[Commerce] Auberge du Bon Barde

[Vel Cheran]

"S'engager dans la garde pourrait peut-être l'aider à se canaliser. Sauf s'il se retrouve au sein de gens aux idées plus extrêmes, évidemment. Je ne connais pas suffisamment bien la situation ici vis-à-vis de ces Mélandiens, et il y avait peu d'immigration là où je vivais, donc je connais mal le sujet, mais... Si les gens sont pauvres, comment est-ce que ça pourrait être la faute de ceux qui fuient leur pays ? Enfin, sauf si ce sont eux qui vivent dans les beaux quartiers, je ne connais pas très bien la situation."

[Voyageuse]

Max secoua la tête.
" Non, non... Personne n'accuse les mélandiens d'être à l'origine de la pauvreté... Ils n'y sont pour rien, ils sont encore plus pauvres que nous !
- Là-d'ssus, même moi chuis d'accord, sourit l'aïeul. J'les accuse juste de vouloir profiter des bienfaits de notre cité dans rien glander, et d'avoir dans leur rangs de sacré fouteurs de merde...
- Papa, t'as pas honte de parler comme ça devant ton petit-fils ?!
- Hum... Pardon Rémy.
- Chez les foulards blancs, y'en a qui vont plus loin que ça, qui insinuent qu'ils piquent le boulot des braves luméniens, remarqua Rémy. ils disent que c'est quand même leur faute si y'a tant de chômage..."

[Vel Cheran]

Jordin hocha la tête, perdu un instant dans ses souvenirs, avant de répondre.

"J'ai grandi dans un orphelinat, c'est peut-être l'expérience que j'ai connue la plus proche de cette situation. On était un certain nombre à ne pas être des enfants "de souche" - je n'ai pas connu mes parents, mais c'était écrit sur ma figure qu'au moins un des deux n'était pas du coin. Et, les gamins étant ce qu'ils sont, on va dire qu'on s'est rapidement retrouvés dans un groupe de "rejetés" parce qu'on n'était pas d'ici. En y réfléchissant, je me demande s'ils ne singeaient pas bêtement la politique du pouvoir en place... En tous cas, on nous sortait régulièrement qu'on avait été abandonnés par nos parents parce qu'ils étaient fainéants ou en prison, ce qui était plutôt stupide de la part d'autres orphelins."

Il s'étira, faisant rouler les muscles de son dos sous sa tunique.

"Quand on a grandi plus vite qu'eux et qu'on a commencé à leur casser la gueule, ils ont rapidement changé d'avis, bizarrement. Enfin, je vous rassure, je ne dis pas que c'est la bonne solution, c'était simplement la seule qu'on connaissait à l'époque."

[Voyageuse]

" Mwouais... On va quand même pas souhaiter que les mélandiens deviennent capables de nous cogner. On a déjà vu c'que ça donnait, maugréa l'aïeul
Mais la mention de l'orphelinat l'avait touché, cepndant : il regardait Jordin avec une certaine compassion.
- A l'orphelinat, les gosses devaient avoir peur de ceux qui étaient différents... Comme les gens d'ici ont peur des mélandiens, analysa Max. C'est pas très malin, comme raisonnement... Mais bon, j'arrive pas trop à en convaincre mon plus jeune gars...
- Non, ça, il écoute rien", remarqua Rémy.

Il haussa les épaules et n'ajouta rien. Ils venaient de s'arrêter devant une porte semblable à toutes les autres.
" Allez, j'file de mon côté ! On se voit demain sur les docks !"
Max ouvrit sans frapper, claironnant un "c'est nous" presque un peu trop enthousiaste.

Et Jordin le suivit à l'intérieur.

[Vel Cheran]

En provenance d'ici : lacouronne/les-taudis/32468-lieu-une-de ... post480520

Une fois à l'auberge, il monta directement dans sa chambre sans traîner dans la salle commune et, allongé sur son lit, réfléchit à la suite : il devait trouver un local pour leur école. Ensuite... on verrait.


HRP : je ne savais pas où m'arrêter, dis-moi si tu veux que j'enchaîne sur le lendemain ^ ^

[Voyageuse]

HRP : j'ai scindé ton post pour cause de changement de lieu

Rien ne vint le distraire de ses pensées. La fenêtre donnait sur une petite cour intérieure, plus calme et silencieuse que le reste du quartier. Il s'endormit sans peine, la tête pleine de projets. Il était fort tard.

