[Lieu] Le Domaine d'Averlande

[Galathée]

Baptiste dormait tranquillement et remua un rien quand Taliesin s'assit près de lui. Il paraissait détendu et si ses yeux bougeaient derrière ses paupières, c'était sans la violence d'un cauchemar. La puissance du somnifère lui garantissait sans doute encore plusieurs heures de repos... même s'il devait rester possible de l'éveiller Il resterait alors vaseux, plus que probablement. Victor s'était joint à la discussion des adultes, sans pour autant prendre la parole. Miranda était assise à table et compulsait ses notes en mangeant une pâtisserie abandonnée. Cormack, toujours dans le sofa, paraissait avoir légèrement repris ses esprits.

[Taliesin]

Ne songeant pas un instant à réveiller Baptiste - il vallait bien mieux qu'il continue à dormir -, Taliesin se tourna vers le majordome et lui demanda s'il pouvait faire quelque chose pour lui. Il s'en voulait de la manière dont les choses s'étaient déroulées, au moment où tout cela avait commencé : s'il avait été un peu moins sur la réserve, s'il avait tenté de réveiller le sieur d'Averlande, il aurait pu éviter au vieil homme l'horrible spectacle auquel il avait été si rondement confronté et qui l'avait tant ébranlé.

[Galathée]

" Non, vous ne pouvez rien faire, dit Cormack. Tant que la brume nous environne, nous ne pouvons que prier."
Ce qu'il sembla faire pendant quelques secondes, yeux clos, mains serrées.
" Dame Selena détestait le manoir. Elle disait qu'il était hanté, maudit, par tous les génies maléfiques que le père de Maître Maurin avait ramenés de Maztica. Je ne l'ai jamais crue, elle regrettait juste sa vie mondaine, à Athrey, mais aujourd'hui... Je me dis que quelque chose à peut-être été libéré."

[Taliesin]

Une personne de plus à ne pas le soupçonner : c'était toujours bon à prendre.
-J'en ai vu suffisamment au cours de mes voyages pour ne pas écarter d'emblée ce genre de possibilité, répondit-il prudemment. Mais il y en a d'autres. Beaucoup d'autres même car, en vérité, chacun a sa propre hypothèse. J'espère que nous recevrons vite le concours des autorités pour faire la lumière sur cette affaire. Sinon... Eh bien, il n'est pas impossible que nous parvenions par nousu-mêmes à mettre à jour certains indices concrets.

[Galathée]

" Les autorités ? N'y comptez pas trop ! Dès qu'ils verront ce qui s'est passé, ils comprendront... et on ne fait pas de procès aux esprits, messire, pas ici."
Il secoua la tête.
" Je suis désolé pour le petit garçon, qui va hériter d'un endroit aussi sinistre..."

[Taliesin]

-Nous n'en sommes pas encore là... répondit-il d'un ton qu'il espérait apaisant. Mais pour en revenir à ce que vous disiez précédemment, êtes-vous certain que les autorités ne mèneront aucune enquête ? Je ne savais pas que le manoir avait si mauvaise réputation... Et quand bien même : connaissant celle-ci, un assassin bien de notre monde aurait pu tenter d'en user à son avantage pour perpétrer son crime sans être inquiété...

[Galathée]

" Qui pourrait vouloir faire une chose pareille ?" s'exclama Cormack, les yeux dans le vide.
Il secoua la tête.
" Maître Maurin n'ennuyait personne. Il vivait sa vie tranquillement, ici, il n'a jamais essayé d'avoir de l'influence au village, alors qu'il aurait pu, vu sa naissance... Il voulait juste être tranquille."

[Taliesin]

-Je vous crois volontiers. Cependant, certains de vos collègues semblent avoir des idées bien arrêtées sur des gens qui auraient pu vouloir s'en prendre à messire Maurin...
Il soupira.
-Pour être honnête, je ne comprends encore rien à tout cela. Mais je m'efforcerai de contribuer à ce que la lumière soit faite sur cette affaire. C'est important vis-à-vis de Baptiste. Et cela me tient à cœur : le sieur d'Averlande m'a paru être quelqu'un de bien et ne méritant certainement pas de connaître un tel destin.

