[Ambre] Intervention - code 7 - 14/289.16

[Galathée]

L’odeur indiquait clairement que les dégagements de gaz sulfuré avaient dépassé le seuil critique depuis belle lurette. Même si ses poumons s’étaient adaptés pour filtrer aussitôt les émanations toxiques, Harold abaissa la visière de son casque pour donner l’exemple à ses compagnons. Debout sur le promontoire rocheux surplombant la zone d’algues nauséabondes, il jeta un regard circulaire sur les lieux, cherchant le passage par lequel ils étaient censés rejoindre la grotte d’où émanait le signal.
Derrière lui, les pales de l’hélicoptère terminaient leur ultime rotation. Le vacarme ne décrut en rien : la cataracte d’eau brune qui dégringolait le long de la falaise sur leur droite était tonitruante, charriant des rocs, des troncs noircis, parfois les restes d’un véhicule ou d’une construction. Parfois, aussi, des cadavres. Mais le torrent était tellement violent que l’œil ne parvenait pas à y discerner grand chose. C’était tant mieux.
Ils étaient arrivés sur le site suite à un signalement de code 7, ce qui voulait dire qu’une balise avait été déclenchée, mais peut-être depuis un certain temps, et sans certitude qu’il y ait encore quiconque de vivant dans les parages. La grotte qu’ils visaient était située dans un ravin trop encaissé pour l’hélicoptère, et il avait fallu se poser en contre-haut. A voir ce qui émanait des lieux, en volutes jaune moutarde, Harold devinait aisément ce que dirait Edgar quand il arriverait à sa hauteur : que personne ne pourrait survivre au cœur de ce nuage mortel. Il n’aurait pas tort. Mais la grotte était au-delà, et il n’était pas interdit de penser qu’il y avait là une poche d’air respirable. Et de l’eau. De la nourriture. Beaucoup de choses improbables mais pas complètement impossibles.
Il y avait une voie d’accès sur la gauche, il faudrait poser des pitons et sans doute sonder la surface couverte d’algues avant de progresser plus avant. Il était possible qu’il s’agisse d’un sol friable ou pire, de sables mouvants. Les cartes de la région dataient déjà trop compte tenu des derniers événements, et Nora ne pouvait rien garantir quant à la stabilité du terrain.
Il entendit des pas sur sa gauche et se retourna pour accueillir son premier équipier.
« Je pense qu'on peut tester par là. Sauf si tu vois un meilleur angle d'attaque. »

[Vel Cheran]

Sans se départir de son éternel sourire, Nora observa le passage proposé par Harold.

Je n'aurais pas dit mieux, chef ! lui répondit-elle dans l'intercom intégré à leur casque. Bon, il va falloir quand même que je sonde un peu le terrain, on ne voit rien en-dessous du limon. J'espère que ça n'est pas trop collant, sinon on va devoir passer tout l'équipement sous la douche en rentrant !

Un bruit de pas déterminé, reconnaissable entre tous, se rapprocha d'eux.

Vérifiez tous les casques des uns et des autres, il ne faut pas respirer ces vapeurs, leur ordonna Edgar sans préambule. Personne ne peut survivre au cœur de ce nuage mortel, ajouta-t-il en un étrange écho aux pensées de Harold.

Tous s'exécutèrent : bien qu'Edgar n'ait pas de grade particulier dans l'équipe dont Harold était à la tête, tous lui témoignaient une confiance aveugle quand il s'agissait de survie en milieu hostile. C'est-à-dire dès que l'on mettait le nez dehors, à vrai dire.

Une fois faites les vérifications d'usage, et alors que le reste du commando les avait rejoints, Nora se dirigea vers le chemin proposé par Harold et sortit de son sac un ensemble de pièces métalliques, qu'elle entreprit d'assembler. Le résultat ressemblait à une grosse perceuse, mais avec un long cylindre en lieu et place de sa pointe. Le temps de l'opération, Sam, l'un des médecins de l'équipe, s'était approché et, accroupi au-dessus des algues, il entreprit d'en gratter la surface avec un couteau.

