[Lieu] Route de Lumenis à Antelucas

[Voyageuse]

Ilona lui emboîta le pas, manifestement pressée de retrouver un peu de confort.
La salle principale était de dimensions respectables, même si elle ne valait pas les plus grandes auberges de Luménis. On y trouvait une douzaine de tables de différentes tailles, et, à première vue, toutes étaient déjà occupées.
Sur la droite, derrière le bar, un petit homme corpulent servait des bières à une demi-douzaine de buveurs, qui, à en juger par leur regard un peu flou, avaient déjà quelques pintes d'alcool à leur actif.

[Kmir Tailleroc]

Kmir eut un instant d’hésitation. Devait-il se cacher derrière une illusion pour éviter tout problème ? Sans doute l’aurait-il fait s’il avait été seul. Il se méfiait toujours de l’alcool lors de ses entrées, il avait le don d’élargir l’éventail des possibilités, tant les bonnes que les mauvaises.
Finalement, il s’approcha du comptoir, l’empoigna, se suréleva par la force des bras histoire d’être visible du tenancier, puis demanda :
« S’il vous plait, trois chambres et autant de repas, est-ce possible ? »

[Voyageuse]

Une demi-douzaine de paires d'yeux se braquèrent sur lui. Il y eut quelques hoquets de surprise, puis quelques exclamations.
" C'est quoi ça ?
- Hey, t'a entendu, t'es quoi toi ?, insista un deuxième buveur de bière.
- C'est un client, comme toi, Roger..., intervint l'aubergiste d'un ton où se reflétait une certaine lassitude.
- C'est pas un client normal, il est tout p'tit... mais c'est pas un nain pourtant, répliqua le premier.
- En plus il a une putain de jolie fille avec lui...", fit remarquer un troisième larron.
Tous les regards se tournèrent alors vers Ilona, juste derrière Kmir. La jeune fille, qui avait suivi le gnome jusqu'au bar, sembla perdre immédiatement toute l'assurance qu'elle affichait un instant plus tôt.

[Kmir Tailleroc]

« Je suis un gnome, messieurs, répondit Kmir, à peu près sur le même ton que l’aubergiste. Et soyez aimables de laisser mademoiselle tranquille. La journée fut éprouvante. »
Puis, de nouveau à l’aubergiste :
« Trois chambres et trois repas, est-ce possible ? »
Poursuivre comme si de rien n’était, c’était peut-être le bon choix. Mais encore une fois, l’alcool brouillait les cartes.

[Voyageuse]

L'aubergiste, lui, n'avait pas bu, et semblait plutôt serein face à l'apparence étrange du gnome. Sans doute avait-il déjà vu passer toute sorte de clients.
" Je n'ai plus que deux chambres, hélas... mais les lits sont grands. Vous arrivez un peu tard, il y a foule en cette saison... Et pour manger, j'ai toujours de quoi nourrir des estomacs affamés, mais c'est la place qui manque. Il faudra attendre un peu qu'une table se libère... "
Il grimaça.
" Je suis bien désolé de ne pouvoir proposer mieux...
- Bah, de toute façon, un gnome, c'est tout p'tit, il a pas besoin de place, rétorqua l'un des buveurs d'un ton joyeux.
- Mais moi, j'veux bien accueillir la demoiselle dans ma chambre pour la nuit !, s'exclama un autre. Je vous promets qu'on sera sages !
- Heu... non, merci, répondit Ilona, extrêmement mal à l'aise, en reculant d'un pas.
L'homme, un sourire égrillard aux lèvres, avança d'un pas vers elle. Il était grand, et une musculature imposante se devinait sous sa tunique de lin.
- Je jure que je mords pas, dame ! Il parait même que je suis très doux ! Vous préférez quand même pas dormir avec le gnome ?"

[Kmir Tailleroc]

Kmir, toujours avec grand calme, termina ses affaires avec l’aubergiste.
« Vous n’avez pas à vous excuser, je comprends. Je vais vous prendre vos deux dernières chambres. Et donc trois repas avec ça. Combien vous dois-je ? »
Sans attendre la réponse, il cessa de se surélever, lâcha le comptoir, pivota et se planta devant le type musculeux, avant de planter son regard dans le sien. La brute avinée put donc du même coup apercevoir le visage du gnome et le sombre de ses yeux froids.
« Je vous ai demandé de laisser mademoiselle tranquille. Cette nuit, elle dormira seule. »
Calme, mais fermeté. Certes à taille d’enfant, l’étrangeté de son apparence pouvait être dissuasive. Sinon, il faisait le poids d’un adulte, on ne le bousculait pas aussi facilement qu’on pouvait le croire, surtout pas lorsqu’il s’y préparait.

