[Ambre] Palais royal (Luonto)

[Féérune]

Luonto n’eut même pas le temps de réagir au déplacement. Gérald s’imposa à sa vue par la couleur qui seyait le mieux à son teint, un bleu céleste. Elle faillit faire la remarque de vêtements davantage beaux par leur couleur et texture que par leur style, mais l’arrivée d’Isibael dans son champ de vision l’en empêcha. Autant éviter le sujet du style vestimentaire… On risquerait de fâcher la noble dame*! Ce fut le moment que choisit Missou pour bondir hors de sa chevelure.

- Oh le beau bleu*! Heureusement, ça rattrape l’horreur de vos vêtements*! Soit dit en passant, hein, je ne fais qu’exprimer ce que pense ma maîtresse chérie.

Missou, détendu et visiblement heureux, souriait. D'un geste gracieux, il ébouriffa ses plumes.

[Vel Cheran]

Gérard n'était pas homme à se vexer facilement, aussi eut-il un air plutôt surpris et jeta un coup d’œil à sa mise.

"Euh, vous croyez ? J'ai essayé de m'habiller le mieux possible pour m'occuper des affaires courantes en l'absence de Random, mais je ne suis pas très doué pour tous ces codes vestimentaires qui semblent changer chaque matin."

Flora lui posa la main sur le bras et prit un air rassurant.

"Ne t'inquiète pas, on va arranger ça. Et vous, Isibeal, souhaitez-vous également que je vous donne un coup de main ?" ajouta-t-elle à l'intention de l'épouse de Gérard d'un air innocent.

Celle-ci lui jeta un long regard sans ciller.

"Non merci, Flora, je me débrouille", répondit-elle avec un sourire forcé. "Mais j'imagine que vous n'êtes pas venues ici dans le seul but de nous donner des conseils vestimentaires..."

[Féérune]

Luonto s’était un peu crispée.

- Missou*! On essaie de ne pas dire ce qui fâche… Gérald, Isibeal, je vous prie d’excuser le franc-parler de cette tête de linotte*! Qui ne comprend ni le style historique ni le style sportif…

Moi non plus, d’ailleurs, songea la princesse. J’aime trop les beaux vêtements, et pas trop le XVIIème siècle… Pas trop la mode fitness non plus, d’ailleurs*!

- Quoi de neuf en ce royaume, mon cher Gérald*?

Missou fixait Isibeal, toujours souriant.

- Chère dame, auriez-vous quelques noisettes*? Décortiquées, bien sûr… J’ai une petite faim.

[Vel Cheran]

Isibeal garda son regard fixé sur Flora pendant encore un instant, avant de se tourner vers Missou et de lui adresser un sourire.

"Je ne crois pas que ça soit la saison, mais je vais voir ce qu'on peut faire."

Elle se dirigea vers la porte, l'entrebâilla et échangea quelques mots avec un serviteur. Gérard, de son côté, s'était assis dans un gigantesque fauteuil et se massait les tempes d'un air fatigué.

"Eh bien, Luonto, la situation est assez confuse, pour être honnête... Iarbonel a été assassiné, et Benedict semble persuadé que Corwin a fait le coup. Random est parti en Avalon pour tenter de le raisonner, mais je n'ai pas encore eu de ses nouvelles depuis. En Ambre, en revanche, c'est plutôt calme en ce moment, mais nous recevons demain une délégation de Begma en vue de négocier un accord commercial. Je ne déborde pas d'enthousiasme à l'idée de remplacer Random sur ce sujet..."

[Féérune]

Luonto prit un air concentré.

- Oui, je comprends…

Je ne comprends rien du tout aux accords commerciaux. Et je m’en fiche… Iarbonel… Sa mort n’a pas l’air de beaucoup les toucher…

- Mais pourquoi Benedict pense t-il que Corwin aurait tué Iarbonel*? Pour tout te dire, je ne vois pas Corwin tuer qui que ce soit sans une impérieuse raison. Celle de sa propre survie, par exemple. Je n’aime par particulièrement Corwin, mais ses actes ont toujours été des actes de bon sens… Enfin, disons qu’il n’a jamais été agressif sans raison.