[Galathée]

" Qui mérite pareil destin ?" murmura Cormack en secouant la tête.
Il avait beau s'être légèrement remis, il n'était manifestement pas en état d'extrapoler davantage.
La discussion sur la possibilité de quitter le manoir s'était arrêtée et les différents belligérants s'étaient séparés. Personne n'avait quitté la pièce, cependant. Miranda et Victor étaient devant la fenêtre et bavardaient à mi-voix. Haran s'était assis, bras croisés, manifestement furieux. Elsa, de l'autre côté de la salle, paraissait tout aussi contrariée. Les halfelins murmuraient à voix basse dans un coin. Il paraissait clair que tout ce beau monde ne pourrait plus être contenu très longtemps dans cet endroit confiné sans que des conflits éclatent.

[Taliesin]

Il fallait les occuper. Ou faire en sorte qu'ils puissent se disperser. Heureusement, la prochaine étape du programme initialement imaginé par Miranda permettait d'atteindre les deux objectifs.
Et voilà donc le barde demandant des volontaires pour l'aider à sécuriser le manoir : il allait falloir vérifier que personne ne se cachait dans ses nombreuses pièces puis verrouiller les issues. Du moins les secondaires, car il était aisé de surveiller la porte principale. Une fois cela fait, il n'y aurait plus de nécessité de demeurer tous au selon.

[Galathée]

Ce n'était pas aussi simple que prévu.
" Comment va-t-on procéder ? demanda Ginevra. Est-ce qu'on forme un grand groupe, ou bien on se divise par groupes de deux ?
— Par groupes de deux ? dit Elsa. Il faut avoir drôlement confiance dans le deuxième, ça pourrait être le tueur !
— Quelqu'un pourrait en profiter pour s'enfuir, non ? s'inquiéta Miranda.
— Sécuriser la partie en ruines va être assez compliqué... remarqua Arzhel avec un léger haussement de sourcils.
— Et sans compter les tunnels et les passages dérobés." ajouta Haran.

[Taliesin]

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'était pas aidé...
-Rien ne nous empêche de commencer plus modestement, suggéra-t-il. Nous pouvons, dans un premier temps, nous contenter de sécuriser quelques pièces voisines. Ce serait déjà mieux puisque chacun aurait davantage d'espace sans pour autant se mettre en danger.

[Galathée]

" La pièce voisine principale, c'est le bureau de Maurin, dit Haran avec une grimace.
— Il y aussi le petit salon. De l'autre côté, la salle de bal, elle n'est plus utilisée... Je ne sais pas bien à quoi ça servirait de la sécuriser, ajouta Ginevra.
— Si on allait jusqu'au sous-sol, on récupérerait la cuisine, dit Miranda. Et puis on a laissé le cadavre en bas, dans la chambre de Meg. Ce serait ennuyeux qu'il disparaisse."

[Taliesin]

-On peut débuter par ça : les abords de cette salle et les sous-sols. Ce ne sera peut-être pas parfait mais ce sera toujours un début et nous pourrons ensuite aviser en fonction de nos besoins.
De toute façon, le plus important était d'avancer, de faire quelque chose.

[Galathée]

" Bon, ben moi je veux bien m'en charger, dit Ginevra.
— Moi aussi, ajouta Miranda.
— Il n'en est pas question, intervint Elsa.
— Maman, c'est bon. Il n'y a personne dans ce manoir, hormis dans cette pièce. A mon avis, tu es plus en danger en y restant qu'en sortant avec nous.
— Qu'est-ce que tu sous-entends ?
— Rien.
— Je ne comprends pas ce que vous appelez sécuriser, dit Arzhel de son ton désinvolte. Vous vous êtes déjà baladés dans le manoir et il ne s'est rien produit. Assurément, il ne se passera rien la fois suivante non plus, si ? Ou alors vous pensez le débusquer ? Dans ce cas-là, vous feriez mieux de vous armer, non ?"

[Taliesin]

-Comme nous ne savons ni qui est l'assassin, ni quels sont ses objectifs, nous préférons être plus prudents que pas assez, répondit-il, diplomate. Nous voulons donc vérifier qu'il ne se cache pas dans certaines pièces et qu'il n'aura par après plus l'occasion d'y revenir, afin de pouvoir nous-mêmes y demeurer sans crainte. Quant à le débusquer... Nous verrons dans un second temps, si la brume ne se lève pas et s'il nous est impossible de prévenir les autorités.