[Voyageuse]

Le soudard ne parut pas vraiment impressionné par son apparence. Mais il avait visiblement beaucoup bu, et aurait sans doute trouvé ordinaire même l'apparition d'un hippogriffe rose portant une culotte à dentelle.
" Oh, mais c'est qu'il est menaçant, le petit nain...
- Gnome, pas nain", s'esclaffa un autre.
L'aubergiste contourna le bar et tendit deux clés à Kmir.
" Chambres 206 et 208, au deuxième. Vous paierez demain, et ça fera deux pièces d'or. Sven, laisse-les tranquilles.
- Ah ça, non, jamais quand y'a une jolie fille... Dis-moi, tu prends quelle chambre, ma belle ? Que je ne me trompe pas de porte...
- Moi j'ai jamais vu un gnome gris, rétorqua l'un des buveurs, le dénommé Roger, d'un ton soudain un peu alarmé. Tu devrais te méfier, c'est pas un mec ordinaire.
- M'en fous. J'invite qui je veux dans mon lit, reprit le dénommé Sven en se tournant vers Kmir. Tu crois vraiment que tu peux m'en empêcher ? Tu veux te la garder, c'est ça ?"
Il s'avança d'un pas -un peu incertain- vers le snifverblin, une lueur de menace dans les yeux.

[Kmir Tailleroc]

Kmir prit les clefs, remercia d’un signe, avant de refaire face à Sven.
« Allons, Monsieur, soyez raisonnable. Vous êtes ivre, l’alcool guide vos pas. Faites comme si nous n’étions pas là, ce sera mieux pour tout le monde. »
Il commençait à se dire qu’il parlait en pure perte, mais au moins ne devait-il pas passer responsable de ce qui risquait de se produire.
Ce serait quand même bien que Bruno arrive. Peut-être que lui pouvait détendre l’atmosphère, ou dissuader l’ivrogne par sa stature d’exception.

[Voyageuse]

Ce fut l'aubergiste qui s'en chargea. Il avait beau faire deux têtes de moins que l'individu, il était le tenant des lieux, et donc investi, sans doute, d'une certaine autorité. Il posa une main sur le bras du soudard.
" Sven... Tu tiens à peine debout, va. Tu serais bien incapable de faire quoi que ce soit à la jolie demoiselle, avoue : tu t'endormirais avant même d'avoir ôté tes chausses! "
L'homme lui jeta un regard noir, mais ses camarades éclatèrent de rire.
" L'a pas tort, le Bastien !
- Mieux vaut renoncer pour ce soir, tu sais, poursuivit l'aubergiste. Tu auras d'autres occasions... Je songe à une certaine Odile qui devrait être de retour après-demain...
- Oh oh !
- Ça te laisse juste le temps de te remettre de ta cuite de ce soir..."
Sven avait l'air furieux... et indécis.
" Mais tu trouves normal, toi, qu'un gnome gris puisse avoir une si jolie fille avec lui ?
- Je suis pas avec lui, s'exclama alors Ilona, retrouvant l'usage de la parole. Et je suis pas avec toi non plus ! C'est clair ?"
Son ton n'était pas aussi véhément qu'il l'aurait fallut, et son timbre virait un peu trop vers les aigus, ce qui rendait son intervention assez inefficace, voire ridicule.
" Si tu l'dis..., répondit Sven avec un sourire hilare. Mais... t'as bien tort, tu sais..."
Il fit mine de s'avancer vers elle, mais Ilona fut plus rapide : elle prit une clé de la main de Kmir et se dirigea d'un pas décidé vers les escaliers, au fond de la salle. Elle marchait bien trop vite pour qu'il ait la moindre chance de la suivre étant donné son état d'ébriété.

[Kmir Tailleroc]

Kmir jeta un regard vers Ilona, puis rangea la seconde clef dans une de ses poches. Il comptait rester dans la salle commune un petit moment. Au moins allait-il attendre le retour de Bruno pour monter avec lui. D’ici là, il comptait ignorer Sven et son groupe.
Il avait largement autre chose à faire que de se mêler à des ivrognes. Lui-même ne se laissait jamais allé jusqu’à l’ivresse, ou alors uniquement de manière très exceptionnelle, dans des conditions favorables où il se sentait en sécurité.

[Voyageuse]

Sven lui lança un regard noir, comme s'il était responsable de la fuite de la jeune fille, mais les deux pas qu'il avait faits pour tenter de suivre Ilona l'avaient apparemment convaincus de ne rien tenter d'autre.
Toutes les tables étaient malheureusement prises, et le bar n'était décidément pas un endroit fréquentable. Mais l'aubergiste lui désigna, du menton, un petit banc près de l'entrée, où il put s'asseoir en attendant Bruno. Le rôdeur ne tarda pas à apparaître, l'air un peu las, et ils purent sans encombre monter jusqu'à leur chambre. Les buveurs de bière les suivirent du regard, jusqu'à l'escalier, et firent certainement des commentaires, mais ils étaient trop loin pour les entendre.
Leur chambre, la 208, était voisine de celle d'Ilona. Il s'y trouvait un grand lit -immense-, une table avec un broc d'eau pour la toilette, et quelques fruits dans une corbeille. La salle d'eau se trouvait au bout du couloir. Et, apparemment, elle était déjà occupée.