La princesse soupira, sentant les larmes lui monter aux yeux.

- Je… Je tiens à vous dire à quel point il est important, à mon sens, que la mort de Iarbonel ne reste pas impunie.

Luonto sentit un léger pinçon à l’oreille gauche.

- Hé*! Tu crois qu’Arantol acceptera de m’ouvrir une noisette, si on m’en apporte une non décortiquée*?

[Vel Cheran]

Gérard hocha la tête d'un air absent.

"Random veut éviter une vendetta, c'est pour ça qu'il est parti en Avalon aussitôt. Il m'a donné pour consigne de calmer toute velléité de justice expéditive... Sache que je compte moi aussi faire en sorte que justice soit rendue. Mais soyons d'abord certains de mettre la main sur le bon coupable..."

Il sembla alors à Luonto que la gêne qu'éprouvait Gérard depuis leur arrivée pouvait être un rempart contre sa peine. Gérard avait toujours été attaché à la famille, et très proche de Benedict. C'était lui qui avait offert à Iarbonel son fameux écu.

Après un long soupir, il redressa ses épaules massives et reprit un air grave.

"Je ne crois pas non plus que Corwin soit coupable. Mais nous verrons bien."

Isibeal était retournée auprès d'eux, et, quelques instants plus tard, une servante entra avec une coupelle remplie de graines de tournesol, qu'elle déposa sur une table basse à proximité de Luonto.

"Nous n'avons pas de noisettes en réserve, Madame, mais je crois que ces graines de tournesol devraient vous plaire."

Elle devait être âgée d'une cinquantaine d'années, et Luonto sembla la reconnaître comme étant Mélodie, l'une des chefs cuisiniers du château.

[Féérune]

Luonto n’eut pas le temps de réagir. Déjà Missou s’était précipité vers la chef cuisinière.

- Dame Didie*! Enfin on va bien manger ! Merci*!

Le petit oiseau s’enhardit jusqu’à aller chercher une graine de tournesol dans le petit bol que tenait encore Mélodie.

Luonto ne prit pas le temps d’être étonnée au petit nom que Missou donnait à une servante dont elle-même se souvenait à peine. Elle s’approcha de Gérard et eut un geste inattendu*: elle lui toucha l’épaule, la serra doucement pour le réconforter.

- Mon cher Gérard… C’est là où nos vues divergent. Si d’aventure on vengeait Iarbonel… Eh bien, je bénirais celui qui l’a vengé.

Elle soupira longuement et s’assit sur un banc tapissé de vert et or.

- Oh bien sûr, je sais bien que c’est toi qui as raison. Mais je suis si choquée d’un tel assassinat*! Un prince d’Ambre*!

La princesse sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle parvint à les refouler et garder un regard glacial. Missou, touché, vint près d’elle et lui effleura la joue.

- Gérard, encore un mot*: pourquoi fais-tu allusion à un «*bon*» coupable*? Y’aurait-il un coupable présumé, que tu aurais déjà fait arrêter*?

[Vel Cheran]

"Oh, je faisais simplement allusion à Corwin. Ne l'accusons pas trop vite."

Un feu crépitait doucement dans la cheminée nichée dans un recoin de la pièce, derrière un insert en verre.

Flora se leva en bâillant.

"Bon, en ce qui me concerne, je suis exténuée. Je ne sais pas quelle heure il est ici, mais je vais regagner mes quartiers séance tenante."

"Je pense que la Reine voudra vous voir", intervint Gérard.

"Ah, Vialle est restée en Ambre. Tout n'est donc pas perdu pour demain", répondit Flora avec un sourire.

[Féérune]

- Je suppose que je vais en faire autant… Missou*? Missou*! Où est-il donc*?

