[Lieu] Le Bois du Gobelin Pouilleux

[Alexiel]

En bon sharite, Alexiel appréciait très modérément l'éclat un peu trop insistant de Séluné, et ne se serait trouvé tout à fait satisfait que dans l'obscurité la plus pure. Par ailleurs, le babil d'une nature un peu trop paisible l'ennuyait terriblement; bref: une fois qu'il eut vérifié l'absence de tout péril immédiat, le chevalier noir se sentit rapidement déplacé dans ce décor. Décidé à laisser néanmoins un souvenir de son passage, il se soulagea contre un tronc d'arbre, histoire de n'être pas venu pour rien, puis reprit lentement le chemin du campement, non sans décrire un arc de cercle assez large autour de celui-ci, juste au cas où.

[Taliesin]

Ayant regagné le campement sans la moindre anicroche, il passa une soirée sans doute trop tranquille à son goût, mais pas totalement dénuée d'agréments : son employeur aimait la bonne chère, y compris en voyage, si bien que le repas s'avéra au moins aussi bon que celui servi à l'auberge. Lequel repas s'accompagna d'un vin fort délicat, ainsi que des anecdotes que narra le marchand, cyniques à souhait et mâtinées d'un humour aussi noir que caustique.
Plus tard, Alexiel s'étendit, s'endormit.
Et rêva.
A nouveau, le Jardin de la Mélancolie.
A nouveau, la silhouette encapuchonnée le soumettant à ce qui semblait être un tuilage en bonne et due forme.
A nouveau les ténèbres, la flamme qui jaillit et devient brasier.
Puis, encore, un réveil en sursaut.
Autour de lui, l'aube était en train de poindre et ses compagnons de s'activer.

[Alexiel]

Il se massa à nouveau le crâne, en proie à une désagréable migraine. C'était ce que d'aucuns pouvaient appeler un comique de répétition, sauf qu'il ne trouvait pas cela réellement drôle. Ces rêves imposés ressemblaient à du harcèlement, mais tant qu'ils n'en connaîtrait pas l'origine avec certitude, ils n'avaient pas grand sens. Un enchanteur intelligent aurait au moins varié les contenus, multiplié les indices ! mais là, rien. Puisqu'on lui parlait de flammes, il avait d'abord supposé que le détenteur de son pacte lui demandait des comptes ; il n'en était plus aussi certain que la veille. Le chevalier noir se leva, de fort mauvaise humeur (encore.) Que diable, avait-il l'air d'un homme prêt à jouer aux devinettes ?

[Taliesin]

Comme à l'auberge - et comme un peu partout, en vérité -, les gens qui l'entouraient furent sensibles à son humeur : les cochers et les gardes du corps gardèrent leurs distances et si le marchand ne le fuit pas, il se montra moins bavard qu'à l'accoutumée. A dire vrai, il adopta une attitude fort appropriée à la situation, démontrant ainsi une certaine habilité qui devait lui servir dans le monde des affaires et aurait pu lui rendre bien des services en d'autres milieux.
Sitôt le petit déjeuner avalé - il s'était avéré roboratif et pas mauvais du tout -, l'on passa aux préparatifs du départ. Ils étaient aussi peu nombreux que promptement exécutés, si bien qu'Alexiel n'avait que quelques minutes devant lui s'il souhaitait faire quelque chose avant d'enfourcher sa monture.

[Alexiel]

Le chevalier noir n'avait rien de particulier à prévoir. Il avait vérifié la selle, ses sacoches et l'arme à sa ceinture ; il était prêt. La patience n'était pas sa première qualité, mais il avait appris, nécessité faisant loi, à tempérer ses ardeurs et à se mettre à l'allure de la troupe, qui est surtout, comme chacun sait, le rythme du plus lent. Puisqu'il avait accepté cette escorte, il supporterait ces contretemps, tant qu'il faudrait.

Placé auprès de sa monture aussi excitée que lui à l'idée de reprendre la route, il lui caressait distraitement le chanfrein, heureux d'avoir quelque compagnie dans son impatience. Eclipse ne semblait pas incommodé par son aura, qui ne faisait que l'animer davantage. C'était comme si son sabot piaffait plus fort, ou que son poil noir brillait d'un éclat plus sombre.

[Taliesin]

Heureusement pour eux deux, le marchand n'aimait pas attendre inutilement et ses subordonnés, le sachant pertinemment, s'acquittèrent avec une remarquable promptitude des derniers préparatifs.
Puis l'on partit.
Le trajet du jour fut moins monotone que celui de la veille.
Légèrement moins.
Ils croisèrent quelques voyageurs, sur la route. Ils dépassèrent, aussi, deux ou trois hameaux, faisant leur halte de midi dans l'un d'entre eux, à la table d'une auberge quelconque.
Enfin, alors que le soleil planait bas sur l'horizon, ils atteignirent un village qui, comparé à ceux qui l'avaient précédé, présentait des allures de grande ville : entouré de champs, ceint d'une haute palissade, il devait abriter plusieurs centaines d'âmes.
Ils en franchirent les portes, sous le regard scrutateur des membres de la garde locale, en remontèrent la grad rue, animée et bordée de boutiques, avant d'enfin bifurquer dans la cour d'une coquette hostellerie.
-Vous verrez : leurs chambres sont confortables et leur nourriture tout à fait appréciable pour un lieu aussi reculé, glissa le marchand à Alexiel