[Lieu] Route d'Erhedun à Rohan

[Galathée]

Baptiste avait précédé Taliesin à l'auberge et terminé de boucler son sac. Son cadeau — un livre si on devait se fier à sa forme — était posé sur le dessus. Victor, lui, était rentré également mais occupé à la salle d'eau (on l'entendait chanter au travers des murs).
" Je suis content que tu sois là. J'ai eu peur que tu te sois perdu. Ils ont une librairie incroyable, dans le sud du village. Plus grande que toutes celles que j'ai vues hors Luménis, bien sûr."
Attablés, il ne leur restait plus qu'à se sustenter avant le grand départ.

[Taliesin]

-Oh ? Intéressant. Il faudra que tu me la montres, demain. Enfin, si tu es d'accord.
Il sourit.
-Et sinon... Je n'étais pas perdu. J'ai juste un peu laissé filer le temps alors que je visitais des galeries d'art. J'ai vu de très belles choses et discuté avec des gens intéressants. C'est fou comme ce lieu concentre les artistes !

[Galathée]

Baptiste parut un peu pris au dépourvu.
" Ah... Je pensais qu'on allait rester au manoir... Non ? Tu crois qu'on reviendra déjà à Athrey demain ? C'est si près que ça ?"
Son expression se détendit et il haussa les épaules.
" Si tu veux, je peux te montrer, oui."

[Taliesin]

Taliesin hésita puis décida d'être franc.
-Honnêtement, je préférerais que nous puissions revenir ici entre chaque rencontre. Il me semble que nous retrouver en terrain neutre, disons, nous permettrait d'y réfléchir et d'en discuter plus posément. Sans compter qu'ainsi, nous serions plus indépendants. Toutefois, il faudra aviser en fonction de la durée des trajets, effectivement. Ainsi qu'en fonction de certaines considérations... diplomatiques : je ne voudrais surtout pas que ton père se vexe ou se sente insulté.

[Galathée]

Baptiste parut surpris puis grimaça avant d'acquiescer.
" Peut-être que Victor et toi, vous pouvez rentrer ici, mais moi... Est-ce que ce n'est pas l'idée, que je reste ? S'il y a un manoir... Ça va paraître très bizarre que je reparte... Il a sans doute des tas de chambres... et... je ne suis pas sûr que.... Je ne sais pas..."
Il haussa les épaules.
" C'est peut-être mieux, oui, si Victor et toi vous rentrez ici."

[Taliesin]

-Te laisser seul là-bas ne sera pas évident pour moi, avoua-t-il. Mais si tu en ressens l'envie, le besoin...
Il acquiesça.
-De toute façon, c'est ton ressenti qui guidera ce que nous ferons. Essaie juste de t'écouter, d'agir en fonction de ce que tu éprouves, non de ce que tu penses que les autres attendent de toi.

[Galathée]

" Je pense que ce n'est pas une bonne idée d'en parler autant, murmura finalement Baptiste. Et comme tu es juge et partie... Je sais, je sais que tu voudras faire de ton mieux, mais... il reste que tu es juge et partie."
Il haussa les épaules.
" Peu importe. On peut manger puis on y va. Kolia doit déjà nous attendre, de toute façon."

[Taliesin]

Taliesin était juge et parti, c'était vrai. Néanmoins, non seulement il s'efforçait malgré tout de se montrer impartial et d'agir dans le seul intérêt de Baptiste mais, de surcroit, la loi étant du côté de son père, il n'avait aucun moyen légal d'influer sur la suite des événements : il ne pouvait compter que sur le bon vouloir de ce dernier. L'elfe préféra toutefois n'en rien dire et, respectant le souhait du gamin, se concentra sur son repas tout en songeant aux dernières modalités pratiques de leur départ. Ainsi préviendrait-il l'aubergiste qu'il souhaitait conserver leur chambre : au pire, il pourrait toujours demander à Kolia d'annuler ladite réservation...

[Galathée]

Victor ne tarda pas à les rejoindre et s'empiffra avec le même entrain que d'habitude, soit aveugle aux ruminations de ses deux compagnons, soit bien décidé à rester le boute-en-train dans la grisaille. Il emportait un petit bagage, ainsi que Fulcifer dans sa boîte, bien entendu, car il n'avait nulle intention de l'abandonner derrière. Baptiste, lui, avait rassemblé l'intégralité de ses affaires. Victor ne lui fit aucun commentaire. Ils sortirent dans le crachin pour retrouver Kolia, qui les attendait près de leur chariot. Il les accueillit avec sa bonne humeur coutumière.
" On en a pour deux heures, peut-être trois si la route est mauvaise, et c'est possible parce qu'il a pas mal plu, expliqua Kolia. C'est pas très loin mais ça grimpe et le chemin fait un grand détour."
Victor monta d'autorité sur le banc du cocher tandis que Baptiste se réfugiait à l'intérieur.

