[Quête] En pleine mer

[Althéa]

"Peut-être ...", murmura Amélie pensive.

Elle comprenait le point de vue de Soren, même si elle le trouvait extrême. Lui devait la prendre pour une artiste des fins de veilles qui ne progresserait jamais et peut-être avait-il raison. Elle se sentit quelque peu peinée par cette considération, même s'il ne l'avait pas exprimée clairement et dans ces termes, mais ne lui en voulut pas pour ce jugement. Il était un artiste entier et accompli, connu dans tout Helonna et même Dorrandin.

Quant à elle, elle était plus versée dans l'art de l'amour que dans l'amour de l'art, elle devait bien l'admettre.

"Et pire que ça, je suis une femme, dit-elle avec un petit sourire, je ne fais vraiment aucun effort."

[Galathée]

Soren parut cette fois franchement surpris.
" Je ne vois pas le rapport... tant que tu n'as pas d'enfants, cela s'entend. Une fois que tu en as, ma foi... c'est différent... mais tant que tu n'en as pas, il n'y a pas de raison que tu sois limitée dans ton art par ton sexe."
Il eut un sourire.
" Je n'ai rien contre les enfants, même s'ils ne m'intéressent pas. Et je suis reconnaissant à quelqu'un, quelque part, de m'avoir un jour enfanté, même si je ne devais pas être terriblement désiré... ce qui a été une chance pour moi. Mais il est sûr qu'une fois qu'on a des enfants, qu'on soit homme ou femme, sans doute, même si les premiers s'en affranchissent plus facilement, l'art devient aisément secondaire. Pas toujours. Mais souvent. Cela dit, c'est la même chose pour la Foi ou le Devoir... Heureusement qu'il y a toutes sortes d'aspirations. Le monde serait abominable si tout le monde était aussi narcissique que moi."

[Althéa]

Amélie sourit de nouveau et secoua la tête.

"Ce n'est pas qu'une question d'enfants. Déjà à Manost, la Bienveillance Culturelle a décidé que le domaine des Arts devait être réservé aux hommes. A Cojum, j'ai failli ne pas passer maître parce que je n'étais pas du bon sexe."

Elle continua en imitant la petite voix pincée d'un des jurés de sa corporation.

"Mademoiselle Malone, ce que vous faites est remarquable mais ... avez vous pensé à la suite ? Vous êtes assez ... hum ... frêle. Comment envisagez-vous les poses de vos vitraux ? Une fois placés sur leur cadre, ils sont bien lourds. Bien sûr, vous avez quelques ouvriers compétents mais ... saurez-vous vous faire obéir comme il faut ? Ce sont des hommes pour la plus grande majorité. Et saurez-vous leur dire comment employer leur force ? Et pour votre futur Mademoiselle Malone, que ferez-vous une fois que vous aurez des enfants sous votre responsabilité. Laisserez-vous de coté vos ouvriers qui ont pour la plupart des bouches à nourrir."

Elle roula des yeux en une grimace comique.

"Et je ne te raconte pas comment se passe la recherche d'apprentis. Oui, la recherche parce qu'ils me fuient. Et quand les clients entrent dans la boutique, c'est à mon père qu'ils parlent, pas à moi. Et une fois, j'étais seule avec un de mes amis. Et c'est à cet ami qu'ils se sont adressés alors qu'il n'avait rien à voir avec la boutique."

[Galathée]

" Amélie, ce n'est pas à moi que tu dois essayer de prouver que vous venez d'un endroit sinistre, toi et Angèle. Je le sais très bien. Sous Helm, c'était à peine mieux, d'ailleurs. A vénérer des grognons coincés des fesses, on peut pas être vraiment surpris que ça tourne comme ça. Ils s'en prennent sans doute aux femmes parce qu'ils ont loupé les Mélandiens. Pas de bol. Mais les Luméniens se sont brûlés les doigts à venir faire mumuse avec vos voisins psychopathes. Je te l'ai déjà dit : traversez la mer tant que vous le pouvez encore : c'est le plus sage."
Il soupira.
" Je sais que tu as un petit copain par delà les flots, mais il est le bienvenu aussi. Et ta famille, et qui sais-je encore. On a de la place, pour les gens de bonne volonté. Bon, Angèle, je sais que c'est peine perdue. Mais les paladins, c'est toujours à moitié incompréhensible. Même les paladins sunites, c'est dire. Alors les autres... On n'a qu'une vie. Personnellement, je ne suis pas du genre à l'épuiser sur des choses stériles."

