[Commerce] Aux Joyeux Insurgés

[Voyageuse]

Autrefois simplement nommé "Le Bar de la Rue Fontaine", ce bistrot situé non loin de l'Assemblée était la propriété d'un jeune commerçant ambitieux et sans scrupules qui eut la mauvaise idée de se rallier à Morfea Nwalk, le dictateur qui mit Luménis sous sa coupe pendant plus d'un an et demi. Devenu un repaire de "Rouges", ces gardes dévoués à la toute nouvelle dictature, il fut à la libération la cible d'une de ces actions d'épuration incontrôlables qui suivent les guerres civiles.

A demi démoli, il fut reconstruit par un petit groupe de jeunes idéalistes issus des rangs de la résistance, qui lui donnèrent son nom actuel : "Aux Joyeux Insurgés".
Sa devanture de bois rouge et blanche tranche sur la pierre des bâtiments qui l'entourent, une musique joyeuse et parfois tapageuse s'en échappe en soirée, et les jeunes qui le fréquentent en ressortent parfois fort tardivement, dans des états qui leur valent souvent des rappels à l'ordre des gardes omniprésents dans le quartier. Les mauvaises langues prétendent que l'alcool, le tabac et quelques herbes aux effets euphorisant y circulent un peu trop, mais l'endroit est avant tout un lieu propice aux soirées joyeuses et bon enfant.

En milieu de journée, cependant, les discussions sont plus sérieuses, le ton est grave, parfois enflammé : la proximité de l'Assemblée amène en effet en ces lieux des débatteurs passionnés qui se targuent de maintenir vive la flamme de la résistance. En soirée, pour laisser la place à l'ambiance joyeuse recherchée par les clients nocturnes, ces militants se réfugient dans une petite salle discrète à l'arrière du bâtiment et poursuivent inlassablement leurs débats. Cependant, ils finissent presque invariablement par revenir dans la grande salle se mêler aux fêtards du soir pour célébrer leurs accords ou désaccords.

*********

RP : crise politique

Jordin et Marie ne mirent qu'une petite dizaine de minutes, depuis la Caserne de la Garde attenante au Fort, pour parvenir devant l'immense amphithéâtre abritant l'Assemblée du Peuple Lumenien. Sans s'y arrêter, Marie obliqua vers l'est, pénétrant dans une petite ruelle étroite où, comme promis, se trouvaient quelques auberges d'allure plutôt populaires. Le soleil déclinait et les premiers clients y faisaient leur entrée. La luménienne avançait avec assurance : ce n'était visiblement pas sa première visite en ces lieux.
" C'est ici", fit-elle en désignant le petit troquet à la devanture rouge.
Par la porte grande ouverte, on apercevait une grande tablée tout au fond de la pièce, rassemblant une petite dizaine de convives autour de grandes pintes de bière. Plusieurs tables plus petites étaient disposées sur la gauche, ornées de nappes rouges et de serviettes à carreaux rouges et blancs, la plupart encore inoccupées. A droite, une estrade était montée, attendant probablement des musiciens ou un spectacle quelconque.

[Vel Cheran]

Jordin jeta un œil à la devanture.

"J'espère que le mot insurgés n'a pas le même sens ici que pour le patron de l'auberge de toute à l'heure..." lança-t-il avec une pointe de sarcasme.

[Voyageuse]

Marie secoua la tête avec un sourire joyeux.
" Les insurgés d'ici sont tout à fait fréquentables! Je peux te les présenter, même... du moins ceux que tu vois attablés là-bas. Il y a parmi eux deux anciens membres actifs de la résistance durant la dictature... et un ami à moi très investi auprès des réfugiés melandiens... "
Un homme d'une quarantaine d'années se tourna vers eux.
"Marie ! Tu bois une mousse ? Et tu nous présente ton ami? Enfin, sauf si vous voulez rester en tête-à-tête..." ajouta-t-il avec un sourire taquin.

[Vel Cheran]

Vue l'ambiance et les propos de Marie, Jordin décida de prendre la boutade à la légère et eut un petit rire en réponse.

