[Lieu] La ferme Desmoulins

[Taliesin]

Le barde réprima soigneusement son hilarité.
-Que des ingrats, ces mômes, dit-il plutôt à Guilhem, d'un ton compatissant. Mais ils ne perdent rien pour attendre... Ce soir, nous ploierons. Mais demain, nous nous vengerons !
Il n'ajouta rien d'autre, ne voulant pas être la cause d'un chahut alors qu'un silence relatif s'était installé.

[Galathée]

" Chiche, répondit Victor. Je prends les paris sur qui est capable de faire le plus gros chambard des deux équipes.
— Tu as trop bu, toi aussi, dit Baptiste à Taliesin. Pourquoi est-ce que tu lui lances des défis pareils ?
— Baptiste, t'es d'office dans l'équipe des enfants !
— Je vais aller me planquer au fond des bois avec Titus, je crois.
— Même là, vous entendrez notre chant de la victoire !"

[Taliesin]

-Je n'ai lancé aucun défi ! protesta-t-il. Et votre victoire, vous l'avez déjà eue : Guilhem a renoncé à vous gratifier de ses chants agréables. Alors savourez donc le silence que vous avez obtenu et préparez-vous à reprendre des forces au cours d'une nuit paisible. Vous en aurez besoin pour demain.

[Galathée]

" Méfie-toi de l'escalade. Tu risques d'avoir des adversaires nombreux, déterminés, inépuisables et peu, très peu, d'alliés..." dit Victor d'un air entendu.
Mais ils étaient trop fatigués pour tenter quoi que ce soit le soir-même. Guillhem, soudain, se mit à fredonner, mais un coup de coude de Meredith le réduisit au silence dans un cri étouffé. Un peu plus tard, sous les étoiles, ils bifurquèrent dans le chemin qui menait à la ferme. Jehan, Félix, Victor et Baptiste sautèrent à terre dans la cour, mais les trois derniers demeurèrent endormis : il allait falloir soit les réveiller, soit les porter. Meredith demeura sur le banc du cocher : Guillhem allait la raccompagner et peut-être — sûrement — passer la nuit là-bas.

[Taliesin]

-On va s'occuper des dormeurs, leur dit-il.
Comme ils ne seraient que deux, il leur faudrait probablement réveiller le plus âgé, à savoir Benoit. Lui-même se chargerait ensuite de porter Marius, tandis que Matthieu s'occuperait de son neveu.
Ainsi, normalement, devraient-ils s'en sortir sans trop de souci...

[Galathée]

Mais Guillhem leur prêta main forte avant de s'éclipser aussi purent-ils transporter tous les dormeurs à l'intérieur, avec succès. Ils firent craquer les marches de l'escalier mais personne ne parut broncher dans la chambre des jumeaux. Les enfants encore réveillés se glissèrent dans leurs lits, Matthieu et Guillhem retournèrent au rez de chaussée, et Taliesin put gagner ses propres pénates. Galathée y dormait profondément... avec Titus. Il y avait encore de la place dans le lit, cela dit, mais nettement moins que d'habitude...

[Taliesin]

Après une hésitation, il s'efforça de s'y glisser le plus discrètement possible, sans réveiller ni sa compagne, ni le petit faune dont la présence ne le dérangeait en rien. Il croisait juste les doigts pour que la légendaire agilité des elfes lui permette d'accomplir cet exploit... S'il y parvenait, nul doute qu'il s'endormirait promptement, malgré le peu de place. Car, mine de rien, il s'était bien dépensé et avait tout de même un peu bu...

[Galathée]

Et il y parvint.

Les quelques jours suivants les virent revenir à leur routine d'avant les moissons. Galathée retourna arpenter la campagne environ un jour sur deux, Guillhem reprit ses travaux partagés entre la ferme et le domaine voisin, les enfants retournèrent à la rivière. Il y eut cependant deux changements : d'abord, Matthieu repartit sur la route, sa mission bien en tête, avec Retour dans ses bagages. Ensuite, les adultes de la maisonnée demandèrent à Taliesin de... reprendre la classe... ou de céder ce rôle à l'instituteur du village, s'il préférait. Mais les gamins avaient un grand besoin de retourner user le fond de leur culotte sur les bancs d'une école.

