[Lieu] Le Domaine d'Averlande

[Galathée]

Baptiste parut horrifié à l'idée de quitter les lieux et se cramponna au divan. Victor cherchait déjà sa bûche. Ginevra et Miranda observèrent un instant l'aîné des garçons, puis se tournèrent vers Taliesin.
" C'est peut-être risqué de l'emmener, s'il panique, dit Ginevra à mi-voix. Vous voulez que je mette quelque chose dans son thé ? Pour... le tranquilliser ?
— Un doigt de genièvre devrait faire l'affaire, fit Miranda.
— Je ne pensais pas à ce genre de choses... mais le manoir est un peu sinistre... surtout là où Messire Haran aime dormir."

[Taliesin]

Le barde hésita, se tourna vers Baptiste :
-Est-ce que tu veux prendre un petit quelque chose pour être moins tendu ? Il n'y aurait pas de honte à cela, vu la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Il préférait, autant que possible, laisser le choix au garçon. Mais si celui-ci n'était pas en état de décider quoi que ce soit, alors il le ferait pour lui.

[Galathée]

Victor fronça les sourcils, mais ne dit rien, tandis que Baptiste dévisageait Taliesin sans comprendre.
" Est-ce que ça veut dire que je dois sortir d'ici ?" demanda Baptiste d'une petite voix.
Ginevra s'était approchée.
" Je dois de toute façon aller chercher le nécessaire en cuisine, dit-elle. Mais Miranda et moi pouvons y aller ensemble.
— Vous pouvez rester ici. Les bardes oeuvrent à remonter le moral des troupes, non ? Je pense que vous allez avoir du travail."

[Taliesin]

-Dans le même temps, je crains d'être l'une des rares personnes à savoir se battre, ici, si bien que ma place est aussi aux côté de ceux qui sortent. Mais je ne peux pas de nouveau quitter Baptiste tant qu'il est dans cet état.
Il soupira.
-Soyez prudentes. Ne prenez aucun risque inutile. Et revenez vite.
Quelle foutue situation...

[Galathée]

Ginevra et Miranda s'en furent donc, sans que personne ne sourcille, pas même Elsa, qui s'en rendit à peine compte. Cormack était toujours paralysé. Ancolie et Bernard devisaient à mi-voix, ou plutôt elle parlait et il opinait du chef, silencieux. Meg se tenait, sentinelle vigilante, à la fenêtre embrumée, lorgnant la grisaille. Son visage était impénétrable mais Taliesin devinait que même sans entraînement martial, elle donnerait du fil à retordre à quiconque tenterait de s'en prendre à elle.
Victor devenait nerveux et il avait gardé sa bûche. Il commença à combattre des ennemis imaginaires devant la cheminée. Baptiste avait fermé les yeux, recroquevillé sur lui-même, et il murmurait à mi-voix des choses que Taliesin, même avec son ouïe elfique, ne pouvait distinguer.

[Taliesin]

En le voyant dans un tel état, le barde se sentait démuni, ne savait trop que faire. Aussi se contenta-t-il d'abord de rester à ses côtés et de passer un bras autour de ses épaules, espérant le réconforter.
-Çà va aller...
Il aurait bien aimé parler avec lui mais pour ce faire, il aurait fallu que le gamin soit davantage ancré dans le présent, moins replié sur son trouble.

[Galathée]

Ginevra et Miranda revinrent rapidement, se glissant dans la pièce — et s'attirant momentanément tous les regards — puis refermant la porte. Ginevra portait un plateau et s'approcha de la table basse à côté de laquelle se trouvaient Baptiste et Taliesin.
" Voilà."
Il y avait trois tasses remplies d'un liquide brun clair. Elle en poussa une vers Baptiste.
" Tu devrais boire ça, ça te fera du bien. C'est du cacao. Ça vient de Maztica. Une spécialité d'Averlande : nous en avons toujours en cuisine."
Baptiste lorgna la jeune femme avec suspicion, puis Taliesin avec la même mine, attendant un signe.

[Taliesin]

Il hocha la tête, sourit.
-Vas-y. Tu verras, c'est délicieux.
Bien sûr, on pouvait soupçonner Ginevra de vouloir l'empoisonner : après tout, on ne savait pas qui était l'assassin. Mais s'il arrivait quoi que ce soit après que Baptiste ait bu la boisson, on l'en jugerait immédiatement coupable, ce qui ne servirait absolument pas ses intérêts.

