[Lieu] Route d'Erhedun à Rohan

[Galathée]

" Invoquer des dragons, wouah..." dit simplement Victor.
Baptiste leva les yeux au ciel.
" C'est vrai que c'est drôlement utile, d'invoquer des dragons."
Ils étaient désormais à plusieurs dizaines de toises au-dessus du niveau de la plaine, mais la route qu'ils empruntaient demeurait large et manifestement praticable. Leur vitesse était cependant réduite et le bruit des éclaboussures fréquent.
" Il a pas l'air d'avoir envie qu'on lui rende souvent visite, ton paternel, remarqua Victor.
— A mon avis, il a pas vraiment choisi..."

[Taliesin]

Sans doute...
Certes, on pouvait se dire que le sieur d'Averlande aurait pu, s'il l'avait voulu, faciliter l'accès à son domaine. Mais sans savoir jusqu'où celui-ci s'étendait, quels étaient les moyens financiers du notable et l'ampleur des travaux nécessaires pour ouvrir un trajet plus direct jusqu'à sa demeure, ç'aurait été un jugement à l'emporte-pièce dont il préféra se garder.

[Galathée]

Le chariot grimpait toujours, les enfants restèrent près de la fenêtre gauche pour observer le paysage. Puis, à un moment donné, ils saturèrent de toute cette immensité grise et brune. Baptiste sortit un livre, Victor extirpa Fulcifer de sa boîte. En quelques jours, l'étrange créature semblait s'être habituée à Victor. Si elle avait grandi, c'était très légèrement, et elle changeait toujours de couleurs par moments, sans qu'il ait été très évident de comprendre pourquoi. Elle se déplaçait d'une étrange démarche hésitante, accrochée aux doigts de Victor, qui n'osait pas la déposer de peur de la perdre. Le vent reprit leur véhicule d'assaut, hurlant autour d'eux, secouant la carcasse de bois et de métal, lui arrachant craquements et grincements. Victor parut ravi de la situation, Baptiste nettement moins. A son attitude, Taliesin devinait qu'il ne parvenait pas à se concentrer : il n'avait pas tourné une page depuis plusieurs minutes et il était d'ordinaire un lecteur rapide.

[Taliesin]

Il était barde : à lui de tenter d'alléger l'atmosphère.
-Je suis déçu, soupira-t-il. Kolia avait dit que cela secouerait mais je ne ressens guère plus de cahots que sur un chemin ordinaire. Et on m'en avait dit beaucoup sur la dureté du climat local, alors qu'en vérité, pour l'heure, je n'ai vu qu'une petite brise et deux ou trois gouttes d'eau. Non, décidément, c'est loin de ce que je m'imaginais et la réputation de ces lieux est tout bonnement usurpée.

[Galathée]

Baptiste ne parut pas entendre la tirade, demeurant hypnotisé par la page de son livre — déjà relue dix fois. Il était manifestement perdu dans ses pensées et imperméable à ce qui se passait au dehors. Le chariot en profita pour tanguer et le vent hurla.
" Si le chariot s'envole, est-ce que tu as un sortilège pour lui faire pousser des ailes ?" demanda Victor alors qu'au dehors, Kolia encourageait les chevaux de la voix, pour qu'ils arrachent leur petit véhicule à la boue.
Avant que Taliesin n'ait pu répondre, une violente pluie s'abattit sur eux, masquant momentanément toute vue sous des trombes d'eau.
" Dommage qu'on a fait l'impasse sur les manteaux..." ajouta-t-il, serein.

[Taliesin]

Il lui sourit largement.
-Tout ceci était prévu, Victor ! Tout ceci est un complot pour t'empêcher de jouer dehors !
Il redevint sérieux.
-Mais ne t'en fais pas : qu'on reste au domaine ou qu'on rentre à l'auberge, nous finirons par afvoir accès à toutes nos affaires.