[Taliesin]

Taliesin, qui outre les réparations au manoir et ses entrainements, n'avait pas oublié de préparer la reprise de l'école, fit passer quelques évaluations aux enfants, afin de vérifier quel était leur niveau après une si longue pause. Les jours suivants, en plus des cours communs, au nombre volontairement réduits, il donna des séances personnalisées à chacun d'entre eux, pour les aider à combler leurs lacunes. Ainsi avait-il bon espoir de pouvoir, d'ici peu, reprendre son rôle d'instituteur de la même façon qu'avant leur excursion dans la vallée du Nirvana.
A moins, bien sûr, que les gosses ne préfèrent aller au village. Il leur laissa d'ailleurs le choix, en leur expliquant bien qu'en ce qui le concernait, tout lui convenait.

[Galathée]

Les enfants ne lui firent pas défaut, même si on les sentait parfois un peu coincés dans un groupe qui avait beau compter près de dix membres, restait toujours le même, avec son histoire, ses conflits, ses amitiés et sa routine. Guillhem lui-même appréciait beaucoup ce que Taliesin offrait à la marmaille, mais se posait la question d'une nécessité à l'ouverture, pour que leur vase clos profite parfois d'influences extérieures. Bien sûr, il y avait Marius — qui ne savait ni lire, ni écrire, ni même compter jusqu'à dix — et Titus — qui refusa purement et simplement de s'asseoir en classe et s'enfuit aussitôt dans les bois, créant de nombreux émules et forçant Galathée à intervenir pour le convaincre, mais cela ne semblait plus suffisant et le sujet revint sur le tapis un soir où les enfants étaient montés de bonne heure.

[Taliesin]

-Peut-être pourrais-je tenter de lui faire cours dans un cadre plus naturel... avança-t-il. Et peut-être que cela passerait mieux si c'était toi qui t'en chargeais... Certes, il n'aura peut-être jamais envie de vivre à l'humaine, ou à l'elfique, mais savoir lire, écrire et compter lui sera toujours utile. Je pense donc important qu'il acquière les base... quitte, éventuellement, à le laisser tranquille avec ça encore un moment.

[Galathée]

HRP : haha, ce n'était pas ce sujet là qui revenait sur le tapis

" Je suis d'accord qu'il faut lui enseigner les bases, dit Galathée, mais ensuite, autant voir comment il évolue...
— Il est certain, en tout cas, qu'on ne va pas l'envoyer à l'école du village. Mais on pourrait peut-être y envoyer les trois quatre plus âgés. Je sais que tu connais beaucoup de choses, Taliesin, mais ça leur ferait du bien de voir d'autres têtes. Ici, ça tourne immanquablement au pugilat... et il n'y a pas de filles... Ce n'est pas très sain."

[Taliesin]

Il haussa les épaules.
-Guilhem, honnêtement... Tu n'as même pas à me demander mon avis, concernant tes enfants. Si tu estimes que c'est mieux qu'ils aillent à l'école du village, alors il en sera ainsi. Non seulement je n'en prendrai pas ombrage mais, de surcroit, je suis plutôt d'accord, sur le fond.
Il se tourna vers Galathée.
-Je ne vois aucun inconvénient à ce que Victor y aille également. J'aurais dit pareil pour Baptiste, mais puisqu'il ne va plus rester très longtemps parmi nous... Bon, d'un autre côté, même si ça ne dure que quelques veilles, ce serait plutôt positif pour sa sociabilisation.

[Galathée]

" Avant de prendre de grandes décisions, je pense qu'il va falloir poser la question au village. Je sais que tu en as déjà parlé avec l'un ou l'autre, Guillhem, mais nous parlons quand même de trois ou quatre enfants.
— Oui, je sais, c'est déjà tard... Je pense que la classe reprend déjà d'ici quelques jours.
— Quant à Baptiste... Je pense qu'il faut l'associer à tout ce qui se fait tant que nous n'avons pas de certitudes sur le futur."

[Taliesin]

Vu la manière dont les choses étaient engagées, il pensait qu'ils avaient déjà des certitudes et qu'envisager le contraire était se faire des illusions. Mais il ne pipa mot à ce sujet.
-Très bien, alors s'il y a de la place à l'école, il ira avec les autres.
Guilhem ayant plus de contacts que lui au village, sans doute était-il plus indiqué qu'il se charge de la démarche. Néanmoins, si vraiment on jugeait son intervention utile, il le ferait.

