[Lieu] La Traversée de la Lorien

[Galathée]

" J'ai surtout l'impression que tu es affectée, toi aussi, dit-il, un réel souci dans les prunelles. Je n'ai nullement l'intention de t'ensorceler, ce serait tout à fait honteux."
Il soupira. Il n'avait toujours pas terminé son premier verre.
" Mais l'effet devrait s'estomper, j'espère demain dans la journée... Si on a remonté ma piste, ça ne suffira pas, bien sûr, mais... avec un peu de chance, il y aura plus de monde dans l'auberge prochaine. Et pour le reste, oui, tu as raison. Ta présence dilue un peu la piste, mais elle te met aussi en danger, car ce qui est attiré jusqu'ici, même s'il ne vient que pour moi, n'est sans doute pas du genre à s'inquiéter de la présence de quelqu'un d'autre."

[Voyageuse]

Elle était touchée qu'il s'inquiète de l'avoir ensorcelée : bien sûr, il ne voudrait pas en profiter, elle le savait. Cependant, elle devait le rassurer sur ce sujet : il n'y avait rien qui soit dû à la magie dans son état. Elle ne voulait pas qu'il se reproche quoi que ce soit.
Sa réaction de panique, un petit peu plus tôt, s'était atténuée. Dimitri semblait réellement incapable d'imaginer qu'elle soit amoureuse de lui... parce que c'était inimaginable pour lui, peut-être tabou, ou juste parce que cela ne lui traversait pas l'esprit ? Elle craignait sa réaction si elle lui avouait. Pourtant, il faudrait lui dire, tôt ou tard, ne serait-ce que pour ne pas avoir de regrets. Elle ne devait se faire aucune illusion, cependant : il n'éprouvait visiblement pas la moindre attirance pour elle. Pourquoi espérer quoi que ce soit ?

Elle acquiesça à ses explications, prenant les choses au sérieux. Pour le moment, ce danger le préoccupait, et il ne pourrait pas avoir l'esprit tourné vers autre chose tant qu'il aurait cette inquiétude en lui.
" Je ne suis pas réellement inquiète pour moi... Du moins, pas tant que je reste près de toi : je sais que tu pourras me protéger, j'ai totalement confiance. Mais par contre... je serais plus rassurée si tu restes près de moi cette nuit, fit-elle en rosissant légèrement. Même si je n'ai pas la moindre idée de ce que peut être ce danger... je préférerais que tu ne sois pas trop loin. Et je tiens à te rassurer : je ne crois pas que je sois vraiment affectée par ton sortilège. Je n'ai rien ressenti... je veux dire... rien de plus que d'habitude, à part que tu scintilles un peu... Ne t'en fais pas pour ça."

[Galathée]

" Je pense que si tu étais ensorcelée, tu ne t'en rendrais pas compte, c'est bien ça le principe..."
Il huma l'air, un instant. Le parfum du lapin qui mijotait arrivait jusqu'à eux, luttant contre le parfum du bois brûlé et celui de leur verre de vin.
" Sinon, tu as raison, je pense qu'il est préférable que nous dormions ensemble. Pas dans le même lit, bien sûr, mais il y a sûrement des chambres adaptées... Au pire, je tirerai un matelas jusque là."

[Voyageuse]

Elle se sentit rougir légèrement.
" Oh... Ce n'est vraiment pas un souci... Peu importe."
Elle haussa les épaules. Ils en reparleraient le moment venu. Il pouvait interpréter cela comme une simple preuve de confiance, après tout, ou le fait qu'elle se trouvait totalement à l'aise avec lui. Bien sûr, c'était dans ses bras qu'elle voulait dormir, et pas juste tout près... et évidemment, il mettrait cela sur le compte de la magie.

Cependant, l'objectif immédiat était de passer une bonne soirée, et elle dévia la conversation, se souvenant qu'elle avait apporté sa sacoche de soins. Elle la prit en main.
" Mais avant qu'on n'affronte ce mystérieux danger... tu avais mal aux pieds tout à l'heure. Est-ce que ça va mieux ? J'ai un baume, là-dedans, je peux te soigner s'il faut... ou tout à l'heure si ça peut attendre."

