[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer

[Chandara]

Chandara fut tout d'abord subjuguée par cette scène et le toupet dont faisait montre le garçon - clairement une provocation éhontée de plus ! - mais elle ne put s'empêcher - une nouvelle fois - de rire aux éclats. Toujours hilare, elle ajouta après s'être un peu reprise :

- Elégance que tu caches bien sûr sous une couverture ! Je note que tu t'empresses de ne pas te montrer sous ton meilleur jour en compagnie d'une Sunite. Enfin, ce qu'elle considère comme tel. C'est prudent cela dit.

[Taliesin]

Il acquiesça vigoureusement.
-En effet. Sinon, vous me conduiriez dans l'instant à Antelucas, ou les peintres, les sculpteurs, les poètes et les musiciens se presseraient par milliers auprès de ma personne pour me dédier des fresques, des statues, des poèmes et des symphonies, au point de faire de moi la nouvelle figure tutélaire de la cité... Or, comme je suis profondément modeste, je n'ai aucun désir que tout cela advienne.

[Chandara]

La verve et le sens de la répartie du jeune homme plaisaient décidément beaucoup à Chandara qui ne se départit pas de son sourire amusé. Elle décida de jouer son jeu en répondant avec le plus grand des sérieux - totalement feint - :

- Oh, mais il est déjà trop tard : Sunie m'a permis de te trouver ! Et maintenant qu'une Sunite t'a repéré, tous les artistes d'Antelucas - que dis-je ! - tous les artistes d'Helonna seront dûment averti de ton existence. Et si tu ne viens pas à eux, ils te poursuivront sur les routes pour venir à toi. Non, il sera plus sage et plus reposant pour toi de te rendre à Antelucas... Rassures-toi, cela ne devrait pas prendre plus de dix ou vingt ans avant que leur inspiration créatrice te concernant ne commence à s'estomper.

[Taliesin]

-Dix ou vingt ans ? Un siècle, plutôt. Que dis-je : un millénaire. Au bas mot. Or, j'ai d'autres projets pour cettte période.
Sourire en coin.
-Tant pis pour ces artistes et pour leur ville : je continuerai ma vie d'errance et bien malin à qui parviendra à me mettre le grapin dessus. Je pense honnêtement qu'il n'est pas encore né.

[Chandara]

Chandara lui retourna également un sourire en coin avant d'affirmer haut et fort :

- Le beau se trouve un peu partout où ma déesse pose un regard et un artiste n'est alors jamais loin : il te faudrait vraiment d'exiler bien loin pour réussir à les éviter : preuve en est, il m'a suffi de suivre une route au hasard pour trouver ton chemin et te mettre le grappin dessus !

Et de faire un nouveau pas en avant comme pour concrétiser l'affirmation.

[Taliesin]

-Me mettre le grapin dessus ? Allons, madame, daignez envisager les faits avec objectivité ! Dès lors, vous ne pourrez que reconnaître que, dans ma grande mansuétude, dans mon ineffable générosité, c'est moi qui ait choisi de vous laisser profiter de mon auguste présence. Si j'avais voulu qu'il en soit autrement, il m'aurait suffi de me rouler dans la boue, de me revêtir de frusques crasseuses, de m'accoquiner avec des puces, des poux et autres vermines du même accabit ! D'ailleurs, c'est cette solution simple et pratique que j'utiliserai, au cas où des artistes s'intéresseraient trop à ma divine personne...

[Chandara]

Sourire carnassier.

- Et tu commettrais là une erreur stratégique : quoiqu'on en dise, nous autres Sunites savons voir au-delà des apparences et surtout détecter les belles frimousses même sous les couches de crasse ! La seule chose que tu gagnerais serait de me faire redoubler d'efforts pour t'apprêter et réaliser ton potentiel. Tu n'as qu'à voir comment les gens s'endimanchent en notre présence : soit pour s'attirer notre faveur, soit au contraire pour que nous ne les assommions pas de conseils assidus et zélés !

[Taliesin]

-En somme, ce que vous faites régner sur la ville, ce n'est autre qu'une sorte de terreur !
Il croisa les bras, releva le menton.
-Eh bien moi, je ne cèderai pas ! Je m'élèrai au contraire contre vos diktats ! Je me ferai le chantre des tenues négligées ! De la saleté ! Et par tout Helonna, les gens se lèveront pour marcher dans mes pas !

[Chandara]

Cette fois, Chandara simula une expression de tristesse, écrasa une larme de crocodile et répondit d'une voix exagérement peinée :

- Tu... Tu me trahirais vraiment alors ? Si tu préfères des vêtements crasseux, c'est que la tenue que je t'ai offerte ne te plait plus ? Je trouvais qu'elle t'allait si bien pourtant !