Il fut réveillé par la lumière du soleil levant filtrant à travers le rideau. A la lumière du jour, sa chambre lui apparut spartiate, les couvertures vieillottes, le rideau miteux. Il était probable qu'un examen attentif de la literie révèle quelques blattes ou d'autres insectes plus ou moins ragoûtants. Mais l'ensemble était propre, néanmoins. Et lorsqu'il descendit l'escalier au bout du couloir, il fut accueilli par une odeur appétissante de pain grillé.

La salle principale était quasiment vide à cette heure matinale. Les seuls autres convives, deux nains aux yeux bouffis de sommeil, avaient probablement dormi eux aussi dans l'auberge. La jeune serveuse, la même que la veille, vint s'enquérir de ses envies avec un sourire charmeur et un corsage particulièrement décolleté.

[Vel Cheran]

Jordin se dit que son jeune lui de Quorngar aurait sans doute fait des avances à cette jeune serveuse, quitte à se faire jeter à la porte par le patron. Et c'était arrivé plus d'une fois à sa bande d'amis de l'époque ! Mais il avait parcouru un long chemin depuis, et tous ces enfantillages n'étaient plus de son âge, ni en quelconque accord avec sa vocation.

Perdu dans ses souvenirs, il commanda distraitement de quoi manger, et se retrouva bientôt, sans même y avoir prêté attention, à jouer avec ses dés en bois. Pourquoi diable pensait-il aussi souvent à sa jeunesse quorngarienne ces derniers temps ? Étaient-ce ces quartiers pauvres qui lui rappelaient les conditions insalubres dans lesquelles il avait grandi ? Ou peut-être l'éloignement d'avec le monastère, qui de manière toute symbolique semblait lui laisser plus de liberté de penser ? Il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Peut-être était-ce tout simplement le climat électoral que connaissait Luménis qui lui rappelait ses désillusions d'alors.

[Voyageuse]

Il put déjeuner tranquillement, sans être dérangé, et pour cause : l'auberge à cette heure matinale semblait quasiment vide. Il était probable qu'on n'y croise aucun client avant la fin de matinée, horaire où les poivrots habituels commenceraient à s'assembler.
" Le cuistot demande si vous mangez là à midi ?, s'enquit la jeune serveuse en commençant à débarrasser sa table. On a de quoi faire, faut pas hésiter. Pis on peut vous trouver une table un peu tranquille, dans un coin. On a parfois quelques clients un peu bruyants, surtout avec la fin de veille qui approche, mais c'est surtout le soir... 'fin, vous avez vu hier. Quoique non, vous avez mangé dehors. Mais ne vous inquiétez pas, si vous mangez là, on vous trouvera une table au calme."

[Vel Cheran]

"Merci," répondit Jordin, "ce sera avec plaisir. Dites, à tout hasard, vous savez s'il y a des locaux à vendre ou à louer dans le quartier ? Pas pour ouvrir une auberge, je vous rassure..."

[Voyageuse]

La jeune serveuse le regarda avec une certaine stupéfaction : ce genre de demande ne devait pas être très fréquent.
" Hum... Je ne sais pas trop. Pour acheter des bâtiments, il faudrait aller à l'annexe du Palais de Justice, dans les quartiers du nord de la ville. Ils ont un service pour ça, je crois. Ils doivent avoir une liste de bâtisses à vendre. Après... si c'est pour acheter ou louer un local commercial, vous pouvez plutôt aller au Syndicat du Commerce, c'est dans la zone portuaire. Mais sinon, si c'est pour un logement, je peux vous en trouver dans le quartier, en faisant fonctionner un peu le bouche à oreille. Si vous comptez vous installer dans la ville pour un moment, je devine bien que vous n'allez pas loger des mois à l'auberge. Mais donc... Vous cherchez quoi, en fait ?"

[Vel Cheran]

"Je suis passé au Palais de Justice hier, mais je me dis qu'ils ne sont pas forcément au courant de tout. Je cherche à ouvrir un genre d'école, du coup ça demande un peu d'espace... Je me suis dit que vous auriez peut-être entendu parler d'un établissement qui fermerait ses portes ou qui déménagerait, dans le quartier, mais tant pis !"

Il ajouta, un sourire en coin :

"J'aurais préféré éviter de passer ma journée à convaincre un fonctionnaire du bien-fondé de ma demande, si vous voyez ce que je veux dire."

[Voyageuse]

" Une école, marmonna la serveuse, songeuse. Eh bé... Il vous faut quelque chose de grand, alors... Et on a rien de grand dans le quartier. Y'a bien des bâtiments désaffectés, ici ou là. Mais j'connais pas les propriétaires..."
Elle réfléchit.
" Quoique, comme j'y pense... Y'a d'anciens entrepôts, dans le sud du secteur, pas très loin des bains publics. J'crois qu'ils appartenaient au marbrier qui fabrique des pierres tombales, mais il a déménagé pour se rapprocher du cimetière, dès qu'il a pu. C'était compliqué à transporter, vous comprenez. Et puis, il y a toute une zone d'habitations plus ou moins abandonnées, au nord des Portes de la ville. Mais bon, de toute façon, y'aurait sûrement pas mal de travaux à faire pour rendre l'endroit présentable..."

