqué chez son géniteur.
Nouveau soupir.
-J'ai aussi laissé un mot à Henri de l'Atalante, au Palais de Justice. A titre préventif. J'espère que nous n'en arriverons pas là, que nous pourrons décider de tout à l'amiable, entre gens raisonnables et avant tout soucieux du bien de Baptiste. Mais au cas où... Enfin, en même temps, d'après ce qu'on m'en a dit, les lois luméniennes sont telles que nous n'aurons guère de recours légaux en cas de désaccord.

[Galathée]

" Tu as bien fait, dit Galathée. Mais tu crois que cet homme forcerait Baptiste à retourner vivre avec lui s'il n'en avait pas envie ? Si ça se trouve, il ignore complètement qu'il a été... recueilli. Ah, nous avons été bêtes, nous aurions dû l'adopter formellement... Je parie que ce serait beaucoup plus difficile..."
Elle leva les mains au ciel.
" Ah, je devrais avoir honte. Je parle déjà comme s'il m'appartenait. C'est une opportunité formidable, pour lui..."

[Taliesin]

-Ça peut l'être, en effet. Et nous agirons en nous afforçant d'avoir son seul intérêt à l'esprit. Mais ça ne rendra pas les choses moins douloureuses pour nous.
Il soupira.
-Enfin, peut-être que son père est quelqu'un de bien, peu-être qu'il a de bonnes raisons de ne se manifester que maintenant, peut-être qu'il se montrera compréhensif et que nous parviendrons à organiser, ensemble, quelque chose où chacun trouvera son compte...
Il n'y croyait guère, bizarrement.

[Galathée]

" Oui, qui sait ? dit-elle. En tout cas, il faut lui en parler... mais il est tellement sur son petit nuage en ce moment... Je me demande si on ne fait pas mieux de d'abord régler le problème de son bras. D'autant que... il ne faudrait pas que ça puisse jouer contre nous, s'il y avait conflit. Ce serait malvenu qu'on nous accuse de négligence."
Elle parut hésiter.
" Il habite loin, cet homme ? Qu'est-ce qui est convenu ? Devons-nous le contacter ?"

[Taliesin]

-Déjà, je suis d'accord pour son bras. Même si, dans l'absolu, je n'aurais guère de mal à obtenir moult témoignages prouvant qu'il s'agissait d'un accident... Mieux vaut ne pas prendre de risques. Pour le reste, cet homme possède un domaine au nord-ouest de Rohan, en retrait de la route menant à Eredhun. Et comme du temps à déjà passé depuis qu'il a entrepris sa démarche, comme il doit commencer à s'impatienter, il faut prendre contact assez rapidement avec lui, dans l'optique d'organiser une première rencontre... Nous pouvons le faire nous-mêmes, car je dispose de son nom et de son adresse, mais les paladins sont également prêts à joueur les intermédiaires si nous le souhaitons.
Quelle panade, tout de même...

[Galathée]

" C'est sans doute mieux de prendre les devants. Envoyons un courrier. Pourquoi ne pas lui proposer de venir ici ? Il verrait que son fils est bien installé..."
Sa voix s'éteignit.
" Ah, je ne sais pas penser droit... Je pense à moi, si j'étais dans la même situation, et à Victor, et... Je ne sais pas ce que j'en pense. Baptiste est avec nous depuis moins de deux ans... Qu'avons-nous réellement comme droits ?"

[Taliesin]

-Légalement parlant ? Sans doute aucun. Moralement, en revanche, nous en avons au moins autant que cet homme. Certes, on m'a dit qu'il venait de perdre son épouse : j'imagine qu'il n'est donc plus bloqué par... des conventions sociales. Il n'empêche : si on se soucie vraiment de son gosse, on se renseigne, fut-ce en secret. Surtout quand on sait ce qui s'est passé à Luménis, quel sort ont subi les paladins..
Il ferma les yeux quelques instants puis prit la main de la rôdeuse.
-Allez, ça va être dur mais nous parviendrons à une bonne conclusion pour tout le monde. Et au pire du pire, si ce type est peu recommandable, s'il nous enlève Baptiste de force... Bah, ça s'infiltre, un domaine rural. Et ça se franchit facilement, un détroit.