[Taliesin]

Le visage de Quentin se décomposa immédiatement et il se fendit d'un fort significatif reniflement.
-Alors... Alors c'est comme ça ? Je suis enfin assez en confiance avec vous pour oser me livrer un peu plus, pour oser vous faire part de mes aspirations les plus profondes et... et vous... Vous essayez de me faire culpabiliser ?
Il se frotta les yeux, comme s'ils étaient tout près de déborder de larmes.
-C'est tellement cruel...

[Chandara]

Un beau sourire reprit aussitôt sa place sur le visage de Chandara qui n'était - une fois n'est pas coutume - pas dupe de cette tentative par trop évidente de l'apitoyer :

- Bien au contraire : maintenant que tu te confies un peu plus, je peux enfin tenter de te ramener sur le droit chemin de l'élégance et du bon goût ! Non, la crasse ne te convient décidément pas : tu es comme un diamant brut qu'il convient d'extraire de sa gangue et de polir soigneusement.

[Taliesin]

En une fraction de seconde, Quentin retrouva son attitude coutumière.
-Nous en revenons là au point de départ de notre discussion : si je me révèle dans toute ma splendeur, je serai aussitôt entouré d'une foule d'artistes, d'admirateurs, de dévôts qui, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, me proclameront empereur d'Helonna. Que dis-je, de Toril. Or, la modestie et la discrétion faisant partie de mes inombrables qualités, je ne saurais accepter pareil destin. Je vais donc rester caché dans ma gangue et je me contenterai, parfois, quand cela sera nécessaire pour le bien commun, d'en laisser sortir un éclat de ma magnificence pour égayer et embellir le monde.

[Chandara]

Chandara sourit à nouveau et changea de stratégie :

- Egayer et embellir le monde est exactement la mission sacrée qui nous est confiée ! Les paladins n'aspirent pas au pouvoir mais je gagnerai un grand prestige à avoir découvert et aidé le Prétendant au trône impérial de Toril ! Mon premier conseil est donc de l'envoyer se reposer car il aura fort à faire dès demain matin. Alors si sa Seigneurie voulait bien se mettre au lit, je lui en saurai gré !

[Taliesin]

Il devint soudain très sérieux.
-Oh, vraiment navré : je vous oblige à veiller jusqu'à des heures indues... Mais je vous en prie, allez donc dormir. Je le ferai également sitôt que j'aurai terminé de ranger ce qui doit l'être.
Et, avec un léger sourire en coin, il alla récupérer la bouilloire.

[Chandara]

Chandara leva ostensiblement les yeux au ciel en prenant conscience de la façon dont le garçon entendait présenter la situation à son avantage : c'était comme s'il avait peur d'être un simple enfant en sa présence - ce qu'il n'aurait jamais dû cessé d'être si les circonstances lui avaient été moins rudes. Elle se leva pour enfiler une tunique sèche et l'aider à ranger leur petit campement : ainsi les apparences seraient sauves et ils ne paieraient pas leurs excès le lendemain matin.

[Taliesin]

Ce prime échec aurait pu les décourager : après tout, ils avaient fait un long trajet pour examiner ce site qui semblait si bien correspondre à celui figurant sur l'intrigante carte découverte aux abords de Bordeleaux. Or, malgré l'indéniable ressemblance, ils avaient fait chou blanc.
Toutefois, leurs recherches à la capitainerie leur avaient permis d'identifier un second lieu, situé plus au nord-est. Ils conservaient donc un espoir autant qu'un objectif et, sitôt le matin venu, ils se remirent en marche, bien décidés à éclaircir ce mystère.
Les jours suivants furent fatigants : la chaleur était étouffante, malgré les violents quoique brefs orages qui éclataient de temps à autre, tandis que le terrain se faisait de plus en plus accidenté au fur et à mesure qu'ils s'approchaient de la région connue sous le nom de Falaises du Sud. Autre changement notable : la nature des récits entendus lorsqu'ils faisaient halte dans des auberges - ce qui n'était pas le cas tous les soirs, les villages étant très espacés les uns des autres. En effet, davantage encore que précédemment, il était question de pirates, de bateaux fantômes, de cités ou de trésors engloutis...
De quoi stimuler l'imagination !