Fais gaffe que ça n'abîme pas ta carotteuse, Nora. On sait jamais, avec cette merde, si c'est pas corrosif en plus d'être empoisonné.

Ça, c'est à toi de me le dire, répliqua Nora en riant. À chacun son boulot, tu te souviens ?

[Galathée]

Pendant que ses collègues devisaient avec leur camaraderie coutumière, Harold observait l'environnement : le ciel maussade, qui leur promettait une pluie acide avant la nuit, la cascade d'eau boueuse, dont le cours était heureusement distant, les rochers sulfureux devant eux et, plus loin, les parois grises du ravin avec la grotte, quelque part, invisible de là où il se trouvait. Le paysage avait changé dans les dernières semaines, suite à plusieurs séismes suivis d'un glissement de terrain. Il savait que Nora pariait sur une éruption prochaine du volcan voisin. Ce ne serait que la sixième en autant de mois.
Même si les dangers de l'intervention étaient non négligeables, il ne se sentait pas particulièrement inquiet. Il savait qu'à la moindre alerte, Flavian ferait décoller l'hélicoptère et ils reprendraient de l'altitude avant d'aviser. Le ciel n'était pas toujours sûr, mais il l'était nettement plus que la terre.

Il baissa les yeux sur Nora et Sam, tout en faisant jouer le filin qu'il avait à la ceinture, plus par réflexe que pour en tester le mécanisme. Il passerait devant, comme toujours, dès qu'ils lui en donneraient le signal. D'ici là, il n'y avait nul besoin d'intervenir : chacun d'entre eux était encore vivant, ce qui signifiait que chacun d'entre eux connaissait parfaitement son travail, ses limites, ses compétences, et celles des autres. Dans leur secteur, la confiance était cruciale et il ne doutait d'aucun des membres de son équipe.

[Vel Cheran]

Nora étudiait le résultat de son carottage, l'air sceptique. Sam regarda par-dessus son épaule, mais sans vraiment savoir quoi tirer de ce qui n'était pour lui qu'un cylindre de roche.

Euh, et donc ? Vue la position de tes sourcils, je mise sur une mauvaise nouvelle.

Vue la facilité avec laquelle j'ai fait mon carottage, tu aurais pu le deviner. C'est de la craie, assez friable, donc pas franchement idéal pour descendre en rappel. Mais on n'a pas trop le choix, alors il faudra faire gaffe en plantant les pitons. Enfin bon, ça aurait pu être pire. Ça l'est peut-être plus bas, note bien.

Edgar haussa les épaules.

On plantera plus profond, voilà tout. T'en penses quoi, Harold ? On va pas attendre ici qu'la craie s'transforme en granit.

Malgré sa question, l'ancien militaire avait déjà sorti un piton et un marteau et s'agenouillait pour planter une première prise dans la roche.

[Galathée]

" J'y vais." dit Harold, en se positionnant juste derrière Edgar.
Il jeta un oeil en contrebas, puis derrière son épaule. Ils étaient assez de quatre pour descendre, trois si la voie était vraiment mauvaise. Nora n'apprécierait pas de rester en arrière mais elle s'y plierait au besoin. Harold récapitula mentalement le matériel qu'il avait dans son sac à dos. Embarquer de l'oxygène ne serait pas superflu s'il en manquait dans la grotte, mais le poids des bonbonnes risquait d'affaiblir les pitons. Il décida de faire sans. Ils aviseraient en cas de crise et, a minima, ils emportaient des masques filtrants.
" Sam, tu passes après moi, Edgar en trois. Nora, éventuellement."
Elle allait peut-être grommeler, mais elle avait l'habitude. Et de toute façon, ce n'était pas ouvert à la discussion.

[Vel Cheran]

Sans discuter, Edgar et Sam prirent leurs positions, prêts à descendre à la suite de Harold. Nora, en revanche, haussa un sourcil, agacée.

Tu plaisantes ? Comment veux-tu que je vérifie la composition du terrain si je reste en haut ? À l'odorat ?

Si tu arrives à sentir autre chose que les vapeurs méphitiques des algues, je te tire mon chapeau, lança Sam pour détendre l'atmosphère, mais sans succès.

