La Couronne de Cuivre

Il chemina donc au hasard des couloirs, guettant les bruits de ses poursuivants. Mais ceux-ci, soient n'étaient pas parvenus à le suivre, soit savaient se montrer extrêmement discret : il n'entendait absolument rien d'inquiétant. Un glissement, parfois, le frôlement de pas sur la roche, trop ténu pour être localisé, mais qui l'incitait à la prudence.
Les galeries formaient un véritable labyrinthe : il retomba sur un couloir dans lequel il était déjà passé, et obliqua dans un autre où il était certain de ne jamais s'être aventuré, étroit et sinueux, où il pourrait facilement s'embusquer, soit au détour d'un virage, soit à l'une des intersections qui le jalonnaient, pour la plupart très étroites.

Il choisit de s’embusquer en se plaquant contre l’une des parois vers le milieu du couloir : cela diminuait les possibilités à l’ennemi de le trouver. Il n’avait aucun doute sur le fait qu’ils finiraient par passer dans ce couloir mais les laisser courir un peu en tous sens était de bonne guerre : qu’ils s’épuisent un peu pendant que lui-même se reposait… La nuit promettait d’être longue.

L'attente commença, silencieuse. Ses ennemis connaissaient certainement le labyrinthe bien mieux que lui, et sauraient le fouiller de façon méthodique. Mais cela lui laissait au moins un moment pour se reposer.
Il n'entendait quasiment pas de bruit. Un léger piétinement de rongeur. Le cri atténué de quelques chauve-souris, dérangées quelque part au loin. De temps en temps, un frôlement évoquant le déplacement silencieux d'une personne, qui le mettait sur ses gardes. Mais soit il s'agissait de fausses alertes, soit ses adversaires avaient obliqué dans une autre galerie sans venir jusqu'ici.
Puis il eut la sensation de percevoir une présence silencieuse, non loin, dans le couloir. Tous les sens aux aguets, il n'entendait aucun bruit... Mais il vit soudain deux yeux jaunes briller dans l'obscurité, et disparaître -s'enfuir- aussitôt.

Il fallait s’y attendre : certains des malarites avaient des familiers, un autre avantage dont ils pouvaient profiter pour le pister… Se sachant repéré et rendu nerveux par cette longue et angoissante attente, le demi-elfe choisit de bouger. Lentement, sans geste brusque qui pourrait le trahir. Il voulait se trouver une autre galerie en retournant vers les premières zones où il s’était montré. C’était certainement l’endroit où les malarites le chercheraient en dernier.

Il avança sans encombre, d'une galerie à l'autre. Mais les galeries se croisaient et s'entrecroisaient sans la moindre logique, et il n'avait bien sûr guère pris le temps d'observer les lieux durant sa fuite. Son projet de retrouver le lieu où il avait attaqué le premier malarite n'était pas si évident.
Se déplacer avait l'avantage de brouiller davantage ses ennemis, s'il parvenait à rejoindre sans être détecté des lieux qu'ils avaient déjà exploré. Mais il lui fallait se montrer extrêmement prudent, silencieux, discret, avancer pas à pas...
Il finit par rejoindre enfin un couloir qu'il crut reconnaître comme étant tout proche de celui où il avait tué le malarite -et donc peu éloigné, également, des escaliers menant vers l'étage supérieur. Il y avait, là aussi, des galeries plus étroites où il pouvait s'embusquer.

Et c’est ce qu’il choisit de faire en redoublant encore de prudence : il y avait le risque que sa manœuvre soit anticipée. Les malarites étaient nombreux – sans doute au moins une douzaine – aussi avaient-ils les moyens de laisser des guetteurs un peu partout. Il ne pouvait qu’espérer que ses premières attaques plus ou moins couronnées de succès les aient amenés à se regrouper un tantinet et donc à couvrir moins de terrain.

Et l'attente recommença, longue, silencieuse, nerveusement épuisante puisqu'il lui fallait être sur ses gardes.
Il finit néanmoins par deviner un mouvement, le glissement de pas dans un couloir tout proche. Le bruit, extrêmement ténu, semblait approcher de lui. Mais le déplacement était trop discret pour qu'il puisse savoir s'il s'agissait d'un individu isolé ou, comme il le pressentait, d'un groupe... et, dans ce cas, de combien d'individus il se composait. Si son estimation était bonne, ils allaient surgir dans le couloir où il se trouvait par l'une des galeries transversales, à quelques toises seulement de lui, mais au-delà d'un virage qui le dissimulerait à leur vue.