[Galathée]

" Mais on doit encore les acheter, ces manteaux adaptés."
Il grimaça, jaugeant l'averse subite comme si c'était un adversaire.
" Peut-être qu'il y a des manteaux au manoir. Le sire d'Averlande va nous sortir des vieux costumes mités de ses malles de famille... des houppelandes de sa jeunesse qui sentiront bon la poussière..."
La remarque n'arracha pas davantage Baptiste à ses pensées.
" C'est mieux qu'il soit ailleurs, sinon il aurait la trouille."
Comme pour appuyer ses dires, le chariot s'agita vigoureusement sur ses essieux.

[Taliesin]

-Carrément.
Il n'ajouta pas de plaisanterie, pas plus qu'il ne verbalisa ce qu'il avait à l'esprit, à savoir que le moment était difficile pour Baptiste, qu'il faudrait être attentifs, compréhensifs : cela allait de soi et Victor en avait parfaitement conscience.
-Il faudra en tout cas trouver une solution pour les allers-retours : je m'en voudrais d'en infliger trop à Kolia et à ses chevaux. Si nous les faisons à deux, les coursiers pourraient être tout à fait indiqués, d'autant qu'ils colleraient parfaitement à l'ambiance.

[Galathée]

Victor ne répondit rien, jeta un oeil vers Baptiste, puis acquiesça dans un haussement d'épaules. Le chariot tourna sur lui-même et ils reprirent leur ascension dans la direction inverse, présentant cette fois le flanc droit du véhicule à la plaine. Victor changea aussitôt de place pour conserver une vue sur l'environnement. La colline était broussailleuse et la pluie, bien que moins serrée, avait levé un brouillard : on ne distinguait toujours pas grand chose.
" Tu sauras encore invoquer tes chevaux une fois que tu seras magicien et plus barde ?"

[Taliesin]

Il réfléchit quelques instants puis secoua la tête.
-J'avoue n'en avoir aucune idée : tout cela est encore très nouveau pour moi et j'ai de longues études en perspective. Tout ce que je sais, c'est que si j'en viens à utiliser la magie comme le font les magiciens, je pourrai apprendre de nouveaux sortilèges à partir de grimoires et de parchemins, ce que je ne savais pas faire jusqu'ici. Et vu la multiplicité des sorts existants, je ne doute pas que je trouverai parmi eux un équivalent du coursier, si d'aventure celui-ci est l'apanage des seuls bardes.

[Galathée]

" Mais donc, ça veut dire qu'il pourrait y avoir un moment pendant lequel tu ne sauras plus faire grand chose ?"
Il eut un sourire.
" Enfin, je veux dire, à part tout ce que tu sais si bien faire, comme le canard aux poires sauvages et chanter les Demoiselles d'Eauprofonde !"
Le chariot virait à nouveau, remontant en lacets le long de la colline, petit à petit. A nouveau, le ciel s'était dégagé... sans doute pour peu de temps. Le vent, lui, ne sifflait pas, les poussant vers la paroi.

[Taliesin]

-Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Mais... ça ne me paraît pas impossible. Ceci dit, si cela devait advenir, je pourrais toujours utiliser les sortilèges que m'a déjà enseignés le prince : si ce ne sont pas les plus puissants qui soient, ils ne manquent pas pour autant d'utilité, loin s'en faut.
Il n'empêche : sans doute attendrait-il, pour franchir cette étape, que s'étende devant lui une longue période de calme. Car il ne valait mieux pas que cela se produise dans des moments difficiles...

[Galathée]

" Il ne faudrait pas que ça s'ébruite, dit Victor en regardant derrière son épaule. Ou bien alors on prévient Kerun et il t'enverra une paire de gardes du corps. Genre Guéric. Ce serait bien."
Il bâilla aux corneilles.
" C'est long... Tu es sûr que je ne peux pas sortir ? Il ne pleut plus !"
Le chariot fut ébranlé par une rafale de vent. Ils semblaient avoir atteint le sommet de l'éminence. Comme les avait avertis Kolia, ils n'en étaient que plus secoués.

[Taliesin]

Il lui sourit.
-Allez, encore un peu de patience : nous sommes presque arrivés. Et tu auras ton lot de promenades au dehors, sous la pluie et dans la boue, avant la fin de ce voyage : je m'y engage !
Il plaisantait mais... cela devenait de plus en plus dur au fur et à mesure que l'échéance s'approchait.