[Galathée]

" Vous ne m'avez pas compris, dit Arzhel. S'il se cache, comme vous le dites, dans une de ces pièces... Vous ne croyez pas que c'est un peu risqué de vous balader comme ça ? Vous avez une épée. Je suppose que vous savez vous en servir. Mais Ginevra et les autres..."
Il jeta un oeil vers Haran.
" Je comptais rester ici pour protéger les autres en cas de grabuge, dit l'écrivain.
— Bien sûr, quelle surprise." railla Elsa.

[Taliesin]

-Il me semble que si l'assassin était de taille à éliminer promptement un petit groupe, il l'aurait déjà fait : c'est ainsi que nous nous sommes déplacés une partie de la matinée. Mais il est vrai qu'alors nous ne cherchions pas à le débusquer et que les choses pourraient se passer différemment cette fois. En cas de problème, j'estime être en mesure de l'occuper le temps que les autres se replient ; je ne voudrais pas présumer, cependant, si bien que le renfort d'une autre personne sachant se battre ne serait pas de refus.
Il réfléchit quelques instants.
-Autre option : attendre le retour de Kathleen avant de passer à la sécurisation. Avec son concours et celui de Silence, les choses devraient être plus simples et moins risquées.

[Galathée]

" Si Kathleen revient... dit Arzhel en roulant des yeux.
— Ça suffit !" s'exclama Ginevra.
Elsa se tourna vers Haran.
" Le mieux, ce serait que vous alliez avec Taliesin, mon cher Elstephann, vu que vous êtes armé, vous aussi. A vous deux, vous pourrez à la fois vous défendre... et vous surveiller.
— Nous surveiller ? Est-ce que franchement, vous me soupçonnez ? Moi ? Pourquoi irais-je assassiner notre hôte ? Je dois sans doute être le dernier dans cette pièce à avoir un motif pour une chose pareille !
— Ce n'est pas faux, dit Miranda en croisant les bras.
— Pourquoi pensez-vous tout de suite que c'est vous que je soupçonne ? Quelque chose à cacher ?"

[Taliesin]

-S'il vous plait, arrêtez cela... intervint-il d'un ton calme en s'adressant à tout le monde à la fois. Nous sommes tous choqués, inquiets, suspicieux, bref, à cran, et ce genre d'échanges ne peut amener rien de bon. Ils ne font qu'accroître la tension, risquent de provoquer des disputes voire notre dispersion, ce qui serait du pain béni pour l'assassin, pour peu que Maître Maurin n'ait pas été sa seule cible. Alors, quoi que nous pensions, qui que nous soupçonnions, essayons de prendre sur nous et, à l'inverse, de ne pas nous en prendre aux autres. Je sais que ce n'est pas évident mais sitôt que nous aurons plus de pièces à notre disposition, cela deviendra tout de suite moins pesant.

[Galathée]

" Ça c'est parce que vous pensez que l'assassin n'est pas parmi nous. Ce qui, excusez-moi de le dire, me parait bien... audacieux. L'assassin a tout intérêt à ce que nous le gardions bien au chaud parmi nous. Moi je pense qu'avant de sécuriser quoi que ce soit, nous devrions d'abord savoir qui, ici, a eu l'opportunité de tuer Maurin.
— L'opportunité, c'est une chose. Le mobile, une autre.
— Vous êtes bien placé pour le savoir, c'est votre fond de commerce !
— Je n'écris pas des romans d'enquête, Elsa, vous le savez très bien !"
Ils se dévisagèrent avec hargne.
" En tout cas, je propose qu'on les sépare, murmura Ginevra. Prenez donc messire Haran avec vous, et nous vous attendrons ici, c'est le plus prudent."

[Taliesin]

-Vous avez raison, acquiesça Taliesin.
Il se tourna alors vers l'écrivain.
[color=#FFFFF66]-Messire Haran, je suis navré mais je pense qu'au vu des circonstances, deux épées vaudraient vraiment mieux qu'une. Par conséquent, je vous serais très reconnaissant si vous vouliez bien m'accompagner.[/color]
Restait à espérer qu'il ferait preuve de bonne volonté...