[Galathée]

" C'est juste que les bottes étaient un peu petites pour moi... Depuis que je les ai enlevées, tout va bien."
Il montra un des placards du doigt.
" J'en chercherai des meilleures demain... J'ai paré au plus pressé."
Il eut un léger rire.
" Je n'ai pas des pieds de princesse ! Ils en ont vu d'autres !"

[Voyageuse]

" Oh, je me doute que tu as vu pire... Mais puisque tu as une soigneuse à ta disposition, profites-en, n'hésite pas, je suis à ton service ! "
Elle fit mine de s'incliner, et sourit.
" Bon, mais peut-être qu'en tant que prince fey, tu es habitué à avoir une armada de serviteurs ! Je fais pas le poids... Mais j'espère que tu trouveras des bottes à ton pied demain. Et qu'on n'aura pas trop d'ennuis pour tout ça, aussi. Imagine que les propriétaire des lieux débarquent..."

[Galathée]

" Il faudra qu'on rembourse, d'une manière ou d'une autre... On en parlera dans la prochaine auberge. Je ne sais pas bien comment on pourra faire... Je n'ai plus mon sac et Kimik s'est enfuie avec pas mal de choses... Hum. Mieux vaut ne pas trop y penser, ça ne nous aidera pas à profiter d'une nuit sereine."
Il s'étira, la mine pensive.
" Je mangerais bien, je dois dire. Tu crois que ton lapin est cuit ?"

[Voyageuse]

" Oui, je pense qu'il doit être cuit. Après, c'est le genre de plat où plus ça mijote, meilleur c'est... Mais on ne va quand même pas attendre toute la soirée !"
Elle se leva, et lui tendit la main dans un geste spontané, pour le guider par le bras.
" Viens, j'ai préparé une petite table, juste là... Prend ton verre, ça se marie bien avec, tu verras !"
Il y avait des siècles, lui semblait-il -en réalité trois ou quatre ans au moins-, qu'elle n'avait pas joué à la maîtresse de maison guidant un invité. Et c'était un plaisir de l'avoir, lui, à sa table. Même si ce n'était pas vraiment sa table et qu'ils devraient reprendre la route le lendemain.

[Galathée]

Il se laissa guider avec un léger sourire puis s'arrêta à côté de la table. Il avait pris son verre de vin, mais pas la bouteille, signe qu'il n'avait nullement l'intention de s'enivrer.
" Est-ce que je dois t'aider en cuisine ?"
Vu la mine de la druidesse, il n'insista pas et s'assit.
" J'ai l'impression d'être dans une auberge... d'un autre niveau que celles auxquelles je suis habitué."

[Voyageuse]

" Hum... Je ne sais pas le niveau auquel tu es habitué... Mais il va falloir que je me montre à la hauteur !"
Elle sourit, et alla chercher sa préparation en cuisine, goûtant rapidement l'assaisonnement.
" Moi, c'est un peu le contraire, fit-elle, songeuse, en déposant le plat brûlant sur un support de bois pour ne pas abîmer la nappe. . Il y a des années que je n'avais pas cuisiné dans une vraie cuisine, sur un vrai fourneau... et encore moins pour un invité de marque !, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil pour alléger ses mots. Ça me fait une curieuse impression... "

[Galathée]

" Je suis certain que ce sera parfait."
Il huma le fumet de la casserole avec un air d'intense félicité.
" Tu es restée sur les routes ces dernières années, alors ? demanda-t-il, après qu'elle se soit rassise. De bivouac en bivouac, sans jamais avoir un toit permanent ?"

[Voyageuse]

" Plus ou moins, oui. Je n'ai pas vraiment eu de "chez-moi" depuis que j'ai débarqué sur Hélonna... ça fera trois ans au printemps. Je me suis aménagée un abri sous roche, quelque part dans les Montagnes de Fer, j'y ai passé presque un an, en solitaire, mais depuis..."
Elle haussa les épaules.
" Depuis, je bourlingue à droite et à gauche, là où le destin m'amène, avec un ou deux séjours plus long dans la capitale... et, plus récemment, dans les Pics des Orcs, avec un vieux druide qui fait mon instruction. Je passe davantage de nuits en bivouacs qu'en auberge, effectivement. J'aime cette liberté... et je n'ai pas vraiment de raison de me poser, je suppose. Mais un toit en dur, ça manque, parfois..."

