[Ambre] Appartements royaux

[Vel Cheran]

HRP : en provenance d'ici


Les appartements du couple royal étaient idéalement situés, à proximité de l'entrée du palais mais suffisamment écartés des couloirs principaux pour ne pas être gênés par les allées et venues. À l'époque d'Obéron, ses appartements donnaient directement sur l'escalier à double hélice principal, ce qui leur donnait une prestance indéniable. Mais Random trouvait l'endroit trop bruyant et avait donc fait aménager ses quartiers un peu plus à l'écart. Il en avait profité pour y adjoindre un studio où jouer de la batterie en toute tranquillité.

Georges, le majordome du palais, attendait devant les portes de la suite royale. Dès qu'il aperçut Luonto, il alla annoncer son arrivée et l'introduisit dans le petit salon. Quelques peintures représentant des scènes pastorales ornaient les murs, et un feu dans une petite cheminée réchauffait doucement la pièce. Une table basse, entourée d'assises accueillantes, était garnie de mets appétissants, ainsi qu'une théière et une cafetière fumantes.

Vialle était installée dans un fauteuil installé de profil, pour profiter de la chaleur des rayons du soleil levant perçant par la fenêtre.

[Féérune]

Luonto ne put s’empêcher de penser qu’au moins avec Vialle, le personnel savait tenir sa place et servir avec la dignité inhérente au service royal.

- Ma chère Vialle, je suis enchantée de vous revoir. Et vous remercie de me recevoir. J’espère ne pas vous avoir contrariée en ne venant pas vous rencontrer dès mon arrivée, mais ma mère et moi sommes arrivées assez tard.

Elle se dirigea vers la reine tout en parlant et lui toucha la main avec affection. Missou lança un trille joyeux et voleta aimablement autour d’elles.

- Moi aussi, je suis content*! Il y aura quelque chose de bon pour moi, dans le petit-déjeuner*? Je vais voir ça tout de suite !

[Vel Cheran]

La reine posa sa main sur celle de Luonto pour lui rendre son salut et lui sourit chaleureusement.

"Luonto, je suis heureuse de votre présence en ces murs. En ces temps troublés, je m'inquiétais de n'avoir eu récemment de vos nouvelles."

Elle désigna un fauteuil près d'elle : malgré ses yeux aveugles, elle semblait connaître parfaitement son environnement.

"Mais je vous en prie, asseyez-vous. Avez-vous déjà mangé ?"

Sur ces entrefaites, Georges parut de nouveau et annonça à la reine que la princesse Eleina était arrivée.

"Merci, Georges, faites-la entrer je vous prie."

[Voyageuse]

HRP : pour la peine, je mets une photo de présentation !

Le fichier joint Eleinafinal.jpg n’est plus disponible.

Eleina entra d'un pas hésitant, un peu gênée de cette invitation, et encore davantage en s'apercevant que la reine n'était pas seule. Il y aurait un témoin pour s'apercevoir qu'elle ne savait pas faire la révérence, qu'elle était habillée avec des vêtements d'hommes retouchés, et qu'elle ne connaissait strictement rien aux règles du palais. Et puis, elle ne pourrait pas parler librement de ce qu'elle avait vu -ou cru voir.
Elle dissimula son trouble de son mieux et sourit à la jeune femme, jugeant qu'elles devaient être dans la même tranche d'âge. Mais cela ne signifiait pas grand-chose en Ambre : elle-même avait vécu bien plus d'années, dans son ombre de résidence, que ce que son apparence laissait supposer. Elle se fit la réflexion que cette jeune femme, rousse comme elle -mais avec une chevelure plus impressionnante-, était peut-être une cousine proche.

" Bonjour... heu... votre majesté", fit-elle en inclinant poliment le buste, bien loin sans doute de ce qui était exigé en terme d'étiquette. Elle n'en savait strictement rien. Les seules connaissances qu'elle aurait pu avoir en ce domaine remontaient à ses cours d'histoires ou à de vieux films de cape et d'épée devant lesquels elle avait tendance à somnoler.
Elle baissa les yeux sur ses chausses, son pourpoint et sa chemise transformée en tunique, resserrée à la taille par une fine ceinture de cuir et décida, une bonne fois pour toutes, que sa tenue vestimentaire n'avait aucune importance.
" Et bonjour à vous aussi," ajouta-t-elle à destination de l'inconnue.

