[Lieu] Quelque part au nord des Landes

[Voyageuse]

Sa dernière phrase fit hausser un sourcil à Noah.
" J'aurais plutôt imaginé le contraire, pour ma part. Les Ithilliens vénèrent Oghma, et il y a sûrement des espions Ithilliens au temple d'Oghma à Lumenis. Mais dans les autres... vu la concurrence acharnée qu'ils doivent se livrer pour conquérir de nouveaux fidèles, je ne crois pas qu'ils verraient d'un bon oeil la présence du moindre oghman dans leurs murs. Évidemment, il pourrait y avoir un espion parmi les fidèles, mais pour une affaire aussi importante, ce sont des clercs expérimentés qui vous recevraient, et à l'abri des oreilles indiscrètes... Et ils ont des sortilèges pour ça ! Alors que dans une caserne, n'importe quel soldat peut être un espion ithillien attendant l'occasion de se retourner contre les autorités luméniennes. Et il est facile d'installer des dispositifs d'espionnage dans un endroit peu protégé magiquement. Mais peut-être que votre caserne est protégée, après tout... Et si vous avez une personne fiable à contacter, on peut commencer par là.
Il haussa les épaules.
" Enfin... VOUS pouvez commencer par là. Moi, je ne compte pas aller dans la capitale !"

[Cendres]

Gabriel savait déjà que Noah ne le suivrait pas jusqu’à Lumenis mais ce choix entrainait aussi celui d’Anita. Son devoir était d’avertir les autorités de la cité quoi qu’il lui en coute. Son estomac se serra en regardant la jeune femme, puis il répondit au rôdeur.
« Je vais vous écouter et j’irai trouver un clerc à Lumenis. Cette affaire est inquiétante… »

[Voyageuse]

" Il faudra peut-être que tu y ailles aussi, remarqua Noah après une hésitation, en se tournant vers Anita. Si tu dis que tu as entendu des choses intéressantes quand tu étais avec eux...
- Pas grand-chose d'intéressant, protesta la jeune semi-drow. Juste assez pour savoir que quelque chose se prépare...
- Oui, mais ils voudront l'entendre de ta bouche. S'il y va seul, ils vont perdre du temps en envoyant quelqu'un t'interroger ici...
- Oui... mais... Les villes, c'est vraiment pas le genre d'environnement que j'aime..."
Elle jeta un coup d'oeil en biais au jeune guerrier et eut un demi-sourire.
" Après... c'est vrai que j'aurai un garde du corps rien que pour moi... je devrais y survivre..."

[Cendres]

Le cœur de Gabriel s’emballa, il lui répondit aussitôt avec un sourire radieux. « Comme tu l’es ici pour moi, je le serai pour toi là-bas dans la cité ! ». Il rougit sous l’effet de l’émotion et se tourna vers Noah pour se cacher du regard de la jeune femme.
« Noah, sommes-nous loin d’un village côtier ? » Il palpa la ceinture de ses pantalons et sentit les pièces d’argent et d’or dans sa poche secrète cousue à l’intérieur du tissu. « J’ai sur moi, largement de quoi négocier une traversée rapide vers Lumenis. »

[Voyageuse]

" Il nous faut près d'un jour pour attendre notre village, répondit Noah, avec un sourire un peu amusé. Et là-bas, on a régulièrement des gens qui descendent jusqu'à l'embouchure. Cela ne devrait pas être problématique de leur demander de vous y emmener. Ensuite... et bien, il doit bien y avoir deux à trois semaines de navigation pour rejoindre la capitale. En fait, vous avez le choix entre prendre un navire pour Antelucas, au sud, ou un navire pour Solarcis, au nord... J'ai toujours entendu conseiller le nord, mais je n'y connais rien. Le souci c'est surtout de trouver un navire : la mer ici est mauvaise, et il n'y a guère de passage. Par contre, la fin du trajet ne posera pas de problème : les liaisons entre ces deux villes et Lumenis sont fréquentes.
- Mais tu es certainement arrivé avec un bateau de transports de troupes, suggéra Anita. S'il est encore amarré là-bas, il sera possible de le prendre... Et puis, si on peut trouver des représentants des autorités, ils ont peut-être des moyens magiques de transport. Enfin, s'ils veulent bien..."

[Cendres]

« En effet, nous venions du nord. Tu as raison Anita, le bateau militaire devrait s’y trouver encore… Je n’ai jamais voyagé avec l’aide de la magie. Je suis certain que nous réussirons à les convaincre ! » Dit Gabriel en souriant. Il ressentit de la joie, la jeune femme acceptait de le suivre.