[Galathée]

Victor acquiesça puis regarda à nouveau par la fenêtre. Il rattrapa Fulcifer, qui s'était suspendu aux rideaux, et le remit dans sa boîte. Baptiste, lui, était pâle comme la craie, et lorgnait également l'extérieur. Une lande battue par le vent s'étendait autour d'eux, jaune, verte, grise, brune, marbrée de tâches blanches ou violettes quand il y avait des fleurs. Le regard portait plus loin, vers un ciel plombé dans toutes les directions. Des rochers moussus surgissaient parfois de la broussaille, ou quelques arbres décharnés, aux formes extravagantes, courbés par la bise. Il ne pleuvait plus cependant. Des oiseaux noirs s'envolèrent sur leur passage, en criant d'outrage. Un ululement retenti, comme le cri d'un loup, mais c'était toujours le vent. Le chariot tremblait sur ses roues, grinçant comme s'il était sur le point d'exploser en esquilles. De temps en temps, à la faveur d'une accalmie, on entendait Kolia encourager les chevaux.
Puis ils s'engagèrent dans une sente étroite et des arbres plus nombreux, des conifères pour la plupart, refirent leur apparition, les encerclant bientôt au plus près du chariot. Le vent se tut. Ils descendaient à présent, comme dans un tunnel.

[Taliesin]

Quel périple...
Quel décor, aussi...
En fait, il n'y avait pas vraiment d'effort à faire pour s'imaginer être en route non pour la demeure du père de Baptiste mais pour celle d'un comte vampire.
C'en était troublant.
Et dire que le gosse allait devoir vivre ici...
Dieux, il ne l'enviait pas.
Pas un instant.
Enfin, le côté positif, c'était que si son propre séjour ici se prolongeait quelque peu, il deviendrait capable d'écrire des romans d'horreur...

[Galathée]

Une dizaine de minutes plus tard, les arbres s'écartèrent pour révéler un espace dégagé d'herbe jaunie. A une vingtaine de mètres de la lisière du bois, se dressait une enceinte de pierres empilées, entre lesquelles de nombreuses plantes avaient poussé. Le muret n'était pas très haut, mais depuis le chariot, il était difficile de voir au-delà. Kolia s'immobilisa un peu plus loin et ouvrit sa trappe de communication.
" Nous sommes rendus. Voulez-vous que je sonne, ou préférez-vous le faire vous-même ?"

[Taliesin]

-Je vais le faire. Mais merci d'avoir proposé de vous en charger.
Il n'avait pas, n'avait jamais eu de serviteur : faire semblant qu'il en soit autrement aurait été aussi inutile qu'exagéré. Et puis, il avait déjà beaucoup demandé à Kolia : il ne vouait pas lui rajouter du travail, aussi infime soit-il.
Bref, s'emmitouflant dans son manteau, il sortit.
Il croisait les droits pour que le domaine soit moins sinistre que le paysage environnant. Sinon, Baptiste serait à plaindre, et pas qu'un peu.

[Galathée]

Il ne pleuvait plus. Autour de lui, l'herbe était haute mais le chemin boueux qu'ils avaient emprunté demeurait dégagé en dépit des flaques et des ornières. En travers du passage se dressait une grille de fer forgé, entre deux piliers, plus haute que le muret qui environnait le domaine. Sur chacun des piliers se trouvait une statue usée par les années : des lapins ou des lièvres, à en croire la forme générale, mais celui de gauche semblait n'avoir qu'une seule oreille survivante. Une cloche était attachée sur la gauche et Taliesin put l'agiter. Son tintement résonna mais il sembla au barde qu'il était aussitôt emporté par le vent, pourtant moins fort. Depuis la grille, on distinguait, plus loin en avant, la façade d'un grand bâtiment gris, au bout de la route, mais il était à moitié dissimulé par une allée de chênes gigantesques au feuillage encore fourni.
Des chiens aboyèrent dans le lointain, en écho à la cloche, et le barde vit bientôt débouler une meute de grands molosses gris, hirsutes, qui vinrent se presser contre la grille avec fébrilité. Un peu plus tard, une silhouette parut, en houppelande, et traversa la meute sans ralentir. C'était un homme au visage rude, d'environ quarante ans, qui dévisagea l'elfe avant de le saluer.
" Messire, bienvenue à Averlande. Vous pouvez remonter à bord de votre chariot, je vais ouvrir les portes."