[Féérune]

- Non, je n'ai pas... Missou !

Missou voletait comme un fou dans la pièce.

- Du monde du monde oh dis il y a plein de monde qui est-ce qui est-ce je veux savoir dis-moi mais dis-moi donc moi je ne connais pas mais toi tu sais dis-moi hé mais dis donc il faut me dire qui c'est et aussi j'ai faim quand est-ce qu'on mange dis tu crois qu'il y a des choses pour moi mais réponds ce silence est assourdissant
- Missou !
- Ben quoi ?

Le petit oiseau venait de faire un atterrissage catastrophe sur la tête de la nouvelle venue. Il ébouriffa ses plumes, tentant vainement de prendre un air outragé.

Luonto regarda la jeune femme qui venait de les saluer. Sa tenue l'amusa. Décidément, ce n'est pas la mode qui a le dernier mot à la Cour !

- Eleina... Ravie de vous rencontrer... Excusez mon petit Missou, il a besoin de se dépenser, ces temps-ci !

La princesse n'était jamais très sûre d'être si ravie de rencontrer les personnes de sa propre famille. Peut-être Eleina aura t-elle des réponses sur le rêve étrange que j'ai fait... Elle se remémora les circonstances du rêve, les noms entendus, puis s'aperçut que son silence soudain pouvait devenir gênant. Même Missou, toujours perché sur la tête d'Eleina, la fixait les yeux ronds - enfin, encore plus ronds que d'habitude.

Luonto

Missou

[Vel Cheran]

La reine tourna la tête dans la direction d'Eleina et lui adressa un sourire apaisant.

"Bonjour, Eleina. Installez-vous, je vous en prie, et n'hésitez pas à vous servir si vous avez faim."

Elle désigna de la main les sièges qui entouraient une table basse garnie de nourriture et de boissons chaudes.

"Vous m'avez dit hier qu'il s'agissait de votre première venue en Ambre, aussi je comprends que vous soyez déboussolée. Soyez sans crainte, vous êtes ici en sécurité."

[Voyageuse]

Eleina haussa un sourcil en entendant l'oiseau parler, et réprima un sursaut lorsqu'il se posa sur sa tête. Elle avait l'habitude d'étudier des bêtes de toute sorte, cela faisait partie de son métier dans son ombre de résidence. Mais généralement, celles-ci ne montraient pas le moindre signe de familiarité, bien au contraire. Les oiseaux, en particulier, détestaient se laisser observer de près, du moins ceux auxquels elle avait eu affaire. C'est l'une des raisons qui lui faisaient préférer les bêtes à poils plutôt qu'à plumes. Mais cet oiseau-ci semblait totalement apprivoisé. Et en plus, il parlait. La magie d'Ambre était étonnante.

Elle le chassa de sa tête avec douceur, souriante, et se dirigea vers la table, comme on l'y avait invitée.
" Merci à vous, c'est très gentil de me proposer de déjeuner ici. J'avoue que je suis un peu perdue, je ne connais pas le palais..."
Et je n'ai pas la moindre idée des us et coutumes de la maison ni même de la raison pour laquelle je suis ici, ajouta-t-elle en son for intérieur. Elle comptait bien rejoindre son père rapidement pour qu'il lui en dise davantage, dès qu'elle aurait avalé un solide déjeuner. Certes, elle aurait dû également sortir faire son footing matinal, mais ce genre d'activité ne semblait pas à l'ordre du jour. Bah, elle pouvait bien faire une exception, pour une fois.

[Féérune]

Missou rejoignit l'épaule de sa maîtresse et toisa Eleina avec férocité. Prévoyant une tirade véhémente du petit oiseau outré d'avoir été chassé, elle lui tint le bec avec un doigt.

- Sois sage. Il y a des amandes et du pain aux figues.

Luonto leva la tête vers la reine.