Le petit oiseau, avisant Arantol, venait de lui apporter une graine de tournesol.

- Eh bien*! Il y a au moins une bonne nouvelle*! Arantol a un nouvel ami. Gérard, Isibeal, à plus tard.

Luonto suivit sa mère sur le chemin de ses appartements.

[Vel Cheran]

La mère et la fille prirent donc congé et s'engagèrent dans les couloirs du palais.

"Vialle attendra", glissa Flora à Luonto, "je suis trop fatiguée pour passer la voir ce soir."

Le palais était silencieux et peu animé, aussi ne croisèrent-elles que peu de personnel sur leur chemin. Elles arrivèrent finalement à proximité des quartiers résidentiels. Ceux de Flora étaient situés dans l'aile historique, avec le reste de ses frères et sœurs, tandis que ceux de Luonto se trouvaient dans une partie construite plus récemment. Elle était encore loin d'être couchée dans son lit.

[Féérune]

- Eh bien, je te souhaite une bonne soirée… Il est un peu tôt pour moi, je vais traîner un peu. Nous attendrons demain pour voir Vialle, tu as raison. Elle-même se retire assez tôt, si je me souviens bien.

Luonto laissa sa mère à la porte de ses appartements et continua le couloir vers la terrasse qui menait à l’aile plus récente. Arrivée à l’air libre, elle leva la tête pour admirer l’architecture du palais ambrien.

La terrasse était vaste, ornementée de statues d’inspiration de l’Ombre-Terre antique. D’immenses pots de grès contenaient de jeunes magnoliers dont les fleurs embaumaient l’air. Luonto remarqua quelques racines qui tentaient leur chance, perçant la mosaïque au sol, un peu trop de feuilles et de terre. Je devrai tancer le serviteur en charge, songea t-elle, l’entretien est trop négligé ici.
Missou s’agita brusquement, alla voleter autour d’un des magnoliers, puis revint se poser sur la tête de la princesse.

- Tu devrais rester là… J’aime cette terrasse*!
- J’ai quelques petites choses à faire, Missou. Mais reste si tu veux, tu viendras me rejoindre tout à l’heure.
- Ah non. Il y a des chats qui traînent, le soir. Et je sais qu’ils savent grimper dans les magnoliers*!
- Tu as peur des chats, maintenant*?
- Non*! Mais le soir ils y voient mieux que moi… Si je ne les vois pas arriver, pas le temps de me sauver*! Et la Finette est la pire de tous. Vicieuse.
- Pas faux.

Luonto et Missou restèrent donc sur la terrasse, les yeux rivés vers le soleil qui déclinait doucement.

HRP : euh, les descriptions j'ai le droit, hein ?

[Vel Cheran]

Le ciel était dégagé, et les rayons du soleil donnaient une teinte orangée remarquable au ciel d'Ambre. Au loin, on pouvait entendre les bruits de la ville, qui n'était pas prête d'aller se coucher, contraste saisissant avec le calme du palais.

"La vue est toujours aussi belle, hein ?"

Luonto ne l'avait pas entendue arriver, et pourtant une jeune femme était maintenant à ses côtés et s'accoudait à la balustrade. Missou n'avait pas averti sa maîtresse, car la nouvelle venue ne représentait aucun danger : la peau sombre, le crâne rasé, Criosa était la fille aînée de Gérard et Isibeal. Elle était notoirement adepte d'arts martiaux en tous genres, et se déplaçait toujours avec légèreté.

[Féérune]

Missou se raidit légèrement. Sa maîtresse porta la main vers lui et regarda son interlocutrice.

- Oui… Certainement*!

Qui est au juste Criosa*? Luonto ne put s’empêcher d’admirer la ligne svelte et musclée de la jeune femme.

Qui sont-ils tous*? A quel point puis-je faire confiance à qui que ce soit, dans cette famille qui passe son temps en alliances pour de mauvaises raisons et en mésalliances pour des bonnes*?