[Taliesin]

Le barde, à regret, dut intervenir.
-Victor, je préférerais que tu viennes avec nous, à l'intérieur. Si le sieur d'Averlande est à cheval sur l'étiquette, il risque de s'offusquer du fait que je laisse l'un de mes enfants au dehors. Et puis... tu portes ta meilleure tenue;
C'était le cas pour tous trois : les vêtements de voyage n'étaient guère de mise pour pareille rencontre.

[Galathée]

Victor poussa un profond soupir et regagna le chariot.
" Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ? grogna-t-il. On va devoir faire quoi, en plus, quand on sera là-bas ? Des révérences ? Te vouvoyer ? Parce que ce serait bien que tu nous racontes un peu ce qu'on a le droit de dire ou pas... A quoi ça sert de se donner en spectacle si dès qu'on gratte, tout part en morceaux ?"

[Taliesin]

Taliesin acquiesça.
-Tu as raison : jouer la comédie serait inutile et même contreproductif. Mais admets que nous n'en sommes pas encore là. Bien s'habiller est plutôt normal, quand on a un rendez-vous important - et tu noteras que nous nous sommes contentés de bonnes tenues, que les plus belles sont restées à la maison. Éviter de rester sous la pluie, qui plus est quand on est bien habillé, ne paraît pas non plus extravagant...
Il lui sourit, apaisant.
-Je ne vous demanderais certainement pas de me vouvoyer ou de faire des révérences : cela se pratique dans la haute société mais. ça, se serait jouer la comédie, faire semblant, puisque ce n'est en aucune façon dans nos habitudes.

[Galathée]

Victor s'apaisa lui aussi.
" C'est juste un crachin... Moi je crois que les gens d'ici ne considèrent pas que c'est de la pluie... Puis j'avais mon manteau..."
Il haussa les épaules et plaqua son visage contre la vitre. Le chariot s'était ébranlé.
" J'aurais préféré regarder la route de l'extérieur. Imagine qu'on doive s'enfuir au milieu de la nuit...
— Arrête de raconter n'importe quoi, grommela Baptiste.
— C'est un endroit trop génial pour s'enfuir au milieu de la nuit... avec les pierres, le vent, la pluie, des loups hurlants... comme dans une histoire de Gérard de Berge..."

[Taliesin]

Il lui sourit.
-J'espère bien que nous n'aurons pas à fuir et, en toute honnêteté, je ne vois aucune raison qui pourrait nous amener à le faire. Pour autant, si cette région t'inspire tant, je veillerai à ce que nous puissions y faire une longue promenade. Quitte à trouver un bon prétexte pour que personne ne s'en étonne !

[Galathée]

" Pourquoi les gens s'en étonneraient ? demanda Victor. C'est apparemment un coin connu pour ça : le... le style !"
La pluie crépitait doucement sur le toit de leur véhicule. On entendait le murmure d'une ritournelle que chantonnait le cocher.
" Je crois pas qu'il y ait beaucoup d'autres choses à faire..." murmura Baptiste.

[Taliesin]

-Ces lieux sont tout de même particuliers : je suis sûr qu'on y trouve plus d'activités qu'on ne pourrait le croire de prime abord. En tout cas, c'est le cas pour la bourgade en elle-même.
Il sourit.
-Pour le reste, il est tout à fait vrai que la recherche de l'inspiration en une contrée si spéciale peut justifier bien des promenades.

[Galathée]

Ils cheminaient toujours sur une route assez large, la même qu'ils avaient empruntée pour arriver, et au bruit que faisaient les roues, Taliesin devinait qu'elle était très humide. Elle était cependant bien entretenue et ils étaient peu secoués. Les enfants restèrent à la fenêtre, chacun d'un côté. A la sortie d'Athrey, ils durent s'arrêter un moment pour laisser passer un convoi d'une douzaine de chariots tirés par des boeufs, venant de l'est, soit d'Eredhun soit de Rohan. Ils reprirent ensuite leur chemin, demeurant un moment sur la voie principale avant d'obliquer vers le sud, le long du cours d'une petite rivière. La piste était encore large mais les chevaux avançaient déjà moins vite et par moments, le chariot sursautait, heurtant une pierre ou glissant dans une flaque. Kolia chantait toujours, signe qu'il n'était pas inquiet. A gauche de leur chariot, au-delà de la rivière, la lande s'étendait, vallonnée, vers l'est et, au loin, la route de Rohan, bien sûr invisible. A droite, après quelques broussailles hérissées, le terrain s'élevait brusquement en roc gris, comme s'ils longeaient une falaise. Déçu du décor, Victor changea d'ailleurs rapidement de place pour contempler la lande qui s'offrait à Baptiste. On ne voyait pas très loin car la pluie formait comme un rideau de poussière grise et, plus loin, la brume masquait les collines. On devinait des pierres, parfois dressées, des arbres malingres, peut-être des troupeaux. Les fleurs automnales formaient des taches de couleur vives, pourpres ou blanches, sur la gris et le jaune des herbes desséchées par l'été révolu. Le vent siffla autour d'eux tandis que le chariot crapahutait vaille que vaille.