[Kmir Tailleroc]

Fidèle à ses habitudes, Kmir fut peu loquace. Il raconta tout de même à Bruno l’incident avec Sven l’ivrogne, puis il se contenta de s’installer dans la chambre ce qui, en somme, se résumait à déposer son sac dans un coin. Il fit un brin de toilette, se nettoyant le visage, pensant à Lumenis qui s’approchait.
Il avait faim et avait donc hâte qu’une table se libère. Estimant qu’Ilona était assez grande pour venir les voir si elle avait besoin de quelque chose, il préféra la laisser tranquille. De toute manière, demain, ils la laisseraient en arrière.

[Voyageuse]

Ils ne revirent Ilona qu'une heure plus tard, à la table du dîner. Ils avaient attendu un bon moment dans la chambre, sans beaucoup parler. Bruno avait eu la mauvaise idée de s'allonger et manqué s'endormir, puis il avait fait un brin de toilette, histoire d'être présentable. Et ils étaient redescendus. Les ivrognes étaient toujours fidèle au poste, et Sven leur jeta un regard fort peu amène, mais la présence de Bruno, ou celle de l'aubergiste, le dissuada de dire quoi que ce soit. Les tables étaient toujours occupées, mais plusieurs convives avaient terminé leur dessert, et ils n'eurent finalement pas très longtemps à attendre pour obtenir enfin trois places, sur une grande table commune à une extrémité de la pièce, loin du bar.
" C'est gentil de m'avoir gardé une place", lança Ilona en les rejoignant.
Lavée, coiffée, vêtue d'une robe, elle était méconnaissable, et probablement encore plus belle. Sven l'observait avec des yeux écarquillés... mais de plus en plus voilés, également. Il ne devait même pas avoir la force de se lever.
L'aubergiste était déjà prêt à prendre leur commande.
" Au menu, il n'y a plus grand-chose comme choix. Des sardines grillées si vous aimez le poisson, ou de la caille rôtie au four. Avec des légumes bien sûr..."

[Kmir Tailleroc]

Mais à quoi pensait Ilona ? Se présenter en robe, ici, devant les ivrognes ? Était-elle inconsciente ? Tenait-elle donc tant que cela à ne pas dormir seule cette nuit ?
Kmir ne dit mot. Il commanda des cailles, plus bien sûr des légumes, et entreprit de se sustenter en silence. Mais il prévoyait de conseiller à la jeune femme, sitôt remonté à l’étage, de bien penser à verrouiller sa porte à double tour.

[Voyageuse]

La jeune fille semblait ne pas avoir conscience du risque qu'elle courait peut-être. Elle avait visiblement choisi de répondre aux provocations par l'indifférence, et ignorait ostensiblement les buveurs installés au bar. Elle s'était d'ailleurs installée de façon à leur tourner complètement le dos, et semblait tout à fait à l'aise dans sa robe -ou peut-être n'était-ce qu'une façade.
Kmir, quant à lui, voyait parfaitement les regards que les buveurs jetaient parfois à leur table. Ils parlaient avec une certaine animation, mais il était trop loin pour entendre quoi que ce soit.
Ilona, quant à elle, entama la conversation d'un ton joyeux, affichant son plaisir de retrouver la civilisation. Une nuit et un bon repas à l'abri dans une auberge lui convenait beaucoup mieux qu'un bivouac dans une cabane en pleine nature. Bruno, d'ordinaire peu bavard, semblait vouloir faire un effort pour lui répondre.

On leur apporta leurs assiettes après une vingtaine de minutes d'attente, alors que la salle commençait enfin à se vider un peu. L'aubergiste semblait passablement épuisé, mais il sourit cependant à Kmir.
" Ne vous inquiétez pas trop de ces jeunes blanc-becs. J'ai cru voir que vous les regardiez... Mais rassurez-vous, ils ne passent pas la nuit ici, ils sont du village..."

[Kmir Tailleroc]

« C’est en effet une bonne chose. Merci de me le dire, je dormirai un peu plus tranquille. »
Kmir hésita, puis ajouta :
« Mon compagnon et moi-même n’allons pas pouvoir poursuivre notre route avec cette jeune demoiselle. Ne connaitriez-vous pas quelqu’un de convenable qui pourrait la conduire à Lumenis ? »
Autant demander tout de suite, ils seraient fixés. Ilona était bien gentille, mais le gnome serait soulagé de ne plus l’avoir à ses côtés. Cela pouvait sembler égoïste, ça l’était d’ailleurs un peu, mais s’il ressentait cela c’était aussi parce qu’il n’était pas indifférent à son sort, du moment qu’elle était dans le groupe.

[Voyageuse]

" Hum..."
L'aubergiste fronça les sourcils, pensifs.
" L'auberge est pleine, il y a plusieurs convois qui sont en route pour Luménis. Mais il ne faudrait pas qu'elle tombe sur n'importe qui... Là, dans ceux qui sont encore debout... Il y a une troupe de comédiens ambulants par exemple, sur votre droite, mais je ne les connais pas suffisamment. Il vaut mieux se méfier..."
Ilona haussa un sourcil, et se tourna à demi vers la table indiquée.
" Vous pensez qu'il pourrait y avoir des gens peu recommandables parmi eux ?Ils ont l'air sobres, en tout cas...
- Être sobre ne garantit pas l'absence de mauvaises intentions, répondit l'aubergiste. Non, je vous conseille plutôt des marchands. Il y en a que je connais bien, qui font la route une fois par veille. Je pense au vieux Siméon, par exemple, qui transporte de la laine... Ou bien Anita, qui négocie du bois de chêne sur pied. Ils accepteraient certainement de vous prendre avec eux, Siméon contre un peu d'aide au déchargement, ou Anita contre une petite pièce. Mais ils sont déjà tous montés se coucher à cette heure-ci. Il faudra qu'on voie ça demain... et que vous vous leviez très tôt, parce qu'ils partent à l'aube.
- Je comptais me lever tôt", répondit la jeune fille.