[Althéa]

"J'aime bien Luménis, c'est vraiment une ville dans laquelle je pourrais aimer vivre. Mais ce que j'essayais de dire, c'est que tout est affaire de jugement. Pour certains, c'est parce que je n'ai pas de pénis, pour d'autres je ne suis pas assez dévolue à mon art ... Je suis au courant de tout cela. Et cela continuera même si je quitte Manost."

Elle sourit malgré tout.

"Mais tu vois, moi j'avance comme une imbécile. Parce que pour moi, créer, c'est un peu comme aimer. Pas de méthodes, pas d'obligations de temps ou d'espace, pas de concessions. Mais si je passe plus d'une journée dans mon atelier sans voir personne, je suis malheureuse. Attention, je ne dis pas que je ne passe pas du temps, que je ne mets pas du coeur. Je ne serai jamais le meilleur des maîtres-verriers. Mais les gens apprécient les couleurs et la vie que je mets dans mes vitraux. Et je crois ... Je crois que ça me fait plaisir."

Encore un petit silence et elle ajouta.

"Et aussi tu vois, je continue de créer. Parce que quelque part, chaque vitrail et chaque chanson sont un petit pied de nez au monde. Une façon de dire que malgré tout, je m'accroche, je suis encore là."

Elle frissonna.

"Encore un peu"

[Galathée]

La tournure de la conversation avait pris Soren au dépourvu et il la dévisagea, un peu interdit, avant de retrouver sa langue.
" C'est le principal, de trouver du plaisir, ou un sens, à ce que tu fais. Je ne doute pas du bonheur que tu peux apporter, à toi et aux autres, au travers de tes vitraux ou de tes chansons. Après, je pense aussi que si tu as foi en ton art, quel qu'il soit, quel que soit le temps que tu lui consacres, ou la part de ton esprit que tu lui voues, tu dois apprendre que la première chose qui compte, c'est ce que toi, tu en retires. Les autres, ma foi, viennent en second lieu."
Il observait cependant Amélie avec un regard inquiet.
" Le monde est-il si hostile, là d'où tu viens, que tu doives lui rappeler que tu existes ?"

[Althéa]

Amélie secoua la tête et dit tout doucement.

"Non, pas du tout. C'est juste ... Tu vois, je croyais que mes parents étaient morts ou qu'ils m'avaient confiée parce qu'ils ne pouvaient pas s'occuper de moi. Mais Morgan est revenue dans ma vie comme si son absence n'avait duré que quelques minutes et que ce qui s'était passé entre nous était tout à fait normal. Je crois que j'aurais préféré ne jamais la connaître et ne rien savoir. Le pire, c'est que je ne sais même pas si je lui en veux ou que je n'arrive même pas à être en colère."

Elle eut un petit rire pour masquer les sanglots.

"Et là, j'apprends que j'ai un père et qu'il est furieux de savoir que Morgan lui a fait un enfant dans le dos. Et moi, comme une imbécile, je viens à sa rencontre parce que je ne veux pas qu'il soit en colère. Je sais que ce n'est pas contre moi. Mais ça me fait mal. Et tu vas trouver ça totalement idiot, mais la nuit dernière j'ai rêvé qu'il ne voulait pas me voir et que je disparaissais. D'un coup, comme ça, sans laisser de trace."

Elle tenta de rire de nouveau, mais le cœur n'y était plus. Elle n'osa même pas relever la tête.

[Galathée]

Son vis à vis ne répondit d'abord rien. Ce n'était probablement pas son genre de conversation, qui avait viré au gris de manière inattendue.
" Les rêves sont rarement prémonitoires, même s'ils peuvent servir d'inspiration."
Il poussa un bref soupir.
" Je ne sais que te dire. Oui, il ne t'aimera peut-être pas. L'amour ne se commande pas. Certainement pas par le sang. Et vous partez sur des bases franchement branlantes. Mais ça ne veut pas dire qu'il sera désagréable. Et ça ne veut certainement pas dire que tu vas disparaître. Evaluer notre propre valeur à l'aune de l'amour qu'autrui nous porte... C'est un travers ordinaire mais terriblement dangereux."