[Voyageuse]

Anita sourit.
" Je te trouve bien optimiste ! Mais nous verrons bien sur place..."
Puis son sourire disparut. Elle semblait, à nouveau, hésitante : la description de la longueur du voyage avait de quoi doucher l'enthousiasme juvénile. Elle se tourna vers Noah.
" Tu es sûr que je dois y aller ? Ça fait loin... Je ne sais pas comment je reviendrai ici ensuite...
- Ne t'en fais pas. Je suis sûr que Gabriel ne t'abandonnera pas à ton sort et t'aidera pour les démarches, pour trouver un moyen de transport... et si ça se trouve, tu n'auras plus envie de revenir !
- Je n'aurai certainement pas envie de rester ! Et puis, c'est compliqué... je vais encore devoir prouver que je ne suis pas une drow des profondeurs mauvaise et dangereuse... Je devrais peut-être me déguiser ?"

[Cendres]

« Tu n’as pas à te déguiser, Anita. Les imbéciles n’auront qu’à bien se tenir…" Gabriel se souvint de sa première réaction naïve à la découverte du visage de son amie. "Les drows lumeniens sont peu nombreux mais acceptés dans l’armée de la cité. Je n’en ai jamais rencontré car ils sont très souvent partis en mission.
Je ferai la traversée retour avec toi pour remercier Noah avec le vin d’un vieux cépage de la côte du soleil autour d’un bon feu de camp. »

[Voyageuse]

" Oh, c'est très gentil à vous ! Mais ce sera probablement chez moi et pas autour d'un feu : vous n'imaginez tout de même pas que je passe ma vie à errer dans la campagne?"
Il rit, d'un rire rocailleux et profond.
" Et il a raison, Anita : tu rencontreras moins de peur et de rejet dans une grande ville où ils ont l'habitude de côtoyer des gens de toute race. Évidemment, il y aura toujours un peu de méfiance face à un drow... mais rien de commun avec nos campagnes excentrées."
La semi-drow eut une légère grimace mais acquiesça, tout en rassemblant rapidement la vaisselle du petit déjeuner.
Noah se leva, étira ses muscles.
" Je vous laisse étouffer le feu et laver la vaisselle ? Je vais ranger le reste et préparer la barque..."

[Cendres]

Gabriel se rendit une nouvelle fois compte de son préjugé, il n’avait jamais imaginé le rôdeur sédentaire. Il se leva et rejoint Anita pour laver la vaisselle. « Noah a raison, les citadins sont plutôt indifférents. Nous ne resterons pas longtemps… » Il regarda son amie. « la cité est belle… je t’amènerais au marché du port de Lumenis... »

[Voyageuse]

Anita sourit.
" Tu sais, j'ai grandi en Ithillion, où les pires rumeurs circulent sur Lumenis. Une ville dépravée où règne l'insécurité, où les marchands s'enrichissent tout en affaiblissant l'état... J'ai beau savoir qu'il y a beaucoup d'exagération et de mensonge là-dedans, ça ne m'aide pas à être sereine. Depuis que j'ai quitté Ithillion, j'ai appris à apprécier ma vie libre dans les campagnes, et je me méfie de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une ville... Mais je comprends bien que ceux qui s'y trouvent bien puissent au contraire y être attaché. Tu es né là-bas ?"

[Cendres]

« Je suis né à Lumenis dans une famille favorisée. Je reconnais que la ville est presque scindée en deux… les beaux quartiers et les taudis. La mort de mon grand-père a fait voler en éclat ma suffisance. Mes camarades de l’armée provenaient de toutes les origines sociales et de pays différents… J’ai surtout appris à penser par moi-même et à être critique au sujet de la politique de la cité. Mais… j’aime cette ville vivante, surtout le quartier portuaire où se trouvent les commerces les plus utilitaires aux plus exotiques et mystérieux…»

[Voyageuse]

" Hum... présenté comme ça, ça fait envie de le voir, ce quartier. Et si tu me sers de guide... et que tu sais quoi répondre à ceux qui me chercheront des noises... bah, je devrais survivre ! Non pas que je ne sache pas me défendre, hein, mais je risque de faire ça de façon un peu trop brutale, et ensuite j'aurai des ennuis avec la garde. En tout cas, c'est ce qui se passerait à Ithillion. Je sais que Lumenis est sûrement plus libre, moins cadrée, mais je suppose qu'il y a tout de même des gardes..."
Avec un haussement d'épaules, elle rassembla la vaisselle, trempée mais propre. Elle n'avait rien pour l'essuyer et se contenta de fourrer le tout dans une besace de toile qui devint aussitôt humide. Il ne leur restait plus qu'à étouffer le feu et rejoindre Noah.

