[Lieu] Le Domaine d'Averlande

[Galathée]

" Je suppose que quand on a la vocation, c'est irrémédiable...
— Au fait, mon cher Elstephann..."
Bernard Saugeverte s'était rapproché.
" Que pensez-vous des dernières assertions de Charles Fragnoss ? Sur... vous savez... le plagiat ?
— Je pense que c'est un sacré menteur ! répondit l'écrivain avec une subite mauvaise humeur. Toutes les histoires ont déjà été racontées, de toute façon ! C'est toujours une question d'interprétation !
— Il dit que certaines tournures sont... presque identiques...
— Vous l'avez lu ?
— Non, je n'ai...
— Alors taisez-vous !"
Debout, à l'écart, Maurin poussa un bref soupir. Il en profita aussi pour faire signe à Taliesin de le rejoindre, tandis que les deux écrivains locaux paraissaient prêts à en découdre... verbalement, bien sûr.

[Taliesin]

Taliesin avait songé, un instant, à intervenir dans la dispute naissante pour tenter de l'apaiser. Mais ç'aurait été risqué, puisqu'il ne connaissait guère les belligérants ; il aurait pu, sans le vouloir, commettre des impairs. Aussi n'hésita-t-il pas avant de répondre à l'invite de leur hôte et de s'approcher de lui. Il était de toute façon important qu'ils profitent de la soirée pour discuter un peu, pour faire plus ample connaissance.

[Galathée]

" J'espère que vous passez une bonne soirée, dit Maurin avec un sourire embarrassé, lorsqu'il fut arrivé à proximité. Ils sont parfois un peu encombrants, mais jamais vraiment méchants."
Elsa et Georgina s'étaient assises à l'écart et semblaient avoir une discussion sérieuse, car leurs visages étaient, l'un comme l'autre, relativement tendus. Les halfelins et Haran s'étaient engagés dans une conversation beaucoup plus houleuse, mais le sieur d'Averlande n'en paraissait pas particulièrement inquiet.
" J'ai pensé que nous pourrions peut-être nous voir, tous les deux, demain matin après le petit déjeuner. Pour discuter de ce qui vous amène. A notre aise, l'esprit clair et reposé."

[Taliesin]

Il acquiesça.
-C'est une bonne idée. Si le jeune Trévor a du temps de libre à ce moment-là, tant Baptiste que Victor seront ravis de ce joindre à lui, ce qui me laissera les coudées franches.
Il sourit.
-Et je passe une excellente soirée, merci.

[Galathée]

" Vous m'en voyez soulagé. Ce n'est pas toujours facile d'imaginer ce qui peut plaire à quelqu'un d'aussi... cultivé et expérimenté que vous."
Il eut un sourire léger.
" La vie à Averlande, et dans la région de manière générale, est très tranquille... Rythmée par les éléments, les saisons, et les abeilles."

[Taliesin]

-C'est très bien ainsi. Malgré sa proximité avec Luménis, l'endroit où je vis n'est guère différent et c'est pour cela que je l'aime autant : après des années mouvementées, j'aspire surtout au calme, à la quiétude... Dès lors, je ne peux qu'apprécier cet aspect d'Averlande.
C'était la pure vérité, pour le coup : il n'allait pas se plaindre de la tranquillité des lieux.

[Galathée]

Maurin acquiesça avec un léger sourire mais n'ajouta rien, reportant son attention sur ses invités. Le ton s'était apaisé chez Haran et les Saugeverte, sans doute grâce à l'intervention d'Ancolie. Elsa se leva.
" Maurin, mon ami, je vais me retirer. Il est déjà très tard et, comme vous le savez, je ne peux pas m'éterniser demain matin.
— Je vous suis déjà reconnaissant de votre présence ce soir, Elsa."
Les Saugeverte se levèrent à leur tour. Ni Georgina, ni Haran ne bougèrent de leurs sièges.

[Taliesin]

Ce ne fut pas sans quelque peu le surprendre, quoiqu'il se gardât d'en tirer de grandes conclusions. Lui-même, en tout cas, ne se priva pas pour souhaiter la bonne nuit à Elsa.
-Ça a été un plaisir de faire votre connaissance, conclut-il. J'espère que nous aurons l'occasion de nous recroiser avant que je ne reparte vers l'Ouest.
En effet, si le sieur d'Averlande organisait une deuxième soirée de ce type, il ne dirait pas non. Et s'il s'en tenait une ailleurs... Il y songerait sérieusement, en fonction des circonstances.