[Galathée]

Harold n'était pas d'humeur à polémiquer. Il savait aussi que c'était inutile : Nora ne lâchait jamais le morceau, même quand elle avait tort. Ici, c'était juste une question de coûts et de bénéfices. Le travail de Nora était surtout utile en amont des interventions : une fois sur place, ils improvisaient quand c'était nécessaire. Il était particulièrement bien placé pour le faire et c'était ce qui avait fait sa réputation.
" Attendez mon signal." dit-il simplement.
Il fixa son filin au piton et lorgna une seconde la paroi, cherchant une première prise, avant de quitter la pierre plutôt solide du promontoire. Il n'avait pas l'intention de se laisser glisser jusqu'en bas : il y avait suffisamment d'aspérités pour tenter une descente progressive... si tout ne s'effondrait pas, bien sûr. Au pire, Edgar le retiendrait. L'un dans l'autre, il fallait y aller, et c'est ce qu'il fit.

[Vel Cheran]

La descente s'amorça sans encombres : Edgar avait bien fixé le piton, comme d'habitude. Le reste du commando lui accordait une confiance aveugle pour les problématiques de sécurité. La paroi était recouverte d'algues luisantes, néanmoins, et les prises étaient assez difficiles à attraper fermement.

Gwyn était arrivé sur ces entrefaites, Hécate sur ses talons. Gwyn avait des compétences en mécanique, mais surtout un naturel empathique. C'est la raison pour laquelle il passait beaucoup de temps avec Hécate, dernièrement, car celle-ci était en plein surmenage. Malgré les fréquentes injonctions de Harold pour qu'elle se repose, Hécate insistait pour se joindre systématiquement à eux, arguant qu'un deuxième médecin était indispensable pour venir en aide aux civils, sans compter qu'elle avait plus d'expérience de terrain que Sam. Cela ne faisait qu'aggraver son état de tension, néanmoins, et poussait Sam à se surpasser pour réduire la charge de travail de sa collègue, contre l'avis d'Edgar qui lui avait clairement signifié qu'il finirait dans le même état que Hécate à ce rythme.

Gwyn posa une main apaisante sur l'épaule de Nora.

Tu sais que Harold fait de son mieux. En plus, si Edgar descend, tu es la mieux placée pour s'assurer que la descente se fait en toute sécurité, et replanter des pitons si nécessaire.

Les épaules de Nora se relâchèrent. Gwyn était sans doute le seul à réussir à lui faire entendre raison en quelques mots lorsqu'elle prenait la mouche. Ce qui, il faut bien l'avouer, était assez rare étant donné son caractère d'ordinaire enjoué.

C'est vrai, désolée. Je ne sais pas trop ce qui m'a pris.

Avec un sourire en coin, elle ajouta, sur la fréquence commune afin que tout le monde l'entende :

Et puis, si Harold se gamelle parce que le terrain change de composition en cours de descente, ça sera bien fait pour sa gueule !

Mais il était évident qu'elle n'en pensait rien.

Edgar assurait la descente de Harold, ne le quittant pas des yeux autant que faire se peut. Néanmoins, le chef du commando disparaissait régulièrement derrière des aspérités, avant de reparaître quelques mètres plus bas. Les prises étaient de plus en plus humides. Harold posa son pied gauche sur un petit promontoire recouvert de limon afin de reprendre son souffle. Celui-ci semblant solide, il y posa également son pied droit. Dans un grand bruissement, le bloc de craie s'effrita. Déséquilibré, le jeune homme lança sa main droite en avant pour se raccrocher à une prise, mais elle glissa sur la vase et se referma sur du vide.



HRP : allez, de l'ambiance sonore ici aussi, y a pas de raison.

[Galathée]

Harold ne céda pas à la panique. Il savait, instinctivement, qu'il ne pourrait pas mourir d'une chute pareille. Il savait aussi qu'Edgar l'assurait. Il sentit son organisme réagir à l'urgence, cependant, sans qu'il puisse le contrôler. Sa combinaison était trop ajustée pour que la transformation soit visible —*ce qui était une chance, une nécessité même, il n'avait aucune envie d'exhiber son inhumanité — mais il perçut, à l'intérieur de lui-même, le frémissement de ses cellules, comme un chatouillis désagréable mais désormais familier, alors qu'elles se préparaient à absorber l'impact.