[Galathée]

" Je peux imaginer. J'ai beaucoup bivouaqué moi aussi, surtout ces dernières années, mais pour moi, ça a toujours été un symbole de campagne. On monte les tentes, on allume les braseros, on déplie nos couches comme on peut... Un temps au front, parfois plusieurs années, même si cela ne signifie pas grand chose à mon échelle... et puis retour dans les châteaux et les palais."
Il haussa les épaules.
" Même si ça fait un certain temps que je suis dans ce Plan, je continue à avoir la sensation que ce mode de vie est temporaire... et symbolique d'une situation de crise..."
il eut un sourire.
" Après, trois ans, ce n'est rien... et tu es toujours en apprentissage... même si je suppose qu'un druide, par essence, bivouaque à tout jamais."

[Voyageuse]

" Ça dépend des druides. Certains restent itinérants, d'autres se fixent à un endroit, parfois pour veiller sur un bosquet sacré, parfois pour simplement veiller à l'équilibre entre les peuples civilisés et la nature. Mon mentor a une sorte de cabane dans les bois, il est plus ou moins sédentaire, même s'il veille sur un large secteur et qu'il part souvent en expédition sur quelques jours. On a la chance d'être très libres... et on peut aussi choisir en fonction de nos aspirations du moment. Même l'apprentissage, on le poursuit à notre rythme. Par exemple, mon apprentissage des bases touche à sa fin, mais je pourrais le poursuivre, ou simplement revenir ponctuellement prendre conseil auprès des plus anciens, en fonction de mes besoins et aspirations. Je ne sais pas vraiment ce que je vais faire, d'ailleurs. Je suis un peu à la croisée des chemins... Je dois explorer un peu ces montagnes, pour achever mon apprentissage, mais ensuite, je ne sais pas."
Elle leur servit à chacun une part de lapin et de légumes.
" Mais toi, c'est normal que tu te sentes toujours comme en campagne. Treize ans, à ton échelle, ce n'est pas grand-chose. Et ici, la vie va à un autre rythme, tu dois avoir l'impression que tout est éphémère."

[Galathée]

" Assez bien, oui. Mais en même temps, un jour est un jour, une heure est une heure. Simplement... quand on a en déjà vécu des millions, je suppose que l'esprit s'adapte. Ces treize années sont passées vite et en même temps, elles sont interminables."
Il eut un sourire un peu las.
" C'est pour ça qu'entrer au service de Luménis devrait m'aider : avoir un objectif précis, ramener du sens dans ma vie... Je n'y suis pas parvenu jusqu'ici. Or c'est le coeur de mon essence, de me battre pour quelque chose. Il m'a sans doute fallu tout ce temps pour réaliser que je ne pourrais pas y échapper. Je ne pourrais pas, comme toi, être attentiste... Faire de ma vie une suite d'opportunités et de silences. Une voie m'est nécessaire pour trouver la sérénité, même si je l'atteins dans le fracas."
Il haussa les épaules.

[Voyageuse]

" Je comprends très bien ce que tu veux dire. Ce besoin d'avoir un but. Je ne suis pas attentiste, par essence. Le druidisme me permet de donner un sens à ma vie qui n'en avait plus, mais je me rends compte que ça ne suffit pas totalement. La contrepartie de cette liberté que j'aime, c'est que je ne sais pas ce que je vais faire dans les mois à venir... et ça, c'est une sensation que j'aime moins, même si je m'y adapte. Le fait de ne pas avoir de but à moyen terme, de juste se laisser porter par les événements, est un peu insécurisant. Un genre de fuite en avant. Je pense que ne pourrai pas vraiment vivre toute ma vie comme cela..."
Elle soupira.
" Mais toi, tu es en bonne voie. Tu as de la chance d'avoir rencontré ...Raevan. Surtout vu vos longévités similaires. Et puis, être au service de Lumenis, je pense que ça t'ira bien. Les gens y sont un peu plus chaotiques que ce que tu aimerais, sûrement... Mais là, tu ne seras pas dans l'armée, tu agiras en solitaire, donc tu seras moins frustré. Les valeurs qu'ils défendent sont bonnes. Et Hélonna est un chouette endroit, avec plein de zones différentes à connaître. Si tu veux, je pourrais te faire découvrir le peu que je connais..."