[Cendres]

Tout en marchant vers le feu, Gabriel lui répondit joyeusement. « Je compte bien être ton guide et ton diplomate ! Si tu es d’accord, nous irons rendre visite à Geneste, une vieille amie … qui je suis certain te fera goûter son kug-ha-firz. C’est un plat enchanteur… composé de plusieurs viandes épicées cuits doucement pendant toute une nuit dans un four à pain, servi sur un lit de légumes…» L’image de la Maison de Batz et de Geneste, la vielle cuisinière, s’imposa à lui. Il soupira.

[Voyageuse]

Son soupir n'échappa pas à Anita.
" Ça a l'air de te rappeler des souvenirs... hum... mitigés. Ou alors, tu es juste nostalgique, peut-être..."
Sans se préoccuper de se salir, elle ramassa quelques poignées de boue des marais pour la déposer sur les braises encore rouges et achever de les éteindre.

[Cendres]

« Je suis orphelin, c’est mon grand-père qui m’a élevé et éduqué. A la mort de celui-ci, j’ai eu une grande dispute avec ma grand-tante au sujet de la succession car je suis le seul homme de la lignée, mais pour elle, je suis une moitié d’homme et en aucun cas « un vrai de Batz ». Je lui ai laissé mon héritage et je me suis enrôlé dans l’armée… Geneste m’a apporté toute sa tendresse et son attention et j’aimerai la revoir. Elle connaissait ma mère et mon père. Elle habite juste à côté du port. » Gabriel se sentit plus léger et sourit à son Amie.

[Voyageuse]

Anita semblait perplexe.
" C'est un peu confus pour moi, tout ça. Il faut dire que les questions d'héritage, je n'y connais rien et je ne risque pas d'y être confrontée. Mais je ne vois pas trop pourquoi ta grand-tante... -la soeur de ton grand-père ?- aurait son mot à dire. Puisqu'elle n'est pas ton ascendante.... Ce qui appartenait à ton grand-père ne peut pas lui revenir, non? Je veux dire, puisque ton grand-père a un descendant, c'est-à-dire toi, alors sa succession te revient et elle ne devrait pas avoir gain de cause... Sauf si elle suspecte que tu n'es pas vraiment le petit-fils de son frère, peut-être ? Est-ce qu'il a un un doute sur ce point ? Est-ce que ton grand-père peut ne pas être ton grand-père ?"

[Cendres]

« La sœur de mon grand-père paternel a contesté mon héritage car elle a toujours pensé que le mariage de mon père avec mère était une grave faute et par conséquent que mon sang était impur. Je lui ai cédé l’entreprise familiale composée de flottes commerciales, mais j’ai gardé mon nom « de Batz », la demeure, ainsi que les docks. Ce compromis me permettait d’avancer sans conflit et sans questionnement... Sauf que cette histoire m’a rattrapé… L’évidence de mes traits physiques, mon sang goûté par l’épée magique...je sais aujourd’hui que je suis un sang-mêlé. » Il regarda Anita et dit : « Aussi, j’aimerais connaître l’histoire de mes parents. Mais cette révélation ne m’a pas tué, mais plutôt ravivé… »

[Voyageuse]

" Mais je ne comprends pas... Tes parents, tu ne les as pas connus du tout ? Tu ne sais pas à quoi ils ressemblaient ? S'il y a du métissage dans ta famille, cela devrait se voir sur leurs traits..."
Anita réfléchissait à voix haute.
" D'après ce que tu dis, ce serait plutôt du côté de ta mère qu'il faudrait creuser. Tu ne connais personne de ta famille maternelle ?"

[Cendres]

« Je n’ai jamais connu mes parents. Ma mère était une guerrière, née à Dorrandin. Mon père l'a épousée pour renforcer des liens commerciaux. Geneste les connaissait, c’est elle qui m’a donné le pendentif quand je suis parti… c’était l'amie de ma mère, elles étaient toujours ensemble...elle a aussi connu ma grand-mère maternelle qui était chamane. Toutes les deux, elles ont accompagné l'accouchement de ma mère. Je suis né...parait-il, sur un champ de bataille. Ma grand-mère a veillé sur moi, pendant que Geneste et ma mère combattaient. Mon père...lui est mort au combat. Quand je suis parti, elle m'a dit une chose sur ma mère...que la Triade les unissait toutes les deux. Mais jamais… elle a mentionné les origines raciales de ma mère…"

[Voyageuse]

