[Lieu] La Traversée de la Lorien

[Galathée]

Je sais oui, répondit le marteau. Mais je ne vais pas te le dire comme ça. Ça ne sert pas mes intérêts et jusqu'ici, tu as été vilaine, vilaine et encore vilaine.
Au moins, c'était clair.
Mais si tu acceptes mes conditions, je t'expliquerai.

[Voyageuse]

Elle leva les yeux au ciel. Elle n'avait absolument aucune envie de se plier à la volonté d'un marteau qui voulait tout détruire sur son passage.
Elle songea qu'elle avait une autre solution, provisoire : envelopper soigneusement le mage dans le cuir des fauteuils et ses propres vêtements, le pulvériser... mais ça ne ferait que gagner du temps.
" Si ce mage n'est pas détruit, la malédiction ne sera pas levée... Donc nos intérêts sont les mêmes, non ? Tu ne voudrais quand même pas prendre le risque de le laisser revivre ? Donc... tu dois m'aider. Mais juste par curiosité, c'est quoi, tes conditions ?"

[Galathée]

Que tu m'embarques au moment où la malédiction se lève, dit le marteau avec aplomb. Tu vois, peut-être que les esprits qui hantent ce lieu ont envie de disparaître, mais ce n'est pas mon cas. Je m'ennuie sec, dans cette bibliothèque, mais ça ne veut pas dire que j'ai envie de mourir. Mille ans que je prends la poussière en regardant cet imbécile lire le même bouquin chaque jour. J'ai envie de sortir et de voir le monde. Alors si tu m'emmènes, je t'explique tout.

[Voyageuse]

L'emmener... Alors qu'il avait envie de détruire la Lorien et tout ce qui y vivait ? Et qu'il pouvait apparemment prendre plus ou moins le contrôle de celui qui le maniait, dans certains cas ? C'était dangereux...
Pourtant, la fin de la malédiction devait faire disparaitre toute magie de ces lieux. Il devrait donc, normalement, perdre ses pouvoirs... A moins que tout soit simplement détruit ? Ce n'était pas très clair, et elle n'était pas certaine de comprendre ce qu'ils entendaient par "purification".
Mais dans le pire des cas, elle pourrait l'amener à Lumenis, et le confier à un temple ou à l'université de la magie : ils sauraient quoi en faire...
" Je veux bien t'emmener... Mais je voudrais être sûre que tu ne vas pas tenter de tout détruire autour de toi sitôt qu'on sera sortis de cette cité. Je sais que tu hais les elfes. Je ne te laisserai pas faire n'importe quoi."
Dans quel mesure pouvait-elle être certaine de le contrôler ? Jusqu'ici, il coopérait... mais ensuite ? Elle savait qu'il n'était pas franc : il mentait en disant qu'elle pouvait l'approcher du gouffre. Mais elle n'avait pas vraiment d'autre choix que d'accéder à sa demande... pour le moment.

[Galathée]

Hum, je ne sais pas si on peut faire confiance à une créature de ton espèce, dit le marteau, songeur. Il faut que tu me le promettes. Sur quelque chose qui t'est cher.

[Voyageuse]

L'image de Dimitri s'imposa aussitôt à son esprit et elle se sentit blêmir. Elle ne voulait pas faire de promesse qui mette en jeu sa vie. Mais il avait dit quelque chose, et pas quelqu'un. Elle pouvait promettre... plutôt sur Prince ? Un cadeau venant indirectement d'une divinité, ou de l'un de ses serviteurs... avait-elle le droit de le mettre en danger ? Et puis, elle tenait à lui : ce n'était pas une simple "chose".
Et d'un autre côté, si elle ne tenait pas sa promesse, avait-il réellement le pouvoir de lui faire du mal ?
" Je ne comprends pas que tu fasses tant d'histoires. Si tu ne m'aides pas, il revivra, et tu vas passer les mille prochaines années enfermé ici à le haïr sans rien pouvoir faire. C'est vraiment ce que tu veux ? Crois-moi, je t'emmènerai hors de la cité, c'est mon intention, tant que tu ne te montres pas agressif ou dangereux pour ceux qui m'entourent. "

[Galathée]

S'il revient à lui, au moins je suis sûr de rester en vie, dit le marteau. Tandis qu'avec toi... Bon. Soit. J'accepte. Mais c'est un marché. Si tu ne le respectes pas, il ne faudra pas te surprendre d'attirer une malédiction à ton tour... La magie de mes concepteurs est puissante.
Il gloussa.
Emmène-moi au panneau de commande et je t'expliquerai.