[Vel Cheran]

Jordin hocha la tête en écoutant son interlocutrice. Oui, ça pouvait être ce qu'il cherchait...

"Je vais jeter un œil à ces entrepôts. Merci beaucoup, j'ai eu raison de vous demander, vous m'avez sans doute fait gagner pas mal de temps ! C'est loin d'ici, à pied ? Histoire de savoir si j'ai le temps d'y faire un tour avant le déjeuner..."

[Voyageuse]

La jeune serveuse secoua la tête.
" Non, c'est pas très loin. J'dirais un bon quart d'heure si vous marchez vite. Par contre, vous trouverez personne sur place, bien sûr. Le proprio, il doit habiter les beaux quartiers. Mais j'imagine qu'il est parfois à la marbrerie, ou sinon, ils pourront vous renseigner ou faire passer un message. Faut aller à l'opposé, demander la direction du cimetière, vous trouverez la marbrerie pas très loin. Mais il était vieux, le propriétaire, c'est peut-être ses fils qu'ont repris l'affaire..."

[Vel Cheran]

Se caressant le menton, le moine réfléchit. Avant d'aller discuter avec les propriétaires, il valait mieux déjà jeter un œil sur place, pour voir si les locaux pouvaient convenir.

"Merci encore", dit-il en se levant. "Je serai de retour à l'heure de pointe !"

Il sortit de l'auberge et s'engagea dans les ruelles, en direction des bains.

[Voyageuse]

Jordin s'enfonça donc dans les ruelles miteuses, se dirigeant approximativement vers l'ouest.
Il avait plu pendant la nuit, et le sol était boueux par endroit, rendant la progression peu agréable, mais cela ne suffisait sans doute pas à expliquer l'absence quasi totale de promeneurs dans les rues. La raison était plus vraisemblablement liée au mode de vie des habitants du quartier : ceux qui avaient un emploi étaient au travail à cette heure matinale, et pour ceux qui n'en avaient pas, l'essentiel de leur vie se déroulait probablement le soir ou la nuit. Il ne croisa donc pas grand-monde. Une mère et ses deux très jeunes enfants, une vieille dame portant un panier, un petit groupe de gosses, qui tous évitèrent son regard et accélérèrent le pas tandis qu'il traversait le quartier.
Après plusieurs détours involontaires -les ruelles avaient tendance à bifurquer de façon totalement anarchique, et rarement dans la direction qu'il souhaitait-, il devina, au bruit de sabots trottants sur les pavés, qu'il débouchait enfin sur une avenue plus importante. Il obliqua à droite, vers l'ouest, et atteignit rapidement les murs entourant le grand parc verdoyant de Luménis. Il le longea vers la gauche, apercevant les hauts murs de pierre claire desanciens thermes de la ville.

[Vel Cheran]

Sur le chemin de l'auberge, Jordin réfléchit à l'affaire qu'il venait de conclure. Aurait-il pu s'en tirer pour un meilleur prix ? S'était-il fait embobiner, ou bien le marchand avait-il été honnête ? Il n'aimait pas être dans le flou, et plus il y réfléchissait, plus il avait l'impression de se torturer l'esprit pour un rien. Tout à ses pensées, il arriva à l'auberge sans s'en rendre compte. Il alla aussitôt s'installer à table, après s'être assuré que la serveuse avait remarqué son arrivée.

[Voyageuse]

La salle était beaucoup plus animé que lorsqu'il l'avait quittée en milieu de matinée. Autour du bar s'attardaient des habitués, sirotant un verre de vin blanc pour les plus âgés, ou de bière pour les plus jeunes -et à en juger par la couleur de leurs joues, ce n'était pas leur premier verre. La serveuse, la même jolie jeune fille que la veille, naviguait de table en table pour prendre les commandes. La plupart des clients étaient des ouvriers travaillant pour les artisans du quartier, des employés des commerces du port, et quelques paysans venus de la campagne proche pour vendre leur production. Beaucoup semblaient se connaître, au moins de vue, et n'hésitaient pas à s'interpeller à travers la salle.
Jordin se vit proposer un choix cornélien entre "menu du jour" ou "menu du jour" -le choix exact était entre menu du jour et simple assiette de charcuterie, mais tout le monde semblait opter pour le premier, nettement plus roboratif à défaut d'être réellement goûteux. La blanquette de veau contenait plus de gras que de viande, la sauce manquait de crème, mais les pommes de terre tenaient bien au ventre.