[Chandara]

Du point de vue de Chandara, ces quelques jours de voyage renforcèrent encore les liens de complicité tissés avec Quentin et il sembla qu'il appréciait tout autant qu'elle les histoires qu'ils pouvaient entendre et glaner lors de leurs haltes vespérales. La paladine n'éprouvait par ailleurs qu'une certaine impatience curieuse en approchant du deuxième lieu potentiel qu'ils avaient identifié : elle s'était douté que la démarche ne serait pas facile et ces jours supplémentaires passés à superviser le jeune musicien étaient un signe de plus que Sunie approuvait la relation qui avait vu le jour entre eux.

[Taliesin]

Ils étaient presque arrivés.
Presque.
D'après leurs estimations, le site qu'ils recherchaient n'était plus qu'à quelques heures de marche le long de cette côte accidentée où les falaises le disputaient aux criques sauvages et aux plages cachées.
Mais, auparavant, la route qu'ils suivaient les amènerait à traverser une bourgade dont ils pourraient éventuellement faire leur camp de base, si des trajets quotidiens conséquents jusqu'au lieu des fouilles ne les gênaient point.
La bourgade en question, Mornécume, différait sensiblement de celles qu'ils avaient visitées jusqu'ici. Certes, c'était un port relativement modeste, mais ses hautes maisons de pierre à pignons et tourelles, recroquevillées les unes contre les autres et entourées d'un mur d'enceinte, semblaient d'allure fort ancienne. Beaucoup donnaient par ailleurs l'impression de se tenir en équilibre précaire entre terre et mer, d'être toutes prêtes à quitter la première pour sombrer dans la seconde. On en venait même à se demander si une partie de la petite cité n'avait pas, déjà, subi ce sort funeste...

[Chandara]

Le panorama et la cité pittoresque avait suffisamment piqué la curiosité naturelle de Chandara pour qu'elle suggère de chercher à visiter les lieux et d'y trouver à s'y loger le temps de leurs recherches. La paladine ne s'était certainement pas attendue à trouver pareil endroit après des semaines passées en pleine nature mais c'est bien là ce qui faisait le sel des voyages : l'inconnu et la découverte. La jeune femme se tourna vers Quentin et lui demanda avec intérêt si ses pérégrinations l'avaient déjà poussé dans ce lieu et s'il en connaissait des anecdotes. Voilà qui pourrait encore agrémenter le trajet les séparant des murs et de la prochaine auberge !

[Taliesin]

-Il me semble bien, oui, répondit Quentin.
Il fronça les sourcils, concentré.
- Si je ne dis pas de bêtise, la légende veut que ce village soit tout ce qu'il reste d'une cité beaucoup plus grande que les flots auraient submergée... Elle précise même qu'une fois par an, à la date anniversaire de ce cataclysme, on pourrait entendre, montant du fond de la mer, le son sinistre de ses cloches englouties.

[Chandara]

Voilà qui était fort intriguant ! Les histoires et les légendes les plus efficaces étaient assurément celles qui collaient le mieux au décor et semblaient y exploiter une part de vérité. Chandara n'avait aucune difficulté à imaginer ce que quentin venait dévoquer, une ville plus grande mais grignotée peu à peu et dont les prochaines maisons étaient déjà menacées. Son regard se tourna vers le rivage alors que son imagination bouillonnait sur les dernières toises les séparant des portes de la bourgade.

- Il faudra que nous nous renseignions là dessus ! Avec beaucoup de chance, nous sommes arrivé au moment de cet anniversaire et nous pourrons vérifier la légende. En tous cas, j'aime les traditions pittoresques !

[Taliesin]

-Moi aussi, acquiesça Quentin. Cependant, je ne suis pas certain d'aimer l'idée que notre arrivée puisse coïncider avec l'anniversaire du cataclysme légendaire : cela ferait trop comme dans les histoires et cela risquerait d'augurer... d'incidents susceptibles de compliquer nos recherches.
Il sourit.
-Mais vu votre passion pour l'eau, je suis certain qu'anniversaire ou pas, vous aurez envie de plonger pour rechercher les ruines de la cité engloutie !

[Chandara]

Une nouvelle fois, Chandara put constater que le jeune garçon n'avait pas sa langue dans sa poche et elle s'en amusa :

- Oh, je sais aussi refréner ma curiosité lorsque le devoir l'exige : notre quête de l'endroit désigné par la carte est plus importante pour le moment. C'est vrai qu'on ne sait jamais quand Sunie mettra une opportunité sur notre chemin de découvrir quelque merveille oubliée ! Cependant, partir en quête d'une cité sous-marine nécessite plus de préparation qu'une baignade nocturne.

A l'approche des portes, elle prit les devants, fièrement montée sur une Lune de Miel pimpante mais qui attendait d'être bouchonnée et nourrie convenablement après ces jours passés en pleine nature.