[Galathée]

" Peut-être, dit-elle avec un sourire. Ce serait avec un grand plaisir. Nous pourrions peut-être jouer ensemble, qui sait ?"
Elle se retourna vers les autres.
" Bonne nuit à tous !
— Bonne nuit ! lui répondit Haran avec un large geste.
— Essayez d'aller vous coucher sans taper des pieds, Elstephann"
L'écrivain rit.
" Je fais nuit blanche !"
Elle échangea un sourire avec Georgina, salua les halfelins et sortit. Ces deux derniers se dirigèrent à leur tour vers Maurin.
" Nous allons aussi nous retirer, dit Bernard.
— Je comprends bien, il est tard."

[Taliesin]

Taliesin salua amicalement les deux halfelins : ce n'était peut-être pas avec eux qu'il avait le plus bavardé mais cela ne l'avait pas empêché de les trouver sympathiques et d'apprécier leur rencontre, ce qu'il ne manqua pas de dire.
N'étant pas spécialement fatigué, il ne pensait pas se retirer dans l'immédiat. A moins bien sûr qu'il ne se rende compte que les autres ne s'attardaient que pour lui faire honneur, auquel cas il ne tarderait pas trop à prendre congé : il s'en voudrait qu'ils veillent tard à cause de lui...

[Galathée]

Les halfelins se retirèrent et Maurin invita Taliesin à rejoindre le salon, où Georgina et Elstephann s'étaient rapprochés.
" Allez, une autre tournée ! s'exclama l'écrivain horrifique.
— Je serais davantage pour votre alcool de poire, en ce qui me concerne..." dit la poétesse à Maurin qui acquiesça avec un sourire et retourna vers le buffet.
Haran jeta un oeil vers Taliesin.
" Alors, qu'est-ce que ce sera ? Alcool exotique, local, ou une petite tisane ? Les elfes ont mauvaise réputation, en matière d'alcool... Je parie que vous êtes déjà un peu gris, d'ailleurs. Ça se voit dans vos yeux."

[Taliesin]

Il sourit.
-Peut-être. Mais à force de travailler dans les auberges et les tavernes, les bardes, fussent-ils elfes, apprennent à développer certaines résistances.
Il réfléchit quelques instants.
-Je crois que je vais choisir du local, histoire de continuer les découvertes.

[Galathée]

" Ce n'est pas parce qu'on travaille dans une auberge qu'on doit s'enivrer, maître barde, dit Haran. Ils servent de l'eau et des jus de fruits. L'alcool, c'est toujours une question de... de constitution, voilà. Il y a les costauds, les moins costauds, et vous ne m'avez pas l'air du genre costaud. Je sais que l'air ne fait pas la chanson, mais tout de même... Nous roulerons tous sous la table avant Maurin. D'autant qu'il ne boit presque rien, lui."
Le seigneur des lieux revint avec les boissons, alcool de poire pour Taliesin et Georgina, nouvelle tournée d'alcool maztican pour Haran, et une tasse fumante pour lui-même.
" Cormack vous portera dans vos lits, au pire." dit-il avec un peu de malice.

[Taliesin]

-C'est fort aimable à vous !, répondit-il, chaleureux.
En vérité, il n'avait aucune intention de s'ennivrer : le faire ne donnerait sans doute pas une très bonne image de lui, sans compter que vu ce qui allait se jouer le lendemain, il devrait alors être en pleine possession de ses moyens. Cependant, il s'abstint de le dire, pour ne pas jouer les rabat-joies.

[Galathée]

" Cormack, ce n'est pas lui, dit Haran, qui avait sans doute déjà bu un peu trop.
— Je ne crois pas que ce soit ce qu'il a voulu dire, intervint Maurin.
— Vous ne devriez pas engager ce pauvre Cormack à porter Elstephann... ajouta Georgina de son air lugubre.
— Je fais nuit blanche." lui rappela l'écrivain.