[Althéa]

"Je t'avais dit que c'était idiot.", répondit Amélie avec un sourire.

Elle sentit cependant un gros poids quitter ses épaules. Elle savait qu'il n'y avait aucune chance que Brandon Devlin veuille créer un lien avec elle, même ténu. Elle lui rappelait sûrement trop de mauvais souvenirs. Mais au moins, elle l'aurait vu au moins une fois. Un souvenir, un visage à mettre sur un nom, une boucle bouclée sur ses origines.

Elle ferma les yeux et respira longuement. Quand elle les rouvrit, l'inquiétude avait disparu.

[Galathée]

" Bon, un dernier bol d'air frais et au lit !" s'exclama le Sunite en se levant.
A l'extérieur, il faisait désormais complètement noir mais l'Ivresse poursuivait sa route. On devinait la lanterne qui éclairait la proue, celle qui éclairait la poupe, se balançant dans les ténèbres. Il y avait une lueur, très discrète, loin sur leur gauche, sans doute un autre navire qui croisait entre les îles. La silhouette pâle du sculpteur se découpait comme un fantôme sur la nuit, à l'avant du voilier, face à leur destination lointaine. Dans la salle à manger, ne restaient plus qu'Amélie et Angèle, endormie sur son siège.

[Althéa]

Amélie ne put s'empêcher de sourire en voyant son amie endormie. Malgré toutes ses angoisses, elle s'était laissée surprendre par le sommeil. Si elle la laissait ici, le réveil risquait d'être difficile et elle risquait de prendre froid. Aussi se risqua-t-elle à la réveiller. Elle-même, fatiguée par tous les événements de la veille n'aspirait qu'à se coucher.

Elle vint jusqu'à elle et la secoua doucement par l'épaule. Angèle ne sursauta presque pas. Mieux que ça, elle gagna sa cabine sans protester ni expliciter la moindre angoisse. Amélie, quelque peu rassérénée alla se coucher à son tour.

[Galathée]

La nuit se déroula sans heurts, sans signe de tempête ou de fracas particulier. L'Ivresse progressait dans le noir, sur les vagues tranquilles, profitant de la brise. Le soleil réveilla les passagers au petit matin, d'abord du côté est, bien sûr, filtrant au travers des rideaux, petit à petit. Il y avait du mouvement sur le pont, tant Angèle qu'Amélie pouvaient l'entendre, mais jusqu'ici, personne n'était venu frapper à leur porte pour les avertir que le petit déjeuner était servi. Peut-être était-il encore très tôt — après tout c'était l'été — ou alors avait-on estimé qu'elles méritaient de dormir... Toujours est-elle qu'elles disposaient de leur temps, de ce jour et des jours suivants, comme elles l'entendaient...

[Althéa]

Amélie prit tout son temps pour se réveiller, se lever et s'habiller. Elle n'avait pas encore très faim ni n'était pressée par quoi que ce fut. Erhedun était encore loin. Ses inquiétudes semblaient s'être éloignées. Elle n'avait fait aucun cauchemar. Comme la veille, elle laissa ses chaussures de coté. Puis elle sortit de sa cabine pour se rendre sur le pont et respirer l'air du large.

Angèle quant à elle avait moins bien dormi, dérangée par les grincements du bateau et le fait de se retrouver ailleurs que dans son lit. Mais elle avait tout de même fini par succomber au sommeil. Comme Amélie, elle avait pris son temps pour se lever et s'habiller. Puis elle était sortie à son tour de sa cabine. Comme tous les matins, elle ne serait pas véritablement réveillée jusqu'à ce qu'elle ait bu au moins un thé.

[Galathée]

Les deux jours suivants se déroulèrent tranquillement, au gré des vagues, dans une ambiance détendue, estivale, comme si plus rien n'existait au monde sinon la mer, le soleil et le pont de leur petit voilier. Il y avait juste ce qu'il fallait de vent, et après avoir un moment navigué vers le large, ils avaient obliqué vers la terre ferme et demeuraient en vue des côtes, verdoyantes, tout en remontant vers le nord. L'équipage, bien que restreint, veillait sur leur confort, le capitaine menait son rafiot sans inquiétude, et il n'y avait pas grand chose à faire sinon lire, dessiner, penser, écrire, pêcher si on s'en sentait le goût. Parfois, ils croisaient un autre bateau, parfois un petit navire de pêche, parfois un transport bien plus gros, et le ciel était limpide. C'est seulement le soir du troisième jour que les nuages apparurent. Cela ne sembla pas inquiéter Valtameri outre mesure mais Joshua confia aux Dorrandines qu'il n'était pas impossible qu'ils essuient une courte tempête estivale, du genre fracassante mais brève. Les heures à venir le diraient...