[Vel Cheran]

Le vol de Harold fut court : Edgar réagit au quart de tour et bloqua la corde, ce qui arrêta net le chef du commando. À cause d'un épaulement rocheux, ils ne pouvaient pas voir ce qui lui était arrivé, et Sam lança :

Un problème, Harold ? Pas de bobo ?

[Galathée]

Harold sentit son organisme se détendre comme la promesse de choc s'éloignait. Il se rétablit sur la corde, chercha une prise sur la paroi fragile, sans grands espoirs.
" Tout va bien, ma prise a lâché. Nora a raison : cette caillasse ne tient pas. Tu vas sans doute devoir me soutenir jusqu'en bas."
En espérant que le sol tienne, lui, ce qui n'était pas garanti non plus.

[Vel Cheran]

Ok, on va tous descendre en rappel, alors, répondit Edgar, qui avait conservé un calme olympien pendant l'incident, contrairement à Nora et Sam dont le visage s'était temporairement tendu.

Tout en déroulant la corde doucement, sans à-coups, il jeta un coup d’œil à la cantonade, réfléchissant à toute vitesse à la situation. Il était le plus musclé du groupe, et pouvait donc faire descendre les autres membres du commando mais aussi (et surtout) les remonter à la force des bras. En effet, s'il n'y avait pas assez de prises fiables sur la falaise, le retour serait périlleux. Gwyn lui fit signe de bloquer la corde et se pencha vers le vide, plus par réflexe qu'autre chose puisqu'ils étaient tous en liaison intercom.

Changement de plans, alors. Je propose qu'Edgar et moi nous chargions de descendre et remonter tout le monde, et que Nora et Sam te rejoignent en bas. Ça te va ? Ou tu préfères que je descende aussi ?

S'il était évident qu'Edgar se chargerait de la majeure partie du boulot, Gwyn préférait systématiquement se placer en position de soutien. Ça ne mangeait pas de pain et ça rassurait l'équipe.

[Galathée]

Edgar avait beau être musclé, Harold était en réalité plus costaud que lui, mais c'était un domaine où il était toujours resté en retrait et il n'avait pas l'intention d'en changer, sauf crise majeure.
" Très bien pour moi. Fais descendre Sam et Nora. Si on a besoin de plus de monde, on vous préviendra, mais jusqu'à nouvel ordre, on n'est même pas sûr qu'il y ait quelqu'un dans ce trou. Autant limiter les risques."
Les dépenses d'énergie inutiles, vu leurs conditions de rationnement, n'étaient jamais anodines.

[Vel Cheran]

Ok, je reprends la descente.

Alors qu'Edgar recommençait à dérouler la corde, Gwyn prit l'autre extrémité et la passa dans son baudrier afin d'assurer au cas où Edgar aurait une défaillance : bien que cela reste improbable, le risque nul n'existait pas. Edgar était d'ailleurs le premier à le rappeler.

Harold toucha bientôt le sol spongieux. Ses pieds s'enfoncèrent légèrement, recouvrant le dessus de ses bottes. Mais cela n'était dû qu'au tapis d'algues et à l'humidité ambiante : pas de sables mouvants en vue. Un peu plus loin et un peu plus haut, sur sa droite, l'ouverture de la grotte visée le narguait, au sec.

Sam s'approcha du piton, prêt à se harnacher à son tour, une fois que Harold se serait détaché et que Edgar et Gwyn auraient remonté la corde.

C'est comment, en bas ? demanda Nora. Tu ne t'enfonces pas trop ? Tu peux bouger ? Dis-nous avant de te détacher, qu'on puisse te remonter au cas où...

