[Ambre] Tir-Na-Nog'th

[Vel Cheran]

Malgré le ralentissement, Eleina n'avait pas baissé les bras et, petit à petit, elle continua d'avancer sur la ligne de feu. Chaque fois qu'elle levait ou baissait le pied, l'effort était si terrible que des étincelles jaillissaient de ses cheveux.

Brusquement, la pression s'atténua. Le voile semblait s'être déchiré devant elle, et l'Ambrienne eut une sensation d'accomplissement. Des images lui traversèrent l'esprit. Elle aperçut Utopia, ses plages bondées, ses côtes trop bien découpées pour paraître naturelles, ou encore les monsks, ces êtres poilus aux couleurs pastels, sages et paisibles, qu'elle avait étudiés pendant tant d'années. Puis le visage de Mark s'imprima sur sa rétine. Son amour de jeunesse, qui avait chamboulé sa vie à plus d'un titre, l'éveillant à la politique, avant de disparaître dans un de ces terrifiants camps de rééducation dont personne ne sortait jamais.

[Voyageuse]

Elle ralentit quelques instants, complètement décontenancée par l'affluence de souvenirs, certains agréables, d'autres douloureux, qu'elle avait cru enfouir au fond de sa mémoire pour les oublier à jamais.
Était-ce normal ? La Marelle lisait-elle ses souvenirs ? Et pourquoi cela ? Bleys ne l'avait pas prévenue de ce genre de phénomène... Mais en réalité, il ne lui avait guère expliqué ce qui l'attendait.
Elle reprit son chemin d'un pas un peu moins assuré, avant de retrouver peu à peu son allant. Quelle importance, après tout, que la Marelle lise dans ses souvenirs ? Certes, le principe ne lui plaisait guère, mais quel mal pourrait-il en découler ? Certainement aucun...

[Vel Cheran]

Le courant qui la traversait s'était atténué, et elle put enchaîner une série de courbes et de lignes droites. Sans que cela soit une partie de plaisir, ses mouvements étaient moins freinés qu'aux abords du voile. Les étincelles blanches continuaient de jaillir à chaque pas, et atteignaient désormais ses mollets. Une vision fugace de ses années passées au nord d'Utopia, à étudier la faune locale. Des paysages presqu'inviolés par la main de l'Homme.

Et soudain, la pression s'accrut de nouveau, plus durement encore qu'avant. Un deuxième Voile, plus visqueux, lui barrait la route, et elle eut l'impression de se mouvoir dans une boue épaisse. Encore un pas, et l'effort était semblable à pousser une voiture embourbée.

[Voyageuse]

Elle grimaça et poursuivit son effort. Traverser la marelle n'avait rien d'une partie de plaisir : elle n'avait pas imaginé rencontrer une telle difficulté, même lorsque son père avait mentionné des résistances. Et elle n'en était qu'au début. Elle se souvenait qu'il y aurait encore un voile, et puis Bleys avait mentionné une courbe... Ce serait sans doute de pire en pire.
Elle serra les dents et décolla un pied du sol, puis un autre, penchée en avant, en poussant de tout son corps contre le vide -ou plutôt le fluide visqueux qui l'avait apparemment remplacé.

[Vel Cheran]

Les étincelles atteignaient ses genoux, et chaque pas représentait un effort considérable. L'odeur de l'herbe humide, au petit matin. Encore un pas. Le soleil couchant qui se reflète dans les nuages, et sur le visage de Marc. Les muscles d'Eleina semblaient faits de béton. Son premier contact avec Tarli, le premier Monsk à lui avoir adressé la parole. Tout son corps semblait se liquéfier sous l'effort. La salle d'armes où elle avait appris l'art du katana.

Aussi soudainement que pour le premier, le Deuxième Voile sembla se déchirer devant elle, et la progression fut de nouveau plus aisée. Elle parcourut une série de courbes et de lignes droites, permettant à son corps de récupérer quelque peu, bien que ses mouvements n'en soient pas redevenus fluides pour autant. Devant elle, un peu plus loin, elle aperçut une large courbe, qui semblait sans fin.