[Kmir Tailleroc]

« Très bien. Nous aussi, nous devrons nous lever tôt. Nous règlerons cette histoire de transport avec vous et ces marchands, Ilona, puis nous partirons. »
Kmir remercia à nouveau l’aubergiste, qui était bien aimable, puis il se consacra à vider son assiette, ainsi qu’un ou deux verres. Un tout petit peu d’alcool dans le gosier, ça faisait partie de ses habitudes.
Ensuite, une fois en haut, il n’oublierait pas de conseiller à la jeune fille de fermer à double tours sa porte, au cas où Sven ait une mauvaise idée, puis il serait grand temps de se coucher.

[Voyageuse]

On lui avait servi de la bière, blonde et légère, certainement trop douce pour un gosier de snifverblin, mais c'était la boisson locale apparemment. Quant aux cailles, accompagnées de pommes au four, elles étaient délicieuses.
Bruno n'était guère plus bavard que lui, et Ilona se chargea de faire la conversation d'un ton joyeux, discutant de ses projets à Luménis, du plaisir de connaitre l'animation de la ville, et se satisfaisant apparemment de leurs maigres réponses. Ils montèrent se coucher sitôt le repas terminé, fatigués par leur longue chevauchée. Kmir nota que Ilona montait les escaliers d'une démarche un peu raide. Les soudards, quant à eux, étaient toujours au bar, mais leurs verres étaient vides et l'aubergiste ne semblait pas pressé de les resservir.
" Vous pourrez frapper à ma porte demain matin ? Je ne suis pas sûre de savoir me lever avant l'aube..."

[Kmir Tailleroc]

« Nous ferons ça, oui, Ilona. Et n’oubliez pas de vous enfermer à double tours. Passez une bonne nuit. »
Kmir attendit que la jeune femme eut disparue dans sa chambre avant de pénétrer dans celle qu’il allait partager avec Bruno. En fait, il allait même partager le lit. Peu lui importait, il ne tenait pas beaucoup de place et il ne bougeait pas dans son sommeil.
Il pria Timora, se déshabilla et se coucha, sans guère aligné plus de trois mots. Ses armes restaient à peu de distance, au cas où il devait s’en saisir rapidement.

[Voyageuse]

Bruno ne parla pas davantage, s'allongea de son côté du lit en lui tournant le dos, et s'endormit presque aussitôt. Lui aussi avait gardé ses armes à portée de main, mais nul incident ne vint perturber la nuit. Ils se réveillèrent le lendemain avant l'aube, toquèrent à la porte de leur jeune voisine, et se retrouvèrent rapidement attablés devant un bon petit déjeuner où Ilona les rejoignit rapidement.
Ils eurent la surprise de voir apparaître également une connaissance de Bruno, croisée deux jours plus tôt : la dénommée Emma, marchande de minerais de son état, qui s'était montée si curieuse de connaître la raison de leur voyage. Elle se dirigea droit vers leur table, et s'installa sans façons à côté de Kmir.
" Je savais bien qu'on se retrouverait en route, s'exclama-t-elle. Mais vous êtes trois maintenant ? Elle s'intéresse aussi aux parchemins, cette jeune fille ?"
La jeune fille en question ouvrit des yeux ronds et se tourna vers Kmir.
" Des parchemins ? Vous m'avez parlé de pierres et de vins...
- Ah, je savais bien qu'il y avait des pierres précieuses dans cette histoire !"

[Kmir Tailleroc]

Kmir haussa les épaules.
« Décidément, les femmes... » soupira-t-il, l’air de dire qu’elles étaient trop curieuses.
Puis, passant à un autre sujet, espérant ainsi l’effacer d’une pirouette, il déclara :
« Cette demoiselle ici présente doit gagner Lumenis. Nous ne pouvons pas nous en charger, alors si vous, Madame, allez bien dans cette direction, peut-être pourriez-vous lui rendre se service. Je gage qu’elle vous en sera reconnaissante, et nous aussi. »
En vérité, ayant servi des demi vérités et des mensonges, l’union d’Emma et d’Ilona pouvait le confondre dans ses mystifications. Et il ne fallait pas compter sur Bruno, il avait du mal à formuler le moindre mensonge sans rougir. Et c’était... enquiquinant.