[Voyageuse]

Elle grimaça. On lui avait fortement conseillé de ne pas l'approcher du damier. Ils étaient apparentés... quoi que cela veuille dire. Ils utilisaient tous les deux la magie du feu, mais quelles en étaient les conséquences ? Il assurait qu'il pouvait être approché du damier... mais elle était certaine que c'était une très mauvaise idée.
" Tu dois pouvoir me l'expliquer d'ici, non ? Parce que si je t'ai dans les mains, je n'aurai qu'une main libre, pour alimenter le feu, tourner le cadran, appuyer sur les touches... Ce n'est vraiment pas pratique. Ce n'est pas pour te laisser en arrière, je te rassure tout de suite : je tiendrai ma promesse."
Évidemment, s'il insistait, elle n'aurait pas d'autre choix que de se plier à sa volonté.

[Galathée]

Bon, dit le marteau. Pour invoquer le gouffre que tu cherches, tu dois chercher deux touches de feu, une touche d'air et une touche de terre voisines. Tu dois les presser toutes les quatre en même temps. Attention, il ne peut pas y avoir de touche d'eau près du feu. La configuration n'existe qu'à un seul endroit sur le damier. Cela ouvrira le gouffre. Ensuite, tourne le cadran au maximum à droite et tire le vers toi. Ça devrait te laisser le temps d'arriver jusque là avec ta statue favorite. Mais tu auras besoin de moi : il ne passera jamais par le trou.
Il gloussa.
Tu aurais dû lui demander de garder les bras le long du corps. Tu devras au moins lui casser le bras droit. Je ne te conseille pas d'essayer de le manipuler une fois le gouffre ouvert : la chaleur est intense. Evidemment, si tu m'emmènes jusque là... Je t'en protégerais. Mais je vois que ces maudits traîtres te l'ont déconseillé.

[Voyageuse]

Elle sourit.
" Merci. C'est très clair..."
Les êtres éthérés auraient pu être plus explicites, la veille : elle ne pouvait pas le deviner. Même si, en y réfléchissant, le feu avait besoin d'air et de combustible -donc de terre- pour brûler... finalement, c'était assez logique.
Elle trouverai certainement la combinaison de touches sans peine, désormais.
" Par contre, tu dis qu'il faut que je casse son bras tout de suite, avant d'ouvrir le gouffre. Et donc, que je récupère tous les morceaux. Hum... Je vais l'envelopper avec mon manteau, avant de t'utiliser. Ça évitera de projeter des éclats de roche partout. Ou bien avec le cuir du fauteuil... enfin, si j'ai le temps de désosser le fauteuil."
Elle jeta un coup d'oeil au mage pétrifié, inquiète.

[Galathée]

Le marteau ne lui donna pas son avis, se désintéressant de la suite des opérations. Wethrin virait au vert prairie, c'était indéniable. Astrée eut l'impression de voir comme un courant animer la surface de la pierre. Quoi qu'elle décide, elle devait faire vite. Le mage était peut-être en train de reprendre vie... ou peut-être pas du tout, mais elle n'avait aucun moyen de le savoir.

[Voyageuse]

Astrée décida d'opter pour la solution qui lui semblait la plus rapide et la plus sûre : elle ôta son manteau, glissa le bras du mage dans l'une des manches qu'elle noua à l'extrémité, et fixa sommairement le reste du vêtement sur son torse, de façon à peu près étanche. Tous les éclats de pierre devraient se retrouver dans la manche, ou, au pire, dans le manteau. Elle pourrait donc les récupérer rapidement et en totalité.
Elle saisit ensuite le marteau, et l'abattit sur le bras du mage soigneusement enveloppé, juste au-dessous de l'épaule. Elle n'y mit pas beaucoup de force : la magie du marteau n'en avait probablement pas besoin, et elle ne voulait pas déchirer le vêtement... si toutefois il était possible de briser la pierre sans altérer le tissu.