[Voyageuse]

Eleina avait ralenti sa course et, après le "déchirement" du voile, elle continua son parcours d'un pas lent, en respirant profondément, comme si elle reprenait son souffle après un effort physique intense -et c'était bien ce qu'elle était en train de faire, aussi étrange que cela paraisse. Elle ne prêta pas vraiment attention à ce qui l'entourait, se contentant machinalement de mettre un pied devant l'autre, suivant les lignes droites, les courbes, sans se poser de question.

La vue de l'interminable courbe fit résonner, en écho dans son esprit, les mots de son père : "la Grande Courbe". C'était sûrement ça. Encore un passage difficile en perspective.... Et elle se sentait un peu moins confiante que pour les deux premiers voiles. Certes, elle était ambrienne et en bonne forme physique : elle n'avait donc aucune raison d'échouer. Mais on l'avait avertie que les passages devaient être de plus en plus difficile à franchir, et elle avait déjà trouvé le dernier particulièrement ardu. Elle s'attendit donc au pire...

[Vel Cheran]

Alors qu'elle s'engageait dans la Grande Courbe, les étincelles jaillirent de plus belle, si haut qu'elle eut l'impression de fendre des eaux. Le courant qu'elle ressentait depuis qu'elle avait posé le pied sur le tracé s'intensifia. Le monde tourbillonnait autour d'elle, comme si plus rien d'autre n'existait, comme si l'univers tout entier s'était désintégré et que seules restaient Eleina et la Marelle. Son corps se dissociait à chaque pas, comme un clignotement, et elle crut se voir elle-même en train de parcourir la Grande Courbe. Éteinte et allumée, vivante et morte, en couleurs et en nuances de gris, à l'envers et à l'endroit.

Enfin, elle atteignit une section droite, interrompant cette sensation. Encore quelques détours et elle atteindrait le bout du tracé. Mais les derniers mètres promettaient d'être les plus durs de son existence.

[Voyageuse]

Elle ralentit, encore, se concentrant sur sa respiration, reprenant doucement son souffle. Elle devait s'économiser pour tenir son effort sur la durée...
Elle n'aurait jamais imaginé que suivre un simple tracé sur le sol puisse être une épreuve aussi épuisante. Et aussi déstabilisante. Elle n'était pas certaine d'apprécier qu'on lise ainsi dans ses souvenirs, même si le "on" en question était un tracé magique dont les pouvoirs la dépassaient. Elle peinait à croire ce que Bleys avait dit : que ce tracé ait été créé par son grand-père... donc son arrière-grand-père à elle. Il devait avoir des pouvoirs incroyables pour cela. Mais pourquoi donc avait-il créé cette marelle ?

Elle chassa ces interrogations stériles et son concentra, à nouveau, sur sa progression. Elle devait juste avancer, coûte que coûte. Elle n'avait pas le droit de s'arrêter ni de reculer, son père l'avait dit. Et elle n'était pas assez téméraire pour chercher à savoir ce qu'il se passerait si elle désobéissait à cette injonction...

[Vel Cheran]

Elle parcourut quelques lacets. La pression s'amplifiait désormais de manière progressive, sans lui laisser un instant de répit. Un coucher de soleil sur la mer du nord. Les étincelles recouvraient tout son corps, lui masquant presque la vue. Sa tante Hélène qui l'emmène à l'école. Elle avait atteint le Voile Final, c'était désormais une certitude tant la progression paraissait impossible. Un crapaud qui lui échappe et qu'elle tente de poursuivre en riant. Un millier de minuscules aiguilles lui piquaient les membres. Une chaleur insoutenable semblait cohabiter avec un froid polaire. Son propre visage qui se penche vers elle et la prend au creux de son bras - ou plutôt un visage lui ressemblant beaucoup sans être tout à fait le sien. Elle eut l'impression de devoir pousser un mur de béton.

