La Couronne de Cuivre

Il resta un moment à observer Baptiste. Malgré les paroles rassurantes du druide, il aurait bien aimé qu'il se soit déjà réveillé.
Peut-être serait-ce pour aujourd'hui ? Il l'espérait, vraiment.
Mais dans l'immédiat, hormis lui administrer le traitement prescrit, il ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre. Heureusement, dans pareil cadre, en pareille compagnie, c'était plus facile.
Et, d'ailleurs, il ne fut pas long à regagner la surface.

Ayu et Olivier étaient les deux seuls à table lorsque Taliesin émergea. A la hauteur du soleil, le barde devina qu'ils étaient déjà en milieu de matinée. Une odeur chaude et sucrée flottait dans l'air et le druide servit le barde d'une tasse d'un liquide chaud et sombre, délicieux, qu'il ne put cependant identifier. Olivier refusa de lui en donner la recette et lui proposa plutôt de se servir de pain et de confiture. Il s'excusa ensuite et partit à travers la clairière. Sans les apercevoir, Taliesin devina que Marius et Titus devaient profiter de cette belle journée...
" Vous vouliez me parler, hier soir ?" demanda finalement Ayu.

-En effet.
Il but une gorgée du délicieux liquide.
-J'ai songé à discuter de Marius avec vous sitôt que je vous ai vu vous métamorphoser. Et j'ai été renforcé dans mon idée après avoir assisté à sa remarque sur les filles et à la manière dont il admirait votre musculature... Je vais donc me lancer mais, auparavant, je voudrais vous demander de ne pas répéter ce que je vais vous dire le concernant.

Ayu aussi les sourcils, puis acquiesça.
" Pas de soucis. Nous avons tous nos secrets. Mais je ne suis pas certaine qu'Olivier ne serait pas un meilleur interlocuteur... Je suis prête à vous écouter, cependant. Nous devrions être tranquilles un moment."

-Merci.
Il chercha ses mots afin de présenter les choses de manière concise.
-Tout d'abord, la piètre opinion que Marius a des filles est problématique, dans la mesure où... c'en est une. Mais n'allez pas le lui dire, sous peine de provoquer son ire : il veut se faire passer pour un garçon, à tout prix. Ensuite... Lors d'un récent séjour en Féérie, une morsure lui a valu de devenir un loup-garou. Ce qu'il ignore.

" Wouah." dit Ayu, interdite.
Puis elle rit doucement.
" Prenons les choses dans l'ordre. C'est un orphelin, non, cet enfant ? Peut-être qu'il s'est passé quelque chose, dans son parcours, qui explique sa piètre opinion des filles, comme vous le dites... Est-ce que vous le savez ?"

-Non... Pour être honnête, je ne sais quasiment rien de son passé, sinon qu'il était dans un orphelinat, qu'il le détestait, qu'il s'en est enfui et qu'il ne faut pas lui parler de le conduire dans un autre établissement du même type, sous peine de le voir aussitôt se carapater. Mais bref : je pense la même chose que vous et c'est pour ça que je ne le brusque pas à ce sujet, que je respecte son choix de se faire passer pour un garçon. Mais comme il serait évidemment mieux qu'il s'accepte tel qu'il est, je réfléchis à des solutions et... lui présenter des femmes qu'il ne pourra qu'admirer est une iste intéressante. En ce sens, j'ai beaucoup apprécié votre remarque d'hier, sur le bras de fer !

" Ah ! Mais je ne peux gagner au bras de fer que sous ma forme d'ourse. Sous celle-ci, Olivier me bat aisément... et Epona, certainement. Les centaures sont des brutes."
Elle sourit.
" Mais je pense que les causes de sa transformation sont peut-être plus critiques que vous ne le pensez. Je peux très facilement imaginer qu'être une fille dans un orphelinat doit être plus difficile que d'être un garçon... selon les conditions, bien sûr."

-Je veux bien le croire. Mais...
Il haussa les épaules.
-Bah, peut-être me fera-t-il un jour assez confiance pour accepter d'en discuter. Et d'ici là, peut-être que les femmes qu'il croisera l'aideront à comprendre qu'il peut être fier de ce qu'il est, que rien ne le condamne à se déguiser et que même en tant que fille, il a les moyens de se défendre de ceux qui lui cherchent des noises.