[Galathée]

Il fit un pas ou deux, puis jeta un coup d'oeil à ses semelles, pour s'assurer qu'elles ne s'altéraient pas au contact des algues. Le matériau composite dans lequel elles étaient fabriquées était solide et prévu pour résister à la corrosion, mais chaque semaine leur apportait de nouvelles découvertes inquiétantes en matière de biorisques.
" C'est meuble sur une dizaine de centimètres, mais ça ne s'enfonce pas davantage. Je me détache. Je vois la grotte, un peu plus haut. Vérifiez la batterie de vos neutraliseurs."
Il débloqua le filin de sa ceinture et continua à progresser prudemment vers la caverne, scrutant les lieux à travers la brume jaunâtre, à la recherche de signes de vie. Si quelqu'un habitait encore là-dedans, il devait disposer d'un chemin d'accès plus pratique qu'un mur d'escalade friable. Il posa la main, par prudence, sur son neutraliseur. Il n'était pas rare que les rescapés, affamés, fiévreux ou rendus fous par l'angoisse, se montrent peu reconnaissants envers leurs sauveteurs...

[Vel Cheran]

Sam se harnacha et commença à descendre, Edgar et Gwyn déroulant la corde petit à petit. Ne cherchant pas à saisir les prises, il se contenta de pousser avec les pieds à intervalles réguliers afin de ne pas heurter la paroi. Il finit par toucher le sol en douceur et se détacha, avant de rejoindre Harold. Un genre de plage, en léger surplomb du tapis d'algues, se trouvait à une vingtaine de mètres d'eux. Néanmoins, la route pour y parvenir passait par du limon un peu plus agité que le reste, semblant indiquer le passage d'un cours d'eau. Peut-être était-ce un effluent de la cascade derrière eux ; il n'y avait pas d'écoulement continu entre les deux zones, aussi était-il possible qu'il soit partiellement souterrain et débouche à cet endroit-là, histoire de ne pas leur simplifier la vie. La loi de Murphy, quoi.

Ce fut au tour de Nora, qui s'attacha et passa l'autre brin de la corde dans son baudrier.

Je vais vous simplifier la tâche, expliqua-t-elle à l'intention d'Edgar et de Gwyn, bien que ceux-ci aient très bien compris ce qu'elle faisait. Nora se sentait parfois obligée de tout expliquer. Je vais m'auto-assurer pendant le rappel, ça ira plus vite, et vous pourrez vous reposer.

À ta guise, répondit simplement Edgar en haussant les épaules.

Fais gaffe, ajouta Gwyn. Harold a failli se planter, alors que c'est pas trop son genre.

Maintenant qu'il a cassé toutes les bonnes prises, il ne devrait plus rien m'arriver de dangereux...

[Galathée]

Sauf si leur premier piton lâchait, bien sûr. Harold ne comprenait pas pourquoi Nora tenait à faire la dure, alors que vu son poids, ni Gwyn, ni Edgar n'auraient eu du mal à l'assurer. Mais il savait aussi qu'elle prendrait tout commentaire comme une provocation et il n'avait déjà pas arrangé son cas en proposant qu'elle ne descende pas du tout. Aussi, plutôt que d'inspecter cette zone probablement liquide, retourna-t-il vers son futur point d'atterrissage, mine de rien. S'il arrivait quoi que ce soit, il serait à la réception... et cela éviterait un drame "improbable mais pas impossible", comme bien des choses dans leur activité.
Il savait qu'en arrivant en bas, indemne bien sûr, elle lirait ça comme davantage qu'un simple souci de sa sécurité : elle y verrait du paternalisme mâtiné d'un certain intérêt sentimental. Mais il ne savait pas bien comment s'y prendre pour qu'il en soit autrement. Il ne pouvait pas prendre le risque qu'elle se brise l'échine, c'était tout. Mais l'affirmer empirerait encore la situation et il avait appris, avec Nora et avec bien d'autres, que le silence était sa meilleure option.

[Vel Cheran]

La descente se passa sans difficulté apparente : que Nora soit fatiguée ou non, elle se garda bien en tous cas d'en montrer le moindre signe extérieur. Mettant pied à terre (ou plutôt sur les algues), elle se tourna vers Harold avec un sourire contenu.