[Taliesin]

-Et c'est tant mieux ! répliqua Quentin, espiègle.
Peu après, ils franchissaient les portes de Tristécume.
En ces chaudes heures du milieu d'après-midi, alors que le soleil planait encore haut dans un ciel sans taches, il n'y avait pas foule dans la grand rue, ni dans les allées plus ombreuses qui s'en écartaient, et les sabots de leurs montures résonnaient étrangement fort sur les pavés usés. Ainsi n'avaient-ils croisé - et salué - que quelques badauds lorsqu'ils atteignirent une petite place où l'on voyait l'enseigne quelque peu fanée d'une auberge.
"La dernière escale", se nommait-elle.

[Chandara]

Chandara était impatiente de prendre les dispositions pour leur logement avant d'aller explorer la ville : la journée étant avancée et sans information quant à la distance de la zone de fouilles, il semblait en effet hasardeux de battre la campagne. Non, la journée allait être consacrée à la recherche d'une carte des environs, à l'écoute des rumeurs et peut être une balade en ville pour admirer l'architecture particulière du bourg. Mais pour l'heure, la paladine prit les devants pour demander à ce que leurs montures soient prises en charge et dûment installées et à ce que deux chambres leur soient allouées.

[Taliesin]

Les propriétaires de l'auberge, un couple serviable de personnes âgées, eurent tout loisir de s'occuper de leurs deux clients, et pour cause : dans l'immédiat, leur établissement était complètement désert.
Ainsi, tandis que l'homme allait s'occuper des montures, son épouse menait Chandara et Quentin jusqu'à leurs nouveaux quartiers, deux chambres mitoyennes propres et confortables donnant sur la place - dont on les assura qu'elle était très calme, si bien que leur repos ne serait en rien perturbé.

[Chandara]

Après avoir inspecté les deux chambres, la paladine régla le prix de location pour plusieurs jours sans pouvoir préciser combien de temps elle comptait exactement les occuper. Au pire, cela leur ferait un point de chute sécurisé où laisser une partie de leurs affaires s'ils passaient quelques nuits hors des murs, au mieux cela ferait déjà un soucis de moins dont s'occuper. De quoi leur laisser, à Quentin et elle, tout loisir pour leur exploration et leur découverte de la ville et de ses environs.

[Taliesin]

Le visite de Tristécume lui laissa une drôle d'impression.
Certes, la bourgade était pittoresque et nombre de ses édifices valaient le coup d’œil. Cependant, et malgré un entretien visiblement régulier, on voyait un peu partout des traces d'usure, de décrépitude.
Quant aux habitants, s'ils s'avéraient courtois et amicaux, ils donnaient un sentiment sinon de tristesse, au moins de découragement, de résignation. Chandara fut par ailleurs marquée par le peu d'enfants, d'adolescents ou de jeunes adultes : sans être absents, loin s'en fallait, ils paraissent autrement moins nombreux que les gens d'âge mûr ou les vieillards.
Bref, étrange endroit que Tristécume, cité à laquelle la paladine trouva des airs de fleur fanée.

[Chandara]

La jeune femme avait tenté d'apporter un peu de joie autour d'elle lors de sa promenade, qui souriant, qui échangeant une parole courtoise. Mais elle avait senti les habitants moins enjoués et moins réceptifs qu'ils ne l'auraient été dans une ville en liesse comme Antelucas, Luménis ou même Cojum. Elle ne s'était pas découragée pour autant : la ville semblait avoir bien plus besoin des attentions d'une Sunite ou d'un barde que bien d'autres. Cependant, Chandara ne pouvait s'empêcher de penser aux causes de ce désenchantement. La ville souffrait-lle simplement de son isolement, les jeunes générations préférant chercher fortune ailleurs ? La légende contée par Quentin recelait-elle une part de vérité ? Y avait-il une autre force à l'oeuvre ici ? Chandara comptait interroger les augures de sa déesse pour s'en convaincre mais elle entendait aussi agir à sa manière. Elle sourit à Quentin :

- Je crois que tes prestations seront très utiles ici, mon jeune ami !

[Taliesin]

Il acquiesça.
-Sans doute, oui. Mais je ne peux présumer de la manière dont elles seront accueillies. Dans ce genre d'endroit, c'est un peu quitte ou double : soit les gens sont ravis, soit ça les mécontente, un peu comme si...
Il eut un geste vague.
-Un peut comme si une distraction imprévue, en troublant leur quotidien, leur rappelait que celui-ci n'est vraiment pas drôle, d'ordinaire.