[Taliesin]

Quel décor, quelle ambiance sinistres !
Oui, il y avait là de quoi nourrir l'inspiration d'artistes romantiques, de quoi fournir matière aux auteurs d'histoires horrifiques - et encore n'en avait-il, pour l'heure, que très peu vu.
Athrey était l'endroit idéal, dans ces cas de figure.
Mais pouvait-on imaginer pire, en ce qui les concernait ? Alors qu'ils avaient à régler une affaire difficile, pleine de doutes et de déchirements ?
Pas vraiment.
S'ils étaient venus à l'été ou mieux, au printemps, il en serait sans doute allé tout autrement.
Mais en l'occurrence...
Enfin, il faudrait faire avec, faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Il faudrait combattre les effets néfastes du climat et du paysage
Un travail de barde, en somme.
Plus difficile à exercer, toutefois, quand on était au premier chef concerné par ce qui se tramait.

[Galathée]

Pour l'heure, ni Baptiste ni Victor ne paraissaient particulièrement affectés par le spectacle lugubre. La pluie se fit plus légère, il y eut quelques rayons de soleil, mais le vent était sauvage, et les nuages couraient sur le ciel à une vitesse effrayante, mouchant sans cesse les trouées de lumière. Ils distinguèrent quelques silhouettes hirsutes dans la prairie qu'ils suivaient, devinèrent des poneys, des moutons, peut-être une vache ou l'autre. La petite trappe qui permettait à Kolia de communiquer avec eux s'ouvrit un instant.
" On va bientôt commencer à grimper. Averlande est proche d'Athrey mais c'est impossible d'y aller directement : il faut tourner autour de la colline pour trouver des pentes qui conviennent au chariot. A pied, quand le temps le permet, c'est une belle randonnée, cela dit, mais il faut aimer la grimpette. Bref, je voulais surtout vous prévenir qu'on va avancer au pas un moment et quand on arrivera dans les hauteurs, ça va secouer. Mais ne vous inquiétez pas : le chariot pèse lourd et le vent n'est pas si fort : c'est juste une impression."

[Taliesin]

-J'ai toute confiance en ce chariot. Ainsi qu'en vous, évidemment ! Mais c'est gentil de nous avoir prévenus.
Être secoué ne le dérangeait pas outre mesure : ce ne serait pas la première fois. Par ailleurs, il pensait que ça ne déplairait pas à Victor, amateur de sensations fortes. Quant à Baptiste... on verrait bien.
Il restait toutefois dommage que le trajet soit à ce point accidenté : cela rendrait plus difficiles les trajets quotidiens.
Rien d'insurmontable, toutefois.

[Galathée]

Comme l'avait annoncé Kolia, le chemin se mit bientôt à grimper et les chevaux ralentirent. Ils conservèrent la falaise rocheuse sur leur droite et les plaines à leur gauche, même si celles-ci s'éloignèrent peu à peu en contrebas. A en croire la position du soleil, qu'ils apercevaient furtivement de temps à autre, ils avançaient toujours plein sud. Leur route franchit la rivière qui apparut alors brièvement en cascade le long des rocs, puis ils s'écartèrent un moment de la montagne pour progresser à plat, sur une étendue d'herbe jaune. La route était très humide et les chevaux peinaient à les arracher aux ornières pleines de boue qui truffaient leur passage. Des oiseaux s'envolèrent sur leur passage et ils aperçurent, un peu à l'écart, une chaumière d'où s'échappait une fumée sombre. Il leur fallut encore près d'une heure avant de bifurquer vers le nord et de recommencer à monter. Ils entendirent Kolia encourager les chevaux d'un claquement de fouet.
" Je doute qu'on fasse souvent l'aller-retour, remarqua Victor. Mais j'imagine que dans un manoir, il y aura des chambres d'amis."

[Taliesin]

-Dans sa réponse, le père de Baptiste a même parlé d'une maison indépendante où nous pourrions loger.
Il réprima un soupir, conserva une expression neutre.
-Mais nous verrons. Loger chez lui... cela me mettrait dans une position délicate.
Ce serait tout sauf un terrain neutre, sans compter les obligations d'un invité envers son hôte... Oui, la situation serait à son désavantage.