- J'accepte aussi votre invitation avec plaisir, ma chère Vialle. Et ce sera l'occasion de faire connaissance avec Eleina. Et de comparer la rousseur de nos chevelures respectives !

Elle s'approcha de la table, attendant que la reine fasse le geste qui les autoriserait à s'installer. Luonto avait un grand respect pour le protocole. Missou un peu moins : il sauta sur la table et attaqua une figue encastrée dans le pain.

La princesse ne le remarqua pas. Elle avait une réminiscence du rêve si étrange qu'elle avait eu - on pourrait presque dire "vécu" tant le souvenir en était vivace - et pensa l'impensable : poser immédiatement des questions aux deux femmes sur les noms de personnes et les lieux mentionnés et perçus dans le rêve. Seule sa noble éducation l'empêcha de lancer à la volée toutes les questions qui se bousculaient dans son esprit.

[Voyageuse]

Eleina, n'ayant pas la moindre conscience qu'il fallait peut-être attendre un geste supplémentaire de la Reine, se servit immédiatement : le buffet était appétissant, les viennoiseries en particulier lui faisaient de l’œil, et elle avait faim. Et la Reine avait dit de se servir, après tout.

Elle jeta un coup d'oeil à son homologue rousse, et ce point commun la frappa. Se pouvait-il que cette jeune femme, qui devait être de la même génération qu'elle, soit en réalité... une demi-soeur ? Voire une soeur ? Après tout, son père avait pu avoir d'autres enfants, non ?
Mais elle se voyait mal demander de but en blanc à la jeune femme qui étaient des parents. Et elle se souvenait que sa propre existence était censée rester secrète autant que possible, bien qu'on ne lui ai pas précisé vis-à-vis de qui. Mieux valait aborder des sujets moins dangereux. L'oiseau, par exemple...
Elle l'observa avec curiosité, cherchant à le rapprocher d'une espèce qu'elle connaitrait. Il lui rappelait certaines perruches qu'elle avait pu voir dans les forêts sauvages de son ombre, mais peut-être était-ce autre chose.
" Il est joli, votre oiseau. Il appartient à une espèce que je ne connais pas, je pense... Est-ce vous qui lui avez appris à parler ?"

[Féérune]

Luonto retint le regard sévère qu'elle faillit lancer en direction de son interlocutrice. Elle se contenta de froncer légèrement les sourcils. Un geste discret de Vialle lui laissa entendre qu'elle pouvait s'installer à table. Missou, toujours occupé à vider le pain de son morceau de figue sèche, jetait des coups d'oeil de côté.

- Missou est un petit perroquet inséparable. Il est vif et très intelligent, comme le sont ses congénères. Ces petits perroquets ne parlent en général pas, mais la magie d'Ambre peut bien des miracles...

Elle regarda la chevelure d'Eleina.

- Nous nous ressemblons... Je suis la fille de Florimel.

Luonto hésita à poursuivre, ne sachant si elle devait vouvoyer sa cousine ou la tutoyer. Comme d'habitude, la famille lui paraissait être compliquée, les relations avec elle encore plus alambiquées. Comme d'habitude, elle se raidit légèrement sur son siège. Ce fut à ce moment que Missou lança à haute voix la pensée qui venait de traverser l'esprit de sa maîtresse :

- Flora ? Où est-elle ?

[Voyageuse]

Eleina jeta un regard amusé à l'oiseau puis se tourna vers Luonto.
" Je ne la connais pas... votre mère, je veux dire. Je ne l'ai jamais vue... comme personne dans la famille, d'ailleurs. Faire la connaissance de tout le monde va me prendre un temps fou !", conclut-elle d'un ton léger.
Elle hésitait. Devait-elle donner son ascendance, elle aussi ? Son existence n'était pas connue... mais la reine savait qui elle était, et si elle les avait réunies ici, c'était, à l'évidence, pour qu'elles fassent connaissance. Et puis, si elle ne disait rien, ne serait-ce pas suspect ? Elle ne savait qu'en penser. Cette famille pleine de secrets, de trahisons et de rancoeur la mettait un peu mal à l'aise.
Elle décida de jouer la franchise.
" Mon père avait préféré me garder à l'écart, en sécurité, et je crois qu'il n'a pas parlé de mon existence à grand-monde. Du coup... je ne sais même pas si j'ai le droit de dire qui il est ou si ça va lui attirer des ennuis !"

[Féérune]

Luonto eut quelque difficulté à conserver son impassibilité.

- Eh bien... Comment dire... Si vous sentez qu'il est préférable de garder pour vous certaines choses, il est possible que votre intuition soit assez juste.

La princesse se remémorait les intrigues du palais, celles-là même qui l'avaient poussée à quitter les lieux, à se réfugier dans une Ombre paisible. Ce n'était pas réellement se confier que dire l'endroit où elle avait choisi de vivre... Et autant faire la conversation.

Elle prit la tranche de pain entamée par Missou et la mit sur le côté de son assiette. Le petit oiseau resta accroché au morceau de figue, suivant le mouvement - et finit lui aussi dans l'assiette. Luonto se servit de fromage et d'un morceau de pain aux noisettes.

- Nous pouvons peut-être parler de nos Ombres de résidence... Pour ma part j'ai vécu longtemps en Finlande, près d'un siècle... Ma petite maison en Carélie, que j'aimais tant, s'est trouvée du mauvais côté de la frontière après la Guerre de Continuation... Mon métier de chamane et guérisseuse, encore respecté jusqu'au milieu du XXème siècle de la Terre, s'est trouvé méprisé et parfois haï... J'ai fini par fuir, chercher une autre Ombre plus accueillante... Plus déserte, en fait ! je n'y avais plus que Missou, mais il est le meilleur des petits compagnons. Même quand il oublie ses bonnes manières, hein, Missou ?

Pour toute réponse, le petit oiseau lança un petit cri agacé ; le morceau de figue ne concentrait plus son attention, il avait maintenant attaqué le fromage. Luonto sourit et se servit une tasse de thé.

[Voyageuse]

La Finlande... était-ce une Ombre ? Et la Terre ? Ces noms étaient inconnus à Eleina.
" Moi, j'ai vécu dans une Ombre, comment dire... très différente d'ici. Il devait y avoir des pays et des guerres autrefois, mais tout a été unifié et pacifié il y a des siècles. Les palais, les rois, appartiennent à un passé lointain et complètement révolu, presque effacé des mémoires. Là-bas, il serait très mal vu pour quiconque d'afficher une quelconque supériorité financière ou autre. Tous les citoyens doivent être parfaitement égaux. L'état y veille... de façon un peu trop directive d'ailleurs. S'opposer aux valeurs officielles n'est pas toléré. Cela dit, l'immense majorité des gens n'y songent jamais. J'y ai vécu une cinquantaine de leurs années sans voir d'évolution. L'ordre là-bas semble immuable... "
Elle se fit la réflexion qu'il n'était peut-être pas très sage d'évoquer ce genre d'utopie égalitaire en Ambre. Mieux valait montrer un peu plus d'admiration pour les palais et leurs habitants.
" C'est un peu trop ordonné et rangé à mon goût, d'ailleurs... Et ça fait que je n'ai jamais vu un endroit comme ici, où il y a du marbre, de l'or, des richesses... autrement que dans des contes ou de vieilles gravures. C'est magnifique !"

[Féérune]

Luonto sentit un frisson la parcourir. L'idée d'une Ombre où tout serait lissé, où personne ne serait autorisé à se distinguer, lui paraissait terrifiant. Mais si l'occasion d'échanger sur ce sentiment pouvait fournir une conversation intéressante, elle décida de ne pas saisir l'occasion. L'art. Parler d'art serait certainement plus intéressant encore.

- Oui... Les matières précieuses, servies par l'Art, sont sublimées. Ce bronze, ici, une oeuvre de jeunesse d'un de nos princes les plus talentueux, ici des armes luxueuses... Une épée gravée d'or, très ancienne... Que dites-vous de ce tableau ? J'aimerais votre avis.

La princesse montra un tableau coloré, dont la facture semblait récente. Une maisonnette peinte en vert, sur la gauche, semblait se fondre dans un paysage boisé. Les arbres, des pins et des sapins, étaient blanchis de neige. Le ciel était de bleus aux tonalités différentes, tantôt intenses tantôt très pâles. Luonto avait été surprise de le trouver dans l'appartement de la reine.

[Voyageuse]

" Et bien..."
Eleine eut une légère grimace.
" Je n'ai pas vraiment de connaissance en art. Que ce soit l'art de mon ombre ou d'ailleurs. Mais... je le trouve très beau. Le paysage est magnifique, et il se dégage une sorte de sérénité... Ce doit être reposant de vivre par là-bas. Et le peintre a très bien su faire partager cette paix."
Elle détailla un peu plus l’œuvre. La cabane semblait si bien se fondre dans son environnement que même les plus puritains des gardiens de pensée d'Utopia n'y auraient rien trouvé à redire.
" J'aurais voulu connaître un endroit comme celui-ci. Là où je vivais, les forêts sont domestiquées, il n'y a presque pas de nature sauvage... et pas beaucoup de neige sauf aux sommets des montagnes.Les gens savent qu'autrefois, il y avait des bois, des arbres, où on pouvait se promener librement même en-dehors des sentiers et sans avoir besoin de permission spéciale. Et on dit qu'il y avait de la neige en plaine. Moi, je n'ai jamais connu ça... mais j'ai eu la chance de faire partie des rares personnes autorisées à explorer la seule forêt sauvage du continent ! Et c'était aussi magnifique que ce tableau... sauf qu'il n'y avait pas de cabane, bien sûr, juste des créatures sauvages... dont une autre race intelligente."

[Féérune]

- Eh bien… Merci Eleina. Votre appréciation me touche d’autant plus que ce tableau est de moi… C’est – ou plutôt c’était – ma maisonnette carélienne. J’ai été initiée à la peinture par un maître de Viipuri, le grand Eero Järnefeld.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Eero_J%C3%A4rnefelt

Missou avait frémi d’angoisse. Il en délaissa l’exquis morceau de fromage qui retenait son attention.

- Pas le droit de se promener librement*? Mais les oiseaux ont le droit, n’est-ce pas*?

La princesse caressa doucement le petit oiseau qui se détendit peu à peu.

- Cela me semble effrayant, ce monde, Eleina… Comment se fait-il que vous puissiez ne pas le fuir*? Il doit tout de même avoir des choses intéressantes et dignes d’intérêt, puisque vous y demeurez…

Suis-je bête*! pensa t-elle soudain. Bien sûr*!

- Oh mais je m’égare… Bien évidemment vous êtes une des dirigeantes de ce pays. Je vous prie de me pardonner d’avoir été si négative envers votre patrie*! Mais elle semble si éloignée de mes habitudes*!

[Voyageuse]

Eleina secoua la tête en riant.
" Oh non, non, je n'étais pas une des dirigeantes de ces lieux, quelle horreur ! Mais la famille dans laquelle j'ai grandi était proche du pouvoir, et, eux, ils étaient attachés à ce monde. Donc j'ai toujours évité d'en dire du mal devant eux. Et puis, il faut reconnaître qu'un monde presque sans maladie, sans miséreux affamés, sans violence, ça a aussi des avantages. De toute façon, je n'avais pas le choix, je ne savais pas encore voyager dans les ombres," ajouta-t-elle avec un haussement d'épaules.
En théorie, elle devait en être capable désormais. Elle songea qu'il lui fallait absolument tester ce nouveau pouvoir dès qu'elle en aurait la possibilité.
" Mais... toutes mes félicitations pour votre talent artistique, en tout cas. C'est magnifique, on s'y croirait. Ah, et je tiens à rassurer Missou : les oiseaux sont libres là-bas, de même que les rares animaux sauvages. Il n'y a que les humains qui sont soumis à toutes sortes d'interdiction, notamment pour ne pas abîmer le peu de nature qu'il reste, mais aussi pour éviter tout risque de conflit... ou surtout de révolte, évidemment".
Elle eut une pensée pour ses amis révolutionnaires, certainement en bien mauvaise posture.

[Féérune]

Le maintien quelque peu raidi de Luonto se relâcha imperceptiblement. Et Missou, soulagé, voleta de nouveau sur la table et fit part de son opinion, coupant sans vergogne la parole à sa maîtresse*:

- Je ne comprends pas pourquoi des êtres intelligents doivent protéger la nature dont ils font eux-mêmes partie. En cas de bagarre entre des êtres intelligents et la nature, c’est toujours la nature qui gagne*! Une éruption volcanique, des pluies très fortes… Tiens, comme ce que nous avons vécu dans ton Ombre de refuge quand nous étions avec Aratol*!
- Oui… Je vous avoue être soulagée, Eleina, je craignais être à la limite de l’incident diplomatique.

Luonto pinça légèrement les lèvres.

- Je vois tout à fait, pour ma part… L’Ombre où j’ai vécu si longtemps a subi de profondes transformations. Les forêts, qui couvraient les trois quarts du pays, ont été trop exploitées. Il en reste toujours, bien sûr, mais le fait est là, on détruit la nature.

Elle sourit franchement. Décidément, cousine Eleina – oui, ce doit être une cousine, nous nous ressemblons tant – est vraiment aimable.

- Vous savez, j’aurais été très inadaptée à votre Ombre. Mon travail, c’était de guérir les corps et les âmes*! Un monde où tout le monde va bien n’est pas pour moi…

Luonto reprit la théière et en proposa d’un geste à Eleina.

[Voyageuse]

" Oh, mais il y a aussi des médecins et des psychologues dans mon monde !" répliqua Eleina.
Elle se tut aussitôt, fronçant les sourcils. Ambre était un monde qui, pour certaines choses, ressemblait au lointain passé de son ombre de résidence, un temps révolu où le mot psychologue n'existait certainement pas.
" Enfin, vous n'appelez peut-être pas ça comme ça... Les médecins soignent le corps, parce que malgré tout, il existe encore quelques maladies, il y a quelques accidents, et le corps vieillit. Et les psychologues soignent les esprits... Et ils savent très bien trouver les mots pour apaiser ceux qui souffrent. Mais il semblerait qu'ils soient aussi chargés d'apaiser ceux qui se révoltent contre le manque de liberté. Je n'ai jamais eu affaire à eux, je ne peux pas dire vraiment ce qu'il en est. Vous, vous êtes les deux à la fois ?"

[Féérune]

- Je suis chamane... J'ai été initiée il y a longtemps, au son du joik same *. C'est un chant particulier des nomades du nord du pays. Il avait presque disparu, mais revit maintenant malgré la progression de la sédentarité. Je guérissais les corps, avec des manipulations ou des herbes, je soignais l'esprit avec des invocations magiques. Mais on me considère davantage désormais comme une illuminée, au pire comme une sorcière. J'ai commencé à mépriser ces gens dont j'ai pourtant soigné et souvent guéri les ancêtres !

Un sentiment de tristesse pointa dans le coeur de la princesse. Luonto se remémorait ce jour où elle avait été chassée à coups de pierre, en Ostrobotnie. Des gens confits en religion, une religion qui n'est même pas celle de leurs ancêtres ! où est le riche panthéon fennique, Väinämöinen le fils d'Ilmatar, Lemminkäinen le fier guerrier, Louhi la puissante reine du Nord... Dépossédés de la ferveur populaire au profit d'un unique dieu venu de terres lointaines ! elle resta un long moment les yeux dans le vague, puis son regard alla vers Vialle, restée silencieuse.

Missou émit un petit rot délicat, et Luonto sortit enfin de ses pensées.

- Et vous, ma cousine... Avez-vous un métier ? Et peut-être pourrions-nous nous tutoyer ?
- Oh oui ! hein que c'est idiot de vouvoyer ! en Finlande on ne vouvoie presque jamais, d'ailleurs.

Le petit oiseau trépignait avec enthousiasme.

* https://www.youtube.com/watch?v=m5wibqg3ofE

[Voyageuse]

" Heu... Oui, on pourrait. On a un peu le même âge... Je vais essayer."
En réalité, elle avait un peu de mal à tutoyer une princesse. Le titre de noblesse l'impressionnait. Elle n'arrivait pas à réaliser qu'elle avait le même...
" Mon métier à moi, dans mon ombre, c'est biologiste. Et un peu ethnologue. J'étudiais les formes de vies présentes dans la seule forêt vraiment sauvage de mon ombre. Il y avait en particulier des créatures non humaines mais intelligentes, que certains qualifieraient de primitifs. Ils vivaient complètement à l'écart, dans leur forêt, de façon très pacifique... Et eux aussi avaient des sortes de chamans, qu'ils appelaient des "passeurs" et qui étaient un lien vers un soi-disant monde des esprits que je n'ai jamais vraiment compris. Ils n'aimaient pas trop notre médecine trop déshumanisée, mais ils m'ont toujours bien accueillie, et ils acceptaient même parfois mes médicament civilisés, quand leur passeur n'arrivait à rien. Vous... enfin... tu les aurais sans doute mieux compris que moi."

[Féérune]

- Oui... Peut-être...

Intriguée, Luonto regardait la reine. C'est étrange, je ne me souvenais pas que Vialle était aussi réservée... Peut-être veut-elle seulement qu'Eleina et moi fassions connaissance... Et j'ai tant de questions à lui poser !

Missou, sentant sa maîtresse concentrée sur ses pensées, décida de vivre sa petite vie d'oiseau. Rien ne put le temps de le retenir : le petit oiseau plongea tête et jabot dans le verre d'eau de la princesse. Il était temps de prendre un bon bain.

Mais au fait, peut-être Eleina a t-elle entendu parler de ce qui m'intrigue tant ?

Luonto se remémora l'agression qu'elle avait subie près du lac Saimaa, puis ce rêve si étrange qui lui avait valu des rencontres mélodramatiques. Comme de coutume, ce fut Missou qui la sortit de ses pensées en s'ébrouant longuement, l'air extasié.

[Vel Cheran]

La reine était restée silencieuse pendant cet échange, se contentant de hocher la tête en souriant de temps en temps. Lorsque la conversation se tarit, elle prit la parole :

"Je suis heureuse que vous ayez pu faire connaissance. Cela m'a également permis de vous connaître un peu mieux, Eleina. Si vous avez des questions sur ces lieux, n'hésitez pas à les poser : je connais la sensation d'être une étrangère en Ambre."

[Voyageuse]

" Ah bon ? Vous n'êtes pas d'ici ?", questionna spontanément Eleina, avant de se mordre les lèvres.
C'était une reine. Lui parler ainsi... Cela ne se faisait peut-être pas.
" Enfin... je veux dire... pardonnez ma curiosité...," fit-elle, un peu embarrassée en se grattant la nuque.

En même temps, elle se disait que questionner, dans ce monde de secrets et de trahisons, était certainement moins risqué qu'être questionné.
Et des questions, elle en avait des dizaines... En particulier concernant ce palais fantôme qu'elle avait exploré la veille. Sans compter les mille et une précisions dont elle avait besoin sur les us et coutumes du palais. Mais la Reine n'était peut-être pas pas la personne idéale à harceler à ce dernier sujet. Sa cousine saurait mieux lui expliquer.

[Féérune]

Luonto en oublia de gronder son petit compagnon. Elle fronça légèrement les sourcils. Décidément, ma cousine a aussi peu le sens de l'étiquette que Missou !
Ce dernier voleta dangereusement au-dessus du samovar de thé, projetant de fines gouttelettes un peu partout.

- Hé, c'est chaud ! majesté Vialle, moi aussi j'ai une question, où est Flora ?

Effectivement. Où est donc passée ma mère ? pensa Luonto.

[Vel Cheran]

Une fois encore, Vialle ne sembla pas se formaliser de la familiarité d'Eleina.

"Non, en effet. Je suis née à Rebma, le royaume jumeau d'Ambre dans les eaux de la mer. Tout y est à la fois très similaire et très différent, ce qui est assez déroutant. Un peu comme Tir-Na-Nog'th, dans une moindre mesure, qui est le reflet d'Ambre dans le ciel nocturne. Mais j'imagine que vous l'avez aperçu cette nuit", ajouta-t-elle d'un ton qui ne laissait filtrer aucun sous-entendu.

"Concernant Flora, je ne l'ai pas vue ce matin. J'ai cru comprendre qu'elle devait s'entretenir avec Gérard à propos de la réception des ambassadeurs begmans cet après-midi."

Elle rit doucement.

"Ils doivent penser qu'une pauvre aveugle ne pourra pas s'en charger toute seule. Mais je ne leur en veux pas, il est plaisant de pouvoir se reposer sur ses proches de temps en temps."

[Voyageuse]

Eleina se demandait qui étaient ces begmans et d'où ils venaient, mais elle ne voulut pas étaler son ignorance. Elle préféra rebondir sur la dernière phrase prononcée par la reine.
" Vous me faites pas l'effet d'une pauvre aveugle, je trouve. Vous semblez voir beaucoup de choses, au contraire..."
Et notamment sa présence sur le Mont Kolvir.
Et peut-être d'autres choses...
Elle ne savait que penser de sa vision à Tir-Na-Nog'th, et aurait voulu que la reine y fasse une allusion plus claire, mais peut-être ne savait-elle rien à ce sujet. Elle se décida à risquer une question innocente.
" D'ailleurs... je me demandais... Vous arrive-t-il de voir ce qui se passe à Tir-Na-Nog'th ?"

[Féérune]

Question étrange, songea Luonto, mais intéressante... Aurais-je, dans mon rêve, vu l'un des lieux de Tir-Na-Nog'th ?

Missou s'était posé sur son épaule. Il bâilla en remontant le maxille supérieur de son bec et chuchota doucement :

- Tu sais, Tir-Na-Nog'th, c'est très surfait. Je préfère Ambre. Je préfère savoir où est Flora. J'aimerais bien savoir ou est Juuso, tiens... Tu pourras demander...

Fatigué, il se blottit au creux du cou de sa maîtresse et ferma les yeux pour une petite sieste.

- Ma chère Vialle, je crains d'avoir également quelques questions... J'ai peut-être vu un lieu de Tir-Na-Nog'th en rêve... Sauriez-vous, par extraordinaire, si mon oncle Delwyn s'y trouve ?

La princesse se mordit les lèvres, consciente d'avoir manqué à l'étiquette. Tant pis ! ce qui est dit est dit.

[Vel Cheran]

La reine eut une expression surprise.

"Delwin ? Non, je l'ignore. Je ne l'ai jamais rencontré. Random m'a un jour raconté que sa sœur et lui avaient quitté Ambre il y a bien longtemps : je crois qu'ils avaient considéré que le roi Obéron n'avait pas été correct avec leur mère, mais je ne me souviens plus des détails exacts. Pour autant que je sache, ils n'ont pas été revus à la Cour depuis."

Elle se carra dans son fauteuil, et un rayon de soleil lui éclaira le visage.

"Ce dont je suis certaine, c'est qu'il ne peut être à Tir-Na-Nog'th au moment où nous parlons, puisqu'il fait jour."

Elle profita de la chaleur du soleil, avant de se rappeler de la question d'Eleina.

"Oh, quant à votre question, Eleina, je suis au regret de vous dire que je ne peux pas voir, ni ici ni à Tir-Na-Nog'th. Je m'y suis rendue une fois, et mes autres sens ne m'ont été d'aucun secours, puisqu'on ne peut y entendre, sentir ou toucher aucune des apparitions qui l'occupent. C'est regrettable, mais c'est ainsi."

[Voyageuse]

Eleina hésita.
" Pourtant... C'était étrange... Vous y étiez, la nuit passée. Enfin, il y avait votre reflet. Et vous m'avez vue. Je veux dire, les autres reflets ne nous voient pas, ils n'ont pas conscience de notre présence, si j'ai bien compris. Mais le vôtre, si. Et vous m'avez montré l'un des fantômes, un homme à la chemise noire. Si j'en juge par les cartes que j'ai en ma possession, c'était ce Delwin dont vous parlez..."