[Althéa]

Une tempête ... C'était l'élément qu'elles redoutaient le plus pour ce voyage en bateau.

Amélie comme à son habitude prit l'annonce avec philosophie : tant qu'elle n'était pas au-dessus de leurs tête, il n'y avait pas de raisons d'être inquiète. Angèle quant à elle se contenta de hocher la tête sans rien dire. Peut-être était-elle quelque part contente de voir une de ses craintes se concrétiser. Ou peut-être s'était-elle rendu compte que Valtameri maîtrisait son bateau mieux qu'aucun capitaine. Dans tous les cas, elles restèrent sur le pont en observant le ciel.

[Galathée]

Soren était un peu plus nerveux que d'ordinaire, mais pas vraiment inquiet. Valtameri, lui, était parfaitement calme. L'équipage, fébrile, courait à droite à gauche pour les préparatifs. Joshua s'arrêta devant les deux Dorrandines. Il sourit à Amélie, parut plus circonspect en croisant le regard d'Angèle.
" Il n'y a aucun danger, aucun. Il n'y a pas de récifs à proximité et le mât est traité pour repousser la foudre. L'Ivresse a une excellente stabilité et le capitaine la maîtrise parfaitement. Mais ça va secouer. Vous pouvez rester dehors tant que c'est encore tranquille, mais à mon signal, il faudra obligatoirement descendre. Le plus grand risque, c'est de passer par dessus bord."

[Althéa]

"ça n'arrivera pas."

La voix d'Angèle avait résonné, parfaitement calme. Amélie surprise se tourna vers elle. Son air inquiet avait laissé place à une sorte de résolution tranquille. Elle se rendit alors compte qu'elle ne l'avait jamais vue face à un "danger" avéré. Ou peut-être était-ce un calme de façade et voulait-elle rassurer son entourage. C'était difficile à savoir. Dans tous les cas, elle ne la laisserait pas seule, même une fraction de secondes.

Elle-même n'avait pas peur à proprement parler : l'équipage avait l'air d'avoir l'habitude de ce genre d'événements et comme Joshua l'avait dit, ils ne risquaient ni la foudre, ni les récifs. Elle se sentait un peu nerveuse à l'image de Soren. Et elle espérait ne pas avoir provoqué Umberlie à cause de sa chanson.

[Galathée]

Rassuré sur l'attitude des passagères, Joshua retourna à ses tâches. Le ciel s'obscurcissait peu à peu, elles aperçurent un éclair marbrer les nuages sombres, un peu plus loin vers l'ouest. Soren vint s'asseoir à proximité.
" Quelle déveine." grommela-t-il.
Le vent fraîchissait, ce qui était peut-être la source de la mauvaise humeur du prêtre. Il trouvait probablement la chair de poule peu esthétique. L'Ivresse roulait avec plus d'énergie, désormais, se dandinant sur les vagues au son d'une musique inaudible. Le capitaine fit abattre la voile. L'océan se couvrait peu à peu d'écume. Il y eut une première rafale vigoureuse. Il était encore possible de rester assis mais se déplacer debout devenait hasardeux pour qu'il n'avait pas un excellent équilibre ou l'habitude des flots. De plus en plus d'éclaboussures franchissaient le plat bord et à la faveur d'une belle gerbe d'eau glaciale, Soren disparut sous le pont. Il faisait gris mais il ne pleuvait pas encore, et les roulements du tonnerre étaient distants.

[Althéa]

Angèle et Amélie sur le pont, avaient tenté de faire bonne figure devant les éléments déchaînés. Et encore, ce n'était qu'un prélude vu que l'orage ne s'était pas encore abattu sur eux. Lorsque Soren avait disparu sous le pont, Angèle s'était levée à son tour et avait tendu la main à sa cadette.

"Il faut qu'on descende aussi. ça risque de devenir dangereux ici."

Son amie, trempée et glacée n'émit aucune objection. En se tenant autant qu'elles le pouvaient, elles se dirigèrent vers les cales aussi vite qu'elles le pouvaient.