[Taliesin]

L'écrivain plaisantait-il ou entendait-il réellement ne pas se coucher ? Sans doute Taliesin en saurait-il davantage dans les minutes à venir. Mais si ce n'était pas le cas, il n'avait aucunement l'intention de s'attarder jusqu'à l'aube pour le vérifier : à l'instar d'un abus d'alcool, faire faux bond à son lit serait une très mauvaise idée. Non, il lui fallait se montrer raisonnable. Ce qui ne voulait pas dire ne pas du tout en profiter : d'ailleurs, il ne s'était pas privé jusqu'ici.
Tout était question de modération.

[Galathée]

Les intentions d'Haran ne furent pas apparentes dans l'immédiat, car la conversation reprit. Ils parlèrent des chiens du garde-chasse, dont le rôle était purement dissuasif et lié aux maraudeurs qui traînaient dans la région, puis des projets de Georgina, vaguement, qui travaillait sur un recueil intitulé "Rumeurs d'Hiver", un peu de ceux d'Haran, mais il était du genre à ne rien révéler de son intrigue à venir. Maurin comme la poétesse étaient curieux, mais ils n'arrivèrent pas à lui soutirer la moindre information critique. Maurin baillait, Georgina devenait de plus en plus silencieuse, mais Haran avait de l'énergie. Taliesin devait décider s'il ferait partie de la seconde vague de couchers, ou s'il tiendrait compagnie au dernier larron un moment. Sans doute cela n'avait-il de sens que s'il avait quelque sujet à aborder... sans quoi, la fatigue de la journée finirait par le rattraper, lui aussi.

[Taliesin]

Sans doute n'aurait-il eu guère de difficultés à trouver des sujets de conversation avec Haran, qu'il s'agisse de légendes locales, de la peur dans les histoires ou de ce prétendu trésor avec lequel il taquinait le maître des lieux. Toutefois, fidèle à la ligne de conduite qu'il s'était fixée, le barde décida qu'il était grand temps pour lui d'aller au lit. Il n'allait pas interrompre la conversation en cours, certes, mais dès qu'une occasion se présenterait, il prendrait poliment congé - sans manquer, bien sûr, de signaler qu'il avait passé un très bon moment et d'en remercier le sieur d'Averlande.

[Galathée]

En fait, quand Taliesin saisit son opportunité, Maurin et Georgina s'engouffrèrent dans la brèche, sans succomber aux plaintes déchirantes d'Haran, qui tenta de les cajoler, avant de les honnir, pour finir par se moquer d'eux. Maurin débarrassa tout l'alcool qui restait à proximité avant d'abandonner l'écrivain dans le salon. Une fois dans le hall, Georgina prit congé et partit vers les étages, tandis que Maurin se tournait une ultime fois vers le barde.
" Ginevra vous portera le petit déjeuner dans le cottage... Ensuite, nous nous retrouverons, comme prévu. Je serai dans mon bureau, Cormack vous montrera le chemin. C'est cette porte-là, au pire."
Il désigna une double-porte bleue, dans le fond du hall.
" Est-ce que vous avez besoin d'un guide pour rejoindre le cottage ? Je vous conseille de passer par les caves, si vous ne voulez pas être trempé."

[Taliesin]

Taliesin acquiesça.
-Je crois que cela vaut mieux, en effet. Et je pense que je retrouverai sans mal mon chemin.
Il lui sourit.
-Merci encore pour cette soirée. Je vous souhaite bonne nuit et vous dit à demain.
Demain... Il s'efforcerait de ne pas trop y penser, malgré la bonne impression que lui avait faite le sieur d'Averlande. Heureusement, la fatigue et l'alcool devraient l'aider à sombrer rapidement.

[Galathée]

Il retrouva effectivement son chemin sans mal (c'était tout droit) et déboucha à l'arrière du cottage. Au dehors, il put constater que la tempête faisait toujours rage, agitant les arbres du domaine avec grand bruit, avant de se glisser à l'intérieur. Il faisait encore bien chaud et pour cause : un feu ronronnait dans l'âtre. Baptiste, éveillé, était pelotonné dans le fauteuil, emmitouflé dans une couverture sûrement superflue. A l'entrée du barde, il eut un sourire désolé.
" J'arrive pas à dormir."

[Taliesin]

-Mince...
Il était embêté pour Baptiste. Mais pas spécialement surpris.
-Tu veux qu'on en discute ? proposa-t-il en s'approchant. Ou que nous fassions quelque chose pour te changer les idées ?
Il entendait, comme toujours, ménager des ouvertures sans rien imposer.