[Taliesin]

-Très bien. Merci.
En s'exécutant, il songea que s'il avait trouvé les statues engageantes, malgré leur usure, il en allait tout autrement de sa prime vision du domaine, de la meute et du serviteur. Mais il fallait se garder des premières impressions, n'est-ce pas ?
Il fallait plutôt s'efforcer d'être objectif.
Quoiqu'en l'occurrence, l'objectivité ne pouvait nier l'aspect sinistre de l'ensemble...

[Galathée]

Taliesin remonta à bord. Les deux garçons lui jetèrent des regards curieux mais aucun n'ouvrit la bouche tandis que les grilles grinçaient au dehors. Kolia donna de la voix pour remettre les chevaux en mouvement. On entendit un sifflement puis l'aboiement des chiens, qui s'atténua à mesure qu'ils avançaient.
Ils longèrent l'allée de chênes centenaires. Ils étaient arrivés au Domaine d'Averlande.

[Galathée]

(Trois mois plus tôt )

Quête Solo : Des Racines et des Ailes

De Tournebride, Hubert et Albérich atteignirent le Pont des Trois Sires avant la tombée de la nuit. C’était l’endroit le plus approprié pour faire halte, mais leurs chevaux étaient encore frais et dès qu’ils eurent franchi la rivière, ils reprirent le galop jusqu’à trouver une nouvelle auberge. C’était un établissement modeste mais ils y trouvèrent le couvert et un lit parfaitement confortable. Ils constatèrent néanmoins qu’ils ne passaient pas complètement inaperçus et furent bientôt sollicités pour une bénédiction ou un conseil chaque fois qu’ils s’arrêtaient. Ils décidèrent donc, le second matin, de quitter la route principale pour emprunter des chemins de traverse. Les pistes étaient moins larges et plus accidentées, mais nettement moins fréquentées, et ils ne perdirent pas autant de temps qu’Albérich l’avait craint.

Ils furent à Rohan à midi le troisième jour et ne s’arrêtèrent pas dans la poussière de la Trouée. Hubert ne comprenait pas pourquoi Albérich se ruait à Eredhun, alors même qu’il avait toujours parlé avec peu d’affection de l’aubemestre local. Le prêtre lui-même avait du mal à l’expliquer : c’était le simple fait d’avoir été contacté par Molwen qui l’incitait à se hâter. Ils campèrent en extérieur, cette nuit-là. Le ciel était magnifique, la température agréable, et ils restèrent un moment sous les étoiles. Albérich songeait à Luménis, qui s’éloignait à chaque foulée, aux petits moments de bonheur partagés avec ses anciens amis, aux tensions et aux problèmes qui l’attendaient à Clairétoile, entre l’intransigeance de Marthe, le désespoir d’Etienne et le vide laissé par les morts. Il était forcé de reconnaître, cependant, qu’il avait besoin de défis pour se sentir exister, et que la présence d’Hubert était nécessaire sur place, avec ce sceau maudit menant sur les Enfers et les pouvoirs démesurés de la magie des Anciens. Ils avaient encore trois bons mois devant eux avant de devoir rentrer, soit plus du temps écoulé depuis leur départ, mais la cité des Landes semblait se rapprocher de jour en jour, déjà, avec sa multitude de problèmes à régler. Hubert, de son côté, était beaucoup plus serein, curieux d’un environnement qu’il n’avait jamais visité, impatient d’être à Eredhun et d’avoir des nouvelles de Giovanni.