"Au contraire, c'est toujours plus sympa de boire une bière avec de nouvelles têtes", répondit-il. "Je m'appelle Jordin, fraîchement arrivé du continent. Et j'ai la gorge sèche !"

[Voyageuse]

" Enchanté, moi c'est Marco! Et voici Pierre et Jules...
- Ce sont deux héros de la Résistance, assura Marie avec ferveur
- Faut pas exagérer, on a juste donné un coup de main!
- Et voici Sara, Lucas et Lucie, et aussi Yoann..."
Les personnes désignées hochaient la tête à tour de rôle avec un sourire. Ils formaient un petit groupe hétéroclite: Lucas et Lucie étaient les plus jeunes, une vingtaine d'années environ et probablement frère et sœur, tandis que Pierre et Sara, les plus âgés, devaient avoir à peu près l'âge de Jordin et Marie. On leur tira deux chaises à l'extrémité de la table, près de Marco et de Jules, et le premier fit signe au serveur.
"Nous étions en train de discuter de ce Macchel qui se présente aux élections... avec ses Foulards Blancs qui soi-disant œuvrent en faveur des Lumeniens les plus modestes, il devient trop populaire. , expliqua Jules.
-Et comme il est le seul pour le moment à sembler se préoccuper du sort des quartiers est...
- Y'a aussi Dame Lathiriel, protesta Sara.
- Elle fait partie des sortants... Les jeunes voteront pour des nouvelles têtes...fit remarquer Lucas.
- Hum... on devrait peut-être changer de sujet ? Notre invité du jour n'est peut-être pas passionné de politique locale! Vous n'êtes pas d'ici si j'en juge par votre accent..."

[Vel Cheran]

Jordin fit un geste de la main les invitant à poursuivre.

"Désolé, Marco, mais je me dois de vous contredire de nouveau", répondit-il en souriant, "la politique luménienne est un sujet qui m'intéresse. Je viens du continent, à l'est d'ici : peut-être avez-vous entendu parler d'Amn, ou d'Athkatla ? Si ce n'est pas le cas, je comprendrais, c'est un sacré voyage pour venir jusqu'ici."

Posant un coude sur la table, il se passa la main sur le crâne.

"J'ai donc été assez triste d'apprendre que, dans une aussi belle cité, je retrouverais des manipulateurs cyniques tels que ce Macchel. C'est regrettable."

[Voyageuse]

Marie gloussa.
"Tu ne sais pas dans quoi tu t'engages, Jordin! Parler politique avec eux... C'est un peu comme si tu suggérais à un pêcheur local d'aller jeter quelques filets. C'est leur activité permanente, jour et nuit!
- Je proteste! On fait aussi d'autres choses bien plus agréables la nuit!
-On veut pas le savoir, le coupa Sara, déclenchant quelques rires parmi les convives.
-Un peu de sérieux, voyons! protesta Pierre avec bonne humeur. On a deux soucis sur les bras. La popularité de ce Macchel, et le fait qu'aucun candidat ne semble réellement prendre en compte les besoin du bas peuple... J'attends vos idées!
- Bah... tu devrais te présenter, toi ! En tant que héros de la résistance... je suis sûr que tu aurais des soutiens. Et tu amènerais les débats sur les sujets importants!
- Ne dis pas n'importe quoi. Avant la Résistance, j'ai tout un passé disons... plus trouble. Je ne suis absolument pas présentable politiquement.
- Il faudrait d'abord consacrer nos efforts à discréditer Macchel. Le reste viendra ensuite.
La discussion s'interrompit un instant comme l'aubergiste s'approchait, servant généreusement une pinte de bière légère à chacun, Jordin y compris. La petite tablée ne semblait pas se préoccuper vraiment de sa présence, agissant comme s'il était membre de leur groupe -sans doute Marie l'était l'était-elle.
- Ce n'est pas gagné, commenta Marco avec un soupir.
Il y eut un moment de silence, chacun plongé dans ses pensées. Un couple entra, s'installa à une table. Il était bien sûr trop tôt pour espérer des nouvelles de la Garde.