Anita eut un élan de compassion à ses premiers mots et lui posa une main amicale sur l'épaule. La fin de sa tirade lui fit hausser les épaules.
" Si elle ne les a pas mentionnées, c'est peut-être parce que ce n'était pas important. En tout cas, ça ne l'était pas pour elle... et ça remonte peut-être à une génération au-dessus. Après, cette histoire de triade, ça ne me dit rien du tout. Mais tu dis que ta grand-mère maternelle veillait sur toi après ta naissance. Tu ne l'as jamais revue ensuite ? Elle aurait pu te garder près d'elle, après la mort de ta mère, puisque ton père était mort. Il y avait une raison particulière pour que tu reviennes vers la famille de ton père ?"

[Cendres]

Gabriel apprécia le contact chaleureux de la main d’Anita et se sentit bien. Il lui répondit spontanément. « Ce que je sais… c’est que je suis le seul descendant de la branche paternelle. Mon grand-père m’avait dit que mon père et ma mère étaient morts dans un continent éloigné lors d'une négociation secrète. C’est une version différente de celle de Geneste. Mais je pense que c’est Geneste qui m’a ramené à Lumenis quand j’avais un an et qu’elle a veillé sur moi durant mon enfance… il s’est passé un évènement qui m’a séparé d’elle. C’est un souvenir que j’ai raconté à Noah le lendemain matin de votre sauvetage…tu étais partie chercher des herbes...je me souviens avoir surpris Geneste priant devant un bouclier peint. C'étaient trois symboles...un gantelet blanc, deux mains liées par un cordon rouge et ... une balance en équilibre sur un marteau de guerre. Une autre chose avait retenu mon attention, une broche piquée sur un coeur était agrafée à sa tunique grise. Je la croyais triste car une larme coulait sous son oeil gauche…c'était la dernière fois que l'ai vu faire des dévotions. » Le jeune homme soupira. « Ma famille ne tolère pas les cultes anciens et leur magie… » Il regarda Anita et dit : « Je crois aussi que ma grand-mère maternelle m’apparait en rêve…je fais un rêve récurrent…des bras verts, et doux me portent et des chants gutturaux chamaniques me bercent…je ne vois pas le visage de la personne, seulement une ambiance tendre et enveloppante qui s’adresse à mon cœur, à mon être…l’épée magique a gouté mon sang…non humain. Je pense que je suis métissé. Cette révélation ne me perturbe plus…elle me pousse à vouloir connaitre l’identité de ma mère et de comment et pourquoi elle est morte. » Le jeune homme se rendit compte que l’angoisse sourde et sournoise qui l’habitait depuis toujours l’avait quitté. Il voyait ! Il regarda Anita avec sollicitude.

[Voyageuse]

" Un gantelet... ce pourrait être Helm ou Torm... Les mains, Illmater. Et puis, la Balance, ce serait Tyr... Enfin, je crois. Je ne suis pas très calée en symbole religieux, il y a peut-être d'autres divinités qui ont des symboles proches. Mais je ne vois pas pourquoi ce serait un souci, ces dieux ont des temples en ville. Ou alors, il s'agirait de divinités plus anciennes ayant le même genre de symboles ? Ou d'une divinité unique qui regrouperait ces trois-là ? La triade..."
Elle haussa les épaules.
" Je n'y connais rien en théologie. Il faudrait se renseigner auprès d'un prêtre, peut-être. Enfin, le plus simple c'est sûrement de demander à l'amie de ta mère, Geneste. Puisque tu sais où la trouver..."

[Cendres]

« La Triade…j’irai me renseigner auprès d’un prêtre ou d’un clerc. Tu as raison le plus simple c’est de parler à Geneste ». Gabriel se surprit d’être léger et maitre de ses choix. A nouveau, il regarda Anita comme s’il distinguait mieux la qualité de sa présence amicale et proche. Il se sentit touché par sa disponibilité. Il rougit, sa peau olivâtre ne montra rien, mais il sourit malgré lui. Troublé, il prétexta : « Rejoignons Noah, une longue journée de navigation nous attend. »

[Voyageuse]

" Oui, allons-y !", s'exclama joyeusement la jeune femme.
Elle dévala d'un pas rapide les quelques dizaines de toises qui les séparait du cours d'eau, qu'ils entendaient murmurer, tout proche. Elle évitait les plaques de boue et l'eau stagnante avec légèreté, et semblait savoir exactement où poser les pieds pour ne pas les voir aspirés par le marécage.