Ils cheminèrent de jour en jour sur cette piste qui montait vers le nord, puis la quittèrent à nouveau pour se réfugier dans l’arrière-pays, loin des regards et des questions. Cela fut plus difficile que dans la campagne luménienne car le terrain était plus sauvage, moins plane, mais tant Printemps que Grand Vent avaient l’habitude de la moyenne montagne et ils trouvèrent bientôt un rythme adéquat, profitant des endroits plats pour galoper, marchant le reste du temps, et quand le petit cheval d’Evendum avait besoin de se reposer (ce n’était quasi jamais le cas de Grand Vent), Hubert et Albérich en profitaient pour s’entraîner. Ils choisissaient des endroits abrités, postaient Grand Vent en sentinelle et Hubert libérait ses ailes pour apprendre à s’en servir au combat, c’est à dire, à ce stade de leur développement, les garder hors du chemin. Ce n’était pas encore très au point et elles étaient par moments terriblement exposées et à d’autres, elles déséquilibraient ses mouvements. Le paladin terminait souvent ces petites séances avec la mine dépitée. Albérich essayait de détendre l’atmosphère en claironnant qu’il avait drôlement progressé, mais Hubert n’était pas dupe : il était diminué, chaque jour un peu plus. Bien sûr, il n’était que rarement combattant, mais c’était quand même l’essence de sa profession.
« Tu devrais peut-être m’invoquer un planaire comme professeur ? remarqua-t-il, un soir, alors qu’ils mangeaient autour de leur feu.
— Donne-toi la chance de progresser. Je le ferai, si c’est nécessaire. Pour l’instant, ça ne l’est pas encore. »
Invoquer un planaire avait un coût, et à l’heure actuelle, ils n’avaient pas encore payé leur première dette, floue et inquiétante. Albérich ne lui en avait pas parlé, ça n’aurait servi à rien.

Ils essuyèrent quelques grandes averses, un orage sur les hauts plateaux, ne s’arrêtèrent plus dans aucune auberge, préférant pêcher dans les ruisseaux et négocier le reste directement chez les fermiers des alentours. Ils traversèrent des steppes et des landes, des prés et des collines, tous magnifiés par un printemps souverain. Il y avait toujours une chaumière ici, une bergerie là, un petit manoir ou une tour, une grosse ferme ou un hameau, mais ils pouvaient cheminer des heures dans la verdure sans croiser personne, juste les oiseaux, les insectes et le vent.

Ils arrivèrent en vue d’Eredhun en début d’après-midi, leur douzième jour de leur voyage. Ils aperçurent d’abord la rivière, ruban scintillant sous le soleil, au milieu d’une plaine étale. Sur leur gauche, dans le lointain, on voyait les reflets s’épanouir dans le delta, jusqu’à la mer qu’on devinait, plus sombre, sans réellement la voir. Sur leur droite, la Sereine poursuivait sa route le long des Monts Brumeux, droit vers l’est et Togoria, puis, plus loin, beaucoup plus loin, la Lorien. Quittant les hauteurs des plateaux, Albérich et Hubert envoyèrent leur monture dans la dernière descente avant la ville, puis traversèrent la plaine piquetée de fermes et d’habitations. Ils regagnèrent la route principale, plus fréquentée, à environ une lieue des remparts. Celle-ci se subdivisait en deux voies, l’une entrant dans Eredhun par le sud-ouest, l’autre par le sud-est.
Albérich arrêta Printemps en bordure de la route. Sur celle-ci cheminait un groupe de Chauntéens à pied, qui chantaient joyeusement, ainsi que trois chariots chargés de légumes et un troupeau d’oies belliqueuses.
« Temple ou pas temple ? demanda Albérich.
— Temple, répondit Hubert, sans hésitations.
— Ah oui ?
— Ecoute, j’ai bien réfléchi. »
Il poussa un bref soupir.
« Dans une auberge, avec ce bazar sur le dos, je vais fatalement avoir la vie dure. Au Temple… Je ne pense pas que je puisse me cacher beaucoup plus longtemps. Mais au moins je serai parmi mes pairs. Ils seront… compréhensifs, je l’espère. »
Albérich acquiesça.
« Va pour le Temple. »
Ils bifurquèrent donc vers l’est et la porte qui donnait sur le pied de la Butte Céleste.