[Galathée]

La pierre rendit un son sourd et le bras s'affaissa dans sa gangue de tissu.
J'espère que tu n'aimais pas trop ce manteau, dit le marteau. Il va falloir le jeter avec le reste.
La pierre verte était désormais devenue jaune et Astrée eut l'impression que l'expression du mage avait changé. Mais c'était peut-être une impression.
S'il reprend conscience, il ne sera pas content d'avoir perdu un bras... Je dis ça, je ne dis rien.

[Voyageuse]

" On peut le comprendre... Et pour le manteau, je vais juste me geler dans les prochains jours, c'est tout", répliqua Astrée avec un haussement d'épaules.
Mais elle trouverait un moyen de se bricoler provisoirement quelque chose dans une couverture, quand elle aurait récupéré ses affaires... pas dans l'immédiat, donc.
Pour l'heure, elle n'avait pas une minute à perdre. Elle reposa le marteau sur son socle, rafla quelques livres au passage et se précipita vers le tableau de commande en contournant le damier.
Elle glissa aussitôt deux livres dans le compartiment d'alimentation pour relancer le feu. Il fallait trouver la bonne combinaison de touches, mais elle les avait tellement étudiées qu'elle devrait trouver sans peine. Deux touches de feu, une d'air, une de terre, pas de touche d'eau à proximité du feu. Les enfoncer en même temps. Tourner le cadran à fond vers la droite, et le tirer. Remettre du combustible, encore. Et revenir très vite vers la statue.

[Galathée]

Elle trouva effectivement la configuration de touches, les enfonça et tira le cadran. Un trou s'ouvrit au coeur du damier, une seule case et non quatre, dont elle ne put rien voir de là où elle se trouvait. Il ne lui restait plus qu'à pousser la statue jusque là, ce qui n'était pas une mince affaire : même si Wethrin était un elfe, et donc de stature modeste, il pesait beaucoup plus lourd transformé en pierre. Astrée sentit cependant que le minéral jaune était tiède sous ses mains, et peut-être même un peu mou... La transformation était en train de céder, il fallait qu'elle se hâte. Les dalles qui constituaient le damier avaient beau être égales, elles ne glissaient pas aussi bien qu'elle eut pu l'espérer. Sans compter que la magie la frappa aussitôt qu'elle posa un pied sur la zone : d'abord un vent puissant, puis une pluie glaciale, qu'elle percevait clairement sans pour autant les voir.

HRP : un d20, m'dame

[Voyageuse]

HRP : 7

Elle poussa la statue, de toutes ses forces, penchée en avant pour y mettre tout son poids. Évidemment, rien ne se passait comme espéré. Elle aurait voulu pouvoir choisir l'emplacement du gouffre, l'ouvrir juste au bord du damier, au lieu de se trouver contrainte d'affronter une magie qu'elle ne connaissait pas et qui l'inquiétait. Elle imagina brièvement invoquer Recha, mais il refuserait certainement d'avancer sur le damier, et elle perdrait du temps à le convaincre.
Elle sentit avec inquiétude le mage devenir tiède, la pierre s'assouplir.... C'était très mauvais signe. Elle songea qu'elle aurait dû garder la baguette à la main, pour le pétrifier à nouveau. Qu'elle pouvait retourner la chercher... Mais non : elle ne devait pas perdre de temps. Elle continua à avancer, faisant abstraction des éléments qui semblaient se déchaîner sur elle. Le gouffre était censé être chaud, et elle ne portait qu'une tunique de coton, ayant laissé son pull sur les épaules de Dimitri. La pluie était glaciale. Mais cela n'avait aucune importance. Elle banda ses muscles, avançant régulièrement, d'un pas, puis d'un autre, ses bras fermement tendus poussant la statue, ses bottes agrippant la pierre du damier.