Je vois que tu étais prêt à me secourir au cas où un terrible dragon avait eu l'idée de m'attaquer en plein vol. Mais, ne t'inquiète pas, ajouta-t-elle, en profitant pour poser sa main sur le bras de Harold, je sais encore me servir de mes deux mains et de mes deux pieds.

Elle s'avança vers Sam, prenant garde où elle posait les pieds. Celui-ci s'était arrêté devant l'apparent cours d'eau agitant le limon, ne sachant trop quelle route prendre.

Bon, tout en descendant, je n'ai pas perdu mon temps. A priori, on n'a que de la craie tout du long, mais aussi friable que ce que je craignais : pas surprenant que le chef ait failli se viander.

On a un autre problème que la friabilité de la paroi, là... J'ai l'impression qu'on a une étendue d'eau à traverser, et je ne suis pas très chaud pour en tester la profondeur en y enfonçant ma jambe jusqu'à la taille.

Quand il s'agit de suturer une plaie, t'es le champion, mais alors niveau débrouillardise dans la nature on repassera, le tança joyeusement Nora. Regarde et apprends.

Dégainant un long couteau qu'elle portait à la ceinture, la jeune femme l'accrocha au bout du filin de son baudrier. Puis elle s'approcha du supposé rivage et laissa pendre son filin à la verticale, le déroulant jusqu'à ce qu'il donne l'impression d'avoir touché le fond : il y avait un bon mètre de profondeur.

Et si ça se trouve, c'est encore pire plus loin...

[Galathée]

Un dragon, cette fille avait de l'imagination : ce genre de choses n'existait pas dans ce monde. Il trouvait curieux la manière dont certains humains se jouaient des risques, alors que leur unique vie était fragile et diablement courte. Peut-être était-ce normal, justement, d'essayer de ne pas la prendre trop au sérieux. Une sorte de... protection mentale.
Harold revint au problème présent.
" Je peux nager au besoin, ce n'est pas un problème. Le courant n'a pas l'air si fort. Je verrai si je peux trouver une prise pour un piton de l'autre côté pour vous assurer ensuite." dit Harold.
Il leur fallait juste tester le pouvoir corrosif du liquide avant de s'y tremper, ce qu'il fit à l'aide d'un échantillon du matériau de leur combinaison, prévu pour ce genre de cas.

[Vel Cheran]

L'échantillon en ressortit apparemment intact, quoi que très gras : la substance sécrétée par les algues, mélangée à l'eau, semblait un peu visqueuse. En pleine réflexion sur les résultats de son expérience, Harold entendit Nora pousser un juron. Tournant la tête vers elle, il constata qu'elle avait connu la même mésaventure avec son couteau, qui était recouvert de liquide verdâtre et collant.

Comment je vais ravoir ça, maintenant ? Si je le nettoie pas, la lame va rouiller dans le fourreau...

Elle s'échina à le nettoyer en le frottant contre sa combinaison, ce qu'elle finit par réussir à peu près correctement mais non sans mal. Sam, de son côté, avait conservé son sang-froid et étudiait l'autre rive d'un œil critique.

Ok, Harold, on peut faire ça. Sois prudent.

Encordez-vous avant, au cas où le courant augmenterait brusquement.

L'intervention d'Edgar fit presque sursauter Sam, mais celui-ci acquiesça. On n'était jamais trop prudent.



HRP : je préfère cette musique, tout compte fait. Et c'est mon dernier mot.

[Galathée]

Harold riva une nouvelle corde à sa ceinture et la confia à Sam avant de descendre dans le courant visqueux, à pas prudents. Les chances qu'une quelconque bestiole ait trouvé refuge dans ce cloaque étaient nulles, mais il pouvait y avoir des obstacles, des rochers cachés, voire de vieilles carcasses métalliques, car on ne voyait rien à travers la surface. Le plus gros risque lui semblait être de déchirer sa combinaison. Même s'il pensait pouvoir y survivre, il n'était pas certain que le contact entre cette eau nauséabonde et une peau, qu'elle soit humaine ou ambrienne, soit souhaitable. Aussi progressa-t-il avec une grande lenteur, tâtant l'espace devant lui du pied avant d'avancer. Au pire, il y mettrait un bras.