[Vel Cheran]

D'un regard, Jordin tenta de signifier à Marie qu'elle était libre de décider si elle voulait évoquer leur enquête en cours à cette tablée. Mais il n'avait aucun moyen d'être certain d'avoir été compris : ce n'était pas comme s'ils se connaissaient depuis longtemps.

Il décida donc de remonter un peu le fil de la conversation.

"Avant de désigner un candidat, encore faut-il se décider sur un programme. Les idées avant les personnes, n'est-ce pas le meilleur moyen d'éviter les cavaliers seuls et les tensions au sein d'un groupe ?"

En tous cas, il avait vécu l'inverse, et la déception avait été à la hauteur de ses espoirs.

[Voyageuse]

" Voilà de sages paroles, commenta Pierre avec un sourire approbateur.
- Oui mais le programme, pour nous, il est clair! Réhabiliter les secteurs les plus défavorisés de la ville... ce genre de grands travaux permet de créer de l'emploi pour ceux qui y vivent.
- Les bourgeois des quartiers sud n'imaginent même pas qu'on a encore des égouts à ciel ouvert... ajouta Sara.
- Et même, dans certains secteurs, aucun assainissement! C'est inadmissible dans une ville comme la nôtre!
- C'est important pour cela de ne pas laisser le pouvoir aux seules mains des nobliaux locaux, et de donner vraiment la parole au peuple..."

[Vel Cheran]

"Au peuple, ou à ceux qui parlent en son nom ?"

Se morigénant intérieurement, Jordin se reprit.

"Excusez-moi, je ne voulais pas me montrer désobligeant, bien au contraire. Je voulais seulement dire que... Si on veut que la parole du peuple soit entendue, le mieux est de la leur donner directement, et ce dès la campagne. C'est sans doute le meilleur moyen de montrer sa bonne foi à ce sujet, je pense. Ainsi, le peuple saura que... vous souhaitez leur bien-être et n'êtes pas là à des fins carriéristes."

Il avait hésité une seconde sur le "vous", sur le point de dire "nous" avant de se rappeler qu'ils ne se connaissaient pas une heure plus tôt.

[Voyageuse]

Un silence pensif accueillit sa déclaration.
"Et comment qu'on s'y prendrait pour donner la parole au peuple ?, questionna Yoann. Non parce que c'est bien beau comme idée, mais dans le concret, vous faites comment ?"
- Je croyais que les élections étaient justement le moyen de donner la parole au peuple, observa Marie.
- N'empêche que dans l'absolu, il n'a pas tort....
- Effectivement. Y'en a marre des politiciens qui confisquent la parole du peuple en prétendant parler en son nom !
- Vous donnez l'impression d'avoir beaucoup réfléchi à la question, observa Pierre, pensif. Peut-être venez-vous d'un pays où la tradition démocratique est plus ancienne que chez nous... Parce que donner la parole au peuple, c'est un beau principe de base, mais la mise en application est complexe, comme le remarque Yoann..."

[Vel Cheran]

Le moine laissa échapper un petit rire et haussa les épaules.

"À Athkatla, la démocratie n'est pas très développée. Mais j'ai réfléchi à la question depuis de nombreuses années."

Il but une gorgée de bière, et enchaîna rapidement :

"J'ai participé à un coup d'état quand j'étais jeune, on a voulu mettre en place une démocratie mais ça s'est transformé en dictature. Ça fait, quoi... facilement trente ans que je cherche à comprendre ce qui a foiré et comment l'éviter si une situation similaire se reproduisait."

Gêné d'avoir évoqué son passé, il poursuivit :

"La première chose, je pense, c'est d'aller parler aux gens, de les écouter et de leur proposer de participer à la vie politique. Entendre leurs problèmes avant de venir avec des solutions toutes prêtes. Puis, dans un second temps, organiser des discussions publiques - pas forcément des débats, où chacun essaie à chaque fois de défendre son opinion au lieu d'écouter les autres, mais plutôt des genres de groupes de parole, des ateliers de réflexion, tout ça en impliquant au maximum des gens du peuple, de la roture. Avec tout ça, on devrait pouvoir non seulement récolter une liste de problèmes mais aussi des pistes de solutions, ainsi que des gens intéressés pour s'investir dans la politique. Le troisième temps est d'impliquer ces gens motivés pour écrire un programme, dans lequel on n'oubliera pas de continuer ce travail de consultation et d'implication populaire. De cette façon, le pouvoir ira au peuple et non à une élite élue."