- Criosa, je ne t’ai pas entendue arriver… J’espère que tu n’es pas contrariée si je n’ai pas eu conscience de ta venue. Missou non plus, d’ailleurs*!

Elle sentit le petit oiseau commencer à trépigner, agacé.

- Comment vas-tu*?

Luonto pensa que la banalité était toujours la meilleure entrée en matière. Iarbonel… Il était de son âge, qui sait si une grande amitié ne les liait pas*?

[Vel Cheran]

Criosa resta silencieuse pendant quelques instants, contemplant la vue. Le soleil avait maintenant disparu à l'horizon, et les eaux de la mer s'assombrissaient à vue d’œil.

"Je crois que je ne me lasserai jamais de ce pays", constata-t-elle, sans que Luonto sût si cela s'adressait à elle ou si sa cousine ne faisait que penser à haute voix.

Elle finit par tourner lentement vers Luonto un visage serein.

"Il n'y a pas d'offense", répondit-elle, comme si elle venait seulement d'entendre les excuses de sa cousine, "je désirais te laisser profiter de cet instant de grâce."

La lune fit son apparition dans le ciel et ses rayons tissèrent peu à peu une ombre fantomatique dans le ciel, qui gagnait en consistance à chaque seconde.

"Je vais bien, même si je suis triste."

[Féérune]

- Oui… Je comprends…

La mort de Iarbonel, sûrement. Ou Criosa fait-elle partie de ces incurables romantiques pour qui tout lever de lune est la manifestation de la mélancolie de ce monde*? Luonto décida que non. Une femme sportive est rarement une contemplative.

Missou s’excita tout d’un coup.

- C’est le crépuscule rentrez rentrez petits oiseaux, rentrez au nid il faut dormir il faut dormir bonne nuit tout le monde tout le monde les chats aussi au dodo au lieu d’embêter les petits oiseaux mangez donc des souriceaux dodo bonne nuit tout le monde

Luonto ne rit pas, mais elle sentit son esprit s’alléger.

- Chère Criosa… Excuse Missou, il pépie beaucoup à la tombée de la nuit…

C’était une excuse probablement assez inutile. Un concert d’oiseaux gazouillait déjà, se renvoyant le traditionnel salut du soir d’arbre en arbre. Puis les dernières notes du chant vespéral s’éteignirent et ce fut de nouveau le calme, alors que la fraîcheur s’accentuait.

- Eh bien… Criosa, veux-tu venir dans mes appartements*? Nous causerons. De Iarbonel, si tu le veux bien.

[Vel Cheran]

Criosa eut un léger rire en entendant le pépiement de Missou. Comme pour tous ses gestes et toutes ses paroles, elle semblait prendre son temps pour rire.

"Volontiers", répondit-elle en inclinant la tête. "Nos parents ne le connaissaient pas comme nous le connaissions."

Elle se redressa et suivit Luonto vers l'intérieur, non sans un dernier coup d’œil vers Tir-Na-Nog'th. Elle était trop loin pour apercevoir les deux silhouettes qui se tenaient au pied de la cité fantomatique.

[Féérune]

Luonto frissonna et sentit Missou glisser à l’intérieur de ses vêtements. Il a froid, ce petit chéri… Elle fit signe à Criosa de la suivre et elles empruntèrent le large couloir pavé de marbre, puis montèrent un large escalier jusqu’à ses appartements. Elles entrèrent dans un petit vestibule, puis dans une pièce tapissée de vert et garnie d’une cheminée où un feu flambant crépitait.

Luonto invita la jeune femme à s’asseoir et appela la servante en charge. Installées confortablement dans de vastes fauteuils de cuir vintage, un thé vert parfumé fumant devant elles, la princesse entama la conversation.

- Je sais que Iarbonel pouvait être arrogant et ainsi se faire des ennemis… Mais il comptait aussi des amis, des gens fidèles et qui savaient que ses qualités dépassaient de loin ses défauts.