[Galathée]

Les jours suivants n'apportèrent rien de bien spectaculaire. Les enfants accueillirent la nouvelle de leur entrée prochaine à l'école du village avec des cris scandalisés mais le matin dit, ils étaient tous excités, et les laissés pour compte, Mathieu, Benoît et Marius, légèrement jaloux. Titus, lui, était parfaitement satisfait d'être trop étrange pour pouvoir s'intégrer.
Les adultes de la maisonnée durent ensuite s'adapter à toute une galerie de nouveaux noms, filles et garçons, jeunes et moins jeunes, qui devinrent des protagonistes des conversations de soupers. Les enfants n'allaient cependant à l'école que le matin, six jours sur les dix que comptait la veille, et Taliesin n'était pas complètement oisif : les quatre derniers méritaient aussi leurs leçons, qu'ils réclamaient avec plus ou moins d'enthousiasme selon la météo.
Eleasis avait cédé le tour à Eleinte depuis déjà une dizaine de jours quand la lettre qu'ils attendaient (ou redoutaient, plutôt) apparut soudain à leur porte. C'est Guillhem qui la leur apporta : elle lui avait été transmise au village. Les enfants n'en pensaient rien, sauf Baptiste, qui avait deviné ce dont il s'agissait. Elle était adressée à Taliesin mais elle pesait lourd pour n'être qu'une simple missive : il devait y avoir un second pli à l'intérieur.

[Taliesin]

Le barde n'allait pas perdre inutilement du temps et, au contraire, ouvrir dans l'instant le courrier. Il remettrait ensuite à Baptiste la probable lettre qui lui était destinée avant de lire celle rédigée à son attention. Avec Galathée, si elle le souhaitait : après tout, elle était tout aussi concernée que lui.
En tout cas, l'arrivée du moment fatidique était pour lui moins douloureuse qu'on aurait pu le croire : convaincu qu'il n'y avait rien à faire, rien à négocier, il était plutôt content que l'incertitude prenne fin et avait presque hâte que l'affaire soit réglée.

[Galathée]

Le pli pour Baptiste était fermé et son nom seul y était mentionné. La missive destinée à Taliesin disait ceci.

Messire,

C'est avec une grande joie que j'ai lu votre lettre et je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour mon fils. Ce sont des mots, cependant, et les mots sont peu de choses. J'espère que vous pourrez sous peu venir me rendre visite dans mon domaine d'Averlande, afin que je puisse vous remercier en personne. Je n'ai pas l'intention de quitter mon foyer dans l'immédiat, aussi serez-vous les bienvenus dès que vos pas pourront vous y mener. J'ai grande hâte de faire votre connaissance et, bien sûr, celle de mon garçon.
Pardonnez-moi ce message maladroit, mais je ne suis pas homme de lettres, et en fait, je ne sais pas bien quoi vous écrire : rien ne me parait à la hauteur de l'instant.
Je puis juste vous assurer de tout mon respect, et de ma reconnaissance encore,

Votre dévoué,

Maurin d'Averlande

[Taliesin]

Taliesin ne pensa pas grand chose de la missive, dont la courtoisie et la reconnaissance étaient à la fois logiques et attendues. L'idée de devoir rencontrer l'homme en son domaine l'ennuyait, cependant : il aurait préféré, et de très loin, un terrain neutre. Mais voilà : il n'avait pas vraiment la possibilité de négocier, sous peine de paraître discourtois ou plein de mauvaise volonté. Or donc, cela se ferait au domaine du sieur d'Averlande, même si c'était à son désavantage.
Il replia soigneusement la lettre, la laissant bien en vue dans leur chambre, pour que Galathée puisse la consulter, puis... passa à autre chose.
Après tout, il n'y avait rien de nouveau sous le soleil : le pénible voyage dans le nord était simplement plus proche que jamais.

[Galathée]

Baptiste avait emporté son message et n'en dit absolument rien. Galathée, par contre, vint trouver le barde dans le potager, au retour de ses pérégrinations quotidiennes.
" Alors ? Quand comptes-tu y aller ? Est-ce que Baptiste a dit quelque chose ?" demanda-t-elle de but en blanc.

[Taliesin]

-Absolument rien. Mais ça n'est guère étonnant : hormis lors de la fête des moissons, durant laquelle il a dit qu'il aimerait que je l'accompagne, nous n'avons jamais discuté de cette histoire. Quant au voyage, j'aurais tendance à penser que le plus tôt sera le mieux. En fait, le temps de réserver une place sur un bateau ou dans un coche, selon ce qu'il préférera, et nous serons prêts à partir. Ah, il faudra quand même réunir une bonne somme d'argent, pour les soins qu'il devra recevoir à Eredhun...

[Galathée]

" Il vous reste une partie du trésor de Mersant, non ? demanda-t-elle. Sinon, je ne sais pas bien de quel argent tu parles... La commanderie envoie toujours un peu de fonds pour Baptiste, mais comme nous n'avons pas de gros besoins et qu'ils sont, j'en suis presque persuadée, au bord de la faillite, ce n'est pas grand chose... Je pensais que les Milites te devaient des honoraires, quelque chose comme ça ? Ou bien Tim t'avait payé à l'avance ? Ou alors c'était du pur bénévolat ?"