[Galathée]

Sauf si son objectif était de liquider le dernier des Averlande, sans se soucier des répercussions, bien sûr.
Baptiste but son chocolat, d'abord timidement, puis plus avidement, jusqu'à la dernière goutte. Ensuite, il s'adossa aux coussins du sofa avec une expression un peu distante.
" J'espère que je n'en ai pas mis trop, dit la jeune femme. J'ai divisé par deux ce que prend généralement Maître Maurin, mais j'aurais peut-être dû diviser par trois..."
Baptiste papillonna des yeux et bâilla.

[Taliesin]

Il dévisagea Ginevra quelques instants puis revint à Baptiste.
Il ne psoupçonnait pas la jeune femme : en fait, il n'arrivait à soupçonner personne, ici. Malgré cela, un doute persistait et, à présent que Baptiste avait bu, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver une pointe d'inquiétude. Toutefois, le plus probable était que le gosse sombre puis reste endormi un bon moment, ce qui était plutôt une bonne chose : cela lui ferait du bien, lui éviterait de se ronger les sangs.

[Galathée]

Baptiste s'assoupit peu après, sans avoir ajouté quoi que ce soit. D'appuyé au dossier du sofa, il glissa en position couchée et resta là, respirant tranquillement, régulièrement, ne se souciant plus de rien.
" Après il va encore se plaindre que tout se passe quand il n'est pas là, remarqua Victor, avant de se tourner vers Taliesin. On y va maintenant ?"

[Taliesin]

-On va y aller, oui. Mais j'ai encore un petit truc à faire.
Il se leva et se dirigea vers Elsa. Il avait l'intention de lui demander de veiller sur Baptiste, tandis que lui-même veillerai sur sa fille - puisqu'il était impossible de convaincre celle-ci de demeurer au salon. Un échange de bons procédés et qui sait, une façon d'occuper la musicienne ou, au moins, de lui donner une responsabilité, ce qui peut-être l'aiderait à se sentir moins perdue...

[Galathée]

Elsa regardait la brume, bras croisés, d'un air un peu hagard. Lorsque Taliesin s'approcha, elle fit un pas en arrière, comme effrayée.
" Je suppose que c'est vous qui héritez du manoir, du coup, puisque Maurin est mort, dit-elle d'une voix froide. C'est pratique."

[Taliesin]

Loin de se laisser démonter - il s'était attendu à ce que l'accusation tombe, tôt ou tard -, il la regarda droit dans les yeux.
-Il n'y aura pas d'héritage. Comme je l'ai déjà laissé entendre, je veillerai à ce qu'un clerc ressuscite le sieur d'Averlande, quitte à le payer de mes propres deniers. Parce que je refuse que Baptiste soit privé de son père sitôt après l'avoir retrouvé : ce gosse a déjà assez souffert pour toute une vie, il est tout bonnement hors de question que le sort continue à s'acharner sur lui.
Il soupira.
-Je comptais vous demander de veiller sur lui pendant que je m'assurerai de la sécurité de votre fille. Mais je présume que vu ce dont vous me soupçonnez, ce n'est pas envisageable ?

[Galathée]

" Vos beaux discours ne prouvent rien, dit la musicienne. C'est ce que dirait le coupable pour détourner l'attention : des promesses qui n'engagent à rien, dans un temps lointain, un temps suffisant pour disparaître."
Elle baissa les yeux.
" Vous êtes le seul à avoir une épée. Il a été décapité, n'est-ce pas ? C'est ce que dit Meg."

[Taliesin]

Il leva les yeux au ciel.
-Pardonnez-moi mais... Est-ce que je vous donne l'impression d'être particulièrement stupide ? Non parce qu'il faudrait sacrément l'être, stupide, pour commettre un crime de manière à en apparaître d'emblée comme le principal suspect, au point de devoir ensuite disparaître pour s'en tirer, se privant du même coup de la possibilité de profiter des biens que ledit crime aurait justement visé à obtenir...
Il soupira à nouveau.
-Mais peu importe. Dès que j'ai découvert le corps du sieur d'Averlande, j'ai bien compris que j'apparaîtrai comme le coupable idéal : je ne peux donc pas vous en vouloir de me soupçonner, je dois simplement faire avec. Et de toute façon, il y a des choses plus importantes à faire que prouver mon innocence, à commencer par mettre à l'abri ceux qui manquent encore à l'appel et par sécuriser le manoir. Acceptez-vous de veiller sur Baptiste pendant que je m'attelle à la tâche ? Préférez-vous que je demande à quelqu'un d'autre ?