Elle repoussa doucement Missou qui s’aventurait près des tasses brûlantes.

- J’étais si loin d’Ambre… Si loin de toutes les intrigues, si loin de tout… Et si loin de me douter à quel point on pouvait détester un prince d’Ambre, si jeune et plein de vie*!

Se penchant vers Criosa, elle murmura*:

- Criosa… Entre nous, est-il possible que Iarbonel ait pu avoir des ennemis prêts à le tuer, ici en Ambre*? Si tu as remarqué quoi que ce soit, je t’en supplie, dis-le moi.

[Vel Cheran]

Sur l'invitation de Luonto, sa cousine prit place dans un fauteuil et but une gorgée de thé, sans paraître se brûler.

"Cela fait un certain temps qu'il est parti en Avalon. À part peut-être le roi de Begma, je ne vois pas qui pourrait lui en vouloir, ici."

[Féérune]

Luonto reposa lentement sa tasse.

- Le roi de Begma*? Pourquoi donc*? Ah*! Le duc que Iarbonel a tué en duel, était-il donc l’ami du roi de Begma*?

«*Monarque d’une Ombre voisine*d’Ambre », avait dit ma mère. C’est ça. C’est sûrement ça*! Mais je ne vois guère un roi ne pas demander réparation dans les formes et agir comme un spadassin.

Quelque chose sembla mettre Missou mal à l’aise. Un bruit, peut-être… Luonto releva les yeux vers Criosa.

- Criosa… As-tu l’impression d’être observée*?

La princesse se leva et alla à la fenêtre. Elle écarta lentement les doubles rideaux, prit garde de ne pas laisser filtrer la lumière du salon vers l’extérieur et scruta la nuit aussi loin qu’elle put.

[Vel Cheran]

Criosa tendit l'oreille et se leva lentement. Soudain, elle fut d'un bond à la porte et l'ouvrit en grand, faisant sursauter le jeune serviteur qui se trouvait derrière.

"Je-je suis désolé, Votre Altesse, je s-suis envoyé par la Reine, je ne savais pas si vous dormiez déj-jà ou pas, donc je n-n'osais pas frapper, veuillez m'exc-cuser !..."

"C'est moi qui m'excuse de t'avoir effrayé", répondit doucement Criosa. "Que désire la Reine ?"

Après une révérence maladroite, le serviteur répondit du ton de quelqu'un qui a appris un message par cœur :

"Sa Majesté souhaite le bonsoir à Son Altesse la Princesse Luonto, et désire savoir quand Elle pourra s'entretenir avec Son Altesse."

Criosa jeta un œil vers Luonto et revint vers le serviteur.

"Alors il vaut mieux que ce soit Luonto qui réponde" fit-elle avec un sourire en coin. "Flora et toi êtes l'attraction du moment, tout le monde va vouloir discuter avec vous, j'imagine", ajouta-t-elle à l'attention de sa cousine, "il va falloir distribuer des tickets numérotés."

[Féérune]

Rien. Nuit noire, malgré ce quartier de lune… Luonto revint à sa place, tendit la main vers sa tasse de thé et faillit la renverser lorsque Criosa se précipita à la porte.

Eh*! Je deviens émotive, moi… Allons…

Un serviteur bafouillait lamentablement*; elle l’écouta, agacée par son allure. Vraiment, le personnel se relâche, ici.

- Jeune homme, je verrai la Reine demain matin, à l’heure qui lui conviendra. La Reine a t-elle déjà une heure à proposer*? Dans le cas contraire… Attendez un instant…

Luonto alla à un petit bureau d’acajou et en sortit un élégant papier à lettres et un stylo.