[Voyageuse]

Emma observa la jeune fille d'un oeil critique.
" Ca doit pouvoir se faire... Qu'est-ce que vous allez faire à Luménis ?
- Juste trouver du travail... avec ma cousine, expliqua Ilona. Elle travaille chez une sorte d'aristocrate...
- Une servante pour une richissime maison... Bah... Pourquoi pas, fit Emma avec une brève lueur d'intérêt dans les yeux, qu'elle masqua d'un haussement d'épaules, avant de froncer les sourcils en se tournant vers Bruno. Mais vous aussi vous allez à Luménis, donc pourquoi vous débarrassez-vous d'elle ainsi ?
- On n'a que deux chevaux, répliqua Bruno d'un ton bourru.
- Il fut un temps où ça ne t'aurait pas arrêté, bien au contraire..."
Bruno devint instantanément écarlate et son ancienne voisine éclata de rire.
" C'est bon, je n'insiste pas. Ca me semble juste... suspect... donc intéressant. Mais passons. Je ne voyage pas seule, en revanche, je suis avec des saltimbanques... Mais ils sont tout à fait corrects, ne vous inquiétez pas.
- Je ne m'inquiète pas..., répondit Ilona.
- Alors marché conclu. Ne vous en faites pas, ils diront oui."

[Kmir Tailleroc]

« Très bien », conclut simplement Kmir, qui n’était pas disposé à satisfaire la curiosité d’Emma ou de l’autre demoiselle.
Nul doute qu’entre elles, il y aurait mille hypothèses, mais en attendant, le gnome et son compagnon seraient loin, libres de nouveau d’aller à toute allure rejoindre Lumenis. D’ailleurs, plus vite ce petit déjeuné serait fini, plus vite le galop aurait commencé, mieux ce serait.

[Voyageuse]

Le déjeuner ne s'éternisa pas. Bruno était au moins aussi pressé que lui d'arriver à Luménis. Ils payèrent la somme demandée - une pièce d'or par chambre, que Bruno insista pour payer en totalité- et récupérèrent rapidement leurs affaires. Emma, pendant ce temps, avait pris en charge Ilona. Les saltimbanques avaient enfin fait leur apparition à la table du petit déjeuner, et elle se chargea de la conduire auprès de leur chef, un halfelin d'âge mûr affichant un sourire jovial. Mais la suite du voyage d'Ilona n'était plus vraiment de leur ressort, et ils se contentèrent donc de saluer brièvement les deux jeunes femmes avant de partir.

Sitôt en selle, Bruno mit leurs montures au galop, décidé à profiter du calme des heures matinales. L'étape du jour était particulièrement longue, à l'entendre. L'aube pointait tout juste, saluée par des myriades de chants d'oiseaux, et leurs chevaux filèrent comme le vent, ivres de vitesse et d'air frais. Ils croisèrent leur premier chariot au bout d'une heure, et en doublèrent un autre un peu après, sans même ralentir. Puis, peu à peu, la route se remplit de marchands conduisant leurs carrioles, de marcheurs armés de bâtons, d'ânes récalcitrants et de cavaliers. Ils furent contraints de passer au trot, puis au pas, sous une chaleur de plus en plus écrasante. Les heures les plus chaudes de la journée les contraignirent à une pause, pour ne pas épuiser et déshydrater leurs bêtes, mais Bruno ne leur accorda que le strict nécessaire et ils reprirent bien vite un trot régulier.
Malgré leur rythme soutenu, la nuit tombait lorsqu'ils arrivèrent enfin en vue du village de Dargyll.

HRP : la suite à Dargyll...

[Galathée]

Alerte mélo !
Lecteur/rice, poursuis à tes propres risques. Le taux de particules mélodramatiques est sur le point d’augmenter férocement dans les posts à venir, et ce pendant un certain temps. L’auteure décline toute responsabilité en cas d’overdose.