[Galathée]

" Non, je peux garder un oeil sur... l'héritier."
Elle lui accorda un bref regard : il dormait tranquillement sur le sofa.
" Vous êtes barde, vous êtes un expert dans l'embobinage des gens. Je suis sûre que vous étiez certain de pouvoir vous en tirer juste en racontant ce que vous voulez bien et en charmant, par magie, ceux qui auraient douté de votre version. Mais nous ne sommes pas des imbéciles, nous non plus, et nous nous doutions bien que ce genre de choses pourrait arriver."
Elle haussa les épaules.
" Mais mettez donc en sécurité ceux qui sont encore dehors. Plus personne ne risque rien, à présent que Maurin est mort."

[Taliesin]

Ravalant les réponses bien senties qui lui vinrent à l'esprit, il se contenta de hausser les épaules et de tourner les talons. Mais il ne rejoignit pas immédiatement ses futurs compagnons d'aventure, se dirigeant plutôt vers Meg. Elsa se cramponnait tellement à sa fable, qui avait le mérite de la rassurer, qu'il ne lui faisait plus confiance pour veiller sur Baptiste : qui sait si elle ne serait pas prête à le menacer, sinon à lui faire du mal pour nuire à celui qu'elle pensait être l'assassin ? Non, mieux valait qu'elle ne s'approche pas du gosse. Mieux valait s'en remettre à la cuisinière dont l'attachement au défunt sieur d'Averlande était des plus sincères et qui imputait sa disparition à une toute autre entité.

[Galathée]

Meg roula des yeux.
" Le sang des Averlande est une malédiction, murmura-t-elle. Vous avez raison de vous en inquiéter. Mais la mort de Maître Maurin alors que son fils vient d'arriver ne peut pas être une coïncidence... Je veillerai sur lui. Mais si le Gurthal décide de le prendre, il n'y a pas un mortel qui y puisse quoi que ce soit."

[Taliesin]

Voilà qui n'avait rien de réjouissant... Ce n'était cependant pas le moment d'y songer.
-Il faudra vraiment que vous me racontiez tout ce que vous savez à propos du Gurthal, répondit-il, sérieux. Mais nous verrons cela plus tard. Dans l'immédiat, je crains surtout que Baptiste ne panique s'il se réveille avant mon retour et constate que je ne suis plus là. Par conséquent, je serai rassuré de vous savoir à ses côtés.
Il s'arracha un sourire.
-S'il devait bel et bien se réveiller, n'hésitez pas à lui changer les idées en lui parlant de cuisine. C'est l'une de ses passions et quand son père lui a parlé de vous, il était très enthousiaste à l'idée de vous rencontrer et, qui sait, de connaître le secret de certaines de vos recettes.

[Galathée]

Meg parut surprise, son visage se radoucit puis elle se fendit d'un sourire ironique.
" Vous vous fichez de moi, m'sire. Y'a aucun gosse, en plus un gaillard, qui s'intéresse aux cuisines. Je parie qu'il a d'l'appétit, même si ça s'voit point, mais ça, c'est de nature : les Averlande y z'ont jamais été bien épais. Je lui ferais bien de la brioche, mais je vais pas quitter la pièce, alors faudra qu'y s'contente de ce qu'y'a déjà sur la table."

[Taliesin]

-Je vous assure que je ne me fiche pas de vous : Baptiste est réellement passionné par la cuisine. C'est bien simple : chez nous, il s'installe derrière les fourneaux dès qu'il en a l'occasion, quitte à nous chasser ou à nous transformer en marmitons. Et quand nous sommes en voyage, il essaie de se faire accepter dans toutes les cuisines qui passent à sa portée. Quand vous aurez pu discuter un peu avec lui, vous verrez que je ne dis que la pure vérité.
Il jeta un regard par dessus son épaule avant de refaire face à Meg.
-Bon, mais je vais devoir y aller. Merci beaucoup d'avoir accepté de veiller sur lui : je pars l'esprit tranquille, le sachant entre de bonnes mains.