«*Très chère Vialle
Ma mère et moi-même sommes arrivées en fin d’après-midi. Connaissant vos habitudes et étant nous-mêmes fatiguées, nous n’avons pas souhaité vous déranger. J’espère que vous ne nous en tiendrez pas rigueur*!
Je tiens bien sûr à vous présenter mes amitiés et respect dès que possible, demain matin à l’heure qui vous conviendra.
Je vous souhaite une bonne fin de soirée, bonne nuit et vous embrasse affectueusement.
Luonto*»

- Vous confierez cette lettre à la lectrice de la Reine, afin qu’elle transmette ma réponse dans le quart d’heure. Bonne nuit, jeune homme. Et redressez-moi ce nœud papillon, l’urgence ne justifie pas le relâchement de votre mise.

Quelque chose frémit à la base du cou de la princesse. Missou, discrètement, riait.

[Vel Cheran]

Saluant à plusieurs reprises, le jeune serviteur tenta de remettre rapidement ses habits en place et prit respectueusement le pli avant de s'éloigner à toutes jambes. Criosa referma la porte avec un air amusé.

"Je crois que les événements récents ont pu perturber la formation des nouveaux employés du palais", expliqua Criosa, comme lisant dans les pensées de Luonto.

Elle retourna s'asseoir et but une nouvelle gorgée de thé, puis elle reprit le fil de la conversation comme si aucune interruption n'avait eu lieu.

"Tu as vu juste : Iarbonel a eu un différend avec un ami du monarque qui nous rend visite demain. Je ne sais pas s'il faut y voir autre chose qu'une coïncidence."

[Féérune]

- Je ne crois pas aux coïncidences, chère Criosa… Et je suis assez curieuse de savoir ce que le souverain de Begma aura à dire.

Luonto termina sa tasse lentement, perdue dans ses pensées. Missou bougea doucement, la sortant de sa rêverie.

- Excuse-moi, je suis fatiguée… A mon sens, demain nous en saurons un peu plus sur ce qui s'est passé pour notre cher Iarbonel.

La princesse sentit les larmes revenir. Non ! une princesse d'Ambre ne pleure pas ! A sa propre surprise, elle saisit vivement les mains de la jeune fille.

- Criosa, je t'en prie, dis-moi si Iarbonel avait des ennemis en Ambre… Je devrais le savoir, mais suis restée tellement dans mes Ombres favorites que je n'ai pas pris attention aux intrigues qui se déroulent actuellement.

Sur son épaule, Missou s'agita.

- Excuse-moi... Il était en Avalon depuis longtemps, tu me l'as dit… Mais réfléchis, est-ce que le roi de Begma aurait ici, en Ambre, des… Disons des informateurs ?

[Vel Cheran]

Criosa prit une mine navrée.

"Tu ne poses pas la question à la bonne personne, Luonto", répondit-elle. "Je ne suis pas très au courant des jeux d'espionnages auxquels d'autres se livrent. Les intrigues de palais ne m'ont jamais vraiment passionnée."

Elle marqua une pause.

"C'est sans doute ce point commun qui m'a rapproché de Iarbonel, à l'époque. Il a toujours été un garçon très direct, ses émotions se lisaient sur son visage."

[Féérune]

Luonto fixait toujours son interlocutrice. Elle ne sait rien... Ou ne veut rien dire... Son regard se déplaça lentement vers une des étagères au bas de la bibliothèque, dont les livres étaient légèrement de guingois. Décidément, si même mes propres serviteurs se relâchent... Impossible !

Soudain, une évidence lui traversa l'esprit. Fiona ! Ce ne peut être que Fiona, reine des intrigues de toute sorte ! Aurait-elle un intérêt à comploter avec le roi de Begma ?

Elle décida de tenter quelque chose.

- Eh bien, Criosa, tu ne dois pas trop t’entendre avec ta tante Fiona*! Elle adore les intrigues de cour… Et sait les alimenter, quand elle ne les provoque pas*!

Ce fut dit sur un ton plus léger, mais calculé de manière à ne pas trop contraster avec le ton de sa question précédente. Criosa me donnera t-elle enfin une information utile*? Sinon il faudra bien que je trouve quelqu’un susceptible de m’aider… Enfin*! Ma mère aura peut-être davantage de chance que moi*!