[Galathée]

" Peut-être, entre deux missions, si je sais où te trouver, dit-il avec un sourire. Je ne pense pas que Raevan va me laisser musarder très longtemps. Du peu que j'en ai vu, je suppose qu'il va être furieux du temps perdu en rentrant de Féérie, et qu'il aura à coeur de me mettre au travail le plus rapidement possible."
Il reprit du lapin.
" Ton ragoût est délicieux, au passage... On voit que tu as une certaine expérience de l'improvisation culinaire."

[Voyageuse]

" Merci... je passe mon temps à improviser avec le peu que j'ai, effectivement."
Elle sourit.
" Ne laisse pas Raevan t'épuiser à la tâche, d'accord ? Il a besoin de tes services, donc il respectera les limites que tu y mettras.... et puis, jusque-là, il se passait très bien de toi. Il va peut-être démarrer doucement, au contraire, le temps de te connaître..."
Elle haussa les épaules.
" De toute façon, pour le moment, il n'est pas là, et il peut très bien n'être de retour que dans plusieurs mois ! Donc profite de ta liberté d'action !", conclut-elle avec un sourire joyeux.
Martin avait raison. Il fallait espérer qu'ils reviennent le plus tard possible. Et ensuite... le revoir entre deux missions, ça lui irait très bien. Enfin... si elle ne restait pas indéfiniment à se languir d'amour sans aucun espoir. Mais il n'avait pas complètement fermé la porte à l'idée de la revoir, et cela lui réchauffait le coeur. Elle pouvait l'interpréter comme un signe... ou pas. Il valait mieux n'avoir aucune illusion.

Elle le fixa un instant, rêveuse, songeant combien elle avait envie d'être dans ses bras, puis baissa les yeux sur son assiette pour qu'il ne s'étonne pas de l'éclat qui y brillait.
Pour cette nuit, il craignait un danger, et elle devinait qu'il ne serait pas réceptif à la moindre avance, encore moins que d'habitude. Il valait mieux qu'elle se résigne à attendre. Ils n'étaient pas au bout du voyage, et Kerun n'allait pas débarquer tout de suite.
Ou peut-être qu'elle cherchait juste une bonne raison pour repousser, encore, le moment d'oser quelque chose.

[Galathée]

" J'en profite depuis treize ans... Ce n'est pas dans ma nature."
Il sourit et les resservit de ragoût.
" Mais il vaut mieux que je n'y pense pas trop. Les savoir en Féérie m'inquiète : ce n'est pas un endroit pour les gens de ce Plan. J'espère que Kaljivahu aura pu les mener directement à bon port et que seul le temps capricieux de Féérie explique le fait qu'ils ne soient pas encore rentrés. Enfin, de toute façon, ils sont hors de ma portée..."
Sur un soupir, il se leva pour aller chercher la bouteille qu'il avait laissée près du feu, puis revint.
" Cela dit, tu me sous-estimes grandement si tu penses que les tâches d'un elfe, même imaginatif, pourraient m'épuiser."

[Voyageuse]

" Oh, je me doute bien qu'il n'y a pas grand-chose qui puisse t'épuiser."
Astrée chassa l'idée qui lui venait en tête avec un sourire fugace, et reprit rapidement son sérieux, avalant une gorgée de son vin pétillant. Avec la nourriture qu'elle avait ingurgitée, il lui tournait moins la tête, juste assez pour la pousser à en dire un peu trop.
" C'est plutôt une histoire de... savoir garder un peu d'espace de liberté et de temps pour toi. Raevan va vite comprendre qu'il peut t'en demander beaucoup et tu risques de n'avoir plus un instant à toi ! Personnellement, j'espère plutôt que les trois jours qu'ils doivent passer chez le Conteur se dérouleront aussi lentement que le temps que j'ai passé là-bas, fit-elle, songeuse, le menton posé dans la paume de sa main, le coude sur la table. Parce qu'une fois qu'il t'aura mis le grappin dessus, je ne sais pas s'il te lâchera dans les vingt prochaines années... ni si je pourrai profiter à nouveau de ta compagnie. Ou alors, il faut peut-être que je le convainque que je peux te servir de guide pour visiter l'île. Ça n'est pas gagné."