[Galathée]

" Pourquoi ? demanda Victor, avec son innocence coutumière. C'est plutôt pratique, si on veut vraiment prendre la mesure de quelqu'un... Ce n'est pas en quelques heures, bien réglées, qu'on peut savoir à qui on a affaire... Et puis ça nous permettra d'explorer pendant que vous parlez entre adultes."
Il se tourna vers Baptiste.
" T'en penses quoi ?
— Je crois que je n'en pense rien. Je préfère... prendre les choses comme elles viennent."

[Taliesin]

-Tu n'as pas tort, Victor, intervint-il. En même temps, dans le cadre de négociations - et il s'agit bien ici de négociations puisque nous espérons pouvoir avoir, avec Baptiste, des contacts réguliers -, dans le cadre de négociations, donc, le choix du lieu est extrêmement important. C'est pour cela que, bien souvent, on opte pour un terrain neutre, ou aucune des parties n'est avantagée. A l'inverse, si nous nous installons chez le père de Baptiste, il sera en position de force : il sera dans un endroit familier qu'il connait parfaitement alors qu'il nous est inconnu, ses règles prévaudront et la courtoisie exigera que nous nous y plions, de même qu'à l'emploi du temps dont il sera le seul et unique maître... Bref, la situation sera plus compliquée pour moi.

[Galathée]

" Des négociations ? dit Victor avec une grimace. Tu ne crois pas que tu mets des mots un peu... compliqués... sur la situation ? Je ne crois pas qu'il va voir ça comme ça, lui. C'est encore pire de prendre la personne qu'on rencontre au dépourvu, non ? C'est un père qui retrouve son fils et tu vas faire comme s'il y avait un traité à signer ? Il va te prendre pour un... type drôlement bizarre."
Baptiste esquissa un sourire mais ne dit rien.
" Ce qui ne va pas arranger nos affaires. Vous êtes drôlement cérébraux, vous autres, les elfes... Je n'avais pas... compris que c'était tout un calcul compliqué. Je croyais qu'on allait juste... le rencontrer."

[Taliesin]

-C'est ainsi que j'ai présenté les choses, oui. D'un autre côté, s'il décide que Baptiste doit immédiatement et définitivement s'installer chez lui, il en a le droit et je ne pourrai rien y faire. Tout comme je ne pourrai rien y faire s'il estime qu'il vaut mieux que nous n'ayons plus le moindre contact. Je précise tout de suite que je ne pense pas qu'il en ira ainsi. Mais il n'en reste pas moins important que nous fassions bonne impression et que nous nous entendions bien avec lui. Et c'est pour ça, aussi, que je ne suis pas ravi à l'idée de m'installer sous son toit : j'aurais le sentiment de n'avoir aucune marge de manoeuvre.

[Galathée]

" Tu intellectualises trop, dit Victor. De toute façon, s'il nous fait un sale coup, on s'enfuit dans la nuit sur un de tes chevaux fantômes. On sera dans le thème. Affaire réglée !"
Cette fois, Baptiste rit doucement.
" Je monte pas sur ces bestioles, dit-il.
— On t'assomme et on te kidnappe. Comme ça, en plus, tu n'auras rien à te reprocher."

[Taliesin]

Dans le fond, Victor n'avait pas tort : oui, ils pourraient agir ainsi. Sauf que le garçon oubliait de s'interroger sur l'après, sur les conséquences : cela faisait toute la différence.
Il décida toutefois d'enchaîner sur ce thème de l'évasion : il ne voulait pas plomber l'ambiance en se montrant trop terre à terre.
-De toute façon, on pourra bientôt se passer des coursiers : si je continue à progresser sur ma nouvelle voie, je finirai par avoir accès à de puissants sortilèges, dont celui de téléportation. Et ça, ça pourrait grandement faciliter les choses !

[Galathée]

" Tu l'as revu, ton fantôme ?" demanda alors Baptiste, profitant de la diversion.
Victor gloussa.
" De la téléportation, ouah. Ça vaut pas le voyage en dragon, mais c'est déjà pas mal."

[Taliesin]

-Bah, à mon avis, d'ici peu, je serai également en mesure d'invoquer des dragons, répondit-il avec un sérieux factice avant de se tourner vers Baptiste. Et non, je ne l'ai pas revu depuis un petit moment. Mais je m'exerce ainsi qu'il me l'a demandé et sitôt que j'aurai atteint le niveau requis, ce qui ne devrait plus trop tarder, je retournerai auprès de lui pour lui présenter le résultat de mon travail. S'il lui convient, nous passerons sans doute à l'étape suivante. Sinon, il faudra que je retourne un moment à mes gammes.