Il était trop tard pour bouger et le rôdeur commençait de toute façon à en avoir assez de ce jeu du chat et de la souris. En tous cas d’incarner le rôle de la souris. Il attendit donc sans aucun mouvement, espérant pouvoir évaluer la menace que représentaient ces arrivants avant qu’ils ne le repèrent. Peut-être serait-ce le bon moment pour mettre en pratique l’idée qu’il avait eue plus tôt. Il s’agissait d’un coup de poker mais il était obligé de prendre des risques : jouer le jeu des malarites en essayant de se terrer ou de fuir toute la nuit ne pouvait conduire qu’à une seule issue. Tôt ou tard. Il fallait donc se montrer plus offensif et réduire un peu la pression du dispositif ennemi.

Il devina, au crissement de la roche sous un pas, qu'ils approchaient, et se tint prêt.
Il n'y eut plus aucun bruit. Peut-être écoutaient-ils eux aussi ? Peut-être avaient-ils perçu sa respiration ?
Puis, d'un coup, un homme apparut au détour du virage, dague en main, les yeux scrutant l'obscurité derrière son casque...

Kasumi choisit cet instant pour mettre son plan à exécution : dans un même mouvement, il chargea son adversaire et invoqua le pouvoir de son épée. Il misait sur le fait qu’une lumière intense pourrait saturer le dispositif de vision nocturne et l’aveugler. Dans le cas contraire, il aurait au moins un semblant d’initiative et quelques instants avant de se retrouver à affronter ses compagnons malarites.

Il était difficile de savoir si l'homme avait été aveuglé, mais il fut en tout cas surpris par la brusque apparition d'une lumière vive et, par réflexe, bondit en arrière, écrasant certainement au passage le pied de celui qui le suivait à en juger par le juron qui s'ensuivit.
Kasumi bénéficiait donc d'un effet de surprise total. Mais il avait beau y être préparé, se retrouver d'un coup en pleine lumière après tout ce temps dans l'obscurité le fit cligner des yeux, et le coup qu'il porta, imprécis, ne fit qu'effleurer l'homme. Celui-ci, tout en arrachant son casque, avait en effet reculé d'un bon mètre. Mais il était encore aveuglé -tout comme celui que Kasumi devina derrière lui- et Kasumi disposait en effet de l'initiative.

Une nouvelle fois, le demi-elfe n’avait pas l’intention de faire dans la dentelle : il ne disposait sans doute que d’une opportunité. Que d’un seul coup pour toucher son adversaire et le mettre hors combat. Il frappa donc en y mettant bien plus de force que de finesse, visant le haut du corps par un coup de taille en biais. Il risquait un peu d’être déstabilisé par son élan mais sans doute bien moins que ses adversaires. En espérant qu’il n’en attendait pas d’autres derrière l’intersection.

Son coup porta, et le sang gicla. La blessure était peut-être mortelle, ou en tout cas suffisamment grave pour mettre le malarite hors de combat. Mais à peine avait-il retiré son épée de la chair qu'il entendit le son d'un cor, juste derrière l'homme. Il apercevait un autre de ses adversaires, suivi par un troisième homme, rangeant d'un mouvement fluide le cor par lequel il venait de signaler sa position. Et s'apprêtant, probablement, à l'attaquer : ses yeux étaient fixés sur lui, non sur son camarade gisant sur le sol.

Ce cor allait immanquablement attirer d’autres malarites dans les prochains instants. Mais il ne pouvait pas se contenter de fuir au risque d’avoir deux ennemis juste dans son dos : il prit donc l’initiative d’attaquer le malarite au cor pour tenter de le retarder et de gagner quelques précieuses secondes. Il frappa d’un coup latéral au niveau des jambes tout en profitant de son élan pour débuter une course dans l’autre sens, direction la galerie la plus proche. Evidemment, il ordonna à sa lame de cesser de briller.

Son adversaire, souple comme une anguille, évita le coup, mais le mouvement lui fit perdre quelques instants, et la subite obscurité, l'obligeant à rajuster son casque, lui en fit perdre quelques autres.
Kasumi put donc atteindre la galerie la plus proche, s'y engouffrer, rejoindre une autre intersection et tourner à gauche avant d'être vu, puis ralentir le pas pour plus de discrétion. En tendant l'oreille, il perçut, comme il s'y attendait, des pas provenant du tunnel qu'il venait de quitter, se rapprochant de sa position. Mais les malarites passeraient certainement tout droit sans le voir, cherchant à rejoindre l'endroit où le cor avait sonné, jusqu'à ce qu'ils se trouvent face à ceux que Kasumi venait de fuir.

Kasumi décida de profiter de cet instant de confusion toute relative pour s’éloigner encore, espérant que les mailles du filet se soient desserrées du fait de cet appel vers lequel convergeraient les groupes les plus proches. Peut-être parviendrait-il même à changer d’étage ou à se rapprocher d’une sortie. Il privilégia tout de même la discrétion à la vitesse pour ne pas donner bêtement sa position à d’autres malarites embusqués.