[Galathée]

HRP : 7 ?! Misère...

Elle progressait mais à une vitesse désespérément lente. La pluie et le vent invisibles la poussaient par moments dans la bonne direction mais à d'autres luttaient contre elle. Elle arriva ensuite sur une case où elle eut la nette sensation que le sol s'affaissait et pousser la statue devint à la limite du possible. La pierre virait à l'orangé par endroits et à d'autres, reprenait la couleur des vêtements de Wethrin. Il ne lui restait plus beaucoup de temps pour atteindre le gouffre. Les risques que l'elfe reprenne vie paraissaient sans cesse plus importants. Mais elle persévérait, pas après pas, déterminée.

HRP : allez, un autre, alors...

[Voyageuse]

HRP : ... 6 (mais si ça te va pas, je l'ai relancé et j'ai eu 15 )

Elle songea qu'elle aurait mieux fait de ré-invoquer Recha. Ou d'exploser le mage en miettes avant de le jeter morceaux par morceaux dans le gouffre. Peut-être devrait-elle récupérer son manteau et les débris qu'il contenait, et le lancer dans le gouffre, pour alléger l'ensemble ? A condition de ne rien perdre en route... Et cela imposait de faire une pause dans sa progression. Non, elle n'avait pas le temps. Elle serra les dents et elle continua à pousser, de toutes ses forces.
Elle ne devait pas paniquer. Il fallait juste qu'elle se tienne prête à l'assommer s'il reprenait vie. Ou bien à lui planter une épée dans le corps : elle avait l'épée récupérée sur l'elfe, après tout. Et puis, juste avant de reprendre vie, il allait s'alléger, non ? Mais aussi résister. Pouvait-il lancer des sorts par la pensée avant de pouvoir bouger ? Non, elle ne devait pas imaginer n'importe quoi. Elle était physiquement plus forte que lui, elle devait juste... l'empêcher d'incanter. Et le tuer.

[Galathée]

HRP : relancer, relancer... à quoi ça sert de lancer un dé si on choisit le score ? T'es maudite, tant pis pour toi !

Astrée poussa et poussa encore, jusqu'à s'en meurtrir les épaules et les reins, et la statue continua sa progression chaotique au travers du damier, de terre molle ou poussiéreuse en averse glaciale, en passant par le vent sec et sauvage. De temps en temps, il faisait chaud, et les mains de la druidesse glissaient alors sur la pierre, privées d'adhérence. Le mage reprenait vie, Astrée en était consciente et ne pouvait rien y faire.
Elle atteignit enfin le bord du gouffre. La chaleur l'embrasa, comme au coeur d'un désert ou d'un brasier, même, insupportable et suffocante. Elle s'arcbouta, la statue qui s'éveillait commença à pencher, mais Astrée dut la retenir, sans quoi elle risquait de basculer sur le côté et de se bloquer de travers. La température lui donna le vertige et elle sentit les poils de ses bras griller avec une odeur épouvantable. Puis subitement, le vide se fit sous Wethrin et elle le lâcha. Il tomba droit vers le gouffre mais, au dernier moment, elle croisa son regard stupéfait. Il avait repris forme. Et dans un ultime sursaut, il se raccrocha, du bout des doigts de sa main restante, au rebord du damier, suspendu au-dessus d'une fournaise qu'il était impossible de regarder.

[Voyageuse]

Elle sentit un vent de panique l'envahir en le voyant reprendre conscience. Il était dangereux, il allait lancer un sortilège, la tuer... Elle laissa parler ses réflexes et lui écrasa aussitôt les doigts sous sa botte, de toutes ses forces. L'instant d'après, elle sentait le remord l'assaillir. Son regard dans le sien n'avait rien de menaçant, il était juste stupéfait de ce qui lui arrivait.
" Je suis désolée, fit-elle d'une voix étranglée, tout en faisant brusquement glisser son pied vers le vide, repoussant fermement la main accrochée. Je dois lever la malédiction."