Elle fronça légèrement les sourcils. Qui a pu déplacer ces livres*? Missou, comme mû par le même souci, voleta jusqu’à l’étagère qui troublait sa maîtresse.

[Vel Cheran]

"Notre tante, tu veux dire", corrigea-t-elle sans malice.

Elle prit sa tasse et termina son thé d'une traite. Son visage arbora une moue lasse.

"Je ne la connais pas vraiment, pour tout te dire. Nous n'avons a priori que peu d'intérêts en commun, et ses séjours en Ambre sont toujours trop brefs pour pouvoir changer cet état de fait. Elle semble entretenir volontairement un certain mystère sur ses activités, ce qui explique sans doute les rumeurs plus ou moins farfelues qui circulent à son sujet..."

[Féérune]

Bon. Elle ne parlera pas, les intrigues de cour la laissent aussi froide que moi. Et j'étais si persuadée d'avoir raison de prendre mes distances… Mais si Fiona est cause des attaques que j'ai subies, je ne peux pas attendre qu'elle parvienne à ses fins !

Luonto eut un léger sourire, qu'un discret bâillement vint interrompre.

- Criosa, je comprends que tu n'aies pas envie de te mêler de tout cela. Peu importe ! Si jamais tu te souvenais d'une impression, d'un événement étrange relatif à notre tante ou qui te semble relatif au crime… Par exemple une connexion entre elle et le roi de Begma… Eh bien j'aimerais que tu m'en fasses part. Crois-moi, un indice qui permette de comprendre le meurtre de Iarbonel serait infiniment précieux… Enfin, il nous faut savoir pourquoi quelqu'un l'a tué - et qui, bien sûr.

La princesse regarda de nouveau l'étagère en léger désordre. Ce fut pour Missou le signe de revenir sur l'épaule de sa maîtresse.

- Je suis fatiguée, excuse-moi. Et vais me retirer. Si tu veux rester un moment dans le salon, boire quelque chose ? Minne sera à ta disposition.

La servante, qui venait d'apparaître, hocha la tête avec déférence.

[Vel Cheran]

Criosa fit un signe de tête en souriant et se leva.

"Je ne manquerai pas de te faire part de ce qui me viendrait à l'esprit. Iarbonel avait peu d'amis, raison de plus pour nous soutenir mutuellement. Je te laisse te reposer, nous reparlerons peut-être demain", ajouta-t-elle en se dirigeant vers la porte.

Elle indiqua à la servante de Luonto qu'elle allait se retirer, et partit après un bref salut du buste, comme à son habitude sembla se rappeler Luonto.

[Féérune]

Missou pinça doucement l'oreille de sa maîtresse et pépia un mot aimable à l'intention de Criosa, puis un autre pour Minne.

Lentement, après un geste d'adieu à sa cousine, Luonto se dirigea vers sa chambre. L'ordonnancement parfait de la pièce la rassura d'emblée. Tendue de velours vert sapin et meublée de diverses essences de bois clairs, la chambre n'était pas sans rappeler sa chère Finlande. Un tapis venu d'une Ombre raffinée jetait une touche multicolore sur le sol. Le lit à baldaquin jetait une autre note de gaieté, avec son édredon fleuri.

Luonto déposa son oiseau apprivoisé dans le petit nid et, après une douche rapide, s'enfonça dans son lit douillet.

[Vel Cheran]

Elle était seule, dans ce long couloir du palais. Au loin, un rire d'enfant attira son attention. En faisant un pas, le contact froid de la pierre l'informa qu'elle était pieds nus. Une unique torche, accrochée à un mur, projetait une lumière tamisée et mouvante, donnant l'impression que la pierre respirait.

Les portes menant aux appartements semblaient avoir disparu, remplacées par des murs de briques.