Et le Voile se déchira. Elle n'avait plus qu'une poignée de pas à parcourir avant d'atteindre le centre du tracé.

[Voyageuse]

Elle tituba, vidée de toute énergie, le pas incertain, manquant trébucher lamentablement sur le tracé de la marelle.
Puis elle se reprit, raffermit son pas, se concentra sur sa respiration. Inspirer, expirer, doucement. Calmer les battements de son cœur, reprendre son souffle. Elle était presque au bout, il ne restait plus qu'à arriver au bout du chemin. Au centre de la Marelle.
Elle parcourut les derniers mètres lentement, le cœur battant. Et posa son pied sur le bout du tracé.

[Vel Cheran]

Autour d'elle, la Marelle pulsait doucement. Les étincelles avaient disparu, pour laisser place au silence.

"Alors ? Tu vois que tu as survécu", lui lança tranquillement Bleys.

[Voyageuse]

HRP : mes excuses, j'avais loupé ta réponse...

" Apparemment, oui...", répondit-elle avec une certaine circonspection.
Elle observa les lieux autour d'elle, incertaine quant à la conduite à tenir.
" Et... Je suis censée faire quoi maintenant ?", interrogea-t-elle à voix haute.
Il lui semblait que son père avait parlé de se faire téléporter magiquement là où elle le désirait. Mais elle ignorait comment elle devait procéder. Quant à la destination qu'elle avait envisagée, il était probable qu'elle soit trop complexe ou impossible à rejoindre... et elle ne voulait pas en parler devant son père.
Ou peut-être qu'elle se cherchait de fausses excuses et qu'elle avait simplement peur de formuler son voeu.

[Vel Cheran]

HRP : c'est pas moi qui vais te jeter la pierre :P



"Je crois qu'il est possible de parcourir la Marelle en sens inverse, ce qui demanderait beaucoup moins d'effort dans ce sens. Mais, à vrai dire, je n'ai jamais essayé. Une fois au centre, il te suffit de visualiser un endroit pour y être transporté instantanément, ce qui est bien plus commode."

Il tourna la tête vers la droite, tous sens en alerte.

"Des chevaux. Décide-toi pendant que je vais voir ce qu'il en est."

[Voyageuse]

Visualiser un endroit ?
Mais Eleina ne connaissait aucun endroit vers lequel être transportée. Les seuls paysages qui lui venaient à l'esprit étaient ceux d'Utopia, et elle savait que l'endroit n'était pas facilement accessible, protégé contre les incursions non désirées. Et même si la marelle réussissait à l'y envoyer, elle ne saurait pas revenir en Ambre et ne pourrait pas utiliser l'atout de son père à cet effet. Elle le regrettait : elle serait volontiers venue en aide à ses compagnons apprentis-révolutionnaires...
Mais en réalité, ce qu'elle aurait voulu demander à la Marelle, c'était de lui faire rejoindre sa mère. Juste pour la voir, savoir qui elle était. Mais bien évidemment, elle ne pouvait pas visualiser quoi que ce soit à son sujet.

Elle ouvrit la bouche, s'apprêtant à demander à mi-voix à être téléportée auprès de sa mère, au cas où cela suffise, au cas où la Marelle puisse se contenter de mots... Mais l'arrivée des chevaux coupa court à son élan. Il se passait quelque chose. Elle se concentra pour visualiser l'endroit où elle avait laissé son père, quelque part près du sommet du mont Kolvir.

[Vel Cheran]

Avait-elle rêvé ? Ou bien les environs avaient-ils clignoté un instant, comme si la Marelle avait hésité à lui accorder son souhait ? Mais elle n'eut pas le temps d'en avoir confirmation : un battement de cœur et elle était près de Bleys, sur le Mont Kolvir.