[Galathée]

" Quoi ? Tu veux nous faire déménager en Dorrandin ? dit Galathée, en lui retirant sa main. Je ne veux pas retourner là-bas, moi. Nous trouverons une autre solution."
Elle secoua la tête.
" Nous sommes déraisonnables. Si on m'avait enlevé Tristan ou Héloïse, et ne dis pas que ça n'est pas arrivé, je sais mais ça aurait pu arriver, j'aurais quand même eu envie de les retrouver, dix ans plus tard, même si leurs parents d'adoption avaient été formidables... Nous avons tout intérêt à ce que les choses se passent bien, quoi qu'il en ressorte. Baptiste sera de toute façon bouleversé."

[Taliesin]

-Nous agirons dans son intérêt, quoi que cela puisse nous coûter. Pour autant, comme je ne l'ai pas arraché aux mains des Bainites pour le laisser entre celles d'un individu peu recommandable, fut-il son géniteur... Je m'assurerai que cette personne n'ait que de bonnes intentions à son égard.
Il eut un sourire amer.
-Dire que je pensais qu'après le chaos de notre voyage, nous pourrions passer un paisible été... J'ai été bête de croire que cela pourrait arriver.
Soupir.
-Bon, mais je suis d'avis d'informer Baptiste sans tarder : personnellement, je ne me sens pas de taille à faire comme si de rien n'était. Et que ce soit aujourd'hui ou un autre jour, cela le bouleversera tout autant...

[Galathée]

Galathée lui prit les mains.
" Est-ce que tu ne crois pas que tu pourrais prendre sur toi et le laisser un peu tranquille ? Je sais que c'est une nouvelle énorme... bouleversante... mais nous sommes des adultes et ce n'est qu'un enfant. Pourquoi ne pas attendre... que tu aies un peu décanté, déjà ? Et que nous ayons des nouvelles d'Henry, de Kerun et de ce mystérieux géniteur ? Il va poser des tas de questions auxquelles nous n'aurons pas de réponses. C'est un enfant anxieux, tu le sais... L'incertitude, ce sera le pire. Je pense que nous devons attendre... et le prévenir quand la rencontre est organisée. Sinon, il va stresser peut-être pendant des veilles entières ! Il ne mérite pas ça. C'est un gosse. Nous devons pouvoir assumer."

[Taliesin]

Il fit la moue.
-Et tu ne crains pas que ce soit pire, si nous lui apprenons la nouvelle alors que tout est déjà en branle ? Il pourrait nous en vouloir de lui avoir caché cela et de le mettre devant le fait accompli, sans lui avoir, au préalable, demandé s'il était d'accord pour cette rencontre... Il pourrait aussi se dire que tout compte fait, nous ne tenions pas vraiment à lui...
Il eut un geste d'impuissance.
-Mais peut-être as-tu raison. Pour être honnête, je ne sais pas ce qu'il vaut mieux.

[Galathée]

" Moi non plus. Mais le prévenir comme ça, de but en blanc, parce que tu es toi-même bouleversé... Je ne pense pas que ce soit une bonne chose."
Elle posa la main sur son épaule.
" Si c'était moi qui m'en chargeais, qu'en dis-tu ? J'ai l'impression que... je suis davantage maîtresse de mes émotions... Ce qui est normal, vu ce que vous avez vécu ensemble."

[Taliesin]

-C'est sans doute préférable, oui. Même si ça m'ennuie, parce que je sais que ça n'aura rien d'agréable pour toi non plus.
Il pinça les lèvres.
-Si ça t'arrange, je peux prétendre avoir des soucis d'ordre professionnel, ce qui expliquera que je paraisse préoccupé et que je passe mon temps à travailler d'arrache-pied.
Il esquissa un sourire.
-Le côté positif, c'est que les mauvaises herbes vont devenir sous peu une espèce en voie de disparition et que les rampes comme les planchers de Guilhem seront prêts en un temps record.

[Galathée]

Galathée parut sur le point de dire quelque chose, puis poussa un bref soupir.
" Bonne idée. Va donc aider Guillhem. Si tu n'as pas mangé, tu peux prendre des restes de tourte en cuisine, je pense qu'elle sera bonne même froide. Tu connais le chemin ? Tu ressors et tu pars à gauche sur la route, premier sentier à gauche après la rivière. Benoît y est aussi, tu ne dérangeras pas."
Elle lui posa un baiser sur la joue.
" Pour le reste, je gère, et je te dirai quand je lui aurai parlé. En tout cas pas aujourd'hui."