[Galathée]

" Et ce n'est pas souhaitable, en effet." dit le mercenaire, en la regardant par dessus la casserole.
Il posa sa fourchette, s'appuya à son dossier (qui protesta dans un craquement) et croisa les bras.
" Astrée, tu t'es amourachée de moi, et je ne comprends pas pourquoi, dit-il de but en blanc. Nous ne nous connaissons pas. Nous n'avons rien en commun. Tu as l'air de penser que tu pourrais trouver le bonheur à mes côtés et pourtant... c'est faux. Je suis désolé d'aborder les choses aussi frontalement, mais je m'inquiète... "

[Voyageuse]

Elle se sentit blêmir, et resta un moment la bouche entrouverte, comme un poisson hors de l'eau, manquant d'air.
" Tu... ne dois pas t'inquiéter, lâcha-t-elle d'une voix soudain éteinte. Tu... tu me plais, c'est tout... et j'étais bien dans tes bras, toute la journée... et... "
Elle ferma les yeux un instant.
" C'est pas grave. Je... Oublie ce que j'ai dit. J'aurais donné n'importe quoi pour une nuit dans tes bras... ça doit être la solitude... ou ton charme... tu es formidable... mais je suis juste une humaine, et toi un fey. Je n'aurais même pas dû y penser."
Elle se leva, un peu vacillante, luttant contre une envie stupide de pleurer.
" Bonne nuit."
Elle se détourna pour monter à l'étage, laissant son assiette à moitié pleine. Elle ne voulait pas qu'il la voie pleurer, elle ne voulait affronter ni sa compassion ni son mépris.

[Galathée]

" Astrée..."
Dimitri s'était levé et il la suivit.
" Ne t'en vas pas comme ça..."

[Voyageuse]

Elle se retourna avec des yeux pleins de larmes.
" Il vaut mieux que je te laisse seul, non ? Puisque c'est ça que tu veux, je crois... Juste continuer ta vie solitaire, sans personne à tes côtés pour te réchauffer le coeur, jamais... même pas pour une nuit ou quelques jours. Je me demande si tu restes de glace en permanence avec les femmes ou si c'est juste avec moi... quoique, il vaut peut-être mieux que je ne sache pas. "

[Galathée]

Il avait l'air parfaitement décontenancé par la manière dont les choses avaient tourné et il resta muet pendant quelques secondes.
" Je ne voulais pas t'insulter, souffla-t-il. Je pensais... qu'il était préférable que... tu saches à quoi t'en tenir... Même si... j'étais sensible... à une promesse de chaleur... Je ne serai jamais un partenaire stable. Je n'ai pas ça en moi. J'ai en moi d'aller me battre. J'y aspire. Je ne veux pas que tu t'enflammes... et ne pas être à la hauteur de tes espoirs."

[Voyageuse]

Elle le regarda droit dans les yeux, avec un début d'indignation.
" Tu crois que je ne le sais pas ? Que je n'ai pas compris ce que tu es, ce dont tu as besoin pour être bien dans ta vie ? Tu imagines quoi ? Que je voudrais te pousser à aller contre ta nature, t'enfermer dans une vie qui ne te conviendrait pas ?"
Elle soupira.
" Bon, si je veux être honnête, je n'ai pas pensé à tout ça. J'ai juste... je suis bien près de toi... et j'avais envie d'y rester... Je sais que ta vie est ailleurs... et je ne suis de toute façon que de passage dans ton existence pour un court moment. Mais..."
Elle secoua la tête, amère.
" Laisse tomber... De toute façon, ça ne sert à rien que je t'explique. Je sais que toi, tu n'en as pas envie... j'ai eu tort de l'envisager."

[Galathée]

La brusque véhémence de la druidesse eut un effet radical : son interlocuteur se referma comme une huître.
" Mieux vaut que nous en restions là, dit-il en se détournant. La nuit pourrait être longue et nous déchirer n'arrangera pas nos affaires."
Il entreprit ensuite de débarrasser la table, sans plus la regarder.