Pendant un moment, Albérich et Hubert demeurèrent là, immobiles, à contempler la route. Le prêtre ne voyait plus que des ombres et, non loin, sur leur droite, les lumières d’un bâtiment de belle taille. Le paladin, de son côté, parvenait sans doute à distinguer jusqu’au moindre caillou. Le ciel était couvert, le vent piquant, et Albérich relâcha sa respiration, blanche, dans l’air nocturne. Il faisait froid, le printemps jouait à cache-cache, discret dès le crépuscule. Puis Grand Vent s’ébroua et ils quittèrent la campagne pour regagner la civilisation.
Quelques toises plus loin se dressait La Douce Etape, l’auberge où ils espéraient pouvoir passer la nuit. Derrière eux, à une journée de cheval, se trouvait Antelucas. Albérich songea à Giovanni, qui aurait sans doute été outré d’apprendre qu’ils étaient descendus aussi loin dans le sud sans passer par sa cité favorite. La pensée de Giovanni mena à Thibault et il se sentit soudain très fatigué. Il faudrait chérir les souvenirs bénis de ces dernières veilles, une accalmie avant d’autres tempêtes.
Ils démontèrent dans la cour du vaste bâtiment puis Albérich entra tandis qu’Hubert demeurait auprès de leurs chevaux. La salle de l’auberge était à moitié vide, signe qu’ils trouveraient sans peine à se loger, ce que lui confirma la tenancière. Il constata avec un sourire intérieur qu’il n’éprouvait plus la moindre gêne à demander une chambre pour deux. Hubert entra peu après, leurs affaires sur l’épaule, et ils gagnèrent leurs pénates avant de redescendre dîner. La faune dans la salle était mélangée, tous des voyageurs, surtout des hommes d’âge moyen, comme l’étaient les Lathandrites. Une serveuse souriante surgit rapidement à côté de leur table, décochant des œillades à Hubert, un effet dont Albérich ne s’émouvait plus jamais, et que le paladin, généralement, ignorait avec aplomb. Mais ce soir-là, pour la première fois, Albérich le découvrit embarrassé, fuyant, et envoyant, contre toute attente, un signal ambigu à la jeune femme, qui redoubla de papillonnements. Hubert semblait brusquement privé de parole et le prêtre dut gérer la majorité des échanges. La jeune femme les laissa heureusement manger sans leur tourner autour mais ne cacha pas sa déception lorsqu’ils gagnèrent leur chambre dès la fin du repas.
Une fois couché, Albérich dut se mordre la langue pour ne pas provoquer la confidence. Hubert se retournait dans ses draps, nerveux, et puis, soudain, il apparut dans son lit, cherchant une étreinte. Elle eut lieu en un éclair, presque forcée par une urgence que le prêtre n’avait plus rencontrée depuis les pires jours à Clairétoile. Hubert fut ensuite confus, s’excusa, essaya de repartir vers sa propre couche, mais Albérich l’en empêcha.
« Maintenant, c’est le moment où tu me parles. » exigea-t-il, remisant ses bonnes résolutions.
Hubert gémit.
« Hubert. »
Il entendit une profonde inspiration, puis le paladin frémit.
« Caronis dit que je dois avoir des enfants. Pour transmettre mon sang. Mon pouvoir. Que ça fait partie de ma mission. »
Albérich ferma les yeux et pinça les lèvres. Le fin mot de l’histoire. Simple et douloureux.
« Tu as envie d’avoir des enfants ? demanda-t-il.
— Non.
— Alors la chose est réglée. » trancha-t-il.
Hubert demeura silencieux. La chose n’était évidemment pas du tout réglée. Albérich ne l’avait pas vraiment espéré. Il comprenait le trouble de son ami, quelque part, mais dans le même temps, c’était proprement intolérable. Etait-ce qu’avait sous-entendu le Planétar, à Evendum ? Non. Il avait parlé de voies divergentes mais de lumière, aussi. Bien sûr, Lathandre était le dieu de la fertilité et de la naissance… mais il les avait soutenus. En personne.
« Avoir des enfants, ce n’est pas juste un calcul, murmura-t-il. Et les demi-célestes n’ont pas de quart-célestes. Caronis n’y comprend rien.
— Il a parlé d’aasimars, dit Hubert. Et tu sais qu’il a raison, sur ce point. Ma lignée… si j’avais une lignée… tôt ou tard… Il y aurait des aasimars. »
Albérich couvrit son visage de ses mains.
« Tu n’es pas un étalon reproducteur.
— Je sais. »
Le paladin le serra contre lui, vivement.
« Je ne sais pas jusqu’où va mon devoir.
— Il ne va pas jusque là. Tu donnes déjà toute ta vie, et tu vas donner encore davantage, pendant des années et des années. Ton devoir ne va pas jusque là. »
Est-ce que je prêche pour ma chapelle ? se demanda-t-il insidieusement.
« Qu’imaginais-tu ? Semer aux quatre vents ? Te trouver une femme et lui faire dix marmots ?
— Je n’imaginais rien. Ne te mets pas en colère. C’est toi qui m’as forcé à en parler. »
Albérich relâcha brusquement sa respiration. Hubert avait raison : il était furieux. Comment cet imbécile de vieux prêtre avait-il pu charger le paladin d’un poids aussi absurde ?
A côté de lui, Hubert bougea puis l’embrassa doucement sur les lèvres.
« Albérich. Cela ne change rien à ce que je ressens pour toi, tu le sais, n’est-ce pas ? Et je ne n’envisage pas de… je ne pourrais pas… Tu n’as rien à craindre. C’est juste… troublant. »
Le prêtre réalisa qu’Hubert était venu chercher du réconfort auprès de lui et qu’au final, les rapports s’étaient inversés, que c’était le paladin qui devait le rassurer.
« Excuse-moi. Je comprends… je comprends que ce soit déstabilisant. Mais je pense que… ce n’est pas sérieux.
— Je sais. » murmura Hubert en l’embrassant de derechef.
Ils s’étreignirent avec force. Albérich chercha quelque chose à ajouter mais ne trouva rien et contre toute attente, Hubert s’endormit peu après, comme soulagé d’avoir transféré son angoisse sur son compagnon. Le prêtre demeura éveillé. Cette histoire était vraiment, complètement, totalement absurde. N’importe qui aurait pu le dire. Mais dans le même temps… Il pouvait comprendre ce qu’avait suggéré Caronis, un combat contre l’ombre renforcé par la lumière d’ailleurs, le potentiel céleste dans l’existence même d’Hubert. Mais à ce prix-là, n’aurait-il pas mieux valu qu’il soit enfermé dans une cage dorée, à l’abri ? C’était ridicule et cela ne valait pas une nuit blanche.