Il s'éloigna petit à petit, silencieusement. Il entendit quelques bruits de voix lorsque les deux groupes se rencontrèrent, puis plus rien. Sans doute avaient-ils repris la traque. Mais il était déjà suffisamment loin et tant qu'il restait silencieux, il n'était pas en danger immédiat, à moins de jouer de malchance. Un peu plus loin, cependant, il lui sembla percevoir d'autres bruits de pas, ténus, discrets, dans une galerie voisine. Il devait rester prudent.
Pas à pas, silencieux comme une ombre, il parvint néanmoins à s'éloigner du lieu où se trouvait -s'il présumait bien- une bonne partie des malarites. Guetter en permanences des indices de présence était épuisant, et il ignorait depuis combien de temps il se cachait ainsi, mais il commençait à ressentir une certaine fatigue.

C’était inévitable : la fatigue était sa plus grande ennemie dans cette épreuve. Bien plus que de parvenir à se cacher ou affronter les malarites en combat. Avec la fatigue, il perdrait de sa lucidité, de sa capacité à se battre aussi. Il commettrait des erreurs. C’est pour cela qu’il devait absolument garder l’initiative.

Qu’il lui faudrait aussi bientôt quitter les souterrains : en forêt, il avait une chance de se trouver un abri pour récupérer. Les bois étaient son domaine de prédilection. C’est avec cet objectif en tête qu’il continua à progresser en privilégiant les petites galeries. Mais plutôt que de chercher à atteindre l’une des sorties trop difficilement praticables qu’il connaissait, il fit le pari de chercher à rejoindre à nouveau l’étage supérieur. Peut-être parviendrait-il à surprendre leur chef resté en arrière. Peut-être trouverait-il un passage vers l’extérieur si la trappe avait été rouverte. Dans tous les cas, il doutait que ses ennemis anticipent cette manœuvre audacieuse.

Il lui fallut quelques temps pour se repérer dans le labyrinthe de couloir, mais il finit par reconnaître les lieux, et retrouver l'escalier qui montait à l'étage supérieur. L'endroit était tout proche du lieu de son dernier affrontement, et guère éloigné du premier, aussi redoubla-t-il de prudence. Mais il eut beau tendre l'oreille, il ne perçut pas un bruit. Il régnait un silence absolu dans les souterrains.
Rejoignant l'escalier, il se souvint de la marche avec les brindilles, de celle avec les morceaux de métal, de la poussière déposée sur une troisième marche, où il avait déjà laissé une empreinte montant vers le haut -il lui suffisait de poser son pied exactement par-dessus.
Il découvrit que l'avant-dernière marche avait également été recouverte de poussière, toute fraîche, une poudre très fine que l'un d'eux devait avoir déposé après leur passage.
L'étage supérieur lui parut, de prime abord, tout aussi silencieux. Mais en s'approchant de la salle principale, il lui sembla percevoir une respiration.

Prudemment, à pas de loup, le rôdeur entreprit d’explorer les abords de la salle pour vérifier que des ennemis ne risquaient pas d’accourir au plus mauvais moment. Alors seulement, il tenterait une entrée dans la salle où il ne manquerait pas d’être rapidement repéré. Pourvu qu’il y assez peu d’ennemis pour parvenir à en triompher avant l’arrivée inévitable des renforts venus des autres étages ou même de celui-ci.

La respiration qu'il entendait -ou les respirations- lui semblait provenir de la salle centrale, où ils avaient probablement laissé des adeptes en faction. Un au moins. Il explora néanmoins les couloirs, par mesure de sécurité, et les découvrit déserts.
Il s'approcha de la salle à nouveau, optant pour une galerie proche de l'escalier -si sa mémoire était bonne.
Mais étrangement...il n'entendit plus la moindre respiration.

Kasumi choisit alors de s’arrêter car il était peu probable que ce qu’il avait repéré retienne son souffle. Il n’y avait donc qu’une autre explication : celui ou ceux gardant la salle avaient bougé – vers les couloirs ou l’escalier. Peut-être avait-il trahi sa présence par ses mouvements. Toujours est-il qu’il devait impérativement repérer ses ennemis avant de s’engager à découvert dans la grande salle.

Il resta immobile, concentré, cherchant à percevoir d'infimes signes de présence. Il n'y avait pas un bruit... Et il eût beau retenir sa respiration pour mieux entendre, aucun son ne parvenait à ses oreilles. Ses adversaires ne pouvaient pas avoir retenu leur souffle aussi longtemps. La grande salle n'était pas immense, et ses parois reflétaient les sons : s'il y avait eu quelqu'un à l'intérieur, il l'aurait entendu. Il finit par acquérir la certitude que la salle était vide.