" Vous avez une épouse, non ? demanda Ayu. Peut-être qu'elle sera mieux placée que vous pour faire ce travail... Et d'ici là... Il n'a pas l'air malheureux, votre Marius. Il s'entend bien avec votre aîné. Et il y a pire que se faire passer pour un garçon... Dans un monde imparfait, ou suspicieux, on se fait souvent passer pour autre chose que ce qu'on est, vous ne croyez pas ?"

-Il y a quand même des lieux, des contextes où l'on peut être soi-même. Mais vous avez raison, quoique je regrette que tant de gens doivent recourir à ce moyen... Pour le reste, oui, je pense que mon épouse sera mieux placée que moi pour l'aider à ce niveau ; je trouvais néanmoins intéressant qu'au cours de notre périple, il soit amené à rencontrer des femmes qui ne pourraient que l'impressionner. D'autant que chez nous, hormis ma femme et ma fille... Il n'y a pas beaucoup de représentantes de la gente féminine.

" J'espère que vous n'avez pas l'intention de cloîtrer vos enfants chez vous pendant toute leur jeunesse, dit Ayu en riant. Cette petite fille aura l'occasion de croiser bien des femmes, ne vous en faites pas. Et sans doute sera-t-elle elle-même... quand elle se sentira en sécurité. Un orphelin sur la route, ce n'est pas exactement la position la plus facile du monde, pour un enfant. A mon avis, le faune aussi va se métamorphoser quand il se sentira mieux. Pour l'instant, c'est une créature aussi farouche qu'un faon... mais ça ne va pas durer, croyez-moi. Nous avons l'expérience de son engeance, ici."

-J'espère qu'il en ira de même pour Titus. J'espère qu'il se sentira bien, chez nous, qu'il pourra s'y épanouir...
Son regard se fit pensif.
-Et je souhaite la même chose pour Marius, bien sûr. D'autant plus que ce serait dramatique s'il décidait subitement de s'enfuir : un gosse livré à lui-même, c'est déjà rude, mais un gosse qui ignore qu'il est un loup-garou...

" C'est sûr que ce n'est pas une situation facile, dit Ayu avec une grimace. Mais dans le même temps, c'est sûrement mieux qu'elle n'en sache rien pour l'instant. On ne sait jamais ce qu'il en sortira. Mais si vous craignez de ne pas être à la hauteur, vous pouvez toujours demander à Olivier de la garder. Il le fera."

Il secoua la tête.
-Je lui ai proposé de l'accueillir chez moi et il a accepté : si je reviens sur ma proposition maintenant... Non seulement il y verra anguille sous roche mais, de surcroit, il le prendra mal. Lui qui a déjà du mal à faire confiance aux adultes, ça risque d'être la goutte d'eau qui fait déborder le vase... Non, je préfère le ramener chez nous. Quitte à prendre conseil auprès de personnes plus compétentes que moi pour être en mesure de l'aider, le moment venu.

" Je comprends. Et je vous souhaite bien du courage. De ce que j'en sais... c'est une espèce compliquée à gérer. Je n'en ai jamais rencontré."
Elle jeta un regard derrière son épaule, mais Marius était hors de vue.
" Cela dit, c'est toujours plus facile quand on attrape ça petit, je suppose. On intègre ça en soi, et on ne pense plus à hier."

Il déduisit des paroles d'Ayu que ça n'avait pas été son cas, que la concernant, ce n'était pas intervenu durant sa jeunesse.
[color=#FFF66]-Serait-il indiscret de vous demander ce qui s'est passé, pour vous ?[/color] s'enquit-il, hésitant.
Il était curieux mais ne voulait certainement pas l'embarrasser.

" Oh, moi ? Ça n'a rien eu de traumatique ou d'imprévu. Je vivais dans une tribu où... ça se faisait, voilà tout. Cela ne se transmet pas que par la morsure, vous voyez... parfois oui, parfois non, mais chez les miens... On était mordu dans l'enfance, lors d'un rituel, pour s'assurer que la bénédiction de l'ours se transmette de génération en génération. Puis nous avons pris la décision d'arrêter. Cela n'a pas été facile. Je ne serais pas surprise que certains aient continué, malgré les serments, et le reste... Ça remonte, en fait. C'est le genre de pouvoir qui a des avantages... et beaucoup d'inconvénients. Personnellement, j'ai bien l'intention que ma lignée s'éteigne avec moi."

-D'accord.
Il ne savait trop qu'en penser. Pour autant qu'il sache, les ours-garous étaient bienveillants : dès lors, leur extinction était plus que regrettable. Mais dans un monde se civilisant de plus en plus, il comprenait qu'ils aient du mal à trouver leur place.
-A quand remonte cette décision de ne plus perpetuer la bénédiction de l'ours ?