[Galathée]

" Je ne sais pas. Je ne sais pas si je vais pouvoir me changer les idées. Je ne sais pas si en parler sert à quelque chose. Je suppose que je vais finir par m'effondrer, non ?"
Il eut un pauvre sourire.
" Victor, lui, évidemment, rien ne l'empêche de dormir. Je sais bien que c'est... normal... ça ne le concerne pas directement..."
Il jeta un oeil vers la porte.
" Tu crois qu'il est... content que je m'en aille ? Que ça lui est égal ?"

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Bien sûr que non. Si c'était le cas, je ne crois pas qu'il serait venu. Et encore moins qu'il déploierait tant d'efforts pour que tout se passe bien, pour que nous fassions bonne impression sur ton père afin que celui-ci ne voie aucun inconvénient à ce que nous gardions contact. Simplement... Comme tu l'as dit, rien ne l'empêche de dormir. Sans compter qu'il sombre comme une masse quand il est fatigué.

[Galathée]

" Oui, je sais." dit Baptiste en haussant les épaules.
Il resserra la couverture autour de lui.
" Ça va faire bizarre... d'habiter ici. C'est loin de la ferme... C'est pas facile d'arriver..."
Il eut un sourire.
" Mais tu sauras bientôt te téléporter, non ? Alors ce sera super simple. Comme si on était voisins."

[Taliesin]

Le barde opina du chef.
-En effet; Sans compter que j'aurai accès à des sorts nous permettant de communiquer instantanément malgré la distance. Bref, ça va te faire un sacré changement mais les solutions ne manquent pas pour le rendre moins brutal.
Il faudrait juste qu'il fasse de gros progrès sur sa nouvelle voie. Mais il avait bon espoir d'y parvenir.

[Galathée]

Baptiste acquiesça.
" Maurin... Le seigneur... C'est mon père. Je n'ai jamais imaginé que je rencontrerais un jour mon père. Ma mère, elle... elle disait que je ne devais pas y penser. Qu'il ne serait jamais dans nos vies. J'avais... complètement effacé cette possibilité. Des pères... J'en avais plein, à la commanderie. Et de toutes les sortes. Des froids, des sévères, des chaleureux, des drôles... Et puis il y a eu Morféa... et puis..."
Il poussa un bref soupir.
" Je suis fatigué de ces changements. Il a l'air... sympa... mais en fait, je n'ai pas envie de venir ici. J'étais bien à la ferme. Je n'ai pas envie de tout recommencer, de nouveau. Même si c'est mon père."
Il y eut un petit claquement de porte, discret. Victor ne dormait peut-être pas si profondément que ça.

[Taliesin]

Mais il n'y prêta guère d'attention.
-Je comprends, fit-il.
Il allait devoir lui répondre de la manière la plus objective qui soit. Ce n'était pas forcément évident mais... c'était son devoir.
-Il y a deux choses que je peux te suggérer. D'abord, laisse-toi un peu de temps : peut-être que, d'ici deux ou trois jours, tu auras un sentiment différent. Ensuite, n'hésite pas à parler franchement à ton père : c'est important qu'il sache ce que tu ressens vraiment. Je pense qu'il y tient, d'ailleurs.

[Galathée]

Baptiste acquiesça.
" Tu as raison. J'ai le temps. Et il ne m'a pas pressé, ni rien, tu sais, il n'a pas dit : regarde, tu vas pouvoir t'installer ici, ou quoi... Il voulait juste savoir si j'avais fait bon voyage, des choses comme ça... Je suppose qu'il faudra bien qu'on parle de choses sérieuses, tôt ou tard, mais j'ai l'impression qu'il est encore plus... ou au moins autant... hésitant que moi."
Il pinça les lèvres.
" J'ai envie de lui faire bonne impression, en même temps... et puis j'ai envie de savoir pourquoi il a mis tout ce temps..."

[Taliesin]

-Je comprends, là encore. Et je suis convaincu que ton père le comprendra aussi et qu'il t'expliquera ce qu'il en est. Pour être honnête, je l'aime plutôt bien.
Bien sûr, on ne pouvait pas déduire grand chose d'une prime rencontre mais... celle-ci lui semblait malgré tout encourageante.
-Quant à faire bonne impression... Sois toi-même, cela suffira amplement.