[Galathée]

Astrée aurait peut-être mieux fait de se concentrer sur ce qu'elle était en train de faire plutôt que de tenter de se justifier auprès de l'elfe qu'elle tentait de tuer. Si elle parvint finalement à le faire lâcher, ce ne fut pas avant qu'il ne lance un sortilège. Il bascula dans le vide au moment où son filament d'argent s'élevait. Il frappa la druidesse en pleine poitrine et l'envoya voler en dehors du damier. Elle heurta violemment une bibliothèque, qui vacilla sous son poids, et tous les livres s'écroulèrent sur elle, l'assommant à moitié.
Sonnée, il lui fallut plusieurs longues secondes avant de réaliser que le coeur tout entier tremblait, toutes les bibliothèques étaient en train de s'effondrer et de se vider, et les lumières de magie explosaient de manière désordonnée. Elle voyait flou mais elle réalisa qu'une lézarde traversait désormais le damier. De la poussière s'échappait du plafond. Il fallait qu'elle bouge, vite, sans quoi son histoire s'arrêterait dans les gravats.

[Voyageuse]

Son cerveau embrouillé finit par prendre conscience de l'urgence de la situation.
Il fallait qu'elle sorte d'ici. Tout allait s'effondrer.
Dimitri... avait-il repris vie ?
Et... le marteau... ?
Les trois idées fusèrent simultanément. La priorité était Dimitri -son coeur bondissait à l'espoir de le retrouver enfin en vie. Et sa propre survie. Elle se redressa, tituba un instant, puis précipita vers l'escalier, attrapant ses maigres affaires au passage - l'arc et le carquois, et sa trousse de soins. Elle se décida in extremis à faire un tout petit crochet pour le marteau. Elle avait promis, après tout...
Elle le prit en main.
" Dis-moi comment je peux te transporter sans te tenir en permanence en main. Tu as un étui, quelque chose pour t'accrocher dans mon dos ?"
C'était une question qu'elle aurait dû poser avant de promettre bêtement de l'emmener, mais elle avait d'autres priorités à ce moment-là.

[Galathée]

On se débrouillera dehors, répondit-il. Dépêche-toi, sinon on va tout se prendre sur la tête. J'aimerais autant que tu restes vivante au moins jusqu'au moment où nous aurons quitté le site.
Astrée ne tenait pas bien sur ses jambes et elle eut un vertige. Curieusement, la volonté du marteau semblait pallier sa faiblesse. Elle avait la sensation que, si elle le lâchait, elle s'écroulerait elle aussi aussitôt.

[Voyageuse]

Ce phénomène étrange lui parut extrêmement inquiétant. Si elle avait besoin du marteau pour tenir debout, n'était-ce pas le signe que le marteau pouvait prendre le dessus sur elle ? Et qu'il était en train de le faire ? L'emmener était une mauvaise idée.
Mais elle n'avait pas le temps d'y penser : ils devaient fuir d'urgence, et elle avait besoin de toute son énergie... la sienne propre et celle du marteau. Et dehors, il y avait de la neige, songea-t-elle confusément. Elle aviserait.
Pour le moment, l'urgence était de rejoindre Dimitri. C'est pour lui qu'elle devait s'inquiéter en priorité : elle espérait, de tout son cœur, que le sortilège était levé...

[Galathée]

Astrée dévala les escaliers branlants, sans se soucier de ce qui tombait du plafond, des fissures de plus en plus nombreuses dans les murs, du mouvement oscillant des marches sous ses pieds. L'énergie conférée par le marteau lui permettait d'anticiper le danger et de progresser sans ralentir, alors même qu'elle avait l'esprit embrumé et qu'elle se sentait presque hors d'elle-même. Elle avait l'impression que même si elle cessait d'agir, son corps continuerait sur sa lancée. Elle avait aussi la certitude qu'elle n'était pas en état de lutter. Elle ne savait pas ce qu'avait été le sortilège de Wethrin, mais il l'avait fortement ébranlée. Il n'était pas temps d'y réfléchir, il fallait se sauver. Elle atteignit la grande nef, fila entre les piliers qui clignotaient de lumière, à un rythme discordant, tandis que les vitraux magnifiques tombaient en poussière. Elle n'avait plus de corde mais elle n'eut pas le temps de s'en inquiéter : elle sauta vers le sol sans pouvoir s'en empêcher.
Loin de chuter, elle se réceptionna sans mal dans la neige. Le site tout entier était en train de vaciller, de grandes crevasses s'ouvraient dans le sol gelé, et les arbres gémissaient, agitant leurs branches nues sur le ciel blanc.