[Vel Cheran]

Le sol spongieux semblait descendre en pente douce, et bientôt les algues lui arrivèrent jusqu'au thorax. L'eau était épaisse et sale, de telle sorte qu'il ne pouvait y voir à travers. Ses mouvements en était également extrêmement ralentis, si bien qu'il n'aurait probablement pas pu courir même s'il en avait eu l'intention. Quelque chose lui frôla la jambe, sans qu'il puisse déterminer s'il s'agissait d'un animal, d'une plante ou d'un déchet.

Alors qu'il était prêt à se résigner à nager, il sentit la pente s'inverser, et il s'extraya lentement du cours d'eau. Et posa son pied droit dans une zone manifestement meuble, s'y enfonçant jusqu'au genou. Manquant de perdre l'équilibre et finir la tête dans la vase, Harold parvint à s'équilibrer en plongeant les mains dans l'eau. Malgré cela, il constata rapidement qu'il allait avoir du mal à sortir sa jambe droite de là, n'ayant aucune prise autour de lui et sa jambe gauche complètement pliée pour tenir en équilibre. Pour couronner le tout, il avait l'impression d'avoir été aspiré par le mélange de vase et de sable, ce qui commençait à lui donner des fourmis dans le pied.

[Galathée]

Harold jura intérieurement.
« Sables mouvants. » annonça-t-il d’un ton tranquille, dans son micro.
Il connaissait les manœuvres habituelles, bien sûr. Pas de panique, pas de mouvements brusques, un pas ou deux en arrière si possible, puis s’allonger. Mais la position de départ n’était pas complètement académique... Il allait déjà se mettre complètement à plat ventre, et voir s'il y avait un mieux.
« Ne tire pas tout de suite, Sam, il faut que je me dégage. »
Quitte à abandonner une botte. Et son sac. Le nécessaire pour s'alléger.

[Vel Cheran]

L'eau n'était plus très profonde à cet endroit, et Harold put se pencher en avant tout en réussissant à respirer, quitte à se contorsionner un peu sur le côté. Vue de l'extérieur, sa position aurait pu prêter à rire si le contexte avait été sans danger.

Sur la berge, Sam s'était figé, attendant les instructions de leur chef. Ce n'était pas la première fois qu'ils avaient affaire à des sables mouvants, mais les algues omniprésentes et l'eau trouble n'arrangeaient pas la situation.

Pas d'inquiétude, il a l'habitude dit Sam à Nora sur un canal privé, pour ne pas déconcentrer Harold. Mais ces paroles rassurantes étaient autant pour la géologue que pour lui-même.

La jambe de Harold ne semblait pas vouloir bouger. Il était cependant fréquent, dans des sables mouvants, que l'ensemble ressemble à du ciment. Il s'agissait de faire preuve de patience. Mais était-ce son imagination, ou bien la pression autour de sa jambe venait-elle d'augmenter ?

[Galathée]

Ce n'était pas normal. La position allongée aurait dû lui permettre de se dégager et pourtant sa jambe restait coincée. Il essaya doucement de rouler sur le dos, lentement, en respirant à son aise. Se dégager pouvait prendre de très longues minutes, parfois une heure si on était profondément enfoncé, il savait qu'il devait être patient et rester calme. Mais en déplaçant son poids à l'horizontale, il aurait dû percevoir un changement, un début de libération, et il ressentait exactement le contraire. Peut-être n'avait-il pas affaire à des sables mouvants, peut-être était-ce autre chose, y avait-il une poche souterraine ou un courant susceptible de l'aspirer vers le bas.
Il aviserait. D'abord se mettre sur le dos, et voir ce que ça donnerait...
" Sam, si tu peux juste... me maintenir à flot..."

[Vel Cheran]

Ok, je fais ça, préviens-moi si tu veux que je tienne plus sec ou non, réagit Sam en tendant légèrement la corde afin d'aider Harold à garder le visage hors de l'eau.

Quel est le problème, Harold ? Le sol est trop meuble autour du trou ?