[Taliesin]

Ce fut non sans soulagement que Taliesin redécouvrit les rues d'Athrey. Certes, il n'avait pas été plus inquiet que cela à propos du voyage depuis le domaine d'Averlande mais... une mauvaise surprise était toujours possible. Par ailleurs, il avait craint que la brume ne les y emprisonne bien plus longtemps alors qu'au final, elle avait fini par se dissiper le jour même, mettant un terme à ce pénible huis clos.
Bien sûr, l'affaire n'était pas terminée, loin s'en fallait. Mais à présent, les conditions seraient moins pénibles, l'ambiance un peu moins lourde.

[Galathée]

Kathleen déposa Taliesin et les deux enfants devant l'auberge qu'ils avaient quitté la veille.
" Je vais aller prévenir les autorités, leur dit-elle. Je pense qu'ils viendront vous voir... peut-être plus aujourd'hui. Mais je pense préférable que vous restiez à Athrey jusqu'à ce que vous receviez l'autorisation officielle de partir."

[Taliesin]

-C'est préférable, en effet, acquiesça-t-il. Mais de toute façon, j'aimerais bien connaître la vérité sur cette affaire avant que nous ne rentrions chez nous. C'est important, à plus d'un titre.
Il lui sourit.
-Bon courage pour cette démarche et pour le retour au domaine. Je vous dis à très bientôt.

[Galathée]

Kathleen le salua, il y eut des murmures d'au revoir depuis le chariot, puis l'équipage du manoir s'ébranla, les laissant seuls devant l'arche de la cour d'auberge. Victor se frotta les mains.
" On peut manger avant de se laver ?
— Je pense que se laver est le plus urgent, grommela Baptiste.
— Oh allez ! J'ai l'estomac qui crie famine ! Il fait nuit ! On n'est pas si dégueulasses !"

[Taliesin]

L'elfe sourit : la vie ordinaire reprenait ses droits.
Enfin... presque.
-Si nous étions dans une auberge ordinaire, je proposerais de manger puis de se laver. Mais comme il s'agit d'un établissement plutôt luxueux, le mieux est d'aviser en fonction de la tête que fera le majordome en nous voyant : s'il a l'air de trouver quelque chose à redire à notre état, nous nous replierons dans notre chambre où nous nous ferons porter tout ce dont nous avons besoin, repas inclus. Dès lors, l'ordre n'aura plus vraiment d'importance, chacun fera selon son envie.

[Galathée]

" Ah non, alors je préfère me laver avant, dit Victor en se dirigeant vers la porte. J'ai envie d'une salle d'auberge avec du bruit, des gens, de la musique ! J'ai donné, dans le sinistre. Notre chambre ? On n'est pas des vieux croûtons ! Et puis il faut en profiter tant que personne ne sait ce qui s'est passé au manoir... Dès que ça va se savoir, on devra se planquer parce que tout le monde va nous regarder de travers."
Baptiste attrapa la main de Taliesin par réflexe, mais ne dit rien.

[Taliesin]

Il lui serra doucement la main tout en répondant à l'attention de Victor :
-Très bien, faisons ainsi. Mais je compte sur ta discrétion : pas un mot sur tout ça tant que nous serons dans la salle commune.
Se replier dans leur chambre aurait eu l'avantage d'éviter tout risque de fuite prématurée. Mais puisque son fils était conscient dudit risque, tout devrait bien se passer.

[Galathée]

Ils entrèrent donc et furent accueillis par le même majordome que la veille. S'il fut surpris de les revoir, il n'en dit rien et s'inclina poliment devant eux. Lorsqu'ils lui annoncèrent leur intention d'aller se débarbouiller avant le dîner, il alla chercher leur clé puis leur promit de réserver une table. Il ne resta plus à Taliesin et aux deux enfants qu'à retrouver le répit d'une chambre — la même que la veille, avec son toit sifflant et ses trois lits confortables. Baptiste grimpa sur le sien et s'y étendit dans un soupir, Victor courut à la fenêtre et il ne leur resta plus qu'à attendre l'arrivée de l'eau chaude.