Jordin n'aperçut pas, au premier regard, ses compagnons de jeu de la veille. Ce n'est qu'au milieu de son plat qu'il s'avisa que l'un des hommes qui lui tournaient le dos, au bar, était le vieil Anatole. Il discutait avec un petit groupe d'hommes de tous âges, suffisamment près de lui pour qu'il puisse deviner la teneur de la conversation en tendant l'oreille. On parlait vin et politique. La discussion s'anima soudain, alors qu'un nouvel arrivant arrivait dans le bar : jeune, blond, le teint pâle, il portait un foulard blanc autour du cou et semblait très remonté. Contre quoi, Jordin ne tarda pas à le savoir.
" Il y a encore eu une agression !
- Une agression ? Où ?
- A la mercerie de la rue Guignolet, vous voyez où c'est ? Un type armé d'une épée courte... Il a pris en otage la patronne pour avoir la caisse...
- Quoi ?!
- Anatole, c'est pas là que bosse ta fille ?"

[Vel Cheran]

Jordin hésita à s'immiscer dans la conversation, se disant dans un premier temps qu'il n'était pas suffisamment proche d'Anatole pour se le permettre. Il se contenta de tendre l'oreille pour en savoir plus. Le jeune homme arborait un foulard blanc : n'était-ce pas l'un des jeunes gens avec lesquels traînaient Jonathan, le petit-fils d'Anatole ? Ceux qui accusaient les immigrés mélandiens de tous les maux ? S'arrachant à ses réflexions, il se décida à se lever en entendant que la fille d'Anatole pouvait être en danger. Il devait prendre ses responsabilités. Au pire, on le trouverait impoli, ce qui n'était pas un lourd tribu.

"Un problème, Anatole ? Je peux aider ?"

[Voyageuse]

Anatole avait l'air un peu hagard de celui qui ne comprend pas vraiment ce qui arrive. Peut-être l'alcool y était-il pour quelque chose, mais le choc de la nouvelle avait dû le secouer.
" Je... Je ne sais pas...
- Elle n'est pas rentrée, Marie ?
- Mince... Elle est peut-être blessée ? Tu n'en sais pas plus, Tom ?
- Non, moi j'y étais pas, je n'ai eu que des échos. C'était des mélandiens, bien sûr..."
Il cracha par terre.
" Saletés d'immigrés", gronda l'un des buveurs.
Des exclamations de colère lui répondirent. Depuis leur comptoir, leur verre à la main, le petit groupe semblait tout prêt à en découdre. Mais Jordin était suffisamment accoutumé aux discussions de buveurs de bière pour estimer que cela ne dépasserait sans doute pas le cadre du bar.

Anatole, lui, semblait partagé entre colère et inquiétude.
Il leva un regard désemparé vers Jordin.
" Je... je crois que je devrais aller prendre des nouvelles, peut-être..."

[Vel Cheran]

Le moine posa une main réconfortante sur l'épaule d'Anatole.

"Allons-y ensemble. On en saura davantage une fois sur place, le bouche à oreille tend parfois à déformer les faits."

[Voyageuse]

" Je... C'est gentil à toi... Mais... je ne sais pas...
- Vas-y Anatole... Tu auras des nouvelles fraîches !
- Salauds de mélandiens... Moi j'dis, faut pas s'laisser faire"
Anatole soupira et s'écarta du comptoir. Les autres reprirent leur discussion un ton plus bas, lui jetant quelques regards compatissants.
" En fait... avec ma fille, on s'est souvent brouillés. Je ne suis même pas sûr de savoir où elle habite, avoua-t-il, un peu penaud. J'crois qu'elle avait déménagé..."

[Vel Cheran]

Jordin décida de l'entraîner à l'écart, pour pouvoir discuter tranquillement, sans la pression du groupe.

"Écoute, on fais comme tu le sens. Je ne veux rien t'imposer. Mais si tu t'inquiètes, y faire un tour ne pourra que lever tes doutes."

"Et puis, si elle n'a rien, qu'est-ce qu'on risque ? Elle ne fera pas la tête que tu te sois fait du souci pour elle."

Le moine fit rouler ses épaules sous sa tunique. Il n'avait pas fait d'exercices depuis quelques jours, mais il était toujours prêt.

"Ma vocation m'impose de savoir me défendre, et de défendre les autres au besoin. Ne t'inquiète pas, je suis là."