Celui-ci était maintenant sur le dos, dans une position hautement inconfortable et mettant ses muscles et son sens de l'équilibre à rude épreuve. La pression sur sa jambe droite parut se relâcher quelque peu, avant d'augmenter à nouveau légèrement. Et, cette fois-ci, la sensation était accompagnée d'une multitude de petits picotements, comme des pointes. Comme si...

Comme si quelque chose voulait lui mâchouiller la jambe.

[Galathée]

Ça, c'était imprévu. C'était bien la première fois qu'ils croisaient une créature capable de survivre dans pareil environnement. Si c'était une créature. Il poussa un bref soupir intérieur.
" Je suis coincé. Mais ne bougez pas, ça va venir..."
Aux grands maux, les grands remèdes. Sa jambe était sous eaux, de toute façon, invisible aux yeux de ses compagnons. Il décida d'en modifier la structure. Cela demandait une intense concentration, mais il n'était pas exactement novice en ces matières. En durcissant sa peau, en l'ossifiant, même, il bloquerait ces petits dents qui, avec un peu de chance, décideraient d'aller voir ailleurs si une charogne plus molle ne se baladait pas quelque part. Il n'avait pas l'intention de déchirer sa botte, simplement de rendre son contenu dur comme de la pierre.

[Vel Cheran]

Lentement, Harold sentit la peau de sa jambe se durcir, et en même temps la sensation des dents devenir de moins en moins nette. Sur le rivage, on l'observait, immobile, se demandant ce qu'il fabriquait. Mais le métamorphe était trop concentré sur ce qu'il faisait pour entre ce qui se disait à la radio - ni même pour se rendre compte si le moindre message y avait été échangé depuis ses dernières paroles.

Au bout d'un moment qui lui parut être une éternité - dix secondes ? Vingt ? Une minute ? Cinq ? Dix ? Trente ? Impossible de savoir. Modifier une partie de son corps pouvait parfois prendre beaucoup de temps. Au bout d'un temps indéfini, donc, Harold parvint au résultat désiré, au prix d'une certaine perte de sensibilité dans sa jambe : il avait désormais l'impression d'avoir le membre enfermé dans une gangue de boue séchée ; il ne ressentait le cliquetis des dents que grâce aux vibrations qu'elles généraient - ou tout du moins était-ce son impression. Celles-ci se mirent à marteler sa peau de plus en plus fort, montant et descendant, se rapprochant par moment dangereusement de la limite par-delà laquelle son corps avait conservé sa texture normale ; finalement, le cliquetis cessa. Il lui sembla que la pression enserrant sa jambe avait cessé, mais difficile à dire avec une jambe similaire à du granit.

[Galathée]

Il pouvait quand même essayer de bouger, et c'est ce qu'il fit, ramenant au passage sa jambe à son état ordinaire. Si la pression s'était relâchée, la position de son corps devrait immanquablement dégager sa jambe, puisqu'il ne pesait plus du tout dessus. Si cela ne marchait pas, il devrait demander à Sam de tirer davantage. Ce n'était pas l'idéal : l'idéal était de pouvoir continuer à progresser vers l'autre côté du cours d'eau et la grotte qu'ils ciblaient, mais c'était peut-être compromis.
Il se morigéna intérieurement. Il aurait dû nager dès que possible, cela lui aurait évité cette mésaventure.
Il eut alors une pensée tardive pour ses compagnons, qui s'inquiétaient peut-être.
" Tout va bien, dit-il dans son micro. J'essaie une dernière chose, et si ça ne marche pas, il faudra que vous me haliez hors de là..."

[Vel Cheran]

La métamorphose inverse lui sembla plus rapide, ce qui était souvent le cas : il était plus aisé de reprendre une forme à laquelle on était habitué qu'une nouvelle forme non-maîtrisée (opération qui comportait toujours un risque si elle était exécutée trop rapidement, comme par exemple oublier de renforcer ses nerfs ou de modifier son système sanguin, ce qui pouvait résulter à une perte totale d'un membre). Quelle qu'elle fût, la créature avait manifestement lâché l'affaire, et Harold put dégager sa jambe comme prévu.

Il y avait encore un peu de fond, ce qui devrait lui permettre de nager sur quelques mètres, mais pas davantage.