[Galathée]

Les personnes prêtes à sortir n'avaient pas changé : il s'agissait de Ginevra, Miranda et bien sûr Victor.
" Que faisons-nous ? demanda Ginevra au barde. Messire Haran doit être dans la chambre rouge : c'est du côté désaffecté du manoir. Pour trouver Dame Tempest, il nous faudra immanquablement l'aide des chiens de Lorcan. Nous n'avons aucune chance de la retrouver dans cette purée de pois sans un coup de pouce. Elle pourrait être n'importe où et le domaine est grand.
— On devrait peut-être retourner dans le bureau, dit Miranda. Ça nous permettrait de savoir si le tueur est sorti ou s'il est toujours dans le manoir."

[Taliesin]

-Je doute que nous y trouvions davantage de traces que lors de notre première inspection mais, bien sûr, ça n'empêche pas de retourner y jeter un coup d’œil, répondit le barde. Par contre, je serais d'avis de commencer par retrouver Arzhel et Haran. Le premier, d'ailleurs, devrait être en mesure de nous dire si quelque chose a changé dans le bureau par rapport à d'habitude.

[Galathée]

" Arzhel doit être en train de faire les chambres, dit Ginevra. Mais je ne sais pas s'il sera d'une très grande aide... Hum."
Elle pinça les lèvres. Miranda eut un sourire carnassier.
" Sortons." proposa-t-elle.
Ils étaient désormais tous les quatre dans le couloir.
" Je ne veux pas médire, protesta Ginevra. Mais il déteste Maître Maurin. Je ne suis pas sûre qu'il nous aiderait à trouver son assassin."

[Taliesin]

-Je vois. Mais ne pensez-vous pas qu'il nous aidera malgré tout ? Ne serait-ce que pour éviter d'éveiller des soupçons, d'apparaître comme un possible coupable ou complice ? Vu notre situation, l'atmosphère est forcément suspicieuse et il pourrait souhaiter éviter de se retrouver dans position délicate.
Il soupira, songeant à la sienne, de position.
-Enfin, le mieux est sans doute de lui poser directement la question. Et tant pis s'il refuse : au moins sera-t-il informé de ce qui s'est passé et pourra-t-il nous rejoindre en lieu sûr.

[Galathée]

" Oh, il sera poli, dit Ginevra. Il fera ce qu'on lui demande. Mais il dira seulement ce qui l'arrange. Mais je ne pense pas qu'il soit coupable, messire. Il n'a pas le cran pour ce genre de choses. C'est juste une petite vipère."
Elle rougit.
" Je ne devrais pas dire ce genre de choses sur un collègue mais... la situation est ce qu'elle est."
Elle désigna les escaliers qui montaient vers les étages.

[Taliesin]

-Il n'y a pas de mal, répondit-il en se mettant en marche. Et désolé si j'ai donné l'impression de l'accuser : je voulais simplement dire qu'une attitude trop revêche de sa part pourrait amener certains à le faire, ce dont il pourrait vouloir se préserver. En ce qui me concerne, et à moins de découvrir des preuves incontestables, je me garderai bien d'émettre des accusations ou même seulement des soupçons : ça ne rendrait l'atmosphère que plus pesante encore et nous n'avons certainement pas besoin de ça.

[Galathée]

Miranda prit les devants, Victor sur ses pas, laissant Ginevra et Taliesin derrière. Ils atteignirent le palier et s'engagèrent dans un couloir qui partait à droite et abritait les chambres des invités. Toutes étaient closes sauf la première à gauche et on entendait un léger sifflement mélodieux s'en échapper. Arzhel était en train de replier le couvre-lit sur un imposant lit à baldaquins et il leva les yeux, surpris, lorsque la petite bande entra. C'était un jeune homme plutôt beau, mince, les cheveux noirs, et il y avait quelque chose de fripon dans son attitude, peut-être juste les coins de son sourire. Il portait des vêtements simples mais bien coupés, sans caractère trop marqué d'uniforme. Il ne dit rien, se contenant de les observer avec amusement.

[Taliesin]

C'est tout naturellement vers Ginevra qu'il se tourna : il l'estimait la mieux placée pour annoncer la nouvelle, bien mieux en tout cas qu'un parfait étranger comme lui qui, de surcroit, rencontrait Arzhel pour la première fois. Cependant, si elle préférait ne pas se charger de cette tâche et lui laisser le rôle de porte-parole, il s'en acquitterait de son mieux.