[Galathée]

Albérich dormit peu et à l’aube, après ses prières, lorsqu’il enfourcha à nouveau Printemps, il était si vaseux qu’il dut lever sa fatigue d’un sortilège, sous peine de tomber de selle. Hubert paraissait mieux reposé mais lui jeta un regard inquiet, peut-être embarrassé de lui avoir gâché sa nuit.
Ils cheminèrent à vive allure pendant près d’une lieue et reposèrent ensuite leurs montures tandis que le soleil perçait valeureusement au travers des nuages. Il leur faudrait sept jours, à un bon pas, pour atteindre la Ronde, puis une petite journée pour gagner la lisière de la forêt. Ensuite, il ne leur resterait plus qu’à remonter jusqu’à Respelm, avant d’entrer dans les bois. Albérich avait bon espoir qu’ils demeurent anonymes jusque là. A Respelm, ils avaient prévu de s’arrêter au Temple, où officiait Aidan, un prêtre qu’il connaissait bien, et sans doute ne pourraient-ils pas complètement éviter que la nouvelle de leur présence se répande. Une fois revenus de leur périple dans la Forêt, ils remonteraient vers Luménis et s’arrêteraient dans un village à environ une journée de la cité, probablement Tournebride, où vivait Léoric, le frère cadet d’Hubert. Là, Albérich abandonnerait son compagnon pour monter vers Luménis, juste quelques jours, le temps d’aller saluer Alaric, de lui relater Clairétoile en détails, sans omettre le pire. Il semblait nécessaire, chaque jour plus nécessaire, que des alliés soient au courant des détails de l’aventure, au cas où une catastrophe se produisait dans les Landes. Ensuite, il ne leur resterait plus qu’à remonter vers Clairétoile… avec peut-être un passage par Eredhun, en fonction du temps qu’il leur restait. Ils avaient prévu de rentrer à l’automne et l’été n’avait même pas commencé. S’ils revenaient trop vite aux Landes, nul doute qu’Hubert aurait le désir de transformer leur voyage en grande chasse aux morts vivants. Même s’il en voyait l’usage, Albérich n’était pas très motivé. Thibault et Giovanni étaient à Eredhun : cela valait amplement le voyage.
Le printemps se montra frivole, ce jour-là. Il plut par moments, en ondées brutales, puis le soleil revint, forçant les voyageurs à une gymnastique vestimentaire des plus agaçantes. Exposé sur la route, Hubert ne se dépouillait pas de sa cape, dissimulant ce qui ne pourrait bientôt plus l’être. Comme les plantes, ses ailes semblaient profiter de la saison pour se développer avec vélocité. Albérich avait même l’impression que c’était un effet du soleil, ce qui n’était pas complètement absurde.
A la mi-journée, ils quittèrent la piste principale pour trouver un coin plus isolé, à l’abri d’un dédale de haies, et procéder à un rapide entraînement avant le repas. Hubert libéra ses ailes, revêtit l’armure adaptée que lui avaient forgé ses frères et son père et Albérich ceignit son propre matériel. Tant sa masse que son bouclier avaient subi une réfection, mais il n’en était pas plus doué. Ensuite ils s’assirent pour manger, un peu plus silencieux que d’ordinaire, mais un peu plus tactiles aussi.
Puis la route reprit.
Et elle se poursuivit pendant des jours et des jours, sans incident notable. Ils partagèrent la piste avec des marchands et des messagers, des voyageurs et des artistes itinérants, qu’ils croisèrent matin et soir, dans les auberges, suivant leur vitesse de déplacement. Pendant une journée tranquille, ils cheminèrent avec un prêtre de Chauntéa qui leur apprit à agrémenter leur ordinaire en profitant des largesses de la nature, un autre jour, ils réglèrent leur train sur celui d’une patrouille de gardes anteluciens. En cette saison, malgré les averses, ils n’étaient jamais seuls : il y avait toujours un groupe devant, un homme isolé derrière, ou l’inverse, un chariot, une caravane, des cavaliers, des randonneurs. Ils traversaient des hameaux, s’arrêtaient dans certains, allaient parfois frapper à la porte d’une ferme pour acheter des œufs ou du lait, cueillaient des cerises et de la menthe, pêchaient dans les ruisseaux (surtout Hubert), se couchaient dans l’herbe pour regarder le ciel. Ils s’esquivaient quand c’était possible pour combattre un moment, Hubert battait des ailes comme un jeune faucon se préparant pour l’envol, puis ils repartaient.
Ils n’abordèrent plus la question d’un enfant. La nuit, ils se serraient dans un de leurs deux lits pour profiter de la chaleur de l’autre, libres et heureux. Le jour, ils se contentaient de sourires et de regards entendus. Ils priaient Lathandre, échangeaient des souvenirs, songeaient à Clairétoile qu’Albérich contactait, par magie, une fois tous les deux jours. Au quatrième jour, les montagnes qui les avaient accompagnés, dans le lointain, à l’est, disparurent subitement pour céder la place à la forme noire de la Forêt Maudite, très proche, et Albérich sentit un poids se poser sur ses épaules, sans pouvoir rien faire pour le repousser. Il s’en défia, cependant, gardant les yeux sur les fleurs, les papillons, la luxuriance immédiate de la nature autour de lui. Peu à peu, il retrouva un semblant de sérénité.
Ils prirent un jour de retard en fin de parcours, lorsqu’ils s’écartèrent de la route pour porter main forte à une communauté aux prises avec une âme en peine échappée de quelque caveau. La repousser, trouver sa source, la détruire définitivement, le tout prit un peu moins de deux heures, mais ils ne purent se dérober aux désirs de fête des villageois et restèrent avec eux pour la soirée. Ils arrivèrent finalement au pont sur la Ronde le premier jour de la troisième veille de Mirtul. Le pont impressionnant qui la franchissait était, comme toujours, encombré, et ils patientèrent dans la file, peu pressés.
« Le type qui a construit ce pont n’était quand même pas très visionnaire, finit par dire Hubert. Quelle idée, de bâtir un bazar aussi énorme, pour le faire aussi étroit.
— Il manquait sans doute de pierre.
— On voit que l’influence naine n’est pas venue jusqu’ici, surtout.
— Tôt ou tard, Luménis et Antelucas y remédieront. Le commerce est critique pour l’un comme pour l’autre.
— Tu oublies la mer, Albérich, la mer.
— Aussi près des côtes manostiennes ? Il y aura toujours une partie du transit par voie de terre. La plus critique. Mais en restreignant le passage ici, c’est une manière de garder le contrôle sur ce qui s’achemine… et de collecter des taxes, accessoirement.
— Ah… Tu penses que c’est voulu, en fait.
— Hum. Sans doute que oui, au départ. Mais le trafic était sûrement moins dense il y a un siècle. Tu verras, ils y remédieront. »
Quand ils purent enfin traverser, ils prirent immédiatement vers l’est, sur une piste secondaire, qui reliait la route principale aux hameaux qui s’échelonnaient le long de la Ronde.