[Galathée]

Et elles furent secouées, comme l'avait annoncé Joshua. Fortement secouées. Si bien qu'à certains moments, le sol paraissait pratiquement à la verticale. Mais l'Ivresse reprenait toujours sa place sur les flots, avant de bondir à nouveau. Il était, bien évidemment, impossible de dormir : il fallait se cramponner et attendre, l'estomac au bord des lèvres. La tempête prit de l'ampleur, le vent siffla tout autour d'eux, les vagues les martelèrent, encore et encore, le tonnerre se rapprocha, puis les assourdit de grandes explosions, tandis que l'eau leur apparaissait par moments lumineuse, quand un éclair claquait non loin, en zébrures au travers d'un hublot. Le temps parut se distendre dans le fracas, chaque seconde était tonitruante et agitée, l'environnement paraissait appartenir à un autre plan, distant et imprévisible. Puis, aussi vite que la tempête était arrivée sur eux, elle s'éloigna. Les vagues se calmèrent, le grondement de l'orage décrut et le silence, presque lourd, avala le navire.
Quelques secondes plus tard, il y eut des pas dans la coursive, puis on frappa à la porte.
" C'est terminé. Si vous avez faim, on peut organiser quelque chose... Sinon, je vous souhaite la bonne nuit."

[Althéa]

Un bon nombre de fois, elles avaient crû que le bateau allait sombrer, transies de froid et secouées alors que la tempête au dehors faisait entendre sa fureur. Amélie avait été malade plusieurs fois avant de finir prostrée sur la couchette de sa cabine. Chaque fois que ses forces lui avait permis de relever la tête, elle avait découvert Angèle en train de veiller sur elle. Chaque fois, elle avait fait en sorte qu'elle ne salisse pas et ne se fasse pas mal. A un moment, elle lui avait souri. Un sourire rassurant auquel elle ne s'était pas attendue, mais auquel elle répondit malgré tout.

Épuisée, elle avait sombré dans un demi-sommeil dès que les éléments s'étaient assez calmés pour lui laisser fermer les yeux. Elle n'avait pas entendu Joshua venir leur proposer dîner, ni Angèle lui répondre.

"Merci, mais je crois que nous avons tous besoin de repos avant tout. Est-ce que tout le monde va bien, sur le pont ?"

[Galathée]

" Oui. Il n'y a pas de casse, juste beaucoup d'eau. Mais le ciel est désormais dégagé et la voûte magnifique. Si vous avez le goût des étoiles, c'est une nuit superbe. Mais il y a de fortes chances que la prochaine et la suivante le soient également. Les tempêtes estivales sont très rares et nous aurons eu la nôtre ! J'espère que ça n'aura pas été trop pénible pour vous..." continua Joshua, à travers la porte de la cabine.

[Althéa]

"Nous allons bien, merci. Nous avons juste été un peu secouées, voilà tout."

Elle espérait qu'il en allait de même pour Soren. Elle s'assura qu'Amélie dormait paisiblement et après avoir rajouté une couverture sur elle entreprit d'aérer un peu la cabine. Après quoi, elle monta sur le pont. Elle avait besoin de souffler un peu et surtout ne pouvait résister à l'appel de la voûte étoilée, surtout après des heures de confinement.

Allant s'accouder au bastingage, elle chercha le sunite du regard.

[Galathée]

Mais le Sunite n'était pas sur le pont : sans doute, comme Amélie, avait-il préféré s'endormir dès que la mer s'était enfin calmée. Valtameri barrait toujours et seul Joshua était visible parmi les matelots. Le pont était trempé mais le vent était déjà tombé et il faisait plutôt bon après le froid de la tempête. Le ciel, comme l'avait promis le jeune matelot, était somptueux. On distinguait des millions d'étoiles et même les constellations les plus rares étaient visibles. On devinait aussi, loin vers l'est, de minuscules éclats, peut-être les reflets d'une petite cité portuaire. Joshua avança vers la proue pour jeter l'ancre. Après les cahots du crépuscule, tout le monde avait sans doute besoin de se reposer.

[Althéa]

Angèle était restée un long moment plongée dans la contemplation des étoiles. Certaines constellations qu'elle avait toujours rêvé d'apercevoir, pour lesquelles elle avait passé des nuits entières dehors et les yeux levés vers le ciel sans succès étaient visibles. Un spectacle magnifique et elle regretta qu'Amélie ne soit pas debout pour le voir. Elle pensa à Malo qui partageait sa passion. Il faudrait qu'elle lui parle de ce ciel étoilé, de la tempête et de bien d'autres choses encore.