[Voyageuse]

" On va passer voir mon fils... Max. Lui, il saura, décida finalement le vieillard. Ils ont toujours eu de bons contacts, avec Marie. Il ne devrait pas tarder à rentrer du boulot, il me semble, il est du matin en ce moment. Mais mange, d'abord : tu n'as pas eu le temps de finir ton assiette !"
La blanquette de veau en sauce, refroidie, attendait en effet un dernier coup de fourchette.

[Vel Cheran]

Jordin tourna la tête vers sa table : il avait totalement oublié son repas.

"Tu as raison, je ne vais pas laisser gâcher ça. Tu as déjà mangé ? Sinon, joins-toi à moi !"

[Voyageuse]

" Je n'ai pas très faim..."
Malgré ses protestations, le vieillard accepta une assiette de viande et mangea même avec appétit. Mais il conservait un air soucieux.

Au bar, la discussion s'animait, et Jordin crut entendre mentionner une expédition punitive, dans la soirée, ou la nuit... Mais la conversation était décousue et Anatole finit par reprendre la parole, l'obligeant à se concentrer sur ce qu'il expliquait.
" C'est quand même fou que ça tombe sur Marie, une agression pareille. Vous la connaissez pas, mais elle a passé des années à s'investir dans des associations d'aide aux nouveaux arrivants, à aider les immigrés à trouver du boulot, à obtenir des papiers... Un bon paquet de mélandiens d'origine lui doivent une situation pas trop moche. Elle aurait dû s'en mordre les doigts quand il y a eu le coup d'état, mais même pas : elle continuait à avoir confiance dans ceux qu'elle aidait. C'est comme ça qu'on s'est brouillés, d'ailleurs : elle était trop aveugle, toujours à leur chercher des excuses, je ne supportais pas. Et là... c'est justement des immigrés qui l'agressent à son boulot. Bah, p't'êt qu'elle va ouvrir les yeux, maintenant... "
Il secoua la tête.
" Dingue qu'il faille en venir là pour que les gens apprennent à se méfier... Pourtant, on est plusieurs à le dire, depuis des années..."

D'après l'agitation qui régnait désormais au bar, Jordin devina que l'opinion d'Anatole était majoritaire -ou du moins, ceux qui auraient pu avoir l'opinion inverse avaient la sagesse de ne pas l'exprimer : l'alcool aidant, cela aurait pu tourner en bagarre violente.

[Vel Cheran]

Le moine avait une faim de loup, et dévora le contenu de son assiette. Tout en mastiquant, il réfléchit aux paroles d'Anatole.

"On ne sait pas encore qui a fait le coup", tenta-t-il de tempérer. "Peut-être que ce n'est pas un Mélandien."

Il avait la sensation de débarquer dans une situation qui le dépassait, mais il refusait par principe de céder à la facilité : il ne connaissait pas ces Mélandiens, mais une intuition le poussait à croire qu'ils n'étaient probablement pas majoritairement mauvais. Sans connaître vraiment la société luménienne, il lui était cependant difficile d'appuyer cette conviction par un quelconque argument.

[Voyageuse]

" C'est pas la première agression de ce type. On en a eu toute une série dans le quartier, et ça se décale maintenant dans les petits commerces du port. Souvent deux ou trois types seulement, parfois un seul. A chaque fois, il y a eu des témoins, et presque toujours quelqu'un reconnaît l'accent mélandien chez l'un des agresseurs... Mais apparemment, les gardes n'arrêtent personne. Ils ne prennent pas les choses au sérieux tant que c'est dans notre quartier, ils parlent toujours de règlements de compte. Peut-être que là, vers le port, ils feront les choses plus sérieusement..."
Anatole poussa un soupir.
" Mais allons chez Max. Il a dû rentrer du boulot..."

[Vel Cheran]

"Et j'imagine que moins la garde interviendra, plus la rancœur risque de monter parmi les gens..." commenta Jordin d'un ton amer.

Il repoussa sa chaise et se leva.

"En route. C'est par où ?"

[Voyageuse]

" Oh... C'est là où tu es venu dîner hier. Max et Jeanne savent sûrement où est Marie... Ou peut-être même qu'elle est venue chez eux. Si vraiment elle a subi une agression... elle ne doit pas avoir envie de se retrouver seule chez elle..."
Tout en parlant, Anatole entraînait Jordin vers la sortie, puis dans le labyrinthe de ruelles qui entourait l'auberge. Jordin reconnut l'itinéraire suivi la veille : la demeure du fils d'Anatole était toute proche.

Le vieillard, en habitué des lieux, ne frappa qu'un bref coup à la porte avant d'en pousser le battant et d'entrer.