[Voyageuse]

Son récit ne fut pas interrompu, et à en juger par l'exclamation qui accompagna son aveu, son public du moment jugeait l'histoire passionnante.
" C'était où, ce coup d'état ?
- Vous avez vraiment renversé un gouvernement ?"
Les deux questions avaient fusé un même temps des deux plus jeunes de l'équipe, et Pierre leva une main apaisante pour ramener le silence.
" Votre idée est intéressante, fit-il lentement. Mais... mettre en place tout ça tout ça en moins de trois mois... ça va être difficile !
- Hey ! Tu vas quand même pas le laisser esquiver nos questions !
- Il n'a peut-être pas envie de raconter..., fit doucement Marie. Et puis, franchement, je crois qu'on a eu notre compte de coups d'état à Lumenis, vous ne croyez pas ? L'idée, c'est de se battre sur le plan des idées désormais..."

[Vel Cheran]

Jordin soupira. Il regrettait d'en avoir parlé, car cela réveillait des souvenirs douloureux. Tous ses amis d'enfance, perdus à jamais dans ce désastre, cette démocratie idéale qu'ils avaient cru pouvoir instaurer mais qui n'avait été qu'une dictature répressive. Salazar Falone, que ton nom soit maudit jusqu'à la fin des temps.

Sentant les regards sur lui, le moine se reprit. Il sentit qu'il en avait de toute façon trop dit, et qu'il devait au moins répondre, ne serait-ce que superficiellement, histoire d'étancher les curiosités.

"C'était loin d'ici, dans ma contrée d'origine, sur le continent. Mais c'est vraiment de l'histoire ancienne. J'ai l'impression que la révolution qui a eu lieu à Luménis a bien mieux réussi, en tous cas."

Il ajouta à l'attention de Pierre :

"C'est certain, le temps presse. Peut-être que la deuxième étape peut attendre après les élections. Mais inscrire dans le programme du parti un moyen de consultation et d'implication populaire dans ce genre serait peut-être une idée, non ?"

[Voyageuse]

Les deux plus jeunes -et enthousiastes- de ses interlocuteurs parurent un peu frustrés d'un récit si succinct, mais Pierre, le plus âgé de l'équipe, embraya aussitôt sur sa dernière phrase, ne leur laissant pas le temps de poser des questions complémentaires.
" C'est une bonne idée en effet.
- Avoir des idées, c'est bien, mais trouver comment les faire connaître, c'est mieux, fit observer Marco, pensif.
- C'est vrai qu'il faut pouvoir faire connaître notre programme. On peut coller des affiches... Mais beaucoup ne savent pas lire...
- Il faut des crieurs publics... organiser des réunions... ou peut-être avoir un réseau de contacts dans les quartiers, qui relaieraient nos idées ?", proposa Sara
Chacun se tut un instant, pesant ces propositions ambitieuses.
" C'est quoi, un parti ?, questionna alors la moins bavarde du groupe, la jeune Lucie. Vous avez parlé du programme du parti..."

[Vel Cheran]

Jordin prit un air surpris.

"Il y a des élections mais pas de partis politiques ? Remarquez, c'est peut-être une notion typique de ma région d'origine. Et, quand j'y pense, elle n'est pas non plus très répandue là-bas. Bref. C'est un terme qui désigne, disons, un regroupement de personnes ayant des idées politiques communes et souhaitant s'associer durablement dans un but électoral. J'ai un peu l'impression que c'est déjà ce que vous faites, sans avoir formellement mis un nom dessus."

[Voyageuse]

" Peut-être, oui, si on veut.... Mais effectivement, nous n'avons pas de parti formalisé, tel que vous le décrivez. Traditionnellement, Maelwedd avait le soutien de l'armée, Longuehune celui de la marine marchande, Dame Lahiriel celui des mages et aussi des commerçants... mais ce n'est pas systématique, il ne s'agit pas de ce que vous appelez un parti. L'organisation des Foulards Blancs s'en rapproche un peu plus... mais c'est encore différent, ils sont considérés par une partie des gens comme une organisation caritative au profit des quartiers est...
- C'est ce qu'ils essaient de faire passer comme message en tout cas", acquiesça Marie.

Ils furent interrompus par un raclement de gorge : l'aubergiste s'était approché de la tablée, l'air un peu embarrassé.
" La soirée avance... Puis-je vous suggérer de passer dans la pièce d'à côté ?
- C'est là qu'on va quand on veut discuter tranquillement pendant qu'ils font la fête ici, expliqua Marie en aparté à Jordin. Mais ce soir, ce n'est pas une bonne idée : on risque de louper notre rendez-vous si on quitte cette pièce..."
Le petit groupe s'était levé avec un bel ensemble, sans se formaliser de l'interruption, et chacun prenant son verre en main. Jordin put observer que la salle s'était remplie peu à peu, et que des musiciens s'installaient sur la petite estrade. A en juger par son estomac, il était l'heure du dîner.

[Vel Cheran]

La discussion intéressait vraiment le moine, qui regretta un instant leurs obligations. Mais il se reprit vite : leur enquête était importante, et pourrait avoir par ailleurs un impact non-négligeable sur la vie politique locale si leurs soupçons étaient avérés. Dans un sens, cela valait aussi bien que de discuter campagne électorale et réunions populaires.

"Tu as raison, restons bien visibles de l'entrée."

Il dût admettre en son fort intérieur que le naturel revenait au galop : bien des années avaient passé depuis le coup d'état de Quorngar, et pourtant les questions politiques continuaient de le passionner. Comme s'il cherchait à réparer quelque chose. Comme si aider d'authentiques idéalistes à accéder au pouvoir par les urnes et non par la force pouvait effacer les remords qui le rongeaient depuis.

"On n'a qu'à commander à manger. J'espère qu'ils ne tarderont pas trop quand même, sinon notre suspect va s'envoler dans la nature... Sympas, tes amis, en tous cas", ajouta-t-il sans transition, sur le ton de la conversation.

[Voyageuse]

" Oui, ils sont bien, acquiesça Marie. Pour toi qui viens d'arriver en ville, ça peut te faire quelques contacts intéressants à connaître. Ils sont souvent là en début de soirée, et, comme tu vois, ils s'ouvrent facilement à tout nouvel arrivant, pour peu qu'on partage les mêmes valeurs. Quand il y a une animation, l'aubergiste nous installe à côté pour qu'on puisse continuer à discuter pendant que les autres clients font la fête. Et ils ne loupent jamais un débat à l'assemblée ! Ils aiment bien titiller les conseillers au pouvoir sur leur politique, les décisions qui leur semblent poser problème... Ils commencent à être un peu connus, là-bas..."

L'aubergiste s'était éclipsé quelques instants pour amener des plats dans la pièce voisine : le petit groupe de débatteurs aurait de quoi se remplir la panse. Il revint prendre leur commande, leur laissant le choix entre une volaille rôtie ou un plat de poisson, le tout accompagné de légumes, fèves et fromages.
Pour le moment, nul ne venait les interrompre : il fallait sans doute un peu de temps pour que l'information circule au sein de la hiérarchie de la Garde et que des décisions soient prises.

[Vel Cheran]

"L'Assemblée est donc en accès libre ? Comment fonctionne la politique dans la cité, d'ailleurs ? Je me rends compte que je me suis improvisé en donneur de leçons alors que je ne connais pas vraiment la situation..."

[Voyageuse]

Marie acquiesça.
" Oh, ce n'est pas un problème. Je pense qu'on peut beaucoup apprendre d'autres systèmes que le nôtre, même si je sais que les démocraties ne sont pas très répandues... Et donc, ici, on a trois conseillers, élus pour trois ans. Actuellement il s'agit de la directrice de l'école de magie, Dame Lathiriel Dithazir, une elfe. Ainsi que Théobald Longuehune, un amiral de la marine marchande, et Gareth Maelwedd, le général qui dirige notre armée. Avant, on avait un clerc, mais il a démissionné. Et encore avant... ben, c'était la dictature."
Ils furent interrompus par l'aubergiste qui leur apportait leurs assiettes. Sur scène, un musicien commença à jouer une mélodie à la harpe pour accompagner le repas. Deux couples entrèrent, s'installant à une table. Ils savourèrent un moment leur dîner -délicieux-, puis Marie reprit ses explications.
" Pour répondre à ta question, l'assemblée est ouverte au public une fois par semaine. Tout citoyen peut poser des questions par écrit dans les jours qui précèdent, et ils y répondent durant la séance. Il y a même un écrivain public pour ceux qui ne savent pas écrire leurs questions...."

Une jeune femme venait d'entrer à son tour. Elle parcourut la salle des yeux et s'avança dans leur direction. Blonde et souriante, vêtue de vêtements tout à fait ordinaires, elle avait une démarche souple et féline qui laissait deviner à Jordin qu'elle n'était peut-être pas aussi inoffensive qu'elle le paraissait.
" Vous êtes Jordin et Marie ?"

[Vel Cheran]

Jordin hésita un instant : elle n'était pas en uniforme, et les avait appelés par leurs prénoms. Mais avaient-ils décliné leurs patronymes devant l'officier ? Et n'était-ce pas logique d'éviter de se faire remarquer si leur "mission" n'était pas officielle ?

Quoi qu'il en soit, il lui sembla inutile de nier, mais il se tint sur ses gardes avant de répondre.

"C'est bien nous. Et vous êtes ?"

[Voyageuse]

" Moi, c'est Inaya", répondit la jeune femme en leur tendant la main.
Elle avait des yeux bleus plein d'assurance et un sourire charmeur, et elle tira une chaise pour s'asseoir à leur table sans même attendre d'y être invitée.
Elle fit signe à l'aubergiste et se commanda une bière. Sur l'estrade, les musiciens entamèrent fort opportunément un morceau plus entraînant, couvrant largement le bruit de leur conversation pourvu qu'ils ne parlent pas trop fort.
" J'ai eu sous les yeux le rapport du capitaine Le Page. Le moins qu'on puisse dire, c'est que vos accusations sont... osées. Mais l'ensemble ne manque pas de cohérence..."
Elle parlait d'une voix presque sans timbre, suffisamment distincte pour que Jordin l'entende, mais certainement inaudible au-delà de leur tablée.

[Vel Cheran]

Jordin lui rendit sa poignée de main avec une moue songeuse.

"Ravi de vous l'entendre dire. Ça signifie que nous ne sommes pas complètement fous."

Il tourna son regard vers les musiciens, et fit mine de suivre leur rythme en hochant la tête, sans pour autant perdre le fil de la conversation.

"Et vous seriez disposée à nous laisser mener plus loin notre investigation ?"

[Voyageuse]

La jeune femme inclina légèrement la tête, en un vague mouvement qui pouvait être compris comme un hochement de tête affirmatif, ou comme l'expression d'un doute.
" Et bien... ça dépend. Que souhaitez-vous faire exactement ? Je comprends bien l'urgence puisque vous dites que l'un des protagonistes va disparaitre. Après... La garde peut très bien aller dès ce soir interroger cet homme, ainsi que le fameux témoin. Mais, si le reste de vos accusations est fondé, le simple fait d'aller les interroger, surtout aussi tard, va mettre l'organisation politique sur ses gardes. Et s'il y a vraiment un complot là-dessous, on ne tirera pas grand-chose de ces hommes : ils vont nous sortir des salades, on ne pourra rien prouver. Donc... Vous dites que vous voulez aider à investiguer... mais de quelle façon ?

[Vel Cheran]

"Déjà, si on arrive à trouver un lien entre ce témoin et les foulards blancs, ça nous permettrait de confirmer notre hypothèse. On continuera de manquer de preuves, bien sûr, mais ça serait un pas dans la bonne direction. On pourrait tenter de le prendre en filature, mais je ne passe pas vraiment inaperçu", constata-t-il avec une moue embarrassée.

"On pourrait tenter une enquête de voisinage, ou simplement surveiller son logement pour voir qui y entre et en sort... Je n'ai pas d'idée précise, on y va un peu à l'instinct depuis le début de cette enquête. Mais si vous avez des suggestions..."

[Voyageuse]

" Surveiller son logement n'apportera rien. D'après les maigres renseignements que j'ai, les membres de cette organisation se voient plutôt dans un lieu de réunion neutre, dans l'arrière-salle d'une auberge d'un de leurs fidèles soutiens, dans d'anciens entrepôts réaménagés... Je ne suis pas sûre qu'une filature nous apporte quelque chose puisque nous connaissons déjà un ou deux de leurs lieux de réunion.
- Justement, cela permettrait de savoir s'il s'y rend ?
- Oui, évidemment... "
La jeune femme, Inaya, resta un moment plongée dans ses pensées.
" Vous devez avoir conscience que quoiqu'on fasse, on ne pourra sans doute rien prouver. Même s'il s'avère que tous ces hommes sont de mèche, même s'ils appartiennent tous aux Foulards Blancs, l'organisation niera avoir le moindre rapport avec l'affaire. En avoir la certitude nécessiterait probablement de les infiltrer, ce qui est un travail de longue haleine, mais reste faisable... mais le prouver devant des juges est plus compliqué.

[Vel Cheran]

Jordin acquiesça avec un soupir. C'était la crainte qu'il avait depuis le début de cette histoire : il n'y avait que dans les romans qu'on trouvait opportunément un journal intime ou qu'on entendait une conversation inculpant directement les coupables.

"En tous cas, Marie peut témoigner de l'identité de son agresseur, et du même coup discréditer la thèse du délinquant mélandien. Mine de rien, ça porterait un sacré coup aux foulards blancs, à défaut de pouvoir prouver qu'il s'agissait d'une opération menée par l'ensemble de leur organisation."

Le moine se massa le crâne.

"Le lien qui nous manque, et que nous espérions pouvoir établir en venant vous voir, était entre le témoin et Tim. Si nous pouvons obtenir des indices solides, voire une preuve qu'ils se connaissent, cela discréditerait totalement son témoignage et accréditerait l'hypothèse du coup monté pour créer un ressentiment envers les immigrés. On n'arrivera jamais à relier ça à Macchell - d'ailleurs, il n'est peut-être même pas au courant de cette initiative - mais si on arrive à discréditer les auteurs de l'agression alors on aura rétabli un peu de justice dans le quartier. Donc si on établit que ce témoin appartient aux foulards blancs, c'est dans la poche."

[Voyageuse]

" Si on ne peut pas passer par la justice pour les condamner... et bien, on peut faire savoir la vérité par la presse, fit remarquer Marie, les sourcils froncés. Comme tu dis, ça pourra au moins les discréditer... Rien que le fait de prouver qu'il n'y a pas de mélandien dans l'histoire, et de laisser entendre qu'on les a accusés sciemment, ça permettra au moins de dévoiler leur vrai visage"
Inaya leva les mains en secouant la tête.
" Moi, je ne veux rien avoir à faire avec tout ça, je ne veux rien savoir ! Je dois rester politiquement neutre, vous comprendrez bien. Faire du tort à un groupement politique sur des rumeurs, même très probablement fondées... personne ne pourra soutenir cela officiellement. Vous serez seuls à l'assumer"
Puis elle sourit plus largement, et reprit, à voix basse.
" Mais, à titre non officiel... je mettrai à votre disposition les informations dont vous avez besoin. J'ai l'accord de mes supérieurs... mais bien sûr, ils nieront toute implication."

[Vel Cheran]

Jordin acquiesça avec un sourire en coin.

"Bien entendu. Tout ceci restera entre nous."

Il se gratta le menton, pensif.

"Si on avait l'adresse de ce témoin et du lieu de réunion des foulards blancs le plus proche de chez lui, on pourrait peut-être confirmer qu'il est l'un des leurs. Ou bien, encore mieux : trouver un journaliste suffisamment intègre pour aller là-bas enquêter à notre place. Ça permettrait d'ajouter du crédit à nos propos, plutôt que de lui demander d'écrire un article entier sur notre seule bonne foi."