[Galathée]

L'expression de l'écrivain valait tout un discours.
" Vous connaissez cette expression, sur la plume et l'épée... et bien moi, je suis plutôt la plume, voyez-vous..."
Il poussa un bref soupir.
" C'est bon, je viens. Mais je reste derrière vous. C'est plus prudent pour tout le monde."

[Taliesin]

-Il n'y a aucun souci, répondit-il, amical.
Il se tourna ensuite vers le reste du groupe.
-Qui d'autre pour nous accompagner ? A mon sens, ce serait mieux d'y aller à trois ou quatre.
Notamment parce qu'en cas de grabuge, de blessure ou pire encore, il y aurait des témoins pour préciser qu'il n'y était pour rien.

[Galathée]

" Je viens, dit Ginevra.
— Alors moi aussi ! s'exclama Miranda.
— Et moi ! renchérit Victor.
— Formidable, un troupeau de victimes potentielles, railla Arzhel. Je ne viens pas, en ce qui me concerne. Je préfère de loin attendre Lorcan et Kathleen. Je tiens à la vie. Et en attendant, je vais aller me chercher un tisonnier. On ne sait jamais que ce soit un des halfelins. Il parait qu'ils sont plus féroces qu'ils n'en ont l'air."
Et il s'écarta aussitôt.
" Je pourrais peut-être confier mon épée à quelqu'un...
— Moi je la prends !" s'exclama joyeusement Victor.

[Taliesin]

-C'est hors de question.
Il fixa Victor, un instant.
-J'imagine que ça ne sert à rien si je te demande de rester ici ? Pourtant, tu pourrais vraiment être utile : tu es sociable, tu discutes bien avec tout le monde, tu sais changer les idées des autres quand tu racontes des histoires... Tu pourrais vraiment contribuer à apaiser les tensions et à éviter que ça ne dégénère.

[Galathée]

" Tu viens de te décrire, toi, là, dit Victor. Pas moi. Tu confonds. Je sais qu'on se ressemble, mais pas à ce point-là. Pas encore."
Miranda laissa échapper un rire bref. Haran avait grimacé.
" Il y a beaucoup de gosses de cet âge qui manient déjà une épée bien mieux qu'un adulte mal entraîné." fit-il remarquer, l'air de rien.

[Taliesin]

-Peut-être. Mais je n'aime pas voir des enfants manier des armes, répondit-il poliment.
Puis il se tourna à nouveau vers Victor.
-Et je parlais bien de toi, bonhomme. Tu ne t'en rends peut-être pas compte mais tu as une facilité déconcertante pour te faire accepter par les autres, pour arriver à lier conversation avec n'importe qui. Du coup, je ne plaisantais pas, je n'essayais pas de t'entourlouper : je pense vraiment que tu pourrais être très utile, ici, que tu pourrais aider à détendre l'atmosphère et à éviter que les tensions ne s'accroissent. Alors voilà, je te laisse le choix.
Il préférerait que son fils reste ici, bien sûr. Mais il ne voulait pas s'engager dans un conflit avec lui, surtout pas maintenant : cela n'apporterait rien de bon, à personne.

[Galathée]

" Alors je viens avec, dit Victor sans hésiter une seconde.
— Bon, c'est réglé, non ?" ajouta Miranda en ouvrant la porte.
Haran s'effaça pour laisser passer Taliesin.
" Je propose que vous alliez devant, et moi derrière."
Une fois qu'ils furent tous dans le couloir, la porte se referma vivement derrière eux.
" On aurait peut-être pas dû laisser Arzhel avec eux... fit Ginevra.
— Oh, on ne va pas recommencer ! s'exclama Miranda. Par quoi on commence ? Le sous-sol ?
— Avec tous les souterrains qui existent, je ne suis pas certaine que ce soit le plus simple..."

[Taliesin]

-Possédez-vous les clefs du manoir ? lui demanda le barde après un instant de réflexion. Si c'est le cas, nous pourrions commencer par verrouiller les différents accès à cette partie du bâtiment, porte des sous-sol comprise, avant de visiter toutes les pièces qui s'y trouvent. Cela ferait un premier secteur sécurisé et, à partir de cette base, il serait plus aisé d'aller sécuriser d'autres zones.