Voilà qui n’arrangeait pas forcément ses affaires : il avait espéré surprendre certains de ses adversaires et peut-être retirer quelque-chose d’utile de cet affrontement mais il semblait maintenant que la salle ne revêtit que peu d’intérêt. Il chercha tout de même à y jeter un coup d’œil tout en se méfiant de la présence d’un piège éventuel. On ne savait jamais s’il ne trouverait pas quelque objet utile ou une issue. Sans compter que l'escalier en colimaçon était une position très aisément défendable.

La pièce ne semblait pas piégée. Elle était vide, complètement vide. Il y subsistait juste les deux tapis de peau, posés au sol. Les poils couchés indiquaient qu'ils avaient servi il y a peu, mais ça n'était nullement une surprise...
Il ne découvrit donc aucun objet utile. Ni aucune issue. Mais il eut la surprise, en s'approchant à pas de loup de l'escalier, de percevoir une sensation d'air plus frais sur son visage.

Si ce n’était pas un piège, ça y ressemblait fort ! Le demi-elfe ne pouvait pour autant pas ignorer cette possibilité qui lui ferait peut-être découvrir la seule sortie praticable jusqu’à la sortie. Kasumi examina donc l’escalier non sans avoir vérifié que personne n’en profitait pour entrer dans la grande salle et l’attaquer à revers. Il avait l’intention d’examiner puis de tester chacune des marches avec la pointe de son épée tout en guettant régulièrement en arrière.

Il testa la première marche, puis la seconde, sans que rien ne se déclenche. Et il avança ainsi peu à peu sans découvrir de piège. Sa progression, bien qu'aussi discrète que possible, n'était pas parfaitement silencieuse puisque son épée, touchant les marches, émettait un léger bruit mat. Pourtant, derrière lui, rien ne bougeait.
Il finit par arriver en vue de la trappe de bois, ouverte. Il savait qu'au-delà, sur l'étroit palier, se trouvaient trois couloirs ainsi que l'escalier menant au-dehors, d'où provenait certainement ce souffle d'air frais. Il devinait même le souffle du vent dans les branches... et il était, hélas, suffisamment fort pour masquer le bruit éventuel d'une respiration. On pouvait très bien l'attendre sur le palier...

Ce piège était en effet l’un des plus vieux de tous les temps : proposer à une proie un appât – une voie vers la liberté en l’occurrence - pour mieux l’attaquer ou l’emprisonner. Mais savoir qu’il y avait de très grandes chances qu’il s’agisse d’un piège ne rendait pas moins tentante cette sortie quasiment providentielle. Restait à imaginer comment l’exploiter sans se faire surprendre…

Il tenta donc de se souvenir de la configuration exacte des lieux et d’extrapoler sur la cachette qu’il se serait lui-même choisie pour s’embusquer. Alors seulement, il tenterait d’y lancer son épée courte avant d’émerger le plus rapidement possible. Cela provoquerait immanquablement du bruit mais tout ce qui importait était de parvenir à gagner la dernière salle et peut-être l’escalier menant vers l’extérieur. Si c’était impossible, il pourrait toujours défendre aisément cet endroit.

Il avait observé les lieux, méfiants, lorsqu'il descendait depuis l'extérieur, et avait donc une idée assez précise de la configuration des lieux.
La trappe, ouverte, se trouverait derrière sa tête lorsqu'il émergerait. Le palier était de forme carrée, d'une toise de côté environ. Il trouverait un couloir à droite, un couloir à gauche, un derrière lui. Et l'escalier de pierre juste en face. Les couloirs étaient étroits -on s'y croisait difficilement-, et relativement bas de plafond, mais le palier lui-même était plus spacieux et plus haut.

S’il avait dû s’attendre à ce qu’un adversaire émerge par l’escalier qu’il comptait emprunter, il se serait probablement dissimulé dans l’une des issues. Mais pour porter un coup vicieux et potentiellement mortel, il se serait simplement embusqué derrière la trappe ouverte. Il n’aurait alors plus qu’à frapper à la nuque ou au dos. A bien y réfléchir c’était là le danger le plus immédiat. Le rôdeur grimpa donc jusqu’à la limite de l’ouverture pour jeter un rapide coup d’œil devant lui.

Et s’il ne voyait rien d’inquiétant, il gravirait l’escalier à reculons pour faire face à tout coup porté en traître. Il serait en mauvaise position durant quelques instants mais bien moins que s’il offrait à l’ennemi l’opportunité de l’abattre d’n seul coup bien placé.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde