[Féérie] Sur la piste de Kaljivahu...

[Galathée]

Kalju avança et fut aussitôt absorbé par les ténèbres. La porte se désagrégea avant qu'Astrée ait pu la refermer et la pierre nue remplaça le trou présent quelques secondes plus tôt.
" Bon, à notre tour !" fit Lae avec un entrain forcé.
Elle prit une profonde inspiration et franchit sa porte, qui grinça sinistrement sur ses gonds et semblait peser une tonne. Comme les autres, elle s'effaça.
" A vous." dit Kerun avec un sourire.
Il semblait être déterminé à passer le dernier.

[Voyageuse]

Astrée acquiesça. Elle espérait qu'il n'allait pas douter au dernier moment et renoncer à franchir sa propre porte... Mais pourquoi ferait-il cela ? Ils avaient besoin d'aide, et lui plus que tout autre.
Elle se dirigea vers sa porte, l'esprit un peu embrouillé, se demandant dans quel but on fouillait ainsi dans son passé. Peut-être n'était-ce que dans un but positif, après tout : il y avait des souvenirs à apaiser chez chacun d'eux. Quoiqu'il en soit, elle n'avait pas peur de ce qu'elle y trouverait. C'était trop loin dans son passé pour lui faire encore mal.
Elle poussa sa porte sans hésiter.

[Galathée]

Il faisait totalement noir. Noir et chaud, comme à l'intérieur d'un terrier douillet. Toute trace de la porte avait disparu. Il n'y avait plus ni vacarme, ni humidité, aucun signe des cascades toutes proches. Il n'y avait pas non plus de sol — elle percevait à peine quelque chose sous ses pieds, ni de plafond, pas plus que d'avant ou d'arrière, de gauche ou de droite. Il n'y avait rien.
" Alors... Tu es une guérisseuse, toi aussi."
La voix venait de nulle part et de partout à la fois, chaleureuse mais sévère, absolument inconnue, en même temps familière, tout à fait inhumaine, ne parlant aucune langue connue et pourtant compréhensible.

[Voyageuse]

Astrée regarda de tous côté, intimidée par l'atmosphère du lieu. La voix la fit sursauter.
" Heu... Oui... Je... j'essaie. Enfin, je fais ce que je peux..."
Elle pensa à Kerun à qui ses soins avaient causé bien des dégâts. Même si, au final, c'était peut-être un mal pour un bien, c'était tout de même une catastrophe.
" Et parfois ça fonctionne mal...", avoua-t-elle en se grattant la nuque.

[Galathée]

" Viens." dit la voix.
Au loin, dans le noir, Astrée vit une lueur, lueur qui se rapprocha rapidement, qui était une personne, et elle reconnut Isudë, la vieille elfe qui tenait l’herboristerie à Luménis.
« Tu peux soigner le corps. » dit-elle, en réduisant des feuilles éthérées en poudre, avant de s’effacer.
Une autre lueur surgit, plus à droite, et un homme d’une quarantaine d’années, cheveux sombres, aube claire marquée d’un disque rose, referma un livre avant de lever les yeux.
« Tu peux soigner l’âme. »
Il était vaguement familier, mais Astrée ne parvint pas à le replacer dans l’instant. Il s’évanouit à son tour.
Une nouvelle lueur apparut, elle dut se déplacer pour la rejoindre, et reconnut son mari, Gwendal. Il lui sourit chaleureusement et pivota sur lui-même, se métamorphosa en Kasumi, qui fit un pas vers elle, se brouilla, devint Reynald, songeur.
« Tu peux soigner le cœur. »
Il disparut, la laissant dans le noir.
Une seconde, une deuxième.
Puis la lumière revint sur la gauche, plus vive. Nremyn, l’elfe aux cheveux blancs de l’Ecureuil, leva les bras comme pour incanter.
« Tu peux soigner les relations entre les peuples, quand ils se sont déchirés. »
Dans une volute de brume argentée, il retourna au néant.
A sa place était apparu un autre elfe, plus âgé, les cheveux brun-roux, attachés en queue de cheval, et elle reconnut sans peine son maître druide, Sohel.
« Tu peux soigner la Nature et toutes ses créatures, petites ou grandes, bonnes ou mauvaises. »
Puis Astrée entendit du bruit derrière elle, le pas d’un cheval, et elle ne put s’empêcher de se retourner.
Tranquille, avançant de sa démarche chaloupée, les yeux jaunes et le sourire mutin, Neffen le shaman centaure approcha d'elle, appuyé sur son bâton.
« Astrée, tu peux soigner le monde entier. Son corps, son cœur, son âme, les peuples, la nature et que sais-je encore… C’est quand même plus excitant, non ? »
Il tendit la main, comme pour la toucher, mais son image se dissipa avant qu’il ne la frôle et elle se retrouva à nouveau dans le plus profond des noirs.

[Voyageuse]

Astrée avait senti son coeur se serrer un peu en voyant Gwendal, puis Kasumi et Reynald, et elle sursauta devant l'apparition de Nremyn. L'apparition de Neffen lui causa, elle, une joie profonde. Elle se retrouva à sourire rêveusement comme il s'effaçait. Mais bien sûr, ce n'était qu'une illusion.
" Évidemment, dit comme ça..."
Elle secoua la tête, et son sourire s'éteignit.
" C'est une vision un peu optimiste des choses. Je ne suis pas sûre de bien pouvoir faire tout cela. Mais j'essaie de faire ma part, autant que je peux..."

[Galathée]

" Soigner ne veut pas dire guérir." dit la voix désincarnée, pensive.
Les ténèbres cédèrent pour devenir un jardin touffu, plein de fleurs, de buissons, de plantes sauvages poussant en tous sens, d'oiseaux et d'insectes, dont Astrée ne pouvait deviner les limites.
" C'est le fardeau d'une guérisseuse, de savoir, et d'accepter, que certains ne dépasseront jamais leur douleur, quel que soit le soin apporté, quelles que soient sa source, sa force, sa répétition."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça, comprenant fort bien, trop bien, la réalité que recouvraient ces mots.
" C'est dur à accepter, parfois. Surtout quand on soigne quelqu'un qui nous est cher et qu'on n'arrive à rien... Et qu'on le perd."
Elle ne se considérait pas vraiment comme guérisseuse lorsqu'elle avait perdu sa fille et son mari. Bien que déjà rôdeuse, elle ne connaissait que quelques rudiments de soins.
" On sait... on sait que ça arrive, que ça fait partie de la vie. Cela n'empêche pas de trouver cela injuste et d'en souffrir," fit-elle d'une voix trop rauque.
Elle n'avait pas su, non plus, sauver tous les elfes du Martin-Pêcheur. Cela l'avait moins affectée, car elle ne les connaissait pas vraiment, mais c'était toujours un crève-cœur de retrouver mort un patient qu'on avait, la veille, soigné patiemment.

[Galathée]

Une fontaine crépitait un peu plus loin, son bassin couvert de nénuphars, survolés par des libellules aux ailes irisées. Quelques poissons croisaient dans les profondeurs et une grenouille donnait de la voix, invisible dans la verdure.
" Et toi, es-tu venue juste pour accompagner les souffrants ? Ou y a-t-il autre chose ?"

[Voyageuse]

" Je suis, au départ, simplement venue pour accompagner les souffrants. Notamment le genasi, dont je ne sais pas si vous parviendrez à le ramener parmi nous... Mais..."
Elle s'approcha de la fontaine, attirée par l'eau, en cherchant ses mots. La situation n'était pas simple... ou alors, au contraire, elle l'était. Mais elle aurait dû oser interroger Kerun sur ses projets, cela aurait été plus clair.
" Ce qui nous est arrivé en Féérie... ce qui est arrivé à mes amis, du moins... ça m'inquiète beaucoup. L'un d'eux a perdu la mémoire par ma faute, parce que j'ai voulu utiliser un sortilège de soins. Il a besoin de sa mémoire, cela semble très important... mais s'il la retrouve, alors il se souviendra du pacte qu'il a passé avec un fey ombreux, qui l'a manipulé. Et il finira à son service. Le choix lui appartient, bien sûr, et il serait sûrement plus sage qu'il renonce à ses souvenirs... Mais s'il choisit au contraire de chercher à retrouver sa mémoire, existe-t-il un moyen de le délivrer de ce pacte ? Et surtout... s'il va chez le Conteur pour retrouver la mémoire, alors il mettra probablement en danger le fey exilé qui nous a permis de venir dans ce monde... "
C'était, au fond, ce qui l'inquiétait le plus. Car pour le reste, Kerun choisissait en connaissance de cause, et elle ne pouvait guère alléger son fardeau. Mais Dimitri, lui, ne méritait pas d'en pâtir.

[Galathée]

" A ce sujet, je peux apaiser tes souffrances aisément. Tu fais référence au Preux, dit la voix. Je sens beaucoup d'inquiétude en toi, le concernant. Pourtant, il est là où il doit se trouver. Il ne risque rien tant qu'il ne revient pas en ce monde. Ce que Kerun pourra raconter au Conteur le concernant n'a pas d'importance. C'est votre sécurité qui n'est pas garantie, si son nom vous est associé, pas la sienne."

[Voyageuse]

Il s'agissait de leur sécurité à eux. Elle s'en était doutée, au travers de ce que lui avait répondu Dimitri quand elle lui avait demandé s'ils risquaient des ennuis...
" Tant que lui n'est pas en danger, alors je suis soulagée. C'est quelqu'un de bien... de formidable même. Je n'aurais pas voulu qu'il pâtisse de nos erreurs."
Le Preux. Elle songea avec un certain attendrissement que ce surnom lui allait bien.
" J'aurais voulu l'aider, lui aussi..., fit-elle, songeuse. Mais il a dit qu'on ne pouvait rien faire... Je suppose que c'est vrai ?"
Puis elle réalisa que la guérisseuse avait parlé au futur concernant Kerun et le Conteur, et non au conditionnel.
" Et aussi... Est-ce qu'il y a quelque chose que je peux faire pour aider Kerun pour cette histoire de pacte ? Il a décidé... d'aller voir le Conteur ?

[Galathée]

" Même si le Kerun d'aujourd'hui n'est pas celui que vous avez connu, c'est un elfe intelligent. Il ira voir le Conteur, oui, cela lui est nécessaire, ainsi qu'à Martin. Certains chemins sont étroits, empruntés rarement, et disparaissent ensuite ]
Le vent agita un moment les feuilles des arbres.
" C'est pour la même raison que tu ne peux pas aider le Preux. Il rentrera, un jour, irrémédiablement. Mais peut-être dans un siècle ou mille."

[Voyageuse]

Elle songea, égoïstement, qu'elle n'était pas si pressée que ça de le voir retourner dans son monde. Elle pourrait profiter un peu plus de sa présence... et lui adoucir son séjour dans le monde matériel ? Encore fallait-il qu'il le souhaite. C'était certainement peine perdue.
" Et... je voulais savoir... avez-vous pu soigner mes autres amis ? Kalju, et Lae ? Ou s'il y a quoi que ce soit que je dois faire pour aider... ou en échange de vos soins."

[Galathée]

" Je peux ôter la larve qui cherche à dévorer l'elfe noire, mais le cas de ton ami de pierre est... désespéré."
Il y eut un mouvement dans les branchages, et une créature menue survint, pas plus grande qu'un enfant, au visage d'elfe, aux yeux immenses et aux ailes de libellule, vêtue de voiles blancs, gris et beiges, en une sorte de robes à mille couches. Elle s'assit sur le bord de la fontaine, ses longues mains dans son giron, et regarda Astrée, un léger pli au coin des lèvres.
" Il ne reste quasi rien de lui à l'intérieur et la bête qui l'a pris est sur le point d'éclore. S'il rentre dans ton monde, il deviendra ce qu'ils voulaient qu'il soit, l'un des leurs, avec tout juste quelques traces de sa personnalité antérieure, pas assez pour contrebalancer toute la malveillance qui sera son essence."
Elle tendit la main et prit celle d'Astrée.
" Tu peux décider de le laisser aller. Il ne se rendra compte de rien. Il ne vit déjà quasiment plus. Mais si cela t'est trop insupportable, je peux tuer ce qui est en lui et l'ensemencer d'autre chose. Il ne redeviendra jamais lui-même, et il devra vivre ici, mais dans la créature qu'il deviendra, il restera aussi une trace de celui qu'il était."

[Voyageuse]

Astrée avait beau savoir que le cas de Kalju était peut-être désespéré, entendre le diagnostic lui noua la gorge.
" Ce n'est pas juste... murmura-t-elle. Il ne méritait pas... C'est... c'est ma faute... je n'ai pas su veiller sur lui."
Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, et ne chercha pas à les retenir.
" C'est ma faute", répéta-t-elle.
Elle aurait dû le dissuader de chercher l'origine de la faille... Mais renoncer n'était pas dans son caractère, à elle non plus, et elle avait l'espoir qu'il ne s'agisse que d'ithilliens, ou du moins, que le danger se soit éloigné. Elle aurait dû rester avec lui, ensuite, ne pas le lâcher d'une semelle, le pousser à se dissimuler pendant la nuit. Peut-être qu'ils n'auraient pas été pris, ni l'un ni l'autre. Et, s'ils n'auraient sauvé personne, ils n'auraient pas non plus tué les trois quart de l'escouade luménienne.
" Mais je ne sais pas... ce qu'il faut faire maintenant, avoua-t-elle, désemparée. Je ne sais pas ce qu'il aurait souhaité. Je ne le connais pas assez. Je crois qu'il s'en moquait. Je ne sais pas..."

[Galathée]

Kaljivahu posa la main sur l'épaule de la jeune femme.
" Prends le temps qu'il te faudra. Mais tu es la seule qui puisse décider. Aucun des autres ne l'a connu comme tu l'as connu. Tu es venue ici avec lui, pour lui, tu dois l'accompagner jusqu'au bout du chemin. C'est ça aussi, soigner, même si ce n'est pas comme ça que l'on voudrait que les choses se terminent. Tu ne dois pas trancher maintenant. Tu peux profiter du jardin, puis tu peux rejoindre les autres. Martin et Kerun ne vont pas s'attarder longtemps : ils doivent retourner jusqu'au territoire du Félon et la route est incertaine, mais ils seront toujours là quand tu décideras d'aller les saluer, que ce soit dans une heure, un jour ou un mois. "
Elle recula.
" Les blessures ne sont pas toujours physiques, et certaines reflètent nos erreurs. Cependant... Kalju a posé ses propres choix. Tu ne dois pas prendre tout ce poids sur tes épaules. Tu es là pour lui, aujourd'hui. Ce n'est pas rien."

[Voyageuse]

" Oui mais ça ne sert à rien", fit-elle d'une voix faible.
Elle n'avait pas envie de voir ses compagnons tout de suite. Elle avait envie de rester seule, de pleurer tout son saoul.
Une part d'elle entendit que Mathieu accompagnerait Kerun. Elle devrait certainement proposer d'aller avec eux, pour veiller sur eux, sur Mathieu surtout. Mais elle n'avait pas le cœur à y penser tout de suite. Elle avait le temps, la guérisseuse l'avait dit. Là, elle devait juste... penser à Kalju. Lui dire au revoir, lui demander pardon. Prier, sûrement. Quel dieu priait-t-on pour un génasi ?

[Galathée]

La guérisseuse la laissa seule, comme elle en avait besoin, s'éclipsant dans un murmure. Le jardin autour d'elle bruissait de vie, la brise était douce, le soleil généreux. Elle sentit un oiseau se poser sur son épaule, un insecte lui escalader la main puis continuer sa route d'un battement d'ailes, et le parfum des plantes, fleurs, écorces, feuilles, tout autour d'elle, était apaisant. Sa lassitude, aussi profonde soit-elle, semblait accueillie.

[Voyageuse]

Elle s'assit à même le sol, serrant ses genoux entre ses bras, et pleura toutes les larmes de son corps. Il y avait en elle une culpabilité bien trop grande, le regret d'avoir échoué à le protéger, puis celui de ne l'avoir pas retrouvé à temps. C'était un genasi, un être rare, même s'il n'était pas spécialement attachant, trop bizarre, trop solitaire. Et elle n'avait pas su le protéger. Elle le supplia de lui pardonner, dans le silence de ses pensées, puis elle pria pour que son âme trouve le repos, quelque part, elle ignorait où. Mais elle réalisa que sa place n'était pas en Féérie : il était de pierre, ce plan n'était pas le sien. Elle pria Mieikki : même si ce n'était pas la déesse la plus appropriée, c'était la sienne... puis elle pria le Dieu des génasis, au hasard, si toutefois il existait, pour qu'il veuille bien accueillir cette âme qu'elle n'avait pas su garder en vie.
Au-delà de la culpabilité, elle ressentait de la tristesse pour ses proches qu'il ne reverrait pas et qui ne sauraient jamais ce qu'il était advenu de lui. D'ailleurs, elle ne savait même pas d'où il venait, ni s'il avait des proches. Elle ne l'avait pas beaucoup questionné, et il n'aimait pas parler. Qui devrait-elle prévenir ? Peut-être devrait-elle essayer de trouver son village ? Un genasi, ce n'était pas courant. S'il avait des proches, ils avaient le droit de savoir... Bien sûr, ils devineraient qu'il était mort, en ne le voyant pas revenir. Mais tout de même, elle devait leur dire. Même s'il lui avait semblé ne pas faire grand cas de la vie, il devait bien avoir une famille qui allait le pleurer, non ? Était-il solitaire à ce point ?
" Dame... Kaljivahu... Est-ce que vous pouvez lire en lui... s'il a des proches que je pourrais prévenir, ou l'endroit d'où il vient ?"
Elle avait parlé à voix basse, ignorant si la Guérisseuse l'entendait.

[Galathée]

" Je ne peux pas le savoir, vint la voix. Comme je te l'ai dit, il ne reste pas grand chose de lui."
Si elle voulait poursuivre cette piste, il faudrait sans doute qu'Astrée puise dans sa mémoire les quelques indices qu'il lui avait donnés. Elle savait qu'il venait du nord d'Hélonna, au-delà de la forêt, quelque part dans les hauts plateaux de cette région lointaine. Mais ce n'était sans doute pas grand chose pour remonter jusqu'à lui.

[Voyageuse]

Tout ce qu'elle savait de lui, c'était qu'il venait d'un village situé tout au nord des Rocheuses, pas très loin d'un canyon au nom imprononçable. Dans une région où il se passait des phénomènes étranges qu'il lui avait fortement déconseillé d'aller voir. Et bien, elle devrait aller là-bas. Ce n'était pas une mission urgente, il n'y avait pas d'urgence dans la mort. Mais c'était important de le faire, lui semblait-il. En sa mémoire.
" Je chercherai, fit-elle à voix haute. Et... Je crois qu'il ne doit pas rester ici. Je ne sais pas où va l'âme d'un génasi... Mais je crois que ce plan ne lui conviendrait pas vraiment.
Ses larmes avaient fini par sécher, même si elle devait avoir les yeux terriblement rouges. Elle se sentait épuisée d'avoir tant pleuré, mais résignée. La tristesse était toujours là, cependant, la culpabilité également, et ce projet d'expédition était peut-être une façon d'expier ses erreurs. Elle demanderait pardon à ses proches pour avoir échoué à le garder en vie... et elle leur dirait également qu'il était allé au bout de sa mission.

[Galathée]

" Je comprends, dit la guérisseuse invisible. Quand tu es prête, suis le sentier et tu retrouveras tes amis. A moins que tu ne préfères d'abord renvoyer Kalju à la pierre... C'est à toi d'en décider. Une fois purifié, je peux envoyer son corps, et l'étincelle qui y demeure, dans le Plan Elémentaire, si tu le désires."

[Voyageuse]

" Je crois qu'il faut... faire ce que vous dites. Renvoyer Kalju à la pierre. Il sera mieux dans le Plan Elémentaire qu'ici.... Même si c'est absurde, ce que je dis, bien sûr, il n'a plus de conscience..."
Elle sentit les larmes, qu'elle croyait taries, perler à nouveau. Elle s'essuya furtivement les yeux.
" Et mes amis... Je ne sais pas s'ils veulent l'accompagner. Seul Martin l'a un peu connu..."
Elle haussa les épaules. Mathieu avait bien d'autres soucis, plus présents et plus urgents.
" En fait, je ne crois pas que ça ait d'importance pour eux. Je vais... d'abord m'occuper de Kalju. Je les rejoindrai ensuite."

[Galathée]

" Comme tu voudras."
Il y eut un peu de vent entre les arbres, puis Kaljivahu reparut, de l'autre côté du bassin de la fontaine. Elle fit signe à Astrée de la suivre et elles marchèrent ensemble dans le jardin, entre des massifs fleuris aux parfums délicats.
" Veux-tu le voir, avant que je tue ce qu'il y a en lui ? Ou préfères-tu qu'il soit déjà endormi ?"

[Voyageuse]

" Je..."
Je ne sais pas...
" Je voudrais le voir pour lui expliquer. Je sais que c'est idiot, il n'entendra rien, ne comprendra rien... Mais je crois que je voudrais le faire tout de même."
Elle ne savait pas pourquoi cette réponse avait franchi ses lèvres. Mais elle n'était pas en état de réfléchir, et se laissait guider par son instinct du moment, malgré l'absurdité de ce souhait.

[Galathée]

" C'est une bonne idée." dit la guérisseuse en la précédant dans le jardin.
Elles cheminèrent entre de magnifiques plants d'iris, en bordure d'un ruisseau, puis le franchirent à la faveur d'un petit pont de pierre. Elles poursuivirent parmi les fleurs champêtres et les arbustes jusqu'à atteindre un espace plus dégagé, d'herbe rase, où se trouvait Kalju, assis sur un banc. Il paraissait tout à fait détendu, et de petits oiseaux s'étaient posés sur lui, sur ses épaules, ses genoux, sa tête. Ils s'envolèrent cependant en pépiant quand les deux femmes approchèrent.
" Je vais vous laisser un moment. Je ne sais pas ce qu'il peut entendre, ou comprendre, mais ce n'est pas perdu."

[Voyageuse]

" Merci", murmura Astrée.
Elle regarda Kalju, désemparée, incapable soudain de trouver ses mots. C'était terrible de le voir vivant, apaisé, et de se dire qu'il ne serait plus...
Elle finit par s'asseoir à côté de lui, les yeux fixés sur le sol devant elle.
" Kalju... Je..."
Elle sentit les larmes perler.
" Je suis désolée. Je n'ai pas été là quand tu as eu besoin d'aide. Je n'ai pas su te protéger. Je les ai laissés te capturer.... J'aurais dû être là pour t'aider. Je te demande pardon de ne pas avoir été là."
Sa voix était devenue rauque et les larmes roulèrent, à nouveau intarissables.
" Je suis tellement désolée..."
Elle laissa passer le flot de larmes, les mains crispées sur le banc. Elle se souvint qu'elle-même ne s'était rendue compte de rien, lors de sa capture. Peut-être Kalju n'avait-il pas réalisé ce qu'il se passait. Elle l'espérait de tout son coeur...

Elle finit par s'essuyer les yeux, et s'obligea à descendre du banc pour s'accroupir face à lui et le regarder dans les yeux.
" Kalju... tu méritais de vivre bien plus longtemps. Ce n'est pas juste ce qui t'arrive. La guérisseuse... elle va te débarrasser de cette horreur qui te bouffe de l'intérieur. Mais elle ne peut pas te ramener parmi nous. Elle va envoyer ce qu'il reste de toi, de ton âme, dans le plan élémentaire, là où se trouvent une part de tes racines. J'espère... j'espère que tu y trouveras la paix. Et que tu me pardonneras de ne pas avoir été à la hauteur... "
Elle inspira d'un coup.
"Et... là, je dois te dire adieu... Puisses-tu trouver la paix que tu mérites."

Elle déposa un baiser sur son front. Puis elle s'écarta du banc.
" Je crois... que vous pouvez le faire maintenant. Dame guérisseuse..."

[Galathée]

La petite guérisseuse reparut, depuis l'ombre d'un arbre, et vint se placer devant Kalju.
" Vous n'êtes pas obligée d'y assister. Vous lui avez fait vos adieux."
Elle avait pris la main poussiéreuse du génasi et elle le guida pour qu'il se lève.
" Ayez confiance. Il n'est pas impossible de penser que ses cousins du Plan Elémentaire lui offrent une existence qui lui conviendra davantage que celle que j'aurais pu lui donner."

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules.
" Peut-être... Ou peut-être qu'ils le laisseront partir, et que son âme rejoindra ce quelle doit rejoindre, quoi que ce soi.. Dans tous les cas, il sera mieux que maintenant."
Elle se souvint subitement qu'elle avait pris la résolution d'aller avertir son village. Elle songea qu'elle devait le lui dire, au cas où il l'entende. Sa mission était importante pour lui.
Elle s'avança à nouveau vers le génasi, se plaçant face à lui.
" Kalju... J'irai dans ton village. Et je leur dirai que tu as allé au bout de ta mission. On a eu le secours de mages et de clercs puissants. Je suis sûr qu'ils font ce qu'il faut pour stabiliser la faille et pour protéger ton village. Tu peux partir tranquille..."
C'était plus un voeu pieux qu'une certitude. Mais les luméniens allaient certainement faire de leur mieux.

Elle se tourna vers la guérisseuse.
" Je vais... vous laisser faire. Et retourner un peu vers la fontaine. Vous me direz quand ce sera fini ?"