[Voyageuse]

Décontenancée, elle resta un moment immobile, les yeux fixés sur lui. Ses yeux, à nouveau, se remplirent de larmes, et elle finit par murmurer, d'une voix cassée.
" Je suis désolée... Je ne voulais pas... Tu es un homme formidable, merveilleux... et je t'aime... et je ne veux pas qu'on se dispute. C'est moi qui ai eu tort. Je n'aurais jamais dû... Je savais que je ne devais rien espérer. Je te demande pardon. Je te promets de ne plus... t'importuner".
Elle s'embrouillait dans ses mots. Elle avait honte d'avoir laissé paraître ses sentiments à un homme qui n'éprouvait rien pour elle... et elle avait honte de les éprouver... et elle souffrait d'être ainsi rejetée... et une part d'elle lui soufflait qu'elle ne savait tout simplement pas s'y prendre.

Elle inspira profondément.
" Quoiqu'il en soit... Si quoi que ce soit tourne mal cette nuit, tu peux compter sur moi, ajouta-t-elle d'une voix plus maîtrisée. N'hésite pas à me réveiller. Et tu peux dormir avec moi, évidemment... je sais que c'est uniquement par sécurité."
Elle se demandait s'il oserait partager sa chambre après ce qu'elle lui avait avoué. Mais elle n'avait aucune envie d'en discuter davantage.
Elle faillit aller l'aider à débarrasser, mais elle renonça, craignant sa réaction. Elle préféra le seconder à distance, en rangeant un peu du bazar qu'il avait mis partout, discrètement, juste pour qu'il ne se retrouve pas seul à faire tout le travail.
La discussion l'avait totalement épuisée. Elle ne tarderait pas à se coucher, même s'il était peu probable qu'elle trouve le sommeil facilement.

[Galathée]

Ils travaillèrent en silence. Bientôt, Dimitri se replia dans la cuisine et Astrée ne devina plus sa présence que par les bruits de vaisselle et d'eau qui s'en échappaient. Il n'était pas vraiment tard mais ils étaient épuisés, fruit des jours difficiles qui avaient précédé, et lorsqu'elle se replia dans sa chambre, il ne tarda pas à la suivre. Comme il l'avait annoncé, il apporta un matelas avec lui, ainsi qu'une couverture. Il ne fallut pas longtemps pour qu'ils soient l'un et l'autre couchés, et que les ténèbres ne remplacent la petite lueur vacillante de leur dernière bougie.
Au dehors, le vent soufflait dans les branches des arbres et dans les ardoises du toit, un sifflement irrégulier, parfois vigoureux, parfois tranquille, et s'il neigeait, il était impossible de le savoir. Il fit rapidement froid : la chambre n'avait pas d'âtre individuel et dépendait de la flambée du rez de chaussée pour sa température. Mais ils avaient pu dénicher une bonne couche de protections, et tant qu'ils restaient calfeutrés, cela restait supportable. Astrée jouissait en plus de la présence de Prince, petit manchon diffusant une douce chaleur auprès de sa joue.

[Voyageuse]

Elle se roula en boule sous les couvertures, cherchant un peu de chaleur, cherchant, surtout, à repousser ce sentiment de solitude intense qui lui étreignait le cœur.
Elle se sentait infiniment triste, avec le sentiment d'avoir tout gâché... mais non, elle n'avait rien gâché puisqu'il n'y avait rien à gâcher, que rien n'était possible. Elle avait juste le don de tomber amoureuse des mauvaises personnes.

Elle finit par laisser couler quelques larmes, en silence, s'interdisant le moindre reniflement pour ne pas qu'il devine qu'elle pleurait. Elle se demandait comment agir le lendemain, avec le poids de ces aveux entre eux. Il pourrait peut-être mettre cela sur le compte de son sortilège ? Mais elle lui avait dit le contraire... et pourquoi mentir ?

Cependant, elle était incapable de réfléchir, totalement recrue de fatigue. Elle avait envie qu'il la serre dans ses bras, qu'il l'aime. Entendre sa respiration si proche, mais ne pas avoir le droit d'aller se blottir contre lui, ne même pas avoir le droit d'y songer, en réalité... c'était une torture. Malgré la présence de Prince, elle avait l'impression d'avoir trop froid sous ses couvertures. Elle ne pouvait même pas suggérer de se réchauffer à deux.

Elle serra plus fort ses genoux contre elle, en position foetale, puis soupira et s'obligea à se concentrer sur sa respiration, à se détendre peu à peu. La seule chose à faire était de dormir. Demain viendrait bien assez tôt... et elle n'avait aucune envie de l'affronter.