" Environ quarante ans, dit Ayu. Peut-être un peu plus, peut-être un peu moins. J'ai vécu certaines années sous forme d'ourse et j'ai perdu la notion du temps, alors... Contrôler la part bestiale de soi n'est pas évident, surtout quand vient l'hiver... Ici, Olivier veille à me ramener à mon humanité, quand il sent que je glisse. C'est notre contrat."

-Je comprends.
Il resta silencieux quelques instants.
-Le moment venu, si nous peinons à... aider Marius, nous pourrons donc demander de l'aide à Olivier. c'est bon à savoir. Et rassurant, surtout. Après, peut-être voudra-t-il... redevenir pleinement humain : mais si j'ai bien compris, cela n'est possible qu'avec son accord, et que grâce à un très puissant clerc. Mais peut-être voudra-t-il rester ce qu'il est devenu, auquel cas... Il faudra le guider.

" Je ne suis pas au courant de ce qu'il faut faire pour se désensorceler, dit Ayu. Je n'y ai jamais songé, ce n'est pas quelque chose qui était... envisagé dans ma tribu. Je ne crois pas non plus qu'Olivier soit un spécialiste : il n'est pas du genre à vouloir rectifier ce genre de particularités. C'est un druide, rappelez-vous. Il aime aussi les wyvernes, les araignées géantes et les trolls."
Elle sourit avec une grimace.
" Mais notre porte vous sera sûrement ouverte, oui."

-Merci. C'est sécurisant.
Il sourit.
-Et puis, qui sait ? Il se peut aussi que Titus ait tout simplement envie de revoir Agrim, ce qui pourrait nous amener à revenir de toute façon.

" C'est possible. Cela dit, vous aurez du mal à nous retrouver. Mais Olivier vous donnera peut-être un oiseau, si vous lui demandez."
Une fenêtre s'ouvrit derrière eux.
" Taliesin, je pense que votre fils s'est réveillé." dit simplement Epona.

-Oh...
Déjà, il était debout.
-Merci beaucoup pour la conversation, Ayu. Je vous dit à plus tard.
Puis, se tournant vers Epona :
-Est-il toujours dans sa chambre ?

" Oui. Je n'ai pas osé aller voir, pour ne pas lui faire peur... C'est Victor qui est venu me prévenir. Je crois qu'il est un peu perdu... Ce n'est sans doute pas le cadre qu'il s'attendait à trouver à son réveil."
Lorsque Taliesin atteignit le terrier où ils avaient dormi, au sous-sol, il trouva Victor assis au chevet de Baptiste. Ce dernier, couché, avait les yeux ouverts.
" Je vais aller lui chercher quelque chose à manger, dit Victor en étouffant un bâillement. J'ai l'impression... qu'il a même oublié qu'on avait quitté la maison d'Amrod."

-Ah...
Cela ne le surprit pas plus que cela : il n'avait rien d'un spécialiste mais il lui semblait bien que l'amnésie était une conséquence fréquente des violents coups sur la tête. Heureusement, celle-ci n'était que partielle...
-Lui chercher de quoi déjeuner, c'est une excellente idée. Merci beaucoup, Victor.
Il lui sourit puis s'approcha de Baptiste.

Victor détala tandis que Baptiste, papillonnant des yeux, se fixait sur le visage de Taliesin.
" Victor dit que... je me suis fait renverser... par un chariot ? Qu'on a quitté Champsdor ?"
Il secoua la tête.
" Vous me faites une blague, c'est ça ?"

Il secoua la tête.
-Non, ce n'est pas une blague. Mais comme tu as reçu un très gros choc à la tête, ce n'est guère étonnant que tu ne te souviennes de rien.
A moins que la surcharge de magie soit en cause ?
-Enfin, le plus important est que tu sois réveillé.
Dieux, quel soulagement !

Baptiste eut un sourire incertain. Ne se souvenant pas de l'accident, il ne pouvait sans doute pas mesurer l'inquiétude de ses proches.
" Mais... ça fait combien de temps qu'on est partis, alors ? Et on est où, ici ? Ça ne ressemble pas du tout à la chambre de chez Amrod... mais pas tellement à une auberge, non plus. On dirait... une sorte de terrier ?"

La Couronne de Cuivre

[Quête] A travers la vallée...