[Voyageuse]

Elle comprenait, confusément, que le marteau dirigeait ses mouvements, qu'elle n'avait plus de prise sur rien. Une part d'elle s'en inquiétait, mais elle n'était pas en état de réfléchir et se contentait de survivre. Bouger, avancer, éviter les obstacles, avancer encore. Sauter dans la neige. S'éloigner du coeur...
Mais elle était dehors, désormais, dans le froid et la neige, et elle se souvint de la seule chose qui importait : Dimitri. De toutes ses forces, de toute la volonté qu'il lui restait, elle s'obligea à se mettre en mouvement dans cette direction. Dimitri devait avoir repris conscience. Il fallait qu'elle le rejoigne. Qu'ils sortent d'ici ensemble.
Elle ne songea même pas à lâcher le marteau, et ignorait d'ailleurs si elle en était capable. La seule pensée consciente qu'il lui restait était la volonté de rejoindre Dimitri.

[Galathée]

Elle courut donc le long du coeur, évitant les pierres qui chutaient, les branches, la neige, se stabilisant malgré les vibrations désordonnées du sol. Elle vit toute une rangée de maisons s'écrouler et un arbre s'abattre en travers du chemin, mais elle persévéra, escalada le tronc, passa de l'autre côté et rejoignit la rue transversale où se trouvait Dimitri. La structure sombre où ils s'étaient abrités l'avant-veille était en train de s'affaisser sur elle-même, comme si un siphon s'était trouvé au centre, avalant peu à peu les racines et la terre entremêlés. Astrée vit une silhouette qui se redressait contre le mur du coeur, puis s'en écarta vivement comme un énorme bloc de roche s'écrasait sur le sol. Dimitri était vivant, debout, mais manifestement désorienté. Il n'y aurait pas le temps de bavarder, cependant : Astrée devait décider, dans l'instant, que faire.

[Voyageuse]

" Dimitri ! Par ici !"
Elle se précipita à sa rencontre, se demandant s'il était en état de marcher, s'il avait besoin d'aide pour avancer. Puis elle songea à Recha. Dès que Dimitri l'aurait rejointe, elle invoquerait son cheval. C'était le moyen le plus efficace pour fuir les lieux.
Mais il lui faudrait rapidement se préoccuper du marteau, elle le sentait confusément.

[Galathée]

Le marteau la laissait faire, pour l'heure. Elle le sentait pulser dans sa paume, discrètement, omniprésent, lui conférant toujours une énergie qui, sinon, serait défaillante. Dimitri la regarda approcher, stupéfait, les yeux un peu humides, comme s'il s'éveillait d'un long sommeil.
" Astrée, qu'est-ce qui se passe ?" souffla-t-il.
Puis Recha fut là. Le mercenaire se hissa en selle le premier, un peu automatique, tandis que l'animal piaffait de nervosité, puis tendit la main à la druidesse.
Ne t'avise pas de même songer à me lâcher, murmura le marteau dans son crâne.

[Voyageuse]

L'injonction eut l'effet contraire. Elle sut que la situation devenait trop dangereuse, qu'il faudrait le lâcher.
Que se passerait-il si elle le faisait ?
Elle avança d'un pas, le regard rivé sur Dimitri, infiniment soulagée de le voir redevenu lui-même. Sa simple présence lui redonnait confiance et réassurance.
" Tout va s'écrouler, il faut filer, vite. Je t'expliquerai... J'ai juste... "
Elle réalisa qu'elle était trop près pour parler librement, et que le marteau était dangereux pour Dimitri. Et qu'il le serait encore plus une fois sortis.
Elle recula brusquement de plusieurs pas.
" ... pas le droit de lâcher ce marteau... ", fit-elle avec anxiété, quêtant du regard une aide, un conseil.