Le lendemain, elle continuerait sa lettre. Et puis, elle lui dirait que s'écrire ne faisait pas tout et qu'elle était prête à savoir ce qui se passerait s'ils se rapprochaient un peu plus ... Elle en avait assez d'avoir peur de chimères et de ce qui pourrait advenir. A présent, elle voulait vraiment vivre.

[Galathée]

Joshua et Valtameri ne tardèrent pas à descendre sous le pont et Angèle demeura seule sous la voûte céleste avec ses pensées et ses bonnes résolutions. La tempête avait été courte, contrairement à ce que la violence des éléments et des émotions associées aurait pu le faire croire, et la nuit serait encore longue. Les lumières de la côte disparaissaient une à une, et les ténèbres, peu à peu, recouvraient la mer. Le ciel demeurait lumineux et fantastique. Le vent s'était réduit à une brise estivale. C'était le genre de nuit où, sur terre, on se serait couché dans l'herbe pour dormir à la belle étoile. Mais le pont était peu confortable et Angèle devrait bientôt décider de veiller ou d'aller dormir... en plus du reste.

[Althéa]

Si elle avait été dans le jardin du Clos, elle se serait allongée dans l'herbe les yeux perdus dans la voûte céleste. Mais elle n'était pas chez elle et n'avait aucune envie de s'allonger sur le pont du bateau. Elle s'arracha à regret au spectacle des étoiles et regagna la cale.

Là, elle s'assura qu'Amélie dormait encore et alla se coucher à son tour et ne tarda pas à tomber de sommeil.

[Galathée]

La journée du lendemain commença paisiblement : le soleil était de retour, la brise était tiède et suffisamment vive pour gonfler les voiles et l'Ivresse filait bon train sur les vagues bleues. Chacun avait adopté un couvre-chef pour se protéger de la vigueur des rayons, et il était de bon temps de préférer les chemises légères mais couvrantes à des tenues plus exposées, sous peine de souffrir de brûlures. Valtameri avait cédé la barre à Joshua, les deux autres matelots nettoyaient le pont, le capitaine examinait des cartes dans la salle à manger, les passagers vaquaient.
Soren, appuyé au bastingage, attira soudain l'attention d'Amélie.
" Tu as sûrement de meilleurs yeux que moi, jeune fille. Est-ce que tu ne vois pas un petit point noir, juste là ?"
Il désigna quelque chose sur l'eau, vers l'ouest. Une tache. Minuscule.
" Ça pourrait être une baleine, je suppose, mais ça a l'air un peu plus... bosselé..."
Il n'avait pas complètement tort. Amélie crut alors entendre quelque chose... porté par le vent... mais peut-être pas.

[Althéa]

Amélie poussée par la curiosité plissa les yeux autant que Soren, se pencha autant que la prudence le lui permettait. Pourtant, elle n'arriva pas à distinguer l'animal qui évoluait à quelques mètres d'eux. Soren avait dit qu'il s'agissait peut-être d'une baleine et cette idée l'émerveillait. Un des plus gros animaux de Féérune et de très loin. Elle avait entendu les chanceux qui en avaient aperçu louer leur chant avec émotion.

Alors elle écouta, espérant que le vent lui en apporte l'écho, espérant qu'ils pourraient se rapprocher un peu pour leur permettre de l'apercevoir.

"Il nous faudrait une longue vue", décida-t-elle.

Et elle alla voir Joshua histoire de lui demander s'il possédait ce dispositif et surtout s'il pouvait le leur confier, rien que quelques minutes.

[Galathée]

Joshua, un peu surpris, lui dénicha l'instrument requis dans un nécessaire qui restait fixé près du château arrière. Amélie put ensuite rejoindre Soren, qui avait toujours la main en visière, en espérant que la créature n'ait pas disparu.
Ce n'était pas le cas et elle put facilement la retrouver à la longue-vue. Elle comprit alors tout de suite que ce n'était pas un animal, mais bien un radeau de fortune, sur lequel trois ou quatre personnes — des silhouettes imprécises, à pareille distance — se cramponnaient tant bien que mal.