[ZOLTAN]

Edit : en provenance de Luménis.

D'aucun dirait que Rufie manquait cruellement de lucidité dans le domaine de la création artistique, ou alors qu'il savait des choses que d'autres ignoraient. En fait il avait bien réagi car un sort de silence n'aurait eu aucun effet. Pabon n'était pas sensible à ce sort, pouvoir atavique? ou plus vraisemblablement, un effet de son médaillon. Personne ne le savait, son Papou avait bien essayé auparavant, sans succès.

En attendant même les moustiques priaient leur dieu Bizzbizz de faire cesser ce tintamarre. Certains promettaient de boire un grand bol de citronnelle pour un arrêt total de cette torture.
Certains bardes que l'on appelait bouffons, auraient expliqué à Pabon comment diriger les effets dévastateurs de ses chants uniquement vers ses ennemis, mais voilà, Pabon manquait cruellement de pygmalion ou de critique avisé pouvant le corriger un tantinet. Un tantinet beaucoup, un gros gros tantinet. Son manque d'amis serait-il concomitant à ses prestations vocales?

Essoufflé mais joyeux il décida de calmer son récital et d'en finir par une comptine nostalgique que lui chantait sa Mamou:

Fais dodo, Pabon, ma p'tit' sauterelle,
Fais dodo, t'auras du lolo ;

Mamou est en haut Qui fait du gâteau,
Papou est en bas Qui fait du chocolat ;

Fais dodo, Pabon, ma p'tit' Sauterelle,
Fais dodo, t'auras du lolo.

Certains animaux un peu trop lents pour échapper aux effets soporifiques dévastateurs du chant décidèrent de commencer leur hibernation immédiatement, les tortues par exemples. Les poneys zigzaguaient de manière inquiétante et Rufie avait lui-même l’œil un peu glauque.

Pabon découvrit que le paysage avait changé. Il était heureux, tout ce passait bien.

- C'est la route d'Antelucas, chouette, j'y suis déjà passé avec les bateleurs, ils avaient presque réussi à me perdre en jouant à cache-cache, c'était drôle, on arrive quand, Rufie ?

[Kasumi]

Rufie sortit de sa transe et se secoua avant de tourner un visage joyeux vers son compagnon de route :

- Oh, le voyage ne devrait pas durer plus de deux jours ! Ces poneys sont de braves coursiers : les longues jambes ont souvent tendance à les sous-estimer.

A en juger par la position du soleil dans le ciel changeant, la demi journée devait être dépassée. Signe plus fiable encore, l'estomac de Pabon gargouilla encore plus bruyamment que son récital.

[ZOLTAN]

- T'as pas faim ? Moi si, ça creuse de chanter, pas vrai ? J'ai rien à manger, mais si tu veux je peux chasser et il y a plein de buissons avec des baies le long de la route. C'est pas un problème, sauf pour la chasse, t'as remarqué qu'il n'y a plus d'animaux depuis un moment ? C'est un peu bizarre non ?

Pabon était très observateur, à défaut d'être prévoyant. En attendant la réponse de Rufie il caressa vigoureusement l'encolure de son poney en essayant de lui attraper l'oreille. Le poney n'avait pas l'air rassuré par cette gentille attention de Pabon, mais subit stoïquement l'épreuve, le courage des poney est bien connu.