Noah les attendait près de la barque, dans laquelle quelques sacs étaient solidement arrimés. Il stabilisa l'embarcation tandis que Gabriel y montait, l'invita à s'asseoir au milieu de l'embarcation, et se dégagea du rivage en poussant sur un long bâton.
" Il y aura du courant un peu plus loin, essayez de ne pas trop bouger, pour que j'assure bien l'équilibre..."
Le conseil ne s'appliquait visiblement pas à Anita, qui alla lestement se positionner vers l'avant, en vigie. Noah restait à l'arrière, poussant à intervalles réguliers sur son bâton.

[Cendres]

Gabriel obéit à Noah et s’assit au centre de la barque. Il était le plus lourd des trois. Il s'agrippa à un cordage lorsqu' Anita vint à l'avant de l'embarcation en sautant. Il regarda s'éloigner le rivage et laissa ses pensées dériver.

[Voyageuse]

Le trajet en barque fut long et monotone. Le courant était faible, excepté dans un court passage dans lequel la rivière s'étrécissait, se glissant entre quelques rochers en un jaillissement d'écumes presque surprenant dans une plaine aussi morne. Ce fut le seul passage où Gabriel dut maintenir son équilibre, en se tenant d'une main presque nonchalante au rebord de l'embarcation. Devant lui, Anita se contentait se vaciller souplement sur ses jambes, au fur et à mesure des secousses.

Ils firent une pause peu après, sans descendre de la barque, juste le temps d'avaler un petit casse-croûte -pain, fromage, charcuterie et fruits. Noah et Anita demeuraient vigilants, les yeux fixés sur le rivage, comme s'ils craignaient une attaque d'un prédateur quelconque. Ils affichèrent leur soulagement en voyant apparaitre un loup, que Gabriel reconnut aussitôt : c'était le compagnon de route -occasionnel- de Noah. Il boitillait légèrement, des suites de son combat inégal contre les humains, mais il semblait en bonne santé. Noah prit le temps de mettre pied à terre pour lui faire un bandage, puis ils reprirent leur navigation, le loup suivant leur progression depuis le rivage, disparaissant parfois quelques dizaines de minutes avant de reparaître.

[Cendres]

Gabriel n’avait jamais pensé qu’un lien d’amitié entre un homme et un animal sauvage pût se tisser. Pourtant le loup les accompagnait. Ses pensées allaient librement et il s’arrêta sur l’une d’entre-elles ; la mort de Johana ne le hantait plus. Quelque chose s’était dénoué mais sans pouvoir y mettre une raison, plutôt un accueil. Il continua à suivre le fil cathartique et le jeune homme se surprit d’être un métis. Puis vint une légère exaltation avec une multitude de questions, comment était morte sa mère, pourquoi ce mariage, où était sa grand-mère… Le jeune guerrier regarda autour de lui comme s’il venait de se réveiller.

[Voyageuse]

Anita et Noah étaient concentrés sur la navigation et ne lui prêtaient guère attention. Il surprit cependant un regard un peu inquiet du vieux rôdeur. Anita lui tournait le dos, jouant le rôle de vigie à l'avant de la barque, écartant avec un bâton les rares obstacles. La navigation était paisible, le léger courant les portait lentement en direction de la mer, encore lointaine.
Le soleil commença à décliner, la lumière se teintant d'orangé. La végétation se modifia, insensiblement. Les marécages humides laissèrent la place à une zone de tourbière, puis à une végétation un peu plus arborescente, garrigue de petits buissons et d'arbres nains plantés au milieu des herbes hautes. La rivière sur laquelle ils cheminaient s'était élargie, et devenait plus profonde. Au loin, devant eux, une ligne sombre semblait indiquer la présence d'un bois... qui se révéla plutôt de larges haies bordant un cours d'eau bien plus important : le fleuve par lequel il était arrivé dans la région avec l'armée de Lumenis.
Au confluent des deux cours d'eau se trouvait un petit amas de cabanes de bois, construites sur pilotis. Des enfants leur firent de grands signes, et Noah leur répondit d'un geste, avant d'amarrer la barque au minuscule ponton du village. Deux autres embarcations s'y trouvaient, des barques de pêcheurs à en juger par leur contenu. La berge, cependant, était désertée. Des bruits de conversation provenaient de la droite, en aval du fleuve, là où les habitations semblaient plus nombreuses.

[Cendres]

Gabriel descendit de la barque et tituba un peu debout sur le ponton. Il sentit le décalage entre la paisibilité du trajet sur l’eau et l’animation humaine qu’il entendait du village de pêcheurs. Il regarda autour de lui et apprécia les couleurs chaudes du soleil couchant sur le fleuve avant de rejoindre ses amis.