[Taliesin]

-Quand bien même m'aurait-il parlé de salaire, je me garderais bien de le réclamer, puisque je ne leur rapporte que des notes superficielles. Mais je prendrai donc une partie du trésor. Pas tout, car on peut faire de mauvaises rencontres, en voyage, et nous ne pouvons nous permettre de ne plus avoir un sou vaillant.
Il soupira.
-Et ça me fait penser que je dois écrire à la Commanderie pour les informer dudit voyage. J'en profiterai pour leur dire qu'ils peuvent arrêter les versements.

[Galathée]

" Si vous prenez le bateau, tu pourrais passer directement les prévenir... et éventuellement leur poser les dernières questions qui te taraudent, proposa Galathée. Je sais que ce n'est pas forcément un gain de temps, mais j'ai l'impression que, pour une fois, cela vous éviterait les rencontres qui vous détournent de votre objectif principal... Victor m'a raconté une histoire d'attaque de gobelins qui, pour une raison ou une autre, a été curieusement passée sous silence... Peut-être à cause des elfes, des centaures, des dragons, des dieux de Féérie, des ogresses en robe blanche, des boules de feu et des morts-vivants vengeurs."

[Taliesin]

-Sur la mer, on peut croiser des tempêtes, des pirates, des sirènes, des krackens... Mais les probabilités de rencontres sont sans doute malgré tout moins grandes que sur les routes. Alors soit, nous irons par la voie des mers. Quant à rencontrer les paladins... Honnêtement, je n'en vois pas la nécessité : je n'ai aucune question à leur poser et ce que j'ai à leur dire tient en une phrase. Non, un petit mot fera amplement l'affaire.

[Galathée]

" Comme tu voudras." dit la jeune femme avec un sourire doux.
Elle lui pressa l'épaule.
" Tout va bien se passer, j'en suis sûre. Cet homme parait... peu sûr de lui. C'est quelque chose que tu devrais pouvoir exploiter, toi qui sais si bien manipuler les foules."
Elle posa un baiser sur sa tempe.

[Taliesin]

-Mais je n'ai aucune envie de le manipuler... S'il est le père de Baptiste, s'il est respectable, alors il est légitime que son fils aille vivre avec lui, surtout si celui-ci en a l'envie. Et c'est sans doute la meilleure solution pour lui. Dès lors, il n'y a pas grand chose à faire, sinon accompagner au mieux la transition pour qu'elle se fasse en douceur.
Il sourit.
-Mais ne t'en fais pas : ce ne sera pas agréable, mais ça sera bien fait. Et ensuite, nous porurons passer à autre chose.

[Galathée]

" Essaie de garder à l'esprit qu'il ne s'agit pas d'un tout ou rien, dit Galathée en lui pressant la main dans la sienne. Baptiste, même s'il va vivre avec son père, voudra garder un lien avec toi, avec nous. Tu ne peux pas l'abandonner, lui fermer ton coeur, parce que les circonstances prennent un tour désagréable. Je sais, te connaissant, que tu préfères que les choses soient tranchées, avec toi ou sans toi, chez toi ou loin et oublié, mais la vie n'est pas comme ça. Même si Baptiste va vivre avec son père, tu ne peux pas, simplement, passer à autre chose. Il est part de toi et toi de lui, pour toujours, quoi qu'il advienne."

[Taliesin]

-Je me suis mal exprimé. Bien sûr, un certain détachement, fut-il provisoire, me paraît nécessaire : il rend les choses plus faciles et permet d'agir de façon plus raisonnable. Pour autant, j'espère bien que nous pourrons garder contact ; et même si son père refusait, je ferais en sorte de garder un œil sur lui, d'une façon ou d'une autre. Par "passer à autre chose", j'entendais simplement en finir avec cette période de transition qui n'est agréable pour personne, et pouvoir se relancer sur des projets, des dynamiques positives. C'est important.

[Galathée]

" D'accord, dit-elle. Je t'avais mal compris."
Elle se carra dans son siège.
" Est-ce que tu es déjà allé à Eredhun ? Ce serait bien qu'y avoir un point de contact, un endroit où t'envoyer un message, si Matthieu devait, de son côté, nous faire parvenir des informations... Je suppose qu'il doit y avoir moyen de se renseigner au village... ou alors à Luménis, une bonne adresse pour vous poser quelques jours."