[Taliesin]

-Je te fais entière confiance.
Il la serra brièvement dans ses bras.
-Bon courage.
Et, sur un sourire malheureux, il tourna les talons pour se diriger vers le "château", tout en se disant qu'entre le déménagement des Merlus et le probable départ de Baptiste, ils allaient avoir vraiment beaucoup, beaucoup de place dans leur ferme désertée.

[Galathée]

La demeure de Milicent était effectivement un joli petit manoir à tourelles, très décrépi, couvert de lierres et à moitié écroulé. Taliesin fut accueilli avec bonheur par l'équipe déjà au travail, composée de Guillhem, Benoît, Dame Milicent bien sûr ainsi qu'un neveu, Albert, qui paraissait un peu architecte. Ils étaient en train de discuter d'une aile en train de s'effondrer, qui avait servi autrefois de salle de réception, et qu'ils hésitaient à supprimer complètement. Il y avait du thé, des petits gâteaux, et Milicent se fit un plaisir de faire visiter les lieux à Taliesin. Le manoir avait du charme mais avait effectivement souffert d'abandon, sans doute plusieurs années. Il y avait de la place, cependant, et si le terrain était surtout boisé, Guillhem avait de toute façon l'intention de continuer à travailler la terre Desmoulins.

[Taliesin]

Paradoxalement, faire comme si de rien n'était hors de son foyer, face à un groupe comprenant des personnes qu'il connaissait peu, ou pas du tout, cela s'avéra finalement moins ardu qu'il ne l'aurait cru. Il se montra donc poli, courtois, ne cachant pas qu'il trouvait la demeure très belle et méritant largement les restaurations envisagées.
Néanmoins, il avait hâte de se mettre au travail... Sa vieille méthode avait fait ses preuves et il avait besoin d'y recourir.

[Galathée]

Guillhem s'excusa : ils n'avaient pas prévu que le barde viendrait leur rendre visite aussi rapidement, aussi fut-il invité à participer à la tâche passionnante qui consistait à arracher les lattes de plancher pourries du premier étage. Il fallait les tester une à une, conserver celles qui étaient en bon état, se débarrasser des autres, tout ça sans passer à travers le plafond. C'était éreintant, parfois dangereux, mais nécessaire, et ils travaillèrent entre adultes tandis que Benoît, docilement, prenait note de ce que les adultes lui dictaient : une latte par ici, une autre par là, ils parvinrent à désosser complètement deux pièces avant de se retrouver au rez de chaussée pour des biscuits et un remontant. Il faisait horriblement chaud à l'extérieur, mais le manoir avait un petit côté humide qui ne demandait qu'à s'aérer. La tâche les occupa toute l'après-midi et le soir tomba petit à petit, rappelant les habitants de la ferme à leurs devoirs et au souper que devait leur avoir mitonné Baptiste...

[Taliesin]

Et qu'il allait désormais les trouver tristes, les repas...
Le côté positif, cependant, c'est que s'étant mis dans une optique "faire comme si", sans doute parviendrait-il à donner le change et à ne pas paraître préoccupé tout le temps qu'ils se sustenteraient.
Mais pour le reste de la soirée... Il espérait franchement qu'on ne lui demanderait pas de raconter d'histoire. Et il envisageait de se livrer à de longs exercices martiaux en quelque coin reculé du domaine, afin d'achever de s'épuiser.

[Galathée]

Les enfants furent très déçus de ne pas avoir d'histoire, mais Galathée trouva une excuse à l'elfe qui lui permit de s'éclipser. Aucun d'entre eux ne paraissait réaliser que Taliesin avait le moral en berne —*peut-être parce qu'ils l'avaient côtoyé aux alentours du procès et qu'ils avaient l'habitude de le voir broyer du noir et prétendre que tout allait bien. Seul Victor paraissait légèrement sensible à la situation, mais il se garda bien de poser la moindre question.
Quand Taliesin revint de ses exercices, la maisonnée tout entière dormait, en ce compris la rôdeuse, et il put se glisser au lit pour dormir.
Le jour suivant promettait d'être semblable au précédent, moins l'excursion luménienne, bien sûr, mais sans doute ne faudrait-il pas espérer de nouvelles d'Henry avant le surlendemain.

[Taliesin]

S'il y en avait le surlendemain, il s'estimerait déjà heureux...
Et dans l'intervalle, il comptait s'en tenir au programme prévu. A savoir : travail, travail et encore travail, jusqu'à l'épuisement.
Au bout d'un moment, il finirait bien par un tantinet plus détaché... Et au moins, en attendant, ne resterait-il